Le CRI des Travailleurs
n°24
(novembre-décembre 2006)

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« Crise » nucléaire en Corée du Nord:
Hypocrisie des impérialistes, servilité des directions du mouvement ouvrier


Auteur(s) :Quôc-Tê Phan
Date :17 novembre 2006
Mot(s)-clé(s) :international, Corée
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Le 9 octobre 2006, la Corée du Nord a annoncé avoir effectué et réussi le premier essai nucléaire de son histoire. Cette annonce a provoqué une avalanche de condamnations internationales, même de la part des traditionnels alliés de Pyongyang comme la Chine et la Russie. Les puissances impérialistes – dont les meneurs sont par ailleurs détenteurs de l’arme nucléaire – ont même décidé, en utilisant le cache-sexe de leurs intérêts qu’est l’ONU, des sanctions économiques contre ce pays. La résolution 1718 du Conseil de sécurité, votée à l’unanimité le 14 octobre, « condamne le test nucléaire », « exige que la Corée du Nord ne procède pas à un autre test », « exige le retour de la Corée du Nord au Traité de non-prolifération (TNP) », « décide que la Corée du Nord doit suspendre toutes les activités liées à son programme de missiles balistiques » et « éliminer ses armes nucléaires (…) d’une façon complète, vérifiable et irréversible » ; et elle décrète un embargo « sur les armes et matériels connexes », « les matériels liés à la technologie nucléaire ou à celle des missiles », les « produits de luxe ». Le vote de cette résolution a finalement conduit le régime nord-coréen à revenir à la table des négociations avec les impérialistes, mais il est utile de revenir ici sur ces événements, en adoptant un point de vue communiste révolutionnaire.

Que représente réellement la « menace nucléaire » nord-coréenne ?

On peut d’abord se demander en quoi cet essai nucléaire « constitue une menace grave pour l’avenir de la Paix dans le monde », selon les mots de la déclaration de la CGT (1). Le budget militaire annuel des États-Unis s’élève à 300 milliards de dollars en 2001 (2), dont plus de 40 milliards (3) servent à maintenir le dispositif de « défense » en Asie de l’Est. Les alliés des États-Unis dans cette région, le Japon et la Corée du Sud, consacrent respectivement 45 milliards et 14,5 milliards de dollars à leur armée (4). À côté de ces sommes vertigineuses, le budget militaire de la Corée du Nord semble bien ridicule. En effet, même si on estime couramment que la Corée du Nord affecte près d’un quart de son PIB (Produit Intérieur Brut) à la défense, cela ne représente guère qu’un peu plus de 5 milliards de dollars. À ce déséquilibre en terme budgétaire s’ajoute un déséquilibre technologique très important. Bref, il n’y a pas de comparaison possible entre les forces en présence, et il faut être faussement naïf pour penser que le régime de Pyongyang puisse se risquer un jour à déclencher une quelconque action militaire contre les États-Unis ou leurs alliés en l’Asie de l’Est.

À quoi sert dans ce cas le programme nucléaire nord-coréen ? Tout d’abord, comme le note un spécialiste chinois des questions militaires, depuis l’apparition des armes nucléaires, les États-Unis n’ont jamais attaqué un pays détenteur de l’arme nucléaire, alors qu’ils n’ont pas hésité récemment à accomplir leur « devoir » de gendarmes du monde en bombardant ou en envahissant successivement la Yougoslavie, l’Afghanistan et l’Irak (5). Alors que la Corée du Nord fait partie de l’« Axe du Mal » selon Bush, la mise au point de l’arme nucléaire apparaît comme un moyen de dissuasion pour les dirigeants nord-coréens contre une éventuelle attaque américaine.

En second lieu, les dirigeants nord-coréens se servent de la réussite du programme nucléaire pour construire le prestige de leur armée et de leur régime. Ainsi peut-on lire dans la déclaration officielle de Pyongyang du 10 octobre que « l’essai nucléaire a été conduit avec le savoir et la technologie 100% autochtones. Il s’agit d’un événement historique car il encourage et satisfait grandement l’Armée Populaire Coréenne et le peuple, qui ont souhaité disposer d’une capacité de défense puissante et autonome.(6) » La tension diplomatique provoquée par cet essai permet également de détourner la population des questions plus aiguës comme l’absence de droits démocratiques, la pénurie, la corruption des dirigeants, etc., et de la souder autour du régime. Le même phénomène s’est produit en Iran, où Ahmadinejad, alors qu’il était au plus bas dans les sondages à cause de sa politique économique, a regagné beaucoup de popularité quand il a focalisé l’attention de la population sur le dossier nucléaire, en en faisant une question de fierté nationale (7).

Hypocrisie des puissances impérialistes

L’annonce de l’essai nucléaire nord-coréen a été accueillie par un concert de condamnations internationales. Douste-Blazy, le minable ministre français des affaires étrangères, a déclaré que « le comportement de la Corée du Nord ne saurait être toléré ». De la part de pays comme les États-Unis (qui ont bombardé Hiroshima et Nagasaki en 1945 et qui ont réalisé depuis, à eux seuls, plus de mille essais nucléaires, soit la moitié du total mondial), ou la France (qui a infesté le Sahara et la Nouvelle-Calédonie avec ses essais, des années 1960 à 1995), ces condamnations, assorties de souhaits d’une « péninsule coréenne dénucléarisée », sont de la pire hypocrisie. De quel droit ces pays peuvent-ils posséder des armes atomiques et empêcher que d’autres y aient accès ?

Depuis cinquante ans, les États-Unis imposent, avec leurs alliés, un embargo complet contre la Corée du Nord. Cet embargo international, en asphyxiant l’économie nord-coréenne, a contribué aux tragiques famines qu’a connu ce pays dans les années 1990. Il faut rappeler ici que la situation économique nord-coréenne n’a pas été toujours aussi catastrophique. Jusqu’aux années 1960, l’économie de la Corée du Nord était même plus développée que celle de la Corée du Sud (8), alors qu’elle recevait bien moins d’aide de la part de ses alliés – la Chine et la Russie – que la Corée du Sud n’en recevait des États-Unis et du Japon. Ainsi, dès les années 1960, la Corée du Nord produisait les premières locomotives électriques. En 1970, son industrie lourde atteignait le quatrième rang en Asie, derrière le Japon, la Chine et l’Inde. Le métro de Pyongyang a été inauguré en 1973. Che Guevara aurait déclaré, lors de sa visite de Pyongyang vers 1965, que la Corée du Nord était un « modèle à suivre pour le Cuba révolutionnaire » (9). Par la suite, le tarissement des aides, l’isolement, la militarisation excessive et la bureaucratisation croissante ont fortement pénalisé le développement économique nord-coréen. Cependant, le système de santé nord-coréen reste aujourd’hui performant et totalement gratuit, et l’éducation est généralisée, avec 99% d’alphabétisation.

En plus de cet embargo criminel, les États-Unis n’ont pas cessé de faire peser des menaces sur le régime nord-coréen. En 1998, les États-Unis auraient fait des simulations d’attaque nucléaire sur la Corée du Nord. À la même période, un général des Marines a affirmé que les États-Unis préparaient un plan pour renverser le régime nord-coréen et pour installer à la place un régime fantoche. Après le 11 septembre 2001, Bush a inclus la Corée du Nord dans son « Axe du Mal ». En 2002, Washington a déclaré que les États-Unis se réservaient le droit d’utiliser la force nucléaire contre la Corée du Nord (10).

Dans ce contexte de menaces et d’intimidations permanentes, il est compréhensible que le régime nord-coréen se soit doté de l’armement nucléaire, comme un moyen de dissuasion. Le régime le dit d’ailleurs très clairement : « L’essai nucléaire de la RDC [République Démocratique de Corée] est entièrement imputable à la menace nucléaire, aux sanctions et à la pression américaines. [...] La RDC réitère clairement qu’elle ne ressentira aucun besoin de posséder ne serait-ce qu’une seule ogive, quand elle ne sera plus exposée à la menace américaine [...] (11). »

Autre hypocrisie : dans son allocution officielle du 9 octobre, Bush a eu le front d’accuser le régime nord-coréen de « faire partie des pires proliférateurs mondiaux de technologie de missile ». Faut-il rappeler que les États-Unis sont le deuxième exportateur mondial d’armes, pour un montant officiel de 5,7 milliards de dollars en 2003, dont près de la moitié à des gouvernements considérés comme non-démocratiques par Washington même, comme le Kenya, le Nigeria, l’Angola... (12)?

En réalité, sous leurs beaux discours pour un « meilleur avenir » du peuple nord-coréen, pour la « stabilité » régionale ou pour la « paix » internationale, les États impliqués dans les « pourparlers à six » cachent chacun des intérêts bien moins louables. La Chine, et dans une moindre mesure la Russie, entendent protéger leur vieil allié, qui leur sert de « tampon » vis-à-vis des deux avant-postes américains dans la région que sont la Corée du Sud et le Japon. Le Japon, pour sa part, prend prétexte de l’essai nucléaire nord-coréen pour justifier sa remilitarisation accélérée, dans le but de retrouver une influence politique à la mesure de sa puissance économique dans la région et dans le monde. Enfin, les États-Unis ont besoin de l’épouvantail d’une prétendue « menace » nord-coréenne pour justifier aux yeux de l’opinion publique américaine le maintien de plus de 100 000 soldats stationnés en Corée du Sud et au Japon, cette présence militaire étant essentielle pour assurer la domination américaine en Asie-Pacifique.

Servilité des directions du mouvement ouvrier

En France, non seulement le gouvernement, le PS et la plupart des médias, mais les principales organisations qui se réclament du mouvement ouvrier (à l’exception de LO et du PT) ont tenu à exprimer leur indignation vis-à-vis de l’essai nucléaire nord-coréen.

En particulier, comme pour marquer une prise de distance avec leur passé stalinien et pour montrer qu’ils sont bien rentrés dans les rangs du pacifisme petit-bourgeois, le PCF et la CGT se sont empressés de dénoncer la « menace » nucléaire nord-coréenne : « Au nom de pseudo-menaces sur sa sécurité, la Corée du Nord fait le choix de la course aux armements et de la déstabilisation de toute la sécurité régionale » (13) dit l’un ; « l’essai nucléaire auquel la Corée du Nord vient de procéder constitue une menace grave pour l’avenir de la Paix dans le monde, accentue les tensions internationales au moyen du chantage par la peur, aggrave les risques de prolifération nucléaire » (14), déclare l’autre… Ces deux organisations sont allées jusqu’à demander gentiment à leur propre impérialisme, lui-même détenteur de l’arme nucléaire, d’œuvrer à un utopique désarmement nucléaire général, sous l’égide de l’ONU ! Ces rodomontades sont bien risibles quand on sait que le seul intérêt de l’impérialisme français et de cette officine impérialiste qu’est l’ONU consiste en fait à préserver le monopole nucléaire du club des cinq (États-Unis, Grande Bretagne, France, Russie, Chine) et de leurs « autorisés » (Inde, Pakistan, Israël).

Remarquons par ailleurs que la CGT est prompte à demander aux « citoyens et salariés de notre pays » à condamner l’essai nucléaire nord-coréen sous prétexte de « combat[tre] pour l’abolition totale de l’arme nucléaire » (15) mais qu’elle refuse de mobiliser les travailleurs pour réaliser l’embargo sur les armes en direction d’Israël ou pour empêcher que les troupes françaises occupent le Liban.

Sombrant elle aussi dans le pacifisme petit-bourgeois de ses amis « anti-libéraux », la LCR s’est sentie obligée d’ajouter sa voix au concert des protestations. Ainsi affirme-t-elle son « refus total de l’arme nucléaire quels qu’en soient les détenteurs », en ajoutant que « la bombe dans les mains du dictateur de Pyongyang est tout aussi dangereuse que celle possédée par l’organisateur des agressions contre les peuples d’Irak, du Liban, d’Afghanistan ou de Palestine » (16). Cette dernière affirmation, qui revient à renvoyer dos-à-dos un pays opprimé (quel que soit son régime) et la principale puissance impérialiste du monde, est scandaleuse. Du reste, la LCR explique l’état catastrophique de l’économie de la Corée du Nord par la bureaucratie et le militarisme du régime, sans dénoncer, à aucun moment dans son article, la politique criminelle que l’impérialisme américain et la prétendue « communauté internationale » font subir à ce pays.

Pour les véritables communistes révolutionnaires, même si la mobilisation des travailleurs et de la population peut ponctuellement empêcher des actions militaires, l’idéologie pacifiste et la demande de désarmement en général sont utopiques dans le cadre du système capitaliste. La disparition des armes atomiques en particulier, et de toutes les armes en général ne sera possible que dans la société communiste réalisée au niveau mondial.

Défense de la Corée du Nord contre l’impérialisme !

Pour les militants qui se réclament de la lutte contre l’impérialisme, il n’est donc pas question de dénoncer le programme nucléaire nord-coréen, mais il faut défendre la Corée du Nord en tant que pays opprimé, affamé et agressé par l’impérialisme. La Corée du Nord a tout à fait le droit de développer, de manière autonome, son propre programme nucléaire à des fins civiles (car il ne faut pas oublier que le volet militaire n’est qu’une partie du programme nucléaire coréen, l’autre partie concernant le développement de centrales électriques dont ce pays a bien besoin). Elle a aussi le droit de disposer de l’arme nucléaire, si elle le souhaite, pour assurer sa souveraineté face aux menaces de l’impérialisme américain soutenu par la prétendue « communauté internationale ». De ce point de vue, même si LO et le PT ne condamnent pas l’essai nucléaire nord-coréen, comme nous l’avons dit, ils ne se prononcent pas pour autant pour la défense de la Corée du Nord contre l’impérialisme, ce qui constitue une faute politique grave.

C’est au prolétariat et au peuple opprimé qu’il revient de renverser le régime stalinien de Kim Jong Il !

Il ne s’agit nullement pour autant de cautionner le régime stalinien de la Corée du Nord. Car même si ce régime se réclame officiellement du socialisme et repose sur l’étatisation des grands moyens de production, il est très loin d’être un régime socialiste. Le socialisme suppose en effet que ce sont les travailleurs, et non une couche de bureaucrates placés au-dessus de la population, qui décident eux-mêmes et démocratiquement de leur propre sort. Or le régime nord-coréen, dirigé par le dictateur Kim Jong Il, exploite et opprime les masses pour engraisser une bureaucratie parasitaire et totalitaire, gaspillant les ressources économiques et ouvrant de plus en plus le pays au marché et au capitalisme, sur le modèle de la « libéralisation » de l’économie chinoise (autonomie accrue des entreprises, développement de marchés libres, ouverture aux investissements étrangers...).

C’est pourquoi les travailleurs nord-coréens devront se battre pour renverser eux-mêmes le régime de Kim Jong Il et pour réaliser avec les travailleurs sud-coréens la réunification de la Corée sur des bases réellement socialistes. Ils auront pour cela à construire des syndicats indépendants et un authentique parti communiste révolutionnaire, avec l’objectif d’un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs en Corée du Nord et sur toute la péninsule coréenne.


1) « Essais nucléaires nord-coréens : une menace grave pour l’avenir de la Paix. » Déclaration de la CGT du 10 octobre 2006.

2) Office of Under Secretary of Defense, National Defense Budget 2001, Washington, 2000.

3) The Korea Policy Review, février 2006

4) Article sur la Corée du Nord, Wikipedia.

5) Dingli Shen, « Pyongyang mise sur la neutralité de Pékin », Le Monde diplomatique, novembre 2006.

6) Agence Centrale d’Information Coréenne, dépêche du 9 octobre 2006.

7) Voir le récent reportage de France 2 sur l’Iran : http://info.france2.fr/emissions/1705437-fr.php

8) A Country Study : North Korea, section 3.2.2. Bibliothèque du Congrès américain.

9) Bruce Cumings, Korea’s Place in the Sun: A Modern History (Updated Edition) W.W. Norton & Company, 2005. Cité par Stephen Gowans sur http://gowans.blogspot.com/2006/11/understanding-north-korea.html.

10) Bruce Cumings, North Korea: Another Country, The New Press, 2004. Cité par Stephen Gowans sur http://gowans.blogspot.com/2006/11/understanding-north-korea.html.

11) Agence Centrale d’Information Coréenne, dépêche du 11 octobre 2006.

12) U.S. weapons at war 2005 : promoting freedom or fueling conflict? A World Policy Institute Special Report, 2006.

13) « Essai nucléaire de la Corée du Nord : Réaction du PCF ». Déclaration du PCF du 9 octobre 2006.

14) « Essais nucléaires nord-coréens : une menace grave pour l’avenir de la Paix. » Déclaration de la CGT du 10 octobre 2006.

15) Idem.

16) « Explosion nucléaire en Corée du Nord ». Article de Rouge du 13 octobre 2006.


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