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Le CRI des Travailleurs n°29     << Article précédent | Article suivant >>

Interview et discussion avec R., ouvrier, militant CGT et délégué du personnel à PSA-Aulnay


Auteur(s) :R
Date :20 novembre 2007
Mot(s)-clé(s) :syndicalisme
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Huit mois après la grande grève d’une partie des ouvriers de PSA-Aulnay (fin février-début mars 2007), Le CRI des travailleurs a interrogé l’un des animateurs de cette grève R., ouvrier, délégué syndical dans cette usine, ex-militant CFDT, aujourd’hui à la CGT. La discussion a porté à la fois sur le bilan de cette grève et sur des questions soulevées par la situation politique générale. Les intertitres sont de la rédaction.

Bilan de la grève

Le CRI des Travailleurs (CdT) : Vous avez fait une grève de six semaines, dans laquelle vous avez revendiqué 300 euros nets d’augmentation pour tous, l’intégration des intérimaires sur des postes fixes, la retraite à 55 ans. Maintenant, avec le recul, quel bilan tires-tu de cette grève ?

R : Toutes les revendications n’ont pas été réalisées directement. Par contre, il y a eu certaines choses réussies : pour les intérimaires, ils toucheront leur paye à la fin du mois au lieu du 10 du mois suivant ; il y a eu deux primes de « cohésion sociale », deux mois de suite après la grève. Par contre, il n’y a pas eu d’augmentation de salaire. Pour le patron, apparemment, c’était un peu trop de demander 300 euros ! Et pour les retraites, on n’a rien gagné non plus. Ce que l’on peut tirer comme conclusion, c’est d’avoir surtout réussi un mouvement global de beaucoup de salariés, syndiqués et non syndiqués, y compris des intérimaires, des anciens et des jeunes.

CdT : Vous avez été un minorité d’ouvriers à faire grève. Comment les autres ont-ils vu la grève et comment la voient-ils maintenant, avec le recul ?

R : Maintenant, ils réfléchissent autrement. Ils disent : c’est bien ce que vous avez fait, ça fait bouger les choses, grâce à vous, on a eu deux primes. Mais je pense qu’ils n’ont pas encore pris suffisamment d’expérience ou d’information pour passer le cap et vraiment entrer dans le domaine syndical, se syndiquer et ensuite faire des actions, même si ce sont de petites actions, des débrayages de quelques heures.

CdT : Après une semaine de grève, vous vous êtes retrouvés environ 500 grévistes. À ce moment là, pensiez-vous qu’il était encore possible de gagner ?

R : Après une semaine, ce n’était pas encore vraiment fixé. On ne savait pas si ça allait durer deux semaines ou plus. On était plus dans une démarche de voir un peu comment ça se passerait de jour en jour. Donc on était obligés de continuer cette grève pour voir l’aboutissement, si des choses allaient changer, comment les gens étaient déterminés pour continuer et voir ausssi s’il y aurait plus de monde.

CdT : Et, à ton avis, quelles auraient été justement les conditions nécessaires pour gagner ?

R : Là je pense que c’est plus une question de nombre de personnes en grève, parce que, entre 500 et 600, c’était en proportion [NR : au total, sur les trois équipes, environ 4000 ouvriers travaillent à l’usine PSA d’Aulnay], je ne dirais pas léger, mais presque. Et aussi l’impact sur le fonctionnement de l’usine était limité : le blocage n’était pas vraiment réalisé.

CdT : Et avez-vous discuté entre vous des conditions pour gagner, dans le comité de grève ?

R : Oui, on en a discuté, mais évidemment, ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu des gens de l’usine qui ont jugé ce niveau de grève relativement important, parce que 500 personnes, ce n’est pas rien. Il y a eu peu comme un choc. Certains qui auraient pu faire la grève ne voulaient pas la faire, parce que cela faisait une image un peu trop brutale.

CdT : Dans ces conditions, avec le recul, ne penses-tu pas que tous ces ouvriers vraiment déterminés, ceux qui ont fait grève pendant six semaines, auraient dû se dire : bon, pour le moment, nous n’avons pas convaincu la majorité, peut-être que l’on ferait mieux de s’arrêter et de refaire un travail pour essayer de convaincre plus et repartir quand on sera plus nombreux ?

R : Oui, je le vois comme ça, mais je le vois aussi d’un autre côté, parce qu’on a discuté avec pas mal de gens. Les gens, la moyenne, sont plus dans une démarche de garder l’emploi que de revendiquer comme on a fait. C’est ce qu’ils nous répondent quand on discute avec eux. Ils nous disent : voilà, nous, s’il faut défendre l’entreprise, s’il faut défendre notre emploi, on sera dans la prochaine grève. Donc nous on a dit : cette grève, c’était déjà une manière de défendre notre emploi : les intérimaires, les salaires et le départ des anciens. Pour eux, c’était moins percutant que de garder le travail. C’est peut-être ce que le patron leur a mis dans la tête, parce qu’il y a eu beaucoup de responsables, de chefs d’équipe et des bras droits du patron qui ont dit : gardez votre travail, ne faites pas la grève, n’écoutez pas les syndicats ! Donc, il y a eu aussi des gens qui ont eu l’esprit un peu dérivé par ces responsables.

Le rôle des syndicats dans la grève

CdT : Dans la grève, comment as-tu vu le rôle des différents syndicats ?

R : Il y a eu les trois syndicats principaux [CGT, CFDT, Sud, NDLR]. C’est vrai qu’il y a eu des petites différences d’expression, mais quand même, ce qui m’a plu, c’est de se réunir pour trois revendications principales, la solidarité, se réunir pour faire la même action, dans le même sens, la main dans la main. C’est ça qui était assez plaisant, même si chaque syndicat a un système de revendications qui est peut-être un peu différent des autres, mais en général les revendications sont les mêmes pour tous les ouvriers.

CdT : Tu parles des syndicats d’Aulnay. Et à l’échelle du groupe PSA, avez-vous eu l’appui d’un syndicat ?

R : Non, il n’y a pas eu trop d’appui. Il y a quelques usines qui ont fait des petits débrayages de quelques heures. Je pense que les responsables patronaux ont beaucoup agi sur les syndicats dans les autres usines pour éviter de répandre cette grève. Et on a entendu dire que certains syndicats ou des délégués auraient reçu des sommes d’argent pour éviter de développer les grèves et faire la solidarité avec l’usine d’Aulnay.

CdT : Sais-tu si les syndicats d’Aulnay ont essayé de prendre contact avec les syndicats des autres usines du groupe ?

R : On n’a pas pu se réunir. On est allé à l’usine de Saint-Ouen, de Poissy, mais comme le démarrage de la grève était d’Aulnay, ce n’était pas évident pour eux de faire une continuité. Il y a eu une solidarité, mais elle ne s’est pas exprimée comme on l’attendait. On s’est contacté, mais il n’y a pas eu beaucoup d’actions ensuite qui ont pris le relais de notre grève.

CdT : Est-ce qu’une des conditions pour gagner n’aurait pas été précisément de réussir à préparer un plan de bataille à l’échelle du groupe ? Car, même si vous avez perturbé la production à Aulnay de façon assez importante, cela n’empêchait pas que les voitures sortent dans les autres usines et donc, même si cela touchait PSA, ses profits, ce n’était pas décisif.

R : Oui, l’impact n’était pas aussi fort que ce que l’on aurait voulu. Disons qu’il y a deux choses. La première chose, c’est qu’une grève ne se démarre pas vraiment en la préparant, alors que cela serait mieux de la préparer [la grève a commencé par un débrayage spontané d’une ligne de production, qui a peu à peu entraîné environ 200 ouvriers du montage, suite à la distribution le midi d’un tract CGT racontant la victoire des ouvriers de Magnetto, un sous-traitant, en grève depuis quatre jours, qui avaient obtenu 100 euros nets d’augmentation, NDLR]. Et la deuxième chose, si on prépare une grève comme ça, on a toujours une crainte d’avoir des fuites d’informations. On ne sait pas vraiment s’il y a dans tous les syndicats un fonctionnement pur et dur et qui ne laisse pas échapper certaines infos. On a déjà préparé des petits débrayages, des petites grèves et on avait déjà les responsables qui étaient à l’heure et au même endroit que l’on avait prévu. Après, il faut savoir jongler entre les deux choses. Ce n’est pas si facile...

CdT : Tu veux dire qu’il y a dans certains syndicats, des dirigeants qui ne sont pas du côté des travailleurs, mais plutôt du patron ?

R : C’est pas obligatoirement des dirigeants, cela peut-être d’autres personnes qui en font partie. Cela peut être bien d’avoir la solidarité de plusieurs syndicats, mais plus il y a de syndicats, plus on va se demander s’il y a la pureté syndicale partout. Et cela met un peu en difficulté la préparation d’un mouvement de grève. (…) Ce qu’il faudrait, c’est demander un « CV syndical », avant même que les gens soient nommés délégués ou ensuite choisis par l’organisation dont ils font partie. Il faudrait arriver un peu à ce principe. Comme beaucoup de gens dans l’usine le voient, on ne peut pas nommer n’importe quelle personne avec un mandat de délégué comme ça. C’est ça qui fait toute la sensibilité et la force du syndicat.

CdT : Avez-vous des relations avec les syndicats des sous-traitants, par exemple ceux de Magnetto qui ont fait la grève avant vous ?

R : Oui, tout à fait. Il y a eu Trigo, une société de sous-traitance de contrôle et de vérification de conformité des véhicules. Il y a ENCI, une entreprise de nettoyage de Citroën, qui est liée et payée directement par Citroën. Il y a eu Valeo [équipementier automobile, NDLR], où il y a eu des soucis de paiement de primes, qu’ils devaient avoir et que Valeo ne leur payait pas. Il y a eu aussi la filiale de Gefco : ils ont enlevé une partie du travail à des carristes de Gefco qu’ils ont remis à une autre partie de l’usine pour casser les contrats de ces gars-là, pour les reprendre ensuite comme Citroën.

CdT : Aujourd’hui, il y a beaucoup d’entreprises qui tendent à sous-traiter pour diviser les travailleurs, leur rendre la lutte plus difficile. Cela n’exige-t-il pas un effort des syndicats de ces entreprises qui sont liées pour préparer la bataille ensemble ?

R : Oui, c’est exactement ce qu’il faut faire. Il faut développer le syndicalisme dans les sociétés de sous-traitance pour justement éviter que le patronat puisse mettre des barrières entre les ouvriers des sociétés de sous-traitance et ceux de l’entreprise principale. Mais, ce qu’il y a aussi, qui est sensible, c’est le nombre de personnes, car dans les sous-traitants, il n’y a pas autant de personnes. Il faut aller au contact des salariés des entreprises extérieures et essayer de faire le lien avec les mêmes structures syndicales pour bien se comprendre, et ensuite faire des actions qui soient bien reconnues, correctes et valables.

CdT : Et les confédérations syndicales, sont-elles venues vous apporter leur soutien ?

R : Du côté de la CFDT, ils n’ont pas voulu intervenir, parce qu’ils avaient signé les retraites avec les paliers de 41 et 42 ans jusqu’à 2012 et donc ils n’étaient pas du tout dans une démarche comme la nôtre, pour la retraite à 55 ans. Pour la CGT, il n’y avait pas de problème sur la retraite à 55 ans, Sud aussi était d’accord, mais pas les autres syndicats. C’est vrai que cela posait un problème entre les structures départementales, puis ensuite au niveau des sections syndicales de l’usine.

CdT : Bernard Thibault, est-il venu vous voir ? A-t-il aidé à ce que la grève se développe dans d’autres usines, de PSA notamment ?

R : Oui, il est venu deux ou trois fois. Il a discuté des salaires, des retraites des anciens. Il n’y a pas de souci. C’est un des seuls qui se soit déplacé. Il y aussi un responsable de Sud qui est venu, mais pas les autres syndicats.

CdT : Penses-tu que, par rapport à ses moyens, la CGT a mis toutes ses forces pour faire gagner la grève ?

R : Je pense qu’ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient faire au niveau de l’usine…

CdT : Oui, mais ma question portait sur la confédération CGT, pas sur le syndicat CGT de l’usine d’Aulnay…

R : Il n’y a pas eu vraiment grand chose. On s’attendait à plus, quand même. C’est surtout le problème que les autres usines n’ont pas eu le répondant que l’on attendait. On a senti que c’était un peu limité.

CdT : Je te pose cette question, car j’ai l’impression que les dirigeants d’une grande confédération comme la CGT, le minimum qu’ils auraient pu faire pour votre grève, où la portée des revendications dépassaient largement le cadre de votre usine…

R : Oui, tout à fait…

CdT : Thibault aurait pu intervenir dans les médias pour dire qu’il appuyait votre grève, il aurait pu pousser pour que la fédération de la métallurgie CGT et le syndicat CGT du groupe PSA vous appuient, pour essayer que les autres usines entrent en grève, non ?

R : Si, tout à fait. Au début, c’est venu comme cela d’un seul coup. Mais, deux semaines après, il aurait pu être projeté de faire un mouvement de solidarité dans les autres usines ou les autres lieux de travail où il y a les syndicats qui sont représentatifs.

Les partis politiques face à la grève

CdT : Quelles organisations politiques ont soutenu votre grève, vos revendications ?

R : C’est vrai qu’il faut préciser que l’on était pas loin des élections présidentielles. Et, évidemment, certains politiques étaient un peu dérangés par ce mouvement. Certains sont venus pour essayer de faire un petit peu l’information. Est-ce qu’ils ont voulu s’appuyer sur ce mouvement de grève, qui était assez développé, pour gagner un peu de popularité politique ? On s’est posé la question. La question se posait aussi dans l’autre sens. Il y a des gens de l’usine qui nous disaient : on se demande si vous avez pas fait la grève pour le côté politique avant les élections présidentielles ou seulement la grève comme cela. Il y a eu la question des deux côtés.

CdT : Ségolène Royal est venue vous rendre visite. Est-ce qu’elle soutenait votre grève, vos revendications ?

R : Non, je ne pense pas qu’elle soutenait les revendications, parce que, à un moment, elle a plus argumenté sur le fait que l’on avait une bonne entreprise Peugeot-Citroën et qu’on était content d’y travailler. Donc ce n’était pas vraiment ce qu’on attendait d’une personne comme ça. Heureusement qu’il y en a d’autres qui sont venus relever un petit peu l’image.

CdT : D’autres du PS ?

R : Non. José Bové, notamment.

CdT : N’y a-t-il pas un rapport entre le programme du PS et la position qu’elle a eu par rapport à la grève ? Par exemple, pour prendre un point, le PS disait officiellement : le SMIC à 1500 euros bruts. Et vous, vous demandiez 300 euros nets d’augmentation, cela faisait déjà beaucoup plus…

R : Tout à fait, oui. Quand Ségolène a parlé ici des 1500 euros bruts, elle a bien vu que les gens étaient mécontents. Elle est pas restée trop longtemps. D’autres personnes politiques sont venues, il y a eu Arlette Laguiller, Besancenot… Donc eux ils avaient plus un discours à la portée des ouvriers, pour les revendications pures et simples. Et je pense aussi que cela les a aidés dans le vote qu’il y a eu au niveau des présidentielles. Mais le mieux, cela aurait été que tout le monde, tous les politiques, viennent pour s’exprimer sur un problème qui est assez général, voire national.

CdT : Serais-tu d’accord pour dire qu’il y a des partis politiques qui en gros représentent les intérêts du patronat et d’autres qui, avec toutes leurs différences, essayent de défendre les intérêts des travailleurs ?

R : Oui, tout à fait. C’est ce que l’on a ressenti vis-à-vis de Ségolène. Ce n’est pas tant le fait qu’elle dise que la société Peugeot-Citroën était bien, ça on le savait déjà, c’était plus la discussion : elle aurait dû plus être basée sur le côté travailleur que sur le côté entreprise. Évidemment les deux vont ensemble, mais qui fait l’entreprise ? C’est quand même les travailleurs qui réalisent leur travail tous les jours.

Le problème du regroupement des syndicats et travailleurs combatifs

CdT : On disait que les revendications que vous avez avancées étaient valables pour les ouvriers des autres entreprises et, d’ailleurs, il y a eu plusieurs grèves dans la métallurgie au début de cette année. Ne penses-tu pas que, pour renforcer les combats ouvriers, les grèves, il faudrait essayer d’avancer vers un regroupement des syndicats et des travailleurs les plus combatifs ?

R : Oui, tout à fait. Cela va dans le sens de ce qu’on appelle les réunions inter-centres [entre les syndicats des différentes usines du même groupe, comme PSA, NDLR]. C’est déjà se réunir au sein du même groupe pour ensuite essayer de faire un mouvement qui sera préparé, pour que quand il y a l’alerte qui arrive le démarrage de plusieurs mouvements de grève se fasse avec une solidarité consolidée.

CdT : Les ouvriers de l’usine PSA d’Aulnay ont acquis un certain prestige avec la grève dure qu’ils ont faite pendant six semaines, avec un comité de grève. Ne seraient-ils pas particulièrement bien placés pour inviter les syndicats d’autres entreprises et d’autres travailleurs pour se réunir et discuter de cela ? Parmi les grèves du début de l’année, il y a eu celles de General Motors à Strasbourg, de Renault-Le Mans, etc. Ne serait-il pas opportun que le syndicat CGT d’Aulnay prenne ce genre d’initiative ?

R : Tout à fait, oui. Bon, après, il y a le problème de la situation géographique. S’ils ne sont pas trop loin, ça va. Mais, après, c’est vrai qu’il faut se donner du temps pour faire le lien. Il ne faut pas que ce soit la situation géographique qui divise la solidarité syndicale.

CdT : Un peu dans cet esprit-là, différents collectifs de militants syndicaux de diverses traditions ont organisé au mois de mai dernier un Forum pour le Syndicalisme de Classe et de Masse et justement se proposent cet objectif d’essayer d’avancer vers le regroupement dans les syndicats des militants qui défendent de façon déterminée les intérêts des travailleurs. Ils ont décidé d’éditer un bulletin. Un nouveau forum est prévu. Qu’est-ce que tu penses de cette initiative ?

R : C’est une très bonne initiative. Il s’agit surtout de regrouper les revendications principales, d’éviter les attaques patronales et de voir comment le patronat développe des stratégies contre le mouvement ouvrier. C’est surtout ça le principe qui nous intéresse. Il faut une stratégie de base, mais aussi une stratégie qui étudie la stratégie du patronat, qui peut aussi changer. C’est-à-dire que si on s’habitue à une stratégie d’opposition, il se peut que le patron la détecte et ensuite change la sienne. Donc il faut aussi que l’on soit souple, tout en ayant la faculté de détecter cette différence de stratégie contre les ouvriers.

CdT : Est-ce que tu penses participer au prochain Forum du syndicalisme de classe et de masse ?

R : Oui, ça me plairait bien. C’est un peu comme une assemblée générale ?

CdT : Oui, un peu. On essaye d’avancer sur des positions collectives pour se regrouper, parce que l’on se rend compte qu’il y a dans beaucoup d’endroits différents des militants qui sont combatifs, des travailleurs qui se battent mais ils sont isolés les uns des autres…

R : On sent le manque d’union, de contact…C’est mieux de se réunir et de discuter sur les modes de fonctionnement syndicaux de chaque entreprise, pour que chacun voit comment ça se passe chez le voisin.

CdT : De quoi penses-tu que l’on devrait discuter dans ce genre de réunion ? Qu’est-ce que tu proposerais de mettre à l’ordre du jour pour qu’elle soit fructueuse ?

R : L’ordre du jour, c’est déjà ce qui se passe réellement dans les autres entreprises pour ensuite sortir un compte-rendu ou un état des lieux et ensuite déterminer les actions que le syndicat peut faire pour contrer le patron. Le syndicat doit bien détecter le fonctionnement de l’entreprise où il se trouve et voir ensuite comment la majorité ouvrière se trouve attaquée pour pouvoir la défendre plus facilement après.

La classe ouvrière face à l’offensive du gouvernement Sarkozy-Fillon

CdT : Le gouvernement de Sarkozy et Fillon annonce plein de réformes. Qu’en penses-tu ?

R : Premièrement, on a entendu souvent Sarkozy dire : la gauche n’a rien fait, moi je vais faire les réformes. Alors, il faut se poser deux questions. Première question : est-ce qu’on fait une réforme parce que la gauche n’a rien fait, même si cette réforme n’est pas bonne ? Ou bien est-ce qu’on dit : on fait comme la gauche, on ne fait rien, de peur de faire une réforme qui soit handicapante pour la population. Je ne vois pas ces réformes politiques de Sarkozy d’un bon œil. Est-ce qu’il est réformiste pour handicaper la population de son propre pays ou est-ce qu’il est réformiste pour être populaire ?

CdT : À ton avis, les réformes qu’il propose sur le droit de grève, sur l’université, sur les retraites, sur la privatisation de GDF, sur les franchises médicales, servent-elles les intérêts des travailleurs ?

R : Non, c’est tout à fait antisocial. Il y a beaucoup de reculs sur ce que l’on appelle les acquis, certains avantages sociaux que l’on a eus depuis de longues années et qui sont supprimés par Sarkozy.

CdT : Que penses-tu du discours que l’on entend dans les médias, selon lequel les travailleurs qui bénéficient des régimes spéciaux de retraites seraient des privilégiés ?

R : Ça dépend de quel côté on voit le privilège. Non, pour moi, ce ne sont pas des privilégiés. On réalise un travail, que ce soit privé ou public, il faut se lever le matin pour aller au travail, c’est une contrainte pour les salariés.

CdT : Et que faut-il faire par rapport à ces réformes ?

R : Je pense qu’il faudrait faire des actions. Il n’y a en pas eu assez, notamment sur la question des retraites. Depuis quelques années, le travail n’est plus comme avant, il est plus difficile au niveau des responsabilités, des cadences, des techniques de travail, qui sont plus complexes, il y a des gammes de travail, des temps à respecter. Par ce biais-là, il faut que l’âge de la retraite soit avancé, c’est-à-dire cotiser moins que 40 ans, par exemple 37,5 ans, comme c’était avant.

CdT : Le gouvernement propose aux syndicats de venir se concerter sur plein de sujets. Il y a toute une série de réunions prévues jusqu’au mois de décembre. Est-ce le rôle des syndicats d’aller à ces réunions de concertations ?

R : Moi, je ne le vois que par le biais des syndicats. Le syndicalisme, c’est la transmission du salarié vis-à-vis du patronat et du gouvernement. Mais il ne faut pas que la transmission soit défaillante. Je verrais plus cela dans un ensemble de votes. Si le gouvernement lance une réforme, est-ce que cela ne serait pas mieux de faire cela par un vote, que la population puisse décider ? Ce serait mieux que de passer uniquement par la courroie de transmission syndicale. Ce serait plus naturel.

CdT : Pour notre part, au Groupe CRI, on pense que si les syndicats ne proposent aucune initiative pour combattre ces réformes, bien sûr, elles vont passer. Donc, on pense que c’est fondamental aujourd’hui de se battre pour que les syndicats fassent leur travail, c’est-à-dire qu’ils organisent une mobilisation massive de travailleurs qui permettent de stopper le gouvernement, un peu comme cela avait été le cas sur le CPE.

R : Oui, tout à fait. Il faudrait faire un peu, même carrément le principe du CPE. C’est l’exemple-type de ces réformes.

CdT : Parlez-vous de ces réformes dans l’usine entre les ouvriers ?

R : Oui, mais certains ouvriers voient cela un peu de loin, ne se sentent pas trop concernés. Il faut se dire quelque chose : l’ouvrier qui a son poste de travail — on aime bien aller voir un ouvrier à son poste de travail, parce que, s’il n’y est plus, s’il est en train de partir, il n’a plus les mêmes discussions. Une fois que le boulot est fini, il ne veut plus en entendre parler. Donc, il se dit : je travaille à l’heure actuelle et je ne ressens pas l’effet des réformes prises au niveau national. C’est un peu malheureux à dire, mais il faut que les gens se trouvent dans la difficulté pour être plus sensibilisés à ce genre de discussion.

CdT : Est-ce que ton syndicat distribue des tracts pour informer et donner sa position sur ces réformes ?

R : Oui, tout à fait. On va en distribuer un cette semaine. Il y a les réformes sur les retraites que veut faire Sarkozy et d’autres sujets. On verra comment les salariés réagissent à cela et on va essayer de leur faire comprendre qu’eux-mêmes sont liés directement à ce genre de réformes. Les salariés ressentent toujours un écart, car ils sont toujours dans ce principe de travail dans une cadence. Ils ont du mal à décrocher pour discuter de ces politiques.

CdT : Ce qui est frappant, c’est qu’aujourd’hui, d’un côté, le gouvernement multiplie les attaques contre les travailleurs et, de l’autre côté, il y a une passivité du côté des directions syndicales et même du côté des organisations d’extrême gauche qui ne prennent pas d’initiatives pour préparer la riposte. Et toi, comment vois-tu la situation ?

R : Je pense que ce n’est pas encore rentré dans l’esprit des gens cette question du lien entre les réformes. Alors est-ce qu’il faut un discours plus explicatif pour essayer de dépasser le grand écart entre le salarié à son poste de travail et la réforme nationale ? Parce que, quand tu parles d’une réforme nationale à un ouvrier qui est à son poste de travail à l’instant « t », il n’a pas l’impression que cela aura de l’impact sur lui. Au niveau des organisations syndicales et politiques, évidemment, il faudrait s’opposer à ces réformes. Mais comment le faire avec une organisation qui n’est pas en situation de force par rapport à tous les salariés de l’entreprise ?

CdT : Et comment penses-tu que l’on peut avancer dans ce travail ?

R : En donnant de bons exemples, réels… Il faut remonter dans les archives pour montrer les acquis que l’on a gagnés quelques dizaines d’années en arrière et ensuite montrer aussi les erreurs du gouvernement sur certaines réformes ou d’autres sujets importants, comme les sans-papiers. Il y a beaucoup de choses qui peuvent sensibiliser les gens. Il faut une planche de sujets différents et multiples qui permettrait que la personne avec qui on discute se retrouve au moins dans un des sujets.

CdT : Le gouvernement a en effet encore durci un peu plus la politique contre les étrangers et expulse à tour de bras. Est-ce une question dont on parle beaucoup dans l’usine ?

R : On en parle pas mal, mais on dirait que c’est un peu différent du fonctionnement syndical. Là aussi, les gens ne voient pas trop le lien. Ils se disent : les papiers, c’est une chose, le travail, c’en est une autre, alors que c’est lié. (…) Certains font le lien, mais pas tous. (…) On trouve souvent le cas où le mari a des papiers et travaille, mais il n’a pas un logement suffisamment grand pour pouvoir faire venir sa femme, mais c’est parce que sa femme n’est pas encore là qu’il ne peut pas avoir de logement plus grand. Cela se mord la queue. (…) Cela fait qu’ils ont besoin de travailler dans l’équipe de nuit pour gagner un peu plus que dans l’équipe de jour.

CdT : Il y a un Forum de la Résistance Sociale à l’initiative de plusieurs organisations, dont le Groupe CRI. C’est une réunion qui a pour but de préparer une riposte d’ensemble à cette politique, car on pense qu’il n’est possible de gagner que tous ensemble.

R : C’est une très bonne initiative. Il y aussi un autre exemple réel. C’est sur la réforme des retraites. Sarkozy a le projet de passer les régimes spéciaux de 37,5 ans à 40 ans de cotisations, qui tendra à une autre réforme, celle de faire passer tout le monde au delà de 40 ans. Il faut en parler avant qu’il soit trop tard. Il manque de l’information. À la télé, les organisations syndicales ne sont pas souvent invitées, alors que Sarkozy est souvent là pour lancer ses projets, mais on entend pas la partie opposante, comme LO, LCR, etc. On les entendait beaucoup avant les élections et maintenant ils ne passent plus. Est-ce que les médias sont dirigés par le gouvernement pour bloquer la gauche ou l’extrême gauche et qu’elles ne puissent s’exprimer sur les réformes de Sarkozy ? L’information ne doit pas venir que de la droite. (…) Pendant la campagne, il y avait carrément des compteurs pour montrer aux gens que, vous voyez, à la minute ou à la seconde près, le temps de parole a été le même des deux côtés. Je crois que c’est prendre les gens pour des idiots. Maintenant il y a une absence, mais les réformes, elles, elles arrivent quand même. Enfin, moi, je n’appelle pas ça des réformes.


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