Article du CRI des Travailleurs n°16

Bhopal (Inde) 1984 :
les bienfaits du capitalisme moderne

30 000 morts à Bhopal en 1984

Le 3 décembre 1984, l’explosion et la libération des gaz s’en suivant de l’usine chimique filiale de la multinationale américaine Union Carbide provoquent la mort d’environ 30 000 Indiens en quelques jours. La grande majorité des victimes, qui sont des habitants des bidonvilles entourant l’usine, sont décédées suite à des brûlures et des intoxications. Après des années, les familles des victimes n’ont pas été dédommagées ou très peu. Certains enfants sont nés avec des malformations, d’autres avec des troubles mentaux. Début 2005, des milliers de tonnes de produits toxiques se trouvent toujours autour des structures de l’usine, Union Carbide, puis son repreneur en 2001, Dow Chimical, ayant toujours refusé de nettoyer le site. Or les moussons envoient régulièrement de l’eau contaminée dans les nappes phréatiques qui alimentent en eau la ville et les bidonvilles de la région.

Une catastrophe logique

Au début, tout semble merveil­leux : l’usine construite en 1978 à Bhopal, capitale du Madhya Pradesh, au centre de l’Inde, est considérée par la population indienne comme la belle technique occidentale venue soutenir le pays. En effet, cette filiale d’Union Carbide fabriquait un pesticide efficace, le Sevin, bon marché et peu polluant. De plus, les habitants de la région appréciaient une création d’emplois en quantité non négligeable.

Toutefois, Union Carbide a délocalisé l’installation en Inde parce qu’elle n’était plus aux normes aux États-Unis. Les installations de stockage à Bhopal correspondaient aux normes des années 1940 aux États-Unis. De plus l’entreprise chimique a été construite en plein milieu d’une ville de 800 000 habitants. L’intérêt pour les investisseurs était d’avoir à disposition l’eau, l’électricité et la main-d’œuvre sur place. Au bout de deux ans, les coûts de production sont diminués suite à une perte de rentabilité de la filiale. Cette baisse des coûts concerne une réduction du personnel qualifié et des dépenses de sécurité, avec notamment des équipements usés non remplacés. S’ajoutent à toutes ces économies la suppression de la réfrigération de cuves contenant des milliers de litres de gaz dangereux, ce qui permet une réduction des coûts d’électricité. C’est cette réfrigération non conforme qui est directement à l’origine de l’explosion survenue le 3 décembre 1984 à 0h 05. Il est à noter que, dans les deux ans précédant l’explosion, la mort d’un ouvrier et plusieurs dizaines d’intoxications avaient été causées par cinq fuites de gaz.

La vie d’un citoyen américain vaut 10 000 fois la vie d’un citoyen indien

En 1989, cinq ans après l’explosion de l’usine, le gouverne­ment indien obtient du trust un versement de 470 millions de dollars pour solde de tout compte. Le nombre de victimes est évalué à 500 000, parmi lesquelles 35 000 morts. Par conséquent, nous pouvons dire qu’approximativement Union Carbide a versé par victime 1000 dollars. En juillet 2003, le peuple libyen quant à lui doit débourser 2,7 milliards de dollars de dédommagement aux familles des ressortissants américains décédés suite à l’attentat de Lockerbie (Écosse) contre un vol de la Pan Am (270 morts). Les familles américaines reçoivent donc 10 millions de dollars par victime. Il est vrai que le gouvernement des États-Unis possédait un argument de taille : proposer devant l’ONU la levée de l’embargo contre la Libye. Le gouvernement indien est quant à lui plutôt préoccupé de ne pas effaroucher les investisseurs étrangers.

D’autres Bhopal en préparation ?

Aujourd’hui les pays accueillant des installations d’entreprises chimiques sont d’abord l’Inde et la Chine. Leur progression en Inde est très supérieure à la moyenne internationale. L’année dernière, en août 2004, une usine chimique de pesticide à l’intérieur de l’île d’Eloor située dans le fleuve Periyar, dans la province de Kerala, à l’extrême sud de l’Inde, a pris feu. Des gaz toxiques se sont échappés, forçant plusieurs dizaines de milliers de riverains à se précipiter aux bords du fleuve. De très nombreux résidents étaient pris de maux de tête, de convulsions, de vertiges, et avaient la peau et les yeux irrités suite à l’exposition à l’endosulfane et au toluène. Il est à remarquer que Eloor, île de 11 kilomètres carrés, est la plus grande ceinture industrielle du Kerala avec notamment 247 industries chimiques.

Situation à l’intérieur d’un pays impérialiste comme la France

En juillet 1976, dans une ville italienne, Seveso, plusieurs centaines de personnes sont affectées et les terrains environnants sont contaminés pour plusieurs décennies, suite à un rejet de dioxine dans l’atmosphère provoqué par l’emballement réactionnel d’une usine de trichlorophenol. Cette ville Seveso a donné son nom à deux directives européennes, SEVESO et SEVESO 2, et à une échelle de classification des sites. La directive européenne sur la prévention des accidents majeurs dans les installations industrielles, SEVESO, est créée le 24 juin 1982. Elle contraint les États à mettre en place un dispositif de sécurité dans les industries telles que la chimie, la raffinerie, le stockage de gaz liquéfiés ou de gaz toxiques. On recense environ 400 établissements à risque dit « SEVESO » en France. Ces établissements ont dû fournir avant 1994 une étude des dangers. Des inspecteurs ont ensuite réglementé chaque installation par arrêté. Ils ont aussi, sous l’autorité des préfets, porté les dangers identifiés à la connaissance des maires. En 1999, la directive SEVESO 2 augmente légèrement le nombre d’établissements à risque en France et se traduit par un renforcement des actions des inspecteurs. Toutes ces mesures « phares », en apparence spectaculai­res, n’ont pas empêché en septembre 2001 à Toulouse qu’un stock de nitrate d’ammonium de l’usine AZF explose, provoquant une trentaine de morts, deux mille blessés, 11 000 logements détruits. La « grande » directive européenne SEVESO a permis de créer quelques postes d’inspecteurs, mais n’a jamais obligé TotalFinaElf à déplacer cette entreprise chimique installée dans les faubourgs d’une ville de 400 000 habitants.

Certes, le « risque zéro » est une utopie dans une ère de progrès technique accéléré, mais il est à noter que même à l’intérieur d’un pays impérialiste comme la France, pays très industrialisé, faisant partie du G 7, groupe des sept nations les plus puissantes, à l’intérieur duquel les travailleurs ont des acquis sociaux considérables (salaires, sécurité sociale...) par rapport aux populations des pays émergents, la course à la rentabilité et aux profits (pour un groupe d’individus) entraîne destruction et mort.