Article du CRI des Travailleurs n°15

Pour un « Non » de classe,
pour une Europe communiste révolutionnaire

(Projet de déclaration politique soumis par le Groupe CRI à la discussion des militants de la cause prolétarienne et de tous les groupes qui se réclament du communisme révolutionnaire internationaliste)

Après les Traités de Maastricht en 1992, d’Amsterdam en 1997 et de Nice en 2000, les gouvernements européens veulent maintenant imposer aux peuples une prétendue « Constitution » pour renforcer l’Union européenne. Dans plusieurs pays, un référendum devrait avoir lieu au cours de l’année 2005, notamment en France, si du moins Chirac tient sa promesse. Par ailleurs, les représentants de la bourgeoisie s’entredéchirent, notamment en France, au sujet de l’entrée de la Turquie dans l’UE… Quelle position indépendante les travailleurs doivent-ils adopter sur ces questions ?

Tout d’abord, il faut bien comprendre la fonction de l’Union Européenne : depuis ses débuts, et notamment depuis le Traité de Maastricht en 1992, ce que les bourgeoisies appellent la « construction européenne » n’est rien d’autre que la construction d’un cadre économique et juridique destiné à servir les intérêts du grand capital : pour les gros patrons et les classes dirigeantes d’Europe, il s’agit à la fois de faire face à leurs concurrents capitalistes des autres continents (notamment des États-Unis, du Japon, de l’Asie du Sud-Est…) et de liquider les acquis des travailleurs européens en attaquant leurs droits durement conquis dans chaque pays, sous des formes différentes, par la lutte de classe (Sécurité sociale, retraites, école publique, services publics…). Les travailleurs n’ont donc aucun intérêt à cette prétendue « construction européenne » : alors que les gouvernements nous avaient promis la solidarité et la prospérité en Europe, ils ont démontré dans les faits et ils démontrent chaque jour davantage qu’ils sont incapables de mettre fin au chômage de masse, aux licenciements, aux délocalisations, à la surexploitation, à l’explosion de la précarité… En revanche, tous ces gouvernements bourgeois, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont multiplié les cadeaux au patronat, ils ont privatisé les entreprises publiques, ils ont organisé des coupes claires dans les budgets sociaux sous prétexte de limiter les déficits publics et ils ont brisé dans tous les pays de nombreuses conquêtes sociales, sous prétexte de baisser le « coût du travail ». Ainsi, les travailleurs (ouvriers, employés, enseignants, petits paysans, etc.) ont pu constater tous les jours dans leur chair que la « construction européenne » des bourgeoisies n’a rien à voir avec le progrès social et la solidarité, mais elle est intégralement dirigée contre les intérêts de la majorité des populations d’Europe.

Mais il ne s’agit en aucun cas de se réfugier dans un repli nationaliste : d’un point de vue économique, celui-ci n’est pas possible à l’heure de la « mondialisation », et les économies des différents pays européens en particulier sont intimement liées les unes aux autres, rendant historiquement nécessaire, depuis longtemps, le dépassement des frontières héritées du passé. D’un point de vue idéologique, le nationalisme est entièrement réactionnaire : contre l’extrême droite démagogue, raciste, voire fasciste, il faut dire clairement que les ennemis des travailleurs, ce ne sont ni les travailleurs immigrés, ni ceux de l’Europe de l’Est ou de la Turquie, qui sont victimes au contraire d’une exploitation terrible, avec des salaires de misère et presque sans droits. En réalité, dans tous les pays, les travailleurs sont confrontés aux mêmes ennemis, qui sont les gros patrons, les spéculateurs et les gouvernements à leur service, car tous ces gens-là ne vivent que du travail et de l’exploitation des salariés. C’est pourquoi les travailleurs doivent s’unir par delà les frontières et mener ensemble un combat commun : tout en défendant leurs acquis sociaux dans chaque pays et en se battant pour de nouvelles conquêtes dans tous les pays, ils doivent combattre aussi bien les États bourgeois nationaux que l’Union européenne bourgeoise, puisque les uns et les autres ne sont que des instruments du capital.

Sabotons la « construction européenne » des capitalistes !
Infligeons une défaite aux bourgeoisies de France et de l’U.E. !

Mais dans les circonstances actuelles, le combat contre le projet de « Constitution » européenne prend une importance particulière, et plus encore depuis qu’un référendum à son sujet a été annoncé. Bien sûr, les bourgeoisies européennes n’ont pas attendu ce texte pour mener une politique réactionnaire, et elles continueront même s’il n’est pas adopté. Cependant, on ne saurait s’en tenir à cette généralité, comme le fait par exemple Lutte ouvrière : en effet, l’échec de cette « Constitution », et notamment la victoire du « non » au référendum constituerait une défaite cinglante pour les bourgeoisies d’Europe, en particulier pour « notre » propre bourgeoisie. Car, depuis des années, les principales forces bourgeoises (UMP-UDF et PS-Verts) sont unanimes, elles ont rassemblé tous leurs efforts pour construire l’Europe des banquiers, des capitalistes et des technocrates, en piétinant plus que jamais les intérêts des travailleurs, tout en essayant de leur faire croire que c’était pour leur bien. Or le référendum annoncé sera l’occasion pour les travailleurs conscients de dire qu’ils ne sont pas dupes, qu’ils ne veulent pas de cette Europe capitaliste et de tous ces gouvernements de droite ou de gauche qui, depuis des années, se sont alliés pour l’édifier. Historiquement, un rejet franc et massif de la « Constitution » par les travailleurs conscients serait le premier revers populaire majeur, le premier sabotage massif, que subirait le processus de « construction européenne » dans lequel s’investissent pleinement, depuis des décennies, les bourgeoisies européennes et leurs représentants politiques. Et ce serait aussi, bien sûr, en France, une importante défaite politique pour tout le gouvernement Chirac-Raffarin-Sarkozy. Cette défaite politique de la bourgeoisie ne serait certes pas suffisante pour inverser le rapport de force entre les travailleurs et les capitalistes, qui se joue avant tout sur le terrain de la lutte de classe directe, notamment dans les grèves et dans la rue. Cependant, elle ralentirait la construction de l’Europe capitaliste, et surtout elle pourrait ouvrir une situation politique plus instable pour les bourgeoisies, dont les fractions sont déjà en train de se diviser, notamment au PS. Or les travailleurs ont tout intérêt à ce que les projets de la bourgeoisie soient entravés et à ce que ses différents représentants se divisent et se tapent eux-mêmes les uns sur les autres : tout ce qui affaiblit politiquement le camp capitaliste offre aux travailleurs l’opportunité de développer et de renforcer leur propre politique indépendante.

Il s’agit donc d’utiliser la situation politique actuelle pour mettre en avant un « non » de classe à la « Constitution », donc à l’Union européenne et aux gouvernements nationaux de droite et de gauche qui en sont les promoteurs. Ce « non » des travailleurs conscients n’a évidemment rien à voir avec celui de l’extrême droite nationaliste et raciste, qui voudrait en fait aller encore plus loin et plus vite que Chirac-Raffarin dans la destruction des acquis sociaux. Mais ce « non » des travailleurs conscients ne saurait non plus se confondre avec celui de dirigeants du PS tels que Fabius : ces gens-là disent soudain « non » à la « Constitution », mais c’est uniquement pour canaliser le mécontentement populaire derrière leur propre nom… et pour servir ainsi leurs ambitions personnelles de 2007. Car, en réalité, sur le fond, Fabius et ses semblables ne s’opposent absolument pas à la construction de l’Europe capitaliste, ils ne mettent nullement en cause la politique menée depuis vingt ans, notamment de leur propre part, ils ne veulent absolument pas abroger le Traité de Maastricht et les autres et, tout en critiquant le projet actuel, ils veulent en réalité une autre « Constitution européenne » au service du capital et de la bourgeoisie, un autre texte qui impose lui aussi la « libre concurrence » et les « critères de Maastricht » contre les intérêts des travailleurs. Il ne faut donc se faire aucune illusion sur les intentions réelles d’un Fabius, qui d’ailleurs soutient en même temps une position réactionnaire contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Pour l’Europe des travailleurs, par et pour les travailleurs

Le « non » des travailleurs conscients à la « Constitution » européenne est donc un « non » à l’Europe du capital, mais c’est un « oui » à la perspective d’une autre Europe : une Europe de la solidarité des travailleurs et du progrès social pour tous, qui s’étende jusqu’à la Turquie au Sud et jusqu’à la Russie à l’Est. Mais, contrairement à ce que prétendent tous les partisans d’un retour au capitalisme « régulé » par le keynésianisme (le PCF, les « altermondialistes », les signataires de l’appel lancé par la « Fondation Copernic », y compris la LCR !), une telle Europe ne saurait être qu’une Europe débarrassée du capitalisme, car celui-ci ne peut être réformé, « régulé » ou « humanisé » : une telle Europe ne peut être qu’une Europe des travailleurs, une Europe communiste révolutionnaire. Pour réaliser cet objectif, il n’y aura pas d’autre voie que d’imposer dans chaque pays un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs :

• Seuls de tels gouvernements révolutionnaires pourront liquider les institutions de l’UE et des États bourgeois, et mettre en place des institutions réellement démocratiques permettant aux travailleurs d’exercer eux-mêmes le pouvoir à tous les niveaux et dans tous les domaines, avec des délégués élus, mandatés et révocables à tout moment ;

• Seuls de tels gouvernements révolutionnaires pourront mettre fin à la dictature des marchés financiers, des banques et des multinationales, en collectivisant les grandes entreprises pour mettre fin au chômage par la répartition du temps de travail entre tous, et pour que les travailleurs puissent diriger eux-mêmes leurs usines et leurs établissements, en les faisant fonctionner non plus dans l’intérêt d’une minorité privilégiée, mais dans l’intérêt de la majorité ;

• Seuls de tels gouvernements révolutionnaires pourront garantir les conquêtes sociales, démocratiques et féministes obtenues par les luttes du passé, rétablir celles que la bourgeoisie a supprimées et en réaliser de nouvelles au profit de la majorité ;

• Enfin, seuls de tels gouvernements révolutionnaires pourront mettre fin aux guerres injustes des impérialistes, supprimer la prétendue « dette » des pays dominés, accorder la citoyenneté pleine et entière aux travailleurs immigrés et instaurer des relations pacifiques, solidaires et fraternelles entre les peuples, non seulement à l’intérieur des frontières de l’Europe, mais dans le monde entier.

La réalisation de cet objectif n’est certes pas pour aujourd’hui, mais il doit être présenté, discuté et préparé dès aujourd’hui, car tout projet politique s’inscrit dans la durée et celui-ci est le seul qui permette de rompre réellement avec la logique infernale du capitalisme, avec l’escalade des guerres impérialistes et avec la spirale de la régression sociale subie par les travailleurs. En outre, cet objectif est le seul qui permette, dès aujourd’hui, de mener le plus loin possible les luttes sociales qui ont lieu quotidiennement, de les mener sans complexe, avec fermeté et détermination, contre les patrons et les gouvernements qui ne peuvent être vaincus que par la lutte de classe la plus inflexible. Enfin, il faut souligner que cet objectif est tout à fait réalisable à terme, à condition que, dès aujourd’hui, les travailleurs s’en saisissent, en discutent et s’organisent pour préparer sa réalisation : cela suppose de commencer sans attendre à construire un véritable parti anti-capitaliste : un parti communiste, révolutionnaire et internationaliste.

Pour un parti communiste révolutionnaire internationaliste, pour un front uni des organisations ouvrières et populaires

Sur la base de son propre programme, un tel parti aurait pour tâche de participer au rassemblement unitaire des travailleurs contre l’Union européenne et contre tous les gouvernements bourgeois. Tout en développant les positions communistes révolutionnaires qui sont les siennes, il devrait se prononcer pour le front uni des organisations qui se réclament des intérêts spécifiques des travailleurs :

• Les syndicats doivent se prononcer pour le « non » à la « Constitution » européenne et mobiliser leurs adhérents en dénonçant l’Europe du capital et les gouvernements ;

• Les partis communistes et les militants socialistes de gauche doivent rompre réellement avec la politique du PS, ils doivent unir leurs forces avec celles des syndicats et de l’extrême gauche contre les gouvernements et les partis de droite et de gauche partisans de l’Europe du capital ;

• Les organisations d’extrême gauche (notamment LO, LCR et PT) ont une responsabilité toute particulière : puisqu’elles se réclament officiellement du socialisme, elles doivent prendre la tête de la campagne contre la « Constitution européenne » et la mener ensemble, mais en rompant avec tout réformisme et en mettant en avant une perspective ouvertement socialiste et révolutionnaire.

Sans attendre, des réunions de travailleurs doivent être convoquées partout, dans les usines, les bureaux, les quartiers, afin de commencer la campagne pour le « non » de classe à la « Constitution » européenne, en relation avec le combat pour la défense des acquis, contre les licenciements et la précarité, contre les privatisations… L’avant-garde des militants révolutionnaires a pour devoir de participer à de telles réunions, de les convoquer dès que possible et d’y proposer toujours, sans hésitation, le programme du communisme révolutionnaire. Car ces réunions et ces discussions, y compris les désaccords au sein du mouvement ouvrier, ne pourront que développer la conscience de classe, vivifier la lutte de classe et contribuer ainsi, en ce qui concerne la France, à surmonter les défaites-trahisons de mai-juin 2003 et du printemps 2004.