Article du CRI des Travailleurs n°16

Réflexions sur la stratégie de construction de la FSE

Bref retour sur le mouvement étudiant de novembre-décembre 2003

Après la défaite de la mobilisation des travailleurs salariés contre la réforme des retraites de mai-juin 2003, les luttes partielles, même puissantes comme celle des intermittents du spectacle, ont toutes subi des défaites. C’est dans ce contexte que la lutte des étudiants contre la réforme ECTS-LMD de novembre-décembre 2003 a elle aussi été défaite.

À la rentrée 2003, la Fédération Syndicale étudiante (FSE), dont les sections avaient combattu en mai-juin, avait décidé de lancer un mouvement contre la réforme Lang-Ferry, dite ECTS-LMD. La journée d’action du 20 novembre 2003, fixée par son Collectif national, avait marqué le point de départ de l’extension d’une mobilisation qui avait déjà commencé à l’Université de Rennes.

Lors de ce mouvement, un petit syndicat comme la FSE, qui est implantée inégalement sur une dizaine d’universités, avait pu avoir une influence et un poids sans commune mesure avec sa taille : la FSE avait joué un rôle dirigeant dans trois des six ou sept plus importantes mobilisations, incluant la grève (Caen, Paris I-Tolbiac, Toulouse-Le-Mirail…). Cela s’était répercuté même au sein des coordinations nationales, pourtant largement constituées et contrôlées par l’UNEF.

Cette mobilisation des étudiants avait bien sûr pour cause le début de la mise en œuvre de la réforme ECTS-LMD. Mais, subjectivement, elle avait été facilitée par le fait que les étudiants avaient ressenti moins fortement que les salariés la défaite du mouvement de mai-juin, auquel ils n’avaient pas massivement participé. C’est pour cela que le mouvement avait eu un potentiel réel, bien que limité. Une vingtaine d’Universités s’étaient mobilisées sous des formes diverses, y compris, pour certaines, en l’absence de réelles structures militantes.

Mais cet « état d’esprit » des étudiants n’avait pas suffi à lui seul. En particulier, le mouvement s’était rapidement heurté à l’absence d’un syndicat national étudiant de lutte assez puissant pour contrecarrer les manœuvres et la trahison de l’UNEF, notamment au sein des coordinations nationales. Telle fut la cause principale de l’échec du mouvement. (Sur cette question, cf. Le CRI des travailleurs n° 9 de novembre-décembre 2003.)

Il fut en même temps prouvé que, même en période de lutte, la volonté de combat d’un petit syndicat comme la FSE ne peut pas suffire à combler le vide syndical qui règne sur les Universités depuis des années, et encore moins le manque de perspectives dans la lutte de classe des travailleurs.

Bref retour sur l’échec des tentatives de relancer la mobilisation en novembre 2004

Suite à son congrès de juillet 2004, la FSE, consciente du besoin de se construire et d’unir en même temps les syndicats étudiants de lutte, consciente aussi qu’il serait bientôt trop tard pour contrer la réforme ECTS-LMD (mise en œuvre à la rentrée 2004 dans la plupart d’Universités), a lancé un appel à une intersyndicale, s’adressant à toutes les organisations syndicales étudiantes nationales et locales qui s’étaient prononcées contre la réforme.

Mais cette démarche n’a pas abouti, se heurtant à diverses manœuvres. Et la journée d’action du 16 novembre 2004, proposée par la FSE et à laquelle appelaient en outre SUD et la CNT, a été un échec.

Il a ainsi été prouvé que, contrai­rement à ce qu’avait cru le congrès de la FSE en juillet dernier et son Collectif national de septembre, l’ « Histoire » ne se répète pas, à moins de devenir une farce. En effet, comme l’avaient longuement expliqué, mais en vain, les militants étudiants du Groupe CRI qui interviennent au sein de la FSE, il n’était pas réaliste d’espérer « relancer » artificiellement le mouvement de l’année précédente, non seulement à cause de la faiblesse de la FSE, mais surtout en raison de la situation sociale et politique générale, marquée par la léthargie de la lutte de classe.

En effet, comment penser que, en l’absence de toute lutte des salariés suite à la terrible défaite en mai-juin, et moins d’un an après l’échec du mouvement étudiant de novembre-décembre 2003, une mobilisation puisse renaître à partir d’un appel presque incantatoire ? Il est important de comprendre, pour la suite, que la FSE toute seule, et même avec SUD-étudiants ou la CNT, ne peut pas inverser le rapport de force entre les classes !

Cela ne veut pas dire qu’elle n’ait pas un rôle fondamental à jouer dans la reconstitution du syndicalisme étudiant et par là même dans la préparation d’un renversement du rapport de force. Mais, pour cela, il faut commencer par ne pas se méprendre dans l’analyse de la situation, et mettre en œuvre une stratégie de construction adéquate.

On ne peut que louer la volonté de combat de la FSE et de ses militants. Mais il faut aussi admettre que la faiblesse numérique de ce syndicat, son manque d’expérience et de cadres formés, son analyse imprécise de la situation, lui ont fait adopter une stratégie erronée. Cela a conduit à la démoralisation de certains militants, et à certaines tensions à l’intérieur même du syndicat, qui restent dangereuses en période de reflux (d’autant plus lorsqu’elles sont envenimées par certains sous des prétextes quelconques).

En un mot, plutôt que de concen­trer toute son énergie à la tentative de relancer vainement le mobilisation contre la réforme ECTS-LMD, il eût certainement mieux valu, comme le préconisaient les militants du Groupe CRI, consacrer le premier semestre à des tâches de construction et de conscientisation : explication des réformes aux étudiants, recrutement des sympathisants gagnés l’an passé, formations syndicales, travail d’élaboration revendicative, campagnes ponctuelles...

Et maintenant ?

Aujourd’hui, il faut considérer que le combat contre la réforme ECTS-LMD, qui s’applique déjà dans 70 Universités sur 84, a été défait pour le moment. Et une analyse lucide de la situation montre qu’il y a peu de chances pour que ce combat, qui a été primordial pour la FSE jusqu’à présent, débouche sur un nouveau mouvement.

C’est donc à juste titre que le dernier Collectif national de la FSE, qui s’est tenu fin décembre à Caen, a décidé de ne plus essayer de relancer pour le moment une mobilisation sur cette question, tout en continuant de dénoncer la réforme et en s’y opposant haut et fort dès que l’occasion le permet.

La FSE doit consacrer le second semestre à sa propre construction, dans la voie que son congrès de refondation avait définie en juillet 2003 : celle de la lutte de classe déterminée et lucide. Elle doit veiller avant tout à apaiser et surmonter les tensions qui peuvent la traverser, et consacrer son énergie à son renforcement militant. En particulier, elle doit atteindre l’objectif d’intégrer en son sein, après le syndicat de Lyon en juillet, les sections isolées d’Evry et de Lille-III (de l’ancienne UNEF-Résistance syndicale).

Mais tout syndicat de lutte ne peut se construire réellement que s’il mène des campagnes correspondant aux revendications de ceux qu’il entend représenter. C’est pourquoi, lors de son denier Collectif national à Caen, la FSE a décidé à juste titre de lancer une campagne nationale pour la défense du CNOUS (Centre National des Œuvres Universitaires et Scolaires) et des CROUS (Centres régionaux), contre la décentralisation et la privatisation. Ce faisant, il s’agit de combattre pour l’amélioration de la situation sociale souvent dramatique des étudiants : bourses totalement insuffisantes (l’échelon le plus élevé permet de toucher moins de 400 euros par mois, c’est-à-dire moins que les 600 euros fixés par l’OCDE comme le seuil de pauvreté en France), manque criant de logements en Cité-U (à peine plus de 150 000 chambres pour plus de 2 millions d’étudiants), etc.

Or, depuis des années, aucun syndicat étudiant ne mène ce combat, aucun ne défend réellement les intérêts des étudiants en dehors des facultés elles-mêmes. Il ne s’agit pas de lancer artificiellement une grande mobilisation, mais d’engager une campagne de terrain et de longue haleine, fondée sur l’information, la dénonciation, la syndicalisation et, partout où ce sera possible, l’organisation d’actions concrètes en direction des autorités sur la base suivante : pour l’augmentation du nombre et du montant des bourses ; pour l’attribution des bourses sur critères sociaux définis nationalement ; pour l’élargissement des critères sociaux d’attribution ; contre la décentralisation, contre toute privatisation, pour le réengagement financier de l’État dans les CROUS ; pour la construction de centaines de milliers de chambres universitaires.

C’est cette voie du combat syndical « traditionnel » qui, dans les circonstances actuelles, peut servir de tremplin pour la montée en puissance du syndicalisme de lutte qu’incarne tout particulièrement la FSE.