Article du CRI des Travailleurs n°12

Le gouvernement se prépare à attaquer la Sécurité sociale :
Engageons sans attendre la résistance, organisons-nous tout de suite, partout !

Le « nouveau » gouvernement Chirac-Raffarin a comme mission de se concentrer sur un petit nombre de contre-réformes cruciales, parmi lesquelles celle de la Sécurité sociale occupe une place essentielle. Il y a urgence : il faut engager immédiatement, sans attendre, la résistance. Pour se donner les moyens de gagner, il faut imposer l’unité des travailleurs et des organisations. Mais, pour cela, il faut faire la clarté, contrer la manipulation, empêcher la trahison... Il faut donc commencer par comprendre la méthode utilisée par le gouvernement dans la préparation de sa « réforme » de la Sécurité sociale, et sur la partition jouée par les uns et les autres, notamment par les directions syndicales (CGT, FO, FSU...). Pour cela, il convient tout d’abord de revenir sur la manière dont les choses se sont passées l’an passé sur la question des retraites et d’en tirer les leçons qui s’imposent, si l’on veut éviter que l’histoire se répète.

Retour sur la manière dont le gouvernement s’y est pris pour la réforme des retraites 

En mai-juin 2003, le gouvernement Chirac-Raffarin a réussi à imposer le « plan Fillon » (passage progressif de 37,5 à 42 du nombre d’années de cotisation nécessaires pour avoir une retraite à taux plein, ce qui abaissera à terme d’environ 30 % les retraites des salariés). Comment a-t-il fait pour y parvenir ?

Tout d’abord, il n’a cessé d’affirmer qu’une « réforme » était nécessaire pour « sauver » les retraites, prétendant qu’il n’y aurait pas assez d’argent pour les financer. Grossière mystification. Lorsqu’il baisse les retraites des travailleurs, il baisse le salaire versé à la classe des travailleurs salariés. L’argent n’est donc pas perdu pour tout le monde : c’est autant d’argent que le patron garde dans sa poche. D’ailleurs, quand il s’agit de satisfaire le MEDEF, le gouvernement trouve toujours de l’argent. Par exemple, la suppression prévue de la taxe professionnelle représente plus de 6 milliards d’euros de cadeaux au patronat ; et les exonérations de cotisations sociales patronales s’élèvent chaque année à plus de 21 milliards d’euros. Bref, ce qu’il est « possible » de financer est décidé par le rapport de forces entre les travailleurs salariés d’un côté, le gouvernement et le patronat de l’autre.

Qu’ont fait alors les partis de la gauche plurielle, PS, PCF et Verts ? Ont-ils dénoncé la propagande du gouvernement ? Ont-ils préparé les salariés à ce combat pour préserver leurs retraites ? Non. Ils se sont contentés de critiquer la « méthode », car ils étaient d’accord avec la réforme. Et pour cause : le gouvernement Chirac-Raffarin ne faisait qu’appliquer ce à quoi Chirac-Jospin s’étaient engagés ensemble lors du sommet de Barcelone de l’Union Européenne en mars 2002 !

De même, les différentes directions syndicales (CGT, FO, FSU...), qui font partie de la gauche plurielle, ont accepté d’établir pendant des mois, avec les représentants du MEDEF et du gouvernement, dans le cadre du Comité d’Orientation sur les Retraites (COR), le « diagnostic » sur l’état des retraites, reprenant en cœur le refrain du gouvernement : dans le cadre du système actuel, on ne peut plus financer les retraites, une « réforme » est donc nécessaire…

Lorsque les directions syndicales ont, sous la pression des travailleurs, appelé à une journée nationale de grève le 13 mai, ce sont plus de 2,5 millions de salariés qui sont descendus dans la rue. Le soir, les travailleurs de la RATP, conscients qu’une journée d’action ne pouvait suffire à faire céder le gouvernement, décidaient massivement de poursuivre la grève, imités en cela par leurs collègues de la SNCF, tandis que la grève des enseignants ne cessait de s’étendre dans tout le pays. Les directions syndicales, contre la volonté des travailleurs de poursuivre la grève, ont non seulement refusé d’appeler à la grève générale, mais encore elles ont fait reprendre le travail. Multipliant, entre le 13 mai et le 19 juin, les journées d’action dispersées contre la grève générale, Thibault, Blondel et Aschieri ont conduit les travailleurs à la défaite et ont sauvé le gouvernement Chirac-Raffarin, lui permettant de poursuivre son œuvre de casse sociale.

Le prétendu « trou » de la Sécu vient des exonérations de cotisations pour le patronat !

Comme il l’avait fait lorsqu’il préparait sa réforme des retraites, le gouvernement se livre depuis des mois à une propagande systématique : il prétend qu’il n’y aurait plus d’argent pour financer la Sécu, qu’il faudrait par conséquent baisser les remboursements, augmenter la CSG (Cotisation Sociale Généralisée) et introduire les assurances privées. Bref, Chirac-Raffarin veulent à nouveau baisser le salaire différé des travailleurs en diminuant cette fois-ci les prestations sociales (consultations chez le médecin, médicaments, hospitalisation, etc.), pour le plus grand bonheur des patrons et des assurances privées.

En réalité, le prétendu « trou » de la Sécu, censé justifier la « réforme », est fabriqué de toutes pièces par les gouvernements successifs qui accordent au patronat des exonérations massives de cotisations qu’ils doivent à la Sécurité Sociale, c’est-à-dire en fait à la classe des travailleurs salariés. Le gouvernement rembourse une partie de ces cadeaux aux patrons avec de l’argent tiré du budget de l’État, c’est-à-dire de la poche des travailleurs, qui payent la plus grande part (75 %) des impôts (TVA, impôt sur le revenu, taxe sur l’essence). Mais il ne rembourse jamais la totalité des exonérations, sous prétexte qu’elles créeraient des emplois et donc augmenteraient le nombre de cotisants. On sait ce qu’il en est : le chômage ne diminue nullement, tout au contraire… Depuis 1991, le montant total des exonérations non remboursées s’élève ainsi à 21,6 milliards d’euros et le total des impayés des entreprises s’élèvent à plus de 13 milliards d’euros. À cela s’ajoute le fait que la mise en place de l’épargne salariale (« fonds de pension à la française ») par la loi Fabius de 2001 prive la Sécu d’1 milliard de recettes, car l’argent placé sur ces fonds est lui aussi exonéré de cotisations sociales. En 2003, ce sont plus de 2 milliards de cotisations qui n’ont pas été « compensées », 1,3 milliard qui n’a pas été versé par les patrons, 1 milliard qui a été perdu à cause du détournement opéré par l’épargne salariale, plus 0,4 milliard d’intérêts provenant de la nécessité pour la Sécu d’emprunter afin de financer le « déficit » artificiellement créé par ce pillage organisé dont elle est victime. Sans compter que le gouvernement détourne au profit du budget de l’État l’argent provenant des taxes sur le tabac (8 milliards d’euros) et l’alcool (2,7 milliards d’euros), qui avaient été mises en place à l’origine pour financer la Sécu, ainsi que des taxes sur l’automobile (3 milliards d’euros). Au total, chaque année, plus de 18 milliards d’euros sont volés à la Sécurité Sociale : c’est une véritable escroquerie, une mise en faillite délibérée !

La gauche plurielle et les directions syndicales collaborent de nouveau avec le gouvernement !

Or, comme pour les retraites, la gauche plurielle et les directions syndicales affirment elles aussi, à l’unisson du gouvernement, qu’une « réforme » serait nécessaire — même s’ils critiquent la « mauvaise » réforme de Chirac-Raffarin.

Rappelons d’ailleurs que la gauche au pouvoir avait déjà bien engagé la casse de la Sécu : création du forfait hospitalier par le gouvernement PS-PCF en 1982 (avant, l’hospitalisation était gratuite) ; diminution du taux de remboursement de 379 médicaments par le gouvernement PS soutenu par le PCF en 1985 ; instauration de la CSG par le gouvernement PS soutenu par le PCF en 1991, déjà sous prétexte de combler le prétendu « déficit » — rappelons que cette taxe, particulièrement injuste, est proportionnelle aux revenus et non progressive, et qu’elle est payée à plus de 90 % par les salariés ; listes de nouveaux médicaments à « service médical rendu insuffisant » établies par Martine Aubry ; suppressions massives de postes dans les hôpitaux ; numerus clausus très bas depuis des années dans les facultés de médecine, préparant une pénurie de médecins…

Mais, une nouvelle fois, les directions syndicales ne sont pas en reste. Certes, d’un côté elles dénoncent à juste titre les exonérations de charges patronales dont est victime la Sécu ; elles dénoncent la CSG ; et elles soulignent le caractère inévitable et progressiste de la hausse des dépenses de santé, liées au progrès technique et au vieillissement de la population. Mais, d’un autre côté, depuis des mois, elles proclament haut et fort qu’il faut « maîtriser les dépenses de santé », elles prétendent que la réforme est « indispensable » et elles en appellent à un « véritable débat » sur la Sécurité sociale.

De fait, elles ont toutes participé au « Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie » avec les représentants du MEDEF et du gouvernement Chirac-Raffarin. Or celui-ci avait explicitement pour but de parvenir à un « diagnostic partagé », pour légitimer la prétendue « nécessité » d’une réforme. Et ce n’est pas tout : non seulement les dirigeants des confédérations ont siégé dans ce Haut Conseil, mais ils ont cautionné son rapport final, paru le 23 janvier. Or, ce rapport, censé examiner les « causes structurelles du déficit », ne cherche celles-ci dans les milliards d’exonérations de cotisations sociales offertes au patronat ! Par contre, il suggère des « pistes » pour réduire le déficit : limitation du « périmètre remboursable » (en clair : déremboursement de médicaments par milliers, d’opérations « de confort », etc.), contrôle de l’ « offre de soins » par l’intermédiaire d’une « évaluation périodique des pratiques professionnelles » (c’est-à-dire flicage des médecins qui auraient le tort de prescrire ce qui est nécessaire à leurs patients pour les soigner), augmentation de la CSG, etc. (cf. Le Cri des travailleurs n°10-11). Tout cela, soulignons-le, avec la caution (« critique », bien sûr) non seulement de la CFDT, mais aussi de la CGT et de FO — sans oublier la complicité de la FSU !

La CGT, en particulier, accorde au gouvernement et au MEDEF qu’il y aurait bel et bien un « déficit structurel » (c’est-à-dire qui ne serait pas dû uniquement aux exonérations de charges patronales) et que, par conséquent, une réforme serait bel et bien nécessaire et inévitable. De cette façon, elle appuie la propagande gouvernementale, qui vise à faire avaler aux salariés sa réforme en la présentant comme inévitable. Certes, elle propose de combler ce prétendu « déficit structurel » d’une autre façon que le gouvernement, notamment en supprimant toutes les exonérations de cotisations sociales offertes aux patrons, en mettant en place par une surcotisation patronale un fonds de garantie pour éviter à la Sécu de souffrir des impayés de la part d’entreprises en difficulté, en imposant au même taux que les bénéfices industriels et commerciaux les placements financiers des entreprises, en soumettant l’argent de l’épargne salariale à cotisation — cette dernière revendication se substituant ainsi à l’exigence de suppression pure et simple de l’épargne salariale, qui est pourtant l’une des armes de destruction des retraites et de la Sécurité Sociale...

Mais comment la CGT compte-elle imposer ses revendications ? En lançant... une pétition ! Nul doute que celle-ci, adressée au Premier Ministre, le fasse trembler ! Alors que la dénonciation immédiate de la propagande gouvernementale contre la Sécu et l’organisation des travailleurs pour préparer la résistance sont de plus en plus urgentes, la CGT demande un « grand débat national préalable à une vraie négociation », pour « peser pour la réforme de la Sécurité sociale » dont le chantier a été lancé par Chirac-Raffarin ! Et, dans ce cadre, comme le gouvernement, elle préconise de plus « la mise en place d’un dossier de suivi médical », « des recommandations de bonnes pratiques » et l’évaluation régulière de la pratique de tous les médecins. Comme le gouvernement, la CGT affirme que « ce qui est pris en charge par la Sécurité sociale n’est pas immuable » et insiste sur l’idée que le « périmètre de prise en charge » peut évoluer. Elle invite enfin le gouvernement à « associer les différents acteurs » et à mettre en place pour ce faire un « conseil de branche » où siégeraient les « acteurs » de la santé — professionnels de santé, associations de malades, scientifiques, représentants des caisses de Sécurité sociale (1) …

FO est à peu près sur la même longueur d’onde. Tout en dénonçant la « maîtrise comptable » des dépenses de santé, elle ne cesse de revendiquer une « maîtrise médicalisée des dépenses de santé ». « Maîtrise comptable » et « maîtrise médicalisée », où est la différence ? C’est une simple différence de méthode pour arriver au même résultat, à savoir réduire les soins remboursés aux assurés ! Dès le lendemain de son élection comme secrétaire général lors du dernier congrès confédéral, Jean-Claude Mailly a d’ailleurs été parmi les premiers à courir rencontrer Mattéi (le 9 février) pour une « concertation » pour une « vraie réforme de l’assurance maladie »…

Quant à la FSU, elle affirme elle aussi que la réforme de la Sécu est « indispensable » et indique, sur son site (http://www.fsu-fr.org/) qu’il est selon elle nécessaire de « regarder de près les dépenses de santé et de combattre les gaspillages » : elle déplore en particulier les prescriptions médicamenteuses débouchant sur une prétendue « surconsommation »...

Comment empêcher la trahison, comment préparer la victoire ?

Bref, les principales directions syndicales nationales — contre l’avis d’un nombre croissant de syndicats de base, d’unions locales, de sections d’établissement... — semblent se préparer à aller négocier le bradage de la Sécu, comme elles ont contribué par leur collaboration avec le gouvernement à brader nos retraites. Alors qu’il faut tout au contraire, et de toute urgence, aider les salariés à engager dès maintenant le combat contre le gouvernement, démonter ses prétendus « arguments » censés « justifier » sa contre-réforme, organiser partout des réunions pour regrouper les salariés et lancer une grande campagne nationale de défense de la Sécurité sociale, par tous les moyens.

Dans cette situation, les travailleurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes, leur auto-organisation et leur lutte de classe. Et ils ne peuvent combattre efficacement que s’ils savent que seule la grève générale permettra de défendre la Sécu et de vaincre le gouvernement !

C’est pourquoi, sans attendre, dans les entreprises, dans les établissements, avec les syndicats, il faut que nous nous regroupions, il faut organiser des réunions pour expliquer à nos collègues les projets du gouvernement et populariser la nécessité de la grève générale pour vaincre. Et, dans nos syndicats, à tous les niveaux, il faut que nous nous battions pour imposer aux dirigeants qu’ils engagent sans attendre, et dans l’unité, le combat pour défendre la Sécu, qu’ils cessent leurs bavardages sur la prétendue nécessité d’un « grand débat national » et d’une réforme !

Directions des syndicats (CGT, FO, CFDT, FSU, SUD…), cessez de collaborer avec le gouvernement, refusez de participer aux négociations contre la Sécu ! Ensemble, réunissez les salariés pour les préparer à la lutte ! Popularisez la perspective de la grève générale comme seul moyen de vaincre le gouvernement !

À bas le projet de réforme du gouvernement !

• Non aux déremboursements, non à la hausse de la CSG, non à l’ouverture de la santé aux assurances privées !

• Suppression immédiate des milliards d’exonérations offerts aux patrons ! Remboursement des sommes empochées par le patronat au détriment de la Sécurité sociale !

• Suppression de la CSG, abrogation de la réforme Juppé de 1995 !

• Augmentation des dépenses de santé à hauteur des besoins !

Augmentation générale des bas et des moyens salaires, dans le privé comme dans le public !


1) Source : « Réforme de l’assurance maladie : pour la santé la Sécu c’est vital » et « Pour la santé, renforçons le système solidaire de la Sécurité sociale ». Cf. http://www.cgt.fr/00sommai/somm1.htm