Article du CRI des Travailleurs n°12

Récent congrès national de la F.S.U. : un « élargissement »... de la collaboration ?

Du 2 au 6 février derniers s'est tenu à Perpignan le quatrième congrès de la FSU (Fédération Syndicale Unitaire), trois ans après celui de La Rochelle.

Quel bilan de mai-juin 2003 ?

Près d’un an après le puissant mouvement du printemps 2003, dont les personnels de l’Éducation Nationale ont été le principal fer de lance, il est particulièrement intéressant d’observer le bilan qu’en tire la fédération majoritaire dans ce secteur. Les textes issus du congrès se félicitent de la capacité de mobilisation dont a fait preuve la FSU. Mais cette forte capacité de mobilisation, observée aussi bien dans les établissements que dans les manifestations, rend d’autant plus grave et décisive la trahison du mouvement par la direction de la FSU : après l’appel à la « grève reconductible », laissant aux assemblées générales d’établissements isolées la responsabilité de la poursuite ou non de la grève, après les journées d’action à répétition et sans perspective, la direction de la FSU a sifflé la fin de la grève à l’approche du baccalauréat, dans l’éducation et au-delà par ricochet, prétextant déceler, par la voix de son secrétaire général Gérard Aschieri, des « avancées significatives » sur la question de la décentralisation alors qu’était annoncé le transfert de 90 000 TOS (voir Le CRI des travailleurs n°5-6 sur le rôle de la FSU). S’il n’est guère étonnant que la principale tendance de direction, Unité et Action, essentiellement influencée par le PCF, n’ait pas fait état de sa responsabilité lors du congrès, il est symptomatique de constater que l’École Émancipée, la principale tendance « de gauche » (1) (on n’ose parler d’opposition), dirigée par la LCR, se contente sur ce point de couvrir la direction. En effet, loin de dénoncer la trahison de la direction, l’École Émancipée, dans sa plate-forme d’orientation, n’évoque que les « limites [de la FSU] devant le refus des confédérations de [...] généraliser » le mouvement ; cette ligne est confirmée dans le journal de la LCR (Rouge du 12 février 2004), qui regrette que la FSU ait « échoué à faire prévaloir la nécessité de la grève générale interprofessionnelle » Ce positionnement ne peut pas être détaché du fait que l’École Émancipée est à l’heure actuelle la deuxième tête de la direction, participant à la « recherche de synthèse » et votant essentiellement les mêmes textes qu’Unité et Action (l’appui de l’École Émancipée est nécessaire pour adopter les textes du congrès, qui doivent statutairement réunir 70 % des votes des délégués).

La question de la recomposition syndicale

Ne remettant pas en cause son action dans son champ de syndicalisation, l’Éducation Nationale, le congrès de Perpignan a orienté ses discussions sur son rôle dans l’interprofessionnel, et en particulier sur sa faiblesse vis-à-vis des confédérations. La question de la place de la FSU dans la recomposition syndicale est récurrente dans la fédération. Ainsi, il avait été décidé au dernier congrès de La Rochelle de faire des « Comités de Liaisons Unitaires Interprofessionnels » ; le congrès de Perpignan reconnaît l’échec de ces structures, ainsi que des autres initiatives pour des cadres de discussion permanents entre bureaucraties syndicales, brisées en particulier lorsque la CFDT s’est rangée dès le départ derrière Fillon et sa contre-réforme des retraites. Il ne peut exister aucune perspective vers l’unification syndicale sans la présence des masses qui imposent leurs revendications.

La nouveauté du congrès de Perpignan est la décision de l’élargissement du champ de syndicalisation de la FSU, pour renforcer son poids dans les mouvements interprofessionnels ; le congrès se prononçant finalement à 84 % pour « l’élargissement de la FSU à l’ensemble des secteurs des fonctions publiques » (renforçant par là même la concurrence entre bureaucrates syndicaux). Cette décision va se traduire immédiatement par l’affiliation de nouveaux syndicats qui frappaient aux portes de la FSU, en particulier de syndicats de territoriaux ayant quitté la CFDT.

La direction reconnaît, par cette décision, son objectif d’imposer la représentativité de la FSU hors du champ de l’Éducation Nationale ; représentativité devant se traduire par la participation accrue de la FSU aux instances de collaboration avec le gouvernement : en effet, après avoir participé au Conseil d’Orientation des Retraites, puis à l’élaboration des décrets d’application de la loi Fillon, la direction de la FSU regrette d’avoir été exclue du dialogue direct avec le ministre pour le « renouveau du dialogue social » et du Haut-Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, et réclame sa participation à « l’observatoire des salaires des fonctionnaires », mis en place pour faire avaler la pilule du salaire au mérite.

Les conséquences de cet élargissement sur la force du mouvement syndical en France paraissent négatives. L’autonomie de la FSU, en tant que fédération de l’Éducation Nationale, vis-à-vis des confédérations, héritée de celle de la FEN qui avait ainsi sauvé son unité face à la division entre CGT et CGT-FO en 1948, est remise en question. Le choix de l’élargissement du champ de syndicalisation tranche la question en ouvrant la voie vers la création d’une nouvelle confédération, ce qui ne peut qu’affaiblir, en l’émiettant, le paysage syndical français.

Il est à noter que la LCR, par l’intermédiaire de la tendance École Émancipée, a été un des fers de lance sur la question de l’élargissement, faisant même la proposition, finalement rejetée, d’élargir la FSU à « l’ensemble des services publics et aux personnels remplissant des missions de service public ». S’agit-il par cette formule de s’adapter au concept de « Service d’Intérêt Général » (pourtant dénoncé aussi bien par la LCR que par la FSU), imposé par le projet de Constitution européenne et destiné à offrir les missions de service public aux appétits capitalistes ? La politique de la LCR dans la FSU, à travers la tendance École Émancipée, mêle à la fois les traits de l’opportunisme vis-à-vis de la direction et du gauchisme en avançant vers la constitution d’un prétendu « pôle de radicalité » (2) à l’échelle confédérale, autour d’une FSU élargie et du G10, hors des syndicats majoritaires. Cet « auto-isolement capitulard hors des syndicats de masse », selon la formule de Trotsky dans le Programme de transition, ne peut en aucun cas permettre aux travailleurs d’avancer vers la satisfaction de leurs revendications, mais seulement aux couches dirigeantes de la LCR d’affirmer et de renforcer leur place « gauche » au sein de la bureaucratie syndicale.

En ce qui concerne plus particulièrement l’élargissement vers la Fonction publique territoriale, on doit faire le rapprochement avec la manière dont la direction de la FSU a traité les revendications des personnels TOS sur la décentralisation. On se souvient que la direction de la FSU avait capitulé sur le transfert des TOS en juin 2003, prétextant des « avancées significatives » ; aujourd’hui, à l’heure où la loi permettant entre autres le transfert des personnels va être votée à l’Assemblée Nationale, la direction de la fédération refuse toute tentative pour s’y opposer. Au contraire, au cours des discussions sur le projet de loi, le ministre Devedjian a pu se prévaloir « d’une concertation avec les partenaires sociaux, et en particulier la FSU », pour l’élaboration du texte. La FSU de son côté juge positif « un corps d’accueil spécifique » pour les TOS en cas de transfert ; la décision de l’élargissement anticipe ainsi ce transfert que la direction de la FSU ne veut pas combattre, comme l’expriment les déclarations d’Aschieri dans Libération en août 2003 : « Avec la décentralisation, nous devons prendre pied dans la Fonction publique territoriale. »

Quelles perspectives ?

Face à la faiblesse réelle du mouvement syndical français aujourd’hui, l’objectif de l’unification syndicale, même s’il répond à l’objectif historique de l’unité organique de la classe ouvrière (au moins partiellement, les secteurs les plus exploités se trouvant toujours largement hors des syndicats), ne paraît pas être à l’ordre du jour (ni être une garantie pour la défense efficace des intérêts ouvriers, comme peut le montrer l’exemple de l’Allemagne).

Pour sa part, le Groupe CRI considère comme un devoir pour les révolutionnaires d’être, aux côtés des travailleurs dans les organisations où ils se regroupent majoritairement, les premiers combattants pour leurs revendications. Il se prononce pour la constitution d’une tendance intersyndicale au sein des syndicats ouvriers majoritaires de chaque entreprise ou de chaque secteur, et entend participer à sa construction dans la mesure de ses moyens, sur la ligne d’une opposition déterminée aux bureaucraties traîtres, contre toute forme de collaboration à la mise en place des attaques patronales et gouvernementales, pour aider les travailleurs à se diriger vers les actions appropriées pour imposer leurs revendications, y compris vers la grève générale, perspective centrale de la lutte politique contre la bourgeoisie et son gouvernement.


1) Lors des votes d’orientation préparatoires au congrès, la tendance Unité et Action a recueilli 71 % des suffrages exprimés, 17 % pour l’École Émancipée, et autour de 3 % pour chacune des tendances Pour la Reconquête d’un Syndicalisme Indépendant, Front Unique, et Émancipation

2) On apprend, dans Rouge du 12 février 2004, qu’il existe de « récentes formes de radicalité, que la FSU et les SUD ont su accompagner, sinon impulser ». En tout cas, force est de constater que, ce qui a surtout été « radical » « récemment », c’est la trahison de la grève enseignante par la FSU en juin 2003…