Article du CRI des Travailleurs n°15

Intervention du Groupe CRI lors d'une réunion de militants,
remarques sur la question des alliances politiques et sur la « gauche » du PS en particulier

Conformément à sa volonté de multiplier les liens et les discussions entre militants et groupes qui se réclament du prolétariat et du socialisme, le Groupe CRI a participé le 10 octobre, à Paris, à une réunion convoquée par trois groupes politiques : les animateurs de la Lettre de Liaisons, le Club République sociale et la Nouvelle Gauche communiste. Le thème officiel de la réunion était : « Unité pour le double non : Pour stopper et pour battre les tueurs du MEDEF : • Dehors Chirac, Raffarin, Sarkozy et leur régime : • Non à la ‘constitution européenne’ ». Une trentaine de militants, membres ou non d’une dizaine de groupes représentés, étaient rassemblés. Parmi eux se trouvait également Marc Dolez, député et membre du Bureau national du PS, animateur du courant « de gauche » Forces militantes au sein de ce parti, et avec qui les organisateurs de la réunion ont décidé de s’allier politiquement.

La Lettre de Liaisons n°117 du 18 octobre a proposé, de son point de vue, un compte-rendu de la réunion. Nous publions ici le texte qui a servi de base à la déclaration liminaire du représentant du Groupe CRI, puis quelques remarques sur le déroulement de la réunion, et enfin une présentation des véritables positions de Marc Dolez sur l’Union européenne, qui confirme que celui-ci n’est qu’un social-capitaliste hypocrite et opportuniste avec lequel il ne peut être question, pour des communistes révolutionnaires, de s’allier.

Déclaration du Groupe CRI

« Camarades,

Lors de la précédente réunion convoquée par La Lettre de Liaisons et le Club République sociale, le 1er février dernier, nous avions adressé aux participants une contribution critique sur le cadre et l’objectif mêmes de ce type de réunions, contribution qui se terminait par des propositions concrètes (1). Les camarades organisateurs n’avaient pas jugé bon de discuter cette contribution, ni surtout de donner suite à ces propositions concrètes que nous avions faites. Pour notre part, nous avons une perspective de construction, nous pensons que la continuité et la capacité à faire des bilans sont indispensables pour avancer dans la discussion politique et l’intervention pratique, et nous continuerons à nous battre politiquement en ce sens. C’est pourquoi je commencerai par rappeler les quatre propositions que nous avions faites, et qui restent bien évidemment toujours valables :

1) Impulser, de façon coordonnée, des regroupements politiques de travailleurs sur la base d’une véritable perspective politique ; cette perspective politique ne pouvant être, selon nous, purement négative (« en finir avec le président et le régime »), mais positive : pour un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs ;

2) Renforcer, faire progresser et homogénéiser notre regroupement du 1er février lui-même, en essayant de rassembler minutieusement, dans un texte commun, l’ensemble des analyses et positions nationales et internationales sur lesquelles nous sommes d’accord (une sorte de plate-forme politique commune), et en ouvrant la discussion la plus large et la plus rigoureuse sur les différents points qui, au contraire, font l’objet de désaccords à ce stade, et qu’il faut donc commencer par recenser (par exemple, l’analyse de la situation, la nature du PS, la question de la forme du parti politique que nous voulons, etc.) ;

3) Faire un travail coordonné dans les différents syndicats où nous intervenons, avec l’objectif d’aller vers une tendance commune intersyndicale dans la CGT, FO, la FSU, SUD, la FSE (étudiants) ;

4) Participer activement avec d’autres à des actions de front uni sur les différentes questions que l’actualité politique et sociale met à l’ordre du jour (grèves, manifestations, etc.), mais en sortant dès que possible notre propre matériel commun, qui se distinguerait des autres précisément par notre perspective politique indépendante.

C’est donc sur des bases très claires, et dans une perspective constructive, que nous participons à la réunion d’aujourd’hui : il s’agit pour nous de discuter dans le but de mener ensemble des actions immédiates, mais aussi pour avancer dans la voie d’un véritable regroupement politique indépendant, qui ne saurait être que communiste, révolutionnaire et internationaliste.

Déployer le drapeau révolutionnaire… ou le cacher?

Or, de ce point de vue, nous ne sommes pas d’accord avec la méthode que les organisateurs de la réunion persistent à employer. Tout en se réclamant officiellement du drapeau de la révolution prolétarienne socialiste, ces camarades préfèrent dans la pratique le ranger dans leurs tiroirs, quitte à le sortir exceptionnellement les jours de fête… Ils nous reprochent d’ailleurs de l’arborer en permanence, attitude qu’il estime « sectaire ». Autrement dit, ces camarades voient dans le drapeau non pas une arme, mais une sorte de relique anesthésiée plus ou moins nostalgique. Pour notre part, nous refusons de ranger notre drapeau dans notre poche sous prétexte de chasser Chirac. Car nous refusons de cacher notre but final, nous le proclamons haut et fort, quelles que soient les illusions présentes de l’aristocratie salariale, d’une partie des enseignants et des syndicalistes réformistes : notre objectif, ce n’est pas le retour du PS au pouvoir ; l’objectif que nous affichons, non pas pour nous payer de mots, mais parce que c’est la condition même d’une orientation politique indépendante du prolétariat, c’est le gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs.

Cette orientation n’est donc pas celle des camarades organisateurs de la réunion. Après les élections régionales, le camarade Presumey avait parlé, sans d’ailleurs tenir compte de la réalité de la lutte de classe, d’ « élections législatives constituantes »… Mais même l’adjectif « constituantes » était encore trop radical, le drapeau aurait pu risqué de pointer encore le bout de son nez : comme le montrent les invitations donnant le cadre de la présente réunion, même cet adjectif semi-radical a rapidement disparu, laissant la place à l’exigence d’ « élections législatives immédiates » tout court, donc des élections législatives dont le seul et unique but soit, sous prétexte de chasser Chirac, d’aider le PS à revenir plus tôt qu’il ne le veut lui-même occuper la place qui lui revient à la tête des institutions de la Ve République.

Illusions sur le PS… et collusion avec la « gauche » de son appareil

Car, au-delà de l’enrobage habituel contre « Chirac et le régime », c’est bien là l’orientation qui se dégage des derniers numéros de la Lettre de Liaisons, qui éclairent d’un jour particulier le cadre de la présente réunion et dont la lecture est effarante pour tout révolutionnaire, quelle que soit par ailleurs sa tendance idéologique. En effet, dans le n° 115 du 29 septembre, les camarades Presumey, Tollenaere et Grangeon publient une déclaration sous le titre « le Parti socialiste à la croisée des chemins ». Autrement dit, le PS ne serait pas définitivement passé du côté de l’ordre bourgeois, mais pourrait encore servir d’instrument pour faire avancer l’intérêt des travailleurs, pour la lutte de classe. De la part d’anciens trotskystes, il s’agit là d’une orientation non seulement opportuniste, mais carrément révisionniste. De fait, le contenu du texte en question montre que la présence de ces camarades dans le PS ne relève pas seulement d’un souci tactique révélant une erreur d’appréciation quant à sa nature, mais bien d’une illusion extrêmement grave, qui débouche dans la pratique sur une identification politique globale avec l’aile gauche de l’appareil de ce parti. Les camarades écrivent par exemple : « Après le 21 avril, nous avons tous souvenir de la vague d’adhésion émouvante qui se produisit, spontanément, à l’heure de la défaite et du danger. » Et on relève des expressions comme « le parti, notre parti », et surtout comme « les conseils régionaux et généraux à la tête desquels nous nous trouvons » et même « quand nous reviendrons au pouvoir »… La perspective des camarades se révèle ici dans toute sa clarté : sous la rhétorique soi-disant très radicale, il s’agit d’entretenir l’illusion sur la nature du PS, sur la possibilité d’influencer sa politique dans le sens des intérêts des travailleurs.

Bien sûr, le texte des camarades se termine en posant, de manière d’ailleurs assez vague, la question de la direction actuelle du PS et d’une « alternative qui ne soit plus une alternance ». Mais le sens de leur orientation est clair : il se trouve dans le véritable panégyrique des courants de gauche de l’appareil, notamment « Nouveau Monde » et « Forces militantes », ainsi que « Pour un nouveau parti socialiste ». Ils écrivent : après le 21 avril, « trois courants oppositionnels se formaient alors pour construire l’espoir de ne pas recommencer le 21 avril, et pas non plus le 5 mai, d’ailleurs, qui totalisaient 40 % au congrès de Dijon, congrès poussé vers la gauche par le son de la grève et de la rue et qui votaient, à l’unanimité, une motion s’engageant à abroger les mesures contre les retraites (loi Fillon) et contre la République (décentralisation) de ce gouvernement réactionnaire quand nous reviendrons au pouvoir ». Pour ces camarades, il s’agit donc que le PS prenne la tête du combat contre Chirac et Sarkozy, qu’il soit « un parti qui prend ses responsabilités devant son peuple, un parti majoritaire, un parti qui aujourd’hui, dit Non ». Enfin, montrant que leur opportunisme n’est pas seulement français, mais se veut « internationaliste », les camarades affirment tendre la main à « ceux qui cherchent une issue à gauche pour la social-démocratie » en Allemagne et en Grande-Bretagne…

Dans le numéro suivant de la Lettre de Liaisons (n°116, 7 octobre), le camarade Presumey en rajoute une louche : dans un texte écrit à la première personne, il se dit « fier » de lui-même car, écrit-il, la Lettre de Liaisons « pèse sur les évolutions politique en cours »… La preuve ? Le camarade Presumey croit déceler son influence sur les dirigeants de la gauche de l’appareil du PS, tels Marc Dolez et Emmanuelli, sans parler, évidemment, de l’ami de toujours, Gérard Filoche. L’objectif des militants révolutionnaires, forgés par le trotskysme, serait donc d’influencer les bureaucrates de la gauche du PS ? C’est là, encore une fois, semer des illusions sur ces fractions de l’appareil, en prenant prétexte de quelques promesses et déclarations qui se situent certes à gauche de la direction actuelle du PS, mais qui, d’une part, n’ont de sens que dans le cadre du combat à l’intérieur de l’appareil de ce parti et qui, d’autre  part, s’en tiennent à une orientation plus ou moins « anti-libérale », absolument pas anti-capitaliste — elle sont en fait très droitières même par rapport à des revendications réformistes traditionnelles. Bien sûr, Presumey connaît l’objection, et il affirme en conséquence qu’il ne se fait pas d’illusions dans les dirigeants en question… Il ne se fait peut-être pas d’illusions à titre personnel, mais il sème des illusions en donnant expressément comme nouvel horizon au « mouvement social » non pas, évidemment, l’objectif purement rhétorique de faire tomber le régime, mais l’objectif pratique bien plus modeste de faire pression sur les conseils régionaux dirigés par la gauche…

Propositions du Groupe CRI

Du point de vue de l’avant-garde militante et de la majorité absolue du prolétariat qui a refusé de voter aux régionales, comme nous l’avons démontré de manière très précise dans Le CRI des travailleurs n°12 d’avril 2004, tout cela n’est pas sérieux. Du point de vue des révolutionnaires qui cherchent la voie d’une reconstruction du mouvement ouvrier comme condition pour une véritable alternative politique, tout cela n’est qu’illusion, pour ne pas dire fumisterie. Soyons clairs : ce n’est pas le PS, ce sont les camarades Presumey, Tollenaere et Grangeon qui sont « à la croisée des chemins ».

Néanmoins, nous pensons qu’il est encore temps de redresser la barre, de suivre la boussole programmatique, donc d’approfondir sans attendre la discussion de fond sur l’analyse de la situation politique et sur l’orientation révolutionnaire correcte. Nous réitérons nos quatre propositions politiques concrètes rappelées précédemment, contre l’impasse politique qui est en train de se dessiner, contre cette orientation opportuniste de collusion avec une fraction de l’appareil du PS. Nous en ajoutons une cinquième, qui devient centrale dans la situation politique actuelle, et que nous avons formulée dans le numéro de septembre du CRI des travailleurs : contre la Constitution européenne et ses partisans de droite et de gauche, contre le refus hypocrite de se prononcer des bureaucrates syndicaux de la CGT, de FO et de la FSU, contre le pseudo-« non » social-libéral de Fabius, contre le « non » social-capitaliste de Montebourg, d’Emmanuelli et de Dollez, contre le non petit-bourgeois « altermondisaliste » du PCF et de la LCR, contre le « non » petit-bourgeois » « républicain » du PT, contre la tentation abstentionniste et l’orientation apolitique de LO… il est nécessaire que les militants et les groupes réellement révolutionnaires, communistes et internationalistes se regroupent pour mener dès maintenant une campagne commune pour un « non » de classe à la Constitution, un ‘non’ authentiquement prolétarien, qui ne saurait être qu’un « oui » clair et net à la perspective du gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs, et corrélativement un « oui » clair et net à la perspective des États-Unis socialistes d’Europe, d’une Europe communiste et révolutionnaire. »

Remarques sur le déroulement de la réunion et la question des alliances

Après cette intervention liminaire du représentant du Groupe CRI, le déroulement de la réunion du 10 octobre a malheureusement confirmé notre analyse. Il a été marqué, en effet, par une orientation préconisant le « front uni » avec le PS, quand bien même les organisateurs ont affirmé ne pas se faire d’illusions sur Fabius lui-même. Les principaux organisateurs de la réunion, V. Presumey et É. Tollenaere, eux-mêmes militants dans la gauche du PS, ont ainsi expliqué que le principal point d’appui pour la classe ouvrière, dans la situation actuelle, serait un appel à voter « non » du PS, qu’ils considèrent encore comme un parti ouvrier, quoique dirigé par des réformistes pro-bourgeois (2). Dans cette perspective, le point d’appui du point d’appui, en quelque sorte, serait selon eux les trois courants de « gauche » au sein du PS qui, avant Fabius, se sont prononcés pour un « non » anti-libéral à la « Constitution européenne ».

C’est ce qui explique la présence lors de cette réunion de Marc Dolez, député PS du Nord et animateur du petit courant de gauche « Forces militantes », allié au courant « Nouveau monde ». Bien sûr, comme il fallait s’y attendre, Marc Dolez n’a absolument pas repris à son compte les tirades contre le capitalisme et contre « Chirac et le régime ». Il a par contre saisi l’occasion qui lui était offerte pour plaider, au nom de « l’unité la plus large » des « militants » pour le « non » à la Constitution européenne, une orientation sans aucun contenu de classe et sans perspective anti-capitaliste. Pourtant, tout cela n’a pas empêché les organisateurs de la réunion, qui ne se sentaient plus de joie d’avoir un député dans la salle, de fait preuve d’une déférence incroyable envers ce membre du Bureau national du PS…

De leur côté, les militants du Groupe CRI ont prôné une orientation de front unique (fût-ce avec des militants illusionnés du PS), mais un front unique de classe ; ils ont par conséquent dénoncé l’illusion entretenue par les organisateurs de la réunion sur la nature du PS, ainsi que leur alliance sans principes avec Marc Dolez — député qui, ont-il rappelé, a voté pour toutes les mesures anti-ouvrières de la gauche plurielle de 1997 à 2002 et qui n’a pas aujourd’hui ne serait-ce qu’une orientation anti-capitaliste. Un militant étudiant du Groupe CRI a en outre rappelé la politique de collaboration étroite avec le gouvernement menée dans les universités par les dirigeants de l’UNEF, qui appartiennent très majoritairement aux courants « Nouveau monde » ou « Nouveau Parti socialiste »…

Dans ce contexte, une bonne partie de la discussion s’est centrée sur les positions du Groupe CRI. La majorité des intervenants étaient membres ou proches des groupes organisateurs (il faut y ajouter Charles Jérémy, membre de la revue Carré rouge), presque tous ex-lambertistes des années 1970 — donc rodés à l’opportunisme à l’égard de la social-démocratie — et très souvent militants de la gauche du PS actuellement. Ils se sont montrés très irrités contre nos militants, qu’ils ont accusés de sectarisme, et auxquels ils ont opposé leur démarche soi-disant « unitaire »… D’ailleurs, à part cela, les participants n’avaient à peu près rien à dire : alors que cette réunion avait été préparée depuis des mois, qu’elle rassemblait plus d’une trentaine de personnes et une dizaine de groupes, et qu’une bonne partie des interventions a été dominée par la polémique avec le Groupe CRI, elle s’est terminée trois quarts d’heure plus tôt que l’horaire prévu ! Il s’est ainsi vérifié une fois de plus que le marais opportuniste est toujours le terreau de l’indigence politique !

Mais l’opportunisme, qui essaie de se justifier par de prétendues raisons de « réalisme » et d’ « efficacité », débouche toujours, en fait, sur l’impuissance politique. En effet, les organisateurs de la réunion n’ont pas été récompensés de leurs efforts « unitaires » : à ce jour, la plupart des autres groupes qui ont participé à cette réunion n’ont pas signé leur appel (seule faisant exception l’Association populaire d’entraide, animée par Raymond Debord, par ailleurs membre du PCF). En particulier, Marc Dolez, envers lequel les organisateurs avaient nourri tant d’espoirs émouvants, n’a pas donné de suite au texte sorti de la réunion, qu’il a certainement estimé encore beaucoup trop radical (appel intitulé « Trois fois non : non à la ‘constitution européenne’, non à Chirac, non au capitalisme. Pour une Europe socialiste et démocratique, pour un autre régime en France, pour le socialisme »). Il a préféré signer l’ « appel des 200 » qui, élaboré au même moment, traduit bien, en effet, sa véritable orientation (cf. notre analyse ci-dessus) ! Belle leçon, pour les opportunistes illusionnés, que cette ingratitude d’un chef « de gauche » du PS !

Petite recherche sur les véritables positions de Marc Dolez…

Cependant, après cette réunion, nous avons tenu à aller vérifier quelles étaient les véritables prises de position de Marc Dolez. Or ce que nous avons découvert confirme notre analyse beaucoup plus encore que ce que nous imaginions — et nous tenons à le porter à la connaissance de tous ceux qui croient juste de s’allier, au nom de « l’unité », avec ce Marc Dolez (mais cela est valable plus largement pour les autres courants de « gauche » du PS) — à commencer par les participants à la réunion du 10 octobre.

Tout d’abord, nous avons bien sûr pu constater que Marc Dolez avait déjà signé l’appel social-capitaliste de la « gauche » du PS (cf. notre analyse de ce texte ci-dessus). Mais nous avons découvert aussi à cette occasion que ce texte avait été signé également par… Éric Tollenaere, président du Club République sociale, co-organisateur de la réunion et par ailleurs conseiller municipal PS ! Bref, allant jusqu’au bout de son opportunisme plus droitier encore que celui de V. Presumey, É. Tollenaere n’a même pas, contrairement à Marc Dolez, le mérite de la cohérence : il n’hésite pas à signer d’une main un appel social-capitaliste, et de l’autre le texte prétendument « pour le socialisme » sorti de la réunion du 10 octobre !

Mais surtout, ce que nous avons pu vérifier, c’est non seulement que Marc Dolez n’est même pas un véritable social-démocrate réformiste, mais encore qu’il est l’un des plus fervents partisans de l’Union européenne telle qu’elle est, et l’un des pires promoteurs de son développement en État impérialiste unifié ! Qu’on en juge :

Marc Dolez, député sous Jospin

En tant que député de la « gauche plurielle » entre 1997 et 2002, il a accepté la décision du gouvernement Jospin-Voynet-Gayssot-Chevènement de participer, derrière les États-Unis et Chirac, aux interventions impérialistes en Yougoslavie et en Afghanistan. De même, il accepté le refus de ce gouvernement de régulariser les travailleurs « sans-papiers ». De plus, il a voté et laissé passer sans broncher toutes les lois contre le prolétariat : transpositions des directives européennes régressives, lois Aubry de flexibilité et d’annualisation du temps de travail, application chaque année du plan Juppé contre la Sécurité sociale, ouvertures du capital des entreprises nationalisées, etc.

Ce n’est qu’après le 21 avril que Marc Dolez s’est réveillé. Il s’est engagé alors sur le chemin de la critique. Cela aa débouché au congrès du PS de mai 2003 sur une motion particulière, et en janvier 2004 sur un « Manifeste » du courant « Forces militantes », dirigé par Marc Dolez. Mais ces documents ne sont même réellement réformistes au sens de la social-démocratie traditionnelle : même le « Manifeste » est très à droite du PS des années 1970, pour ne pas parler du programme officiel de la SFIO réformiste de Léon Blum. S’il se réfère vaguement, en préambule, à l’objectif de « défendre et promouvoir les idées, valeurs et convictions héritées de l’Histoire du mouvement ouvrier et du Socialisme » et s’il met en avant des revendications pour les droits des travailleurs, contre les privatisations, pour les services publics, pour l’annulation de la dette des pays du Sud, pour la « taxe Tobin », etc., il ne parle jamais de lutte de classe et même de classes sociales, mais il s’adresse aux « citoyens » en général ; il conteste moins le capitalisme que le libéralisme, et il limite l’objectif de la collectivisation, assimilée en fait à la simple nationalisation bourgeoise, aux sphères dont « l’activité économique répond à des besoins fondamentaux (l’eau, l’énargie, l’air, l’éducation, la culture, la santé…) ». Corrélativement, il prône la « démocratie dans l’entreprise », c’est-à-dire la bonne vieille association capital-travail (« La représentation des salariés, avec des pouvoirs réels, dans les conseils d’administration est une réforme fondamentale qui replacerait le travail en position de force face au capital. Il s’agit en effet de renverser les rapports de domination entre le capital et le travail en donnant aux salariés le droit de participer et de peser véritablement sur les choix stratégiques des entreprises. Le travail apporté vaut autant sinon plus que le capital des actionnaires [sic !] »). Enfin, il voit dans l’État, dont il revendique la « présence forte », le « seul garant des protections collectives » ; et il présente bien sûr la fameuse « démocratie participative », si respectueuse des institutions, comme la panacée pour associer les « citoyens » à l’État…

L’ « Europe sociale » dont rêve Marc Dolez ne sera pas très rose !

Mais en fait la pratique politique de Marc Dolez est beaucoup plus à droite que ce programme social-capitaliste à peine réformiste. Dans la réalité, son combat politique, loin de viser le socialisme, est tout entier structuré par l’idée d’un « Traité social européen » expressément calqué sur les procédures du Traité de Maastricht, avec comme grande ambition « sociale »… le maintien de forts taux de chômage, de pauvreté et d’illettrisme dans la société ! « Pendant que le PS prépare son congrès, écrivait-il en mai 2003, la Convention Giscard et les lobbies qui l’entourent continuent leurs travaux… Sans tarder, nous devons dire quel contenu concret nous voulons pour l’Europe sociale. (…) Si nous voulons que l’Europe existe vraiment, nous devons faire très activement campagne pour imposer un Traité de l’Europe sociale aussi concret, ambitieux et contraignant que le fut le Traité de Maastricht en matière monétaire. Le Traité de Maastricht comportait 5 critères (un déficit inférieur à 3 % du PIB, une dette inférieure à 60 %…). De la même façon, pour lancer le débat, nous proposons 5 critères pour l’Europe sociale : - Un taux de chômage inférieur à 5 % ; - Un taux de pauvreté inférieur à 5 % ; - Un taux de mal logés inférieur à 3 % ; - Un taux d’illettrisme à l’âge de 10 ans inférieur à 3 %. » (Motion soumise au congrès du PS de mai 2003, cf. le site internet www.forces-militantes.org/fondateurs/motion.asp). En voilà du « socialisme » !

Marc Dolez, partisan fervent d’un impérialisme européen…

Mais ce n’est pas tout : la principale caractéristique de Marc Dolez et de son courant, c’est qu’ils sont des inconditionnels de la gentille Union européenne, qu’ils veulent à tout prix renforcer contre les méchants États-Unis. Non seulement ils ne se prononcent jamais pour l’abrogation des Traités de Maastricht et d’Amsterdam, mais en outre ils écrivent : « L’Europe garantit la paix à l’intérieur de ses frontières depuis 50 ans et constitue le seul espace pertinent de résistance à l’impérialisme américain. (…) Il faut poser la question majeure des transferts de souveraineté que chaque État est prêt à concéder. (…) [En particulier, il faut transférer] à l’Union européenne tout ce qui concerne la maîtrise de la mondialisation (y compris sur le plan social), la politique étrangère, la politique de défense, la politique monétaire, le développement durable, l’harmonisation fiscale, la coopération avec les pays en voie de développement. (…) Il n’y aura jamais d’Europe politique, crédible et légitime, sans réforme démocratique de ses institutions, ce qui signifie, pour les compétences transférées, la mise en place d’un Gouvernement Européen, conduit par un premier ministre de l’Union et responsable devant le Parlement européen. » (Ibid.) Bref, nos soi-disant « socialistes » ne veulent rien tant que l’accélération de la construction européenne capitaliste !

Ces partisans inconditionnels de l’UE vont jusqu’à prôner un véritable social-impérialisme européen, qui est leur principal cheval de bataille au sein du PS. Rien ne leur est plus cher, en effet, que le projet d’une « défense européenne » : « L’Europe politique n’aurait pas de consistance sans une défense européenne, avec doctrine commune, coopération des industries de défense, et moyens adaptés. Le débat sur la défense a été longtemps occulté au parti socialiste. Nous préconisons donc l’organisation d’une convention nationale sur la défense, pour que le Parti socialiste ait une position démocratiquement débattue. » (Idem.) Autrement dit, ces prétendus « socialistes » sont en fait parmi les principaux promoteurs d’une armée impérialiste spécifique de l’Union européenne !

Quand Marc Dolez était contre… le « non »…

Et voici enfin le clou du spectacle que nous offre la lecture des textes de Marc Dolez : en mai 2003, ce soi-disant partisan du combat contre la Constitution européenne déclarait : « C’est cette année que se joue l’avenir de l’Europe. Si nous ne faisons pas le maximum pour imposer un vrai Traité de l’Europe sociale, nous risquons d’être piégés en 2004 quand la Constitution européenne sera soumise à référendum, issue de la Convention Giscard et de la négociation intergouvernementale qui suivra, cette Constitution intègrera le Traité de Maastricht mais risque de ne comporter que des mentions très vagues en matière sociale. De ce fait, le Non risque de l’emporter dans de nombreux pays d’Europe. Si le Non l’emporte, l’Europe restera une zone de libre-échange sans capacité politique et diplomatique, sans projet social. Les libéraux auront gagné la partie. Il y a urgence. » (Ibid.) Les choses peuvent-elles être plus claires ? Ce Marc Dolez qui prétend aujourd’hui s’opposer à la « Constitution européenne » expliquait il n’y a pas si longtemps que la victoire du « non » serait une catastrophe ! Son appel soudain à voter « non » il y a quelques mois est donc en réalité tout aussi hypocrite et opportuniste que celui de Fabius !

Conclusion : les véritables militants révolutionnaires doivent choisir !

L’analyse sérieuse des véritables positions de Marc Dolez montre qu’il ne saurait décidément être question de s’allier avec cet ennemi avéré de la classe ouvrière. Les principaux organisateurs de la réunion du 10 octobre, V. Presumey et É. Tollenaere, connaissaient-ils ses prises de position quand ils ont décidé de le couvrir de louanges dans leurs publications, de l’inviter à leur réunion et d’élaborer toute leur orientation dans la perspective de s’allier avec lui ? Les ont-ils sciemment passées sous silence, pour mieux faire accepter par les participants leur orientation opportuniste ? À eux de le dire, mais étant donné leur place dans le PS, c’est fort probable.

Il reste à espérer que les militants présents lors de cette réunion, notamment les camarades étudiants de l’association strasbourgeoise Germinal et les responsables de la Nouvelle Gauche communiste (qui avaient entamé au printemps une discussion avec le Groupe CRI et signé un tract commun le 1er mai), comprendront rapidement l’impasse politique dans laquelle ils s’engagent : il est temps de rompre avec le confusionnisme, source de l’opportunisme, et de reprendre la discussion avec ceux qui proposent au contraire, de manière claire et nette, la voie du communisme révolutionnaire et du parti prolétarien.


1) Texte publié dans la Lettre de Liaisons n°89 du 12 février 2004 (lisible sur le site de ce groupe : http://site.voila.fr/bulletin_Liaisons/index.html) et dans Le CRI des travailleurs n°12 d’avril 2004 (http://groupecri.free.fr).

2) En ce qui concerne la nature du PS actuel, nous renvoyons le lecteur à nos discussions polémiques avec V. Presumey, d’une part, avec le Groupe bolchevik, d’autre part (les textes des uns et des autres sur ce point sont lisibles sur notre site internet, http://groupecri.free.fr, rubrique « Discussions »). Le Groupe CRI considère que le PS est devenu un parti purement bourgeois, même s’il garde des liens avec les bureaucraties syndicales, ce qui en fait un parti aujourd’hui analogue, malgré son origine et son histoire différentes, au Parti démocrate américain. En particulier, V. Presumey conteste expressément, dans la Lettre de Liaisons n°117, cette caractérisation qui est la nôtre. Il faut noter qu’il est à cet égard beaucoup moins lucide que son nouvel ami Marc Dolez : on lit en effet, dans le « Manifeste fondateur » du courant « Forces militantes », parmi les arguments préconisant une « rénovation » du PS, que, « si l’on n’y prend garde, notre Parti ne sera bientôt plus que l’équivalent d’un parti démocrate à l’américaine ».