Article du CRI des Travailleurs n°14

Vénézuela : Défaite de l'impérialisme, victoire de Chavez... mais quelle politique révolutionnaire ?

La situation politique au Venezuela depuis l’arrivée au pouvoir de Chavez a donné lieu aux appréciations les plus variées. Les organisations altermondialistes comme ATTAC ainsi que la plupart des PC veulent voir en Chavez la preuve par la pratique qu’ « un autre monde est possible » ; la plupart des organisations officiellement « trotskystes », en réalité centristes-sclérosées, pensent (avec une infinie variété de nuances importantes) que la « révolution bolivarienne » va connaître comme un sorte de transcroissance interne, se transformer comme par magie de « révolution démocratique » en « révolution socialiste » ; les gauchistes penchent en général pour ne voir en Chavez qu’un simple représentant de la bourgeoisie vénézuelienne à renvoyer purement et simplement dos-à-dos avec ses adversaires également bourgeois... À l’opposé, la presse bourgeoise de « gauche » comme de « droite » dénonce en Chavez un aventurier populiste et autoritaire, tandis que la bourgeoisie vénézuelienne et américaine s’époumonent à fustiger le danger « castriste » et « communiste » qu’il représenterait... La diversité de ces jugements s’est reflétée dans la multiplicité des positions qui se sont exprimées à propos du référendum portant sur l’éventuelle révocation de Chavez. Avant donc d’en revenir au référendum lui-même et plus généralement aux possibilités ouvertes par les rapports de forces actuels, il faut d’abord percer l’apparent « mystère Chavez » (1).

La politique de Chavez : légende et réalité

Après son élection à la présidence de la République en 1998, Chavez a convoqué une Assemblée Nationale Constituante, dans laquelle ses partisans ont remporté 90  % des sièges, avec comme slogan électoral « tout le pouvoir au peuple ». La nouvelle Constitution prévoit que les entreprises s’occupant des matières premières ne peuvent pas être privatisées, ce qui concerne au premier chef la gigantesque société pétrolière, dont les titres sont détenus à 100 % par l’État vénézuelien ; elle reconnaît un certain nombre de droits aux peuples indigènes longtemps opprimés ; elle prévoit la possibilité de convoquer un référendum de révocation contre n’importe quel élu, à partir de la mi-mandat, à condition de réunir les signatures de la part de 20 % du corps électoral concerné... Mais, au delà de ces quelques dispositions en elles-mêmes relativement progressistes, quoique fort limitées, et au-delà des formules ronflantes, comme celles d’ « État de droit et de justice » et de « démocratie participative », la légendaire « Constitution bolivarienne » ne s’écarte sur rien d’essentiel des constitutions des autres démocraties bourgeoises : en particulier, elle fait de la propriété privée des moyens de production et de la libre entreprise des principes constitutionnels et elle laisse intacte la séparation entre le peuple et les forces de répression, police et armée, qui restent des corps spéciaux, chargés de faire appliquer le droit ordonné autour de la protection de la propriété privée et de l’État bourgeois.

Chavez ne manque pas une occasion dans ses causeries télévisées hebdomadaires de faire des rodomontades anti-impérialistes, dénonçant la guerre engagée par les États-Unis contre l’Irak, mais il rembourse la dette du Venezuela rubis sur l’ongle et applique en élève modèle toutes les recommandations du FMI. Il a partiellement poursuivi la politique de privatisation des entreprises d’État, vendant notamment la plus grande banque publique du Venezuela, la Banco Commercial, à la banque espagnole BBVA (Banco de Bilbao y Vizcaya), représentante du capital financier des impérialistes espagnols. Il a continué la politique de signature de contrats de sous-traitance pour certains secteurs de l’exploitation pétrolière avec de grandes compagnies impérialistes comme Total, Chevron-Texaco, YPF-Repsol, etc., qui représentent aujourd’hui, selon les estimations, environ 30 % de ce secteur d’activité (2). Il n’a bien évidemment pas touché aux domaines des grands propriétaires terriens qui, bien que représentant seulement 1 % des propriétaires agricoles, détiennent 90 % des terres arables. Même à la suite de la tentative de coup d’État organisée ouvertement par le grand patronat vénézuelien avec l’appui du gouvernement américain, Chavez n’a pas pris la moindre mesure de confiscation ou de réquisition des entreprises des responsables du complot, ni d’ailleurs contre les individus eux-mêmes. On le voit, pour Chavez, la défense de la propriété privée des moyens de production n’est pas resté un principe abstrait.

Depuis maintenant six ans qu’il est au pouvoir, Chavez a néanmoins fait un certain nombre de réformes certes limitées, mais dont certaines sont en elles-mêmes relativement progressistes. Il a doublé le budget de l’éducation, l’école publique est devenue gratuite et des « écoles et garderies bolivariennes » ont été ouvertes, qui permettent à tous les enfants d’avoir à manger matin, midi et soir et d’apprendre les notions élémentaires. Trois nouvelles universités ont été ouvertes, réservées en priorité à des enfants issus des milieux populaires. Un réseau d’épiceries d’État, qui vendent les denrées de base à prix coûtant, a été mis en place. Chavez a en outre accordé aux habitants des favelas la propriété du sol où ils avaient construit leur maison de fortune, engagé des mesures d’accession à la propriété agricole sur des terres appartenant à l’État sur une vaste échelle (130 000 familles concernées en 2003), fait passer une loi pour permettre aux petits pêcheurs de survivre en interdisant aux grandes compagnies de siéger à moins de 10 km des côtes, et enfin — suivant d’ailleurs en cela les recommandations explicites du FMI —, il a lancé une politique de « micro-crédits » pour stimuler la libre entreprise. Bref, il s’agit là d’une partie de son programme inspiré par une idéologie typiquement petite-bourgeoise, rêvant d’un « bon » capitalisme, où les « petits » ne soient pas écrasés (du moins pas trop !) par les « gros » (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Chavez a pour principale référence politique Simon Bolivar, dirigeant de la lutte de la bourgeoisie contre les puissances coloniales pour l’indépendance, c’est-à-dire qu’il se réfère à une période désormais définitivement révolue, caressant l’utopie d’un retour à ce mythique âge d’or). Plusieurs de ces mesures visent ainsi essentiellement à donner une assise sociale à son pouvoir en créant une petite-bourgeoisie, si elles peuvent contribuer sur le court terme à alléger un peu la misère dont souffrent les masses, sont d’une part économiquement réactionnaires et d’autre part engagent les Vénézuliens concernés dans une impasse, car, dans les conditions du capitalisme impérialiste, les petites entreprises et les petites exploitations agricoles sont vouées à la ruine.

On le voit, rien de révolutionnaire dans la politique du commandant suprême de la prétendue « révolution bolivarienne » et, si Chavez a pris quelques mesures anti-impérialistes, elles restent fort limitées. Mais comment expliquer alors l’hostilité farouche de la bourgeoisie impérialiste (en particulier américaine) et de la bourgeoisie vénézuelienne à son égard ?

Comment Chavez est-il arrivé au pouvoir ?

Pour percer le mystère de l’apparente contradiction entre sa politique bourgeoise (gestion du capitalisme) comprenant des mesures démocratiques et anti-impérialistes fort limitées, et la haine sans limite que semble lui vouer la bourgeoisie, il faut éclaircir les rapports de classes sur lesquels Chavez a établi son pouvoir.

Comme c’est le cas (à des degrés divers) dans tous les pays semi-coloniaux, le Venezuela n’a commencé à connaître un timide développement capitaliste que très tardivement, à une époque où la domination des pays impérialistes déjà établie sur le marché mondial rendait un tel développement particulièrement difficile, sinon tout à fait irréalisable. L’importance de la rente pétrolière n’y avait jusqu’ici rien changé. La bourgeoisie tenait bien en main l’État par l’intermédiaire de ses deux principaux partis, l’Alliance Démocratique (membre, comme le PS français, de l’Internationale « Socialiste ») et la COPEI (centre-droite), qui se sont partagé le pouvoir pendant 40 ans selon une « alternance » bien huilée. Depuis 1976, l’État est propriétaire à 100  % de la principale société pétrolière assurant la production, le raffinage, et l’exportation du pétrole, la PDVSA, mais la bourgeoisie s’est généreusement approprié l’essentiel du produit de la rente pétrolière en la distribuant entre ses différentes fractions… C’est pourquoi, malgré la manne pétrolière, la bourgeoisie vénézuelienne n’a pas été capable de développer de manière importante le pays, elle n’a pas su construire une véritable industrie et, malgré l’abondance de terres arables, il faut toujours importer une grande partie de la consommation alimentaire. Il en découle que la bourgeoisie vénézuelienne est à la fois extrêmement concentrée (on estime que 31 familles détiennent l’essentiel du capital du pays) et socialement très isolée — en conséquence de la faiblesse du développement économique et du parasitisme, elle ne représente, en comptant la moyenne et la petite bourgeoisie, qu’une fraction infime de la population : selon les statistiques officielles, 5,4  % pour la haute et moyenne bourgeoisie, 14,2 % pour la classe moyenne (tout le reste de la population se compose de petits paysans, d’ouvriers et de très nombreux lumpen-prolétaires — vivant de l’économie « informelle »). Il en résulte une faiblesse endémique de la bourgeoisie du pays, organiquement incapable de s’opposer aux volontés du capital impérialiste.

C’est pourquoi le Venezuela a été, dans les années 1980, l’un des premiers pays à appliquer les potions amères du FMI, plongeant en vingt ans la population dans une profonde pauvreté. Alors que, en 1975, la pauvreté affectait 30 % de la population et l’indigence (impossibilité de manger à sa faim) 15 %, ces proportions étaient respectivement de 70 % et 45 % en 1995. Dans le même temps, l’État, quoique toujours propriétaire de la PDVSA, voyait la part de la rente pétrolière lui revenant s’effondrer, passant de 74 % en 1976 à 23 % en 2000. Cette chute s’expliquait par la politique de la mince couche des administrateurs de la société pétrolière, dont l’activité échappait pour une part importante au contrôle du propriétaire en titre de la société, à savoir l’État vénézuelien. Outre les salaires mirifiques qu’ils s’attribuaient à eux-mêmes (jusqu’à 4 millions de dollars par an et 240 000 dollars en moyenne), les gratifications en tous genres et autres pots de vins, une bonne partie de la manne pétrolière est aujourd’hui captée par l’impérialisme et la bourgeoisie vénézuélienne qui y est associée, notamment par l’intermédiaire des multiple contrats de sous-traitances avec des compagnies impérialistes. De toute évidence, la bourgeoisie jouait un rôle toujours plus parasitaire. Ses liens avec le capital financier se sont considérablement renforcés : d’une part, la bourgeoisie vénézuelienne a acquis près de la moitié des bons émis par l’État pour financer sa dette extérieure et, d’autre part, des sociétés vénézueliennes participent directement à des sociétés américaines elles-mêmes liées au gouvernement américain, comme par exemple des sociétés « conseillant » le Département d’État (Ministère des Affaires Étrangères). La conjonction de ces deux facteurs a suscité la révolte des masses ouvrières, des lumpen-prolétaires et des petits paysans, plongés dans la misère, mais également un puissant mécontentement de nombreux soldats, sous-officiers et officiers subalternes de l’armée, souvent issus de milieux pauvres, instruits, patriotes et révoltés par ce gaspillage manifeste des richesses du pays. C’est ainsi que, en 1989, des centaines de milliers de travailleurs descendent dans les rues contre le gouvernement d’Andres Perez (Alliance Démocratique), qui veut faire appliquer un nouveau plan d’austérité. Face à l’ampleur des mobilisations et la nécessité pour la bourgeoisie d’y mettre très rapidement un terme, sous peine de voir sa domination mise en question, Perez (membre, rappelons-le, de l’Internationale « socialiste ») n’hésite pas : il envoie l’armée, et c’est un bain de sang : 3000 morts.

Trois ans plus tard, en 1992, Chavez, qui anime clandestinement depuis déjà près de dix ans un groupe politique dans l’armée, le MBR-200, organise un coup d’État contre Perez ; cette tentative échoue et il se retrouve en prison, mais cela lui vaut la sympathie des masses, qui subissent, sans pouvoir l’arrêter, la dictature « démocratique » de la bourgeoisie incarnée par Perez. Sorti de prison, Chavez se présente à l’élection présidentielle de 1998 : auréolé du prestige de son hostilité au régime, sachant par le moyen d’une rhétorique grandiloquente, faite de dénonciations de l’injustice et de la corruption et d’exaltation de la fibre patriotique, s’attirer les sympathies des masses et de larges secteurs de l’armée, il triomphe avec plus de 60 % des voix.

Un bonapartisme d’un type particulier

Le premier pilier du pouvoir de Chavez se trouve dans de larges secteurs de l’armée et de l’État dont il a pris le contrôle. En accédant au pouvoir, lui et ses partisans ont commencé à mettre la main sur le gigantesque pactole que représente l’industrie pétrolière, source aujourd’hui d’environ 30 % du PIB et de 80 % des exportations vénézueliennes, sans compter l’instrument que représente la possibilité d’attribuer les emplois de fonctionnaires dans un pays aussi pauvre que le Venezuela. En ce sens, ceux qui dirigent l’État, premier employeur « formel » au Venezuela, jouissent d’un poids économique considérable, presque comparable à celui de toute la bourgeoisie vénézuelienne réunie. Mais en réalité, Chavez et ses amis n’ont qu’en partie mis la main sur l’appareil d’État, car, quoique détenue à 100 % par l’État vénézuelien, la PDVSA reste une société anonyme gérée comme telle par une mince couche de 870 administrateurs, relativement indépendants du détenteur nominal des titres de propriétés, c’est-à-dire de l’État ; c’est ainsi qu’avant l’arrivée au pouvoir de Chavez, un président de la République qui s’était enquis de savoir où passait l’argent de la manne pétrolière, s’était vu aimablement répondre par le président de la société qu’il s’agissait là d’informations devant rester secrètes pour préserver l’entreprise face à ses concurrents... Cette indépendance n’est cependant que relative, puisque c’est le gouvernement qui nomme ces administrateurs et, étant donné leurs revenus, ceux qui y sont ont tout intérêt à être suffisamment bien vus pour y rester. Les administrateurs installés par les partis traditionnels de la bourgeoisie et liés aux grands groupes vénézueliens et aux compagnies impérialistes, ne pouvaient donc que se heurter au nouveau pouvoir : telle est la base matérielle la plus tangible du conflit entre d’un côté les hommes de Chavez et de l’autre l’impérialisme et la bourgeoisie, chassée ou du moins menacée d’être en partie chassée de la table où l’on se partage le butin de l’exploitation pétrolière. La bourgeoisie s’est également vue contrainte, pour la première fois depuis longtemps, de payer des impôts (fort modestes au demeurant) sur ses profits : Chavez avait besoin d’un peu d’argent pour financer ses programmes sociaux (aussi modestes soient-ils eux aussi). Mais cela ne saurait suffire à garantir son pouvoir. Dans un pays semi-colonial soumis aux pressions constantes des puissances impérialistes et peuplé à 75 % de prolétaires, lumpen-prolétaires et petits paysans, il est impossible de se maintenir durablement au pouvoir sans ou bien écraser et atomiser les masses exploitées et opprimées, ou bien obtenir leur soutien contre la bourgeoisie et contre l’impérialisme.

Cependant, Chavez, pour mener sa politique de renforcement des positions du Venezuela sur le marché mondial, était contraint d’affronter un minimum l’impérialisme. En particulier, pour améliorer les rentrées de l’État, il ne pouvait que se battre pour une politique de l’OPEP (Organisation des Pays Producteurs de Pétrole) plus conforme aux intérêts des pays producteurs, c’est-à-dire permettant de relever les cours de l’or noir. Évidemment, les États-Unis, qui consomment aujourd’hui 25 % du pétrole produit dans le monde et qui importent 13 % de leur consommation totale du Venezuela, ne pouvaient s’en réjouir, surtout dans un contexte où l’instabilité de la situation au Moyen-Orient rend toujours plus incertain l’approvisionnement des pays impérialistes. Chavez ne pouvait donc réaliser son programme de développement du pays, sans s’appuyer un minimum sur les masses. Or, il ne pouvait obtenir l’appui des ces dernières sans promettre et réaliser quelques réformes sociales minimales, allégeant un peu leur fardeau. Et, à nouveau, il ne pouvait faire effectivement ces réformes (aussi limitées soient-elles) sans mettre la bourgeoisie nationale et les entreprises impérialistes à contribution : il lui a ainsi fallu instaurer un impôt sur les profits des sociétés vénézueliennes (alors qu’elles avaient l’habitude d’être seulement arrosées de toutes sortes de subventions) et relever de 17 % à 30 % les taxes sur les sociétés étrangères. Une telle politique ne pouvait en retour que susciter l’hostilité aussi bien de l’impérialisme que de la bourgeoisie nationale. Il n’était donc pas envisageable d’affronter cette double hostilité sans organiser et mobiliser les masses dans une mesure suffisante pour faire contrepoids à l’impérialisme et à la bourgeoisie nationale. Tel est le deuxième pilier du pouvoir de Chavez.

Le gouvernement Chavez est donc un gouvernement bonapartiste d’un type particulier (3), trouvant son appui matériel dans l’appareil d’État et son appui politique dans les masses exploitées et opprimées, donnant l’impression, dans un contexte de relative égalité dans le rapport de forces entre l’impérialisme et la bourgeoisie d’un côté, et les masses de l’autre, de s’élever au-dessus de la société (des conflits de classes), tout en continuant de gérer loyalement le capitalisme.

Éveil de l’activité des masses et contrôle sur les masses

Or la nécessité pour un tel gouvernement de s’appuyer, pour ses propres intérêts, sur l’organisation, la mobilisation et le contrôle des masses, est précisément ce qui décuple la haine et la crainte de la bourgeoisie. En effet, la mobilisation du prolétariat, du lumpen-prolétariat et des petits paysans est lourde de menaces pour l’ordre bourgeois lui-même. Chavez a donc dû en appeler au peuple, lançant par exemple : « Organisez-vous, nous vous apporterons le soutien politique et économique ». Des cercles « bolivariens », des assemblées populaires et des conseils locaux de planification se sont multipliés dans les quartiers les plus pauvres, institutions que le pouvoir veut enfermer dans le cadre de la « démocratie participative », mais qui sont en même temps pour les masses autant d’occasions d’éveil à l’activité politique. De tout cela, il résulte une intense activité politique : on s’arrache les tracts et les journaux, dont les articles sont lus et relus, et lus par ceux qui savent lire à ceux qui ne savent pas... Si donc la bourgeoisie hait Chavez, ce n’est pas tant qu’elle craigne son pouvoir lui-même, mais plutôt les masses qu’il est contraint de mettre en mouvement pour mener sa politique. Car, avec l’éveil des masses surexploitées et opprimées, c’est le spectre de la révolution prolétarienne qui fait sa réapparition. Or, étant donné que l’Amérique Latine est depuis plusieurs années entrée dans un cycle de montée de la mobilisation des masses (en relation avec des facteurs semblables à ceux du Venezuela, mais à des degrés différents et combinés de façon différente), avec dans plusieurs pays des situations pré-révolutionnaires ou tendant à le devenir (Bolivie, Argentine, Équateur, Pérou et, à un degré moindre en raison en particulier du poids et du rôle du PT, au Brésil), si le Venezuela s’embrasait, c’est l’ensemble du continent sud-américain qui risquerait de s’embraser. En outre, une révolution prolétarienne victorieuse dans son arrière-cour et important fournisseur de pétrole aurait sans aucun doute des effets non négligeables de déstabilisation aux États-Unis mêmes, d’autant plus qu’une part toujours croissante du prolétariat le plus exploité de ce pays est composée de latinos. Voilà pourquoi si les principaux impérialistes européens n’ont pas hésité, pour défendre leurs propres intérêts, à s’opposer dans une certaine mesure à la guerre contre l’Irak voulue par les bourgeoisies américaine et britannique, ils se gardent bien d’apporter le moindre soutien sérieux au régime de Chavez, et invitent leur presse à répéter les affabulations des médias de la bourgeoisie vénézuelienne sur le danger « castro-communiste » et « autoritaire », reprises en cœur à Washington. Les conflits inter-impérialistes trouvent toujours leurs limites dans les intérêts communs de tous les impérialistes contre le prolétariat mondial...

Néanmoins, toutes ces structures d’organisation du peuple, nées soit à l’appel de Chavez et de sa Constitution « bolivarienne » glorifiant la « démocratie participative » chère à la Banque Mondiale, soit spontanément, jouent, tout autant qu’un rôle d’éveil des masses, celui d’un contrôle social sur elles, contrôle exercé par l’appareil d’État bonapartiste, qui les utilise à son profit contre la bourgeoisie nationale et contre l’impérialisme, tout en leur fixant les limites à ne pas dépasser : la propriété privée et l’État bourgeois. Chavez a regroupé ses amis dans un parti nommé le MVR (Mouvement pour la Ve République) (4). Ce parti a d’abord capté toutes sortes de personnages séduits par l’idéologie de Chavez ou attirés par le pouvoir après ses premiers succès, allant du centre droit aux déçus du trotskysme. Depuis l’arrivée au pouvoir de Chavez, le parti a largement recruté parmi les sympathisants de la politique et du discours du président, et compterait aujourd’hui 1 million de membres, ce qui est considérable pour un pays dont la population active s’élève à 14 millions. Il dispose à lui seul de la majorité à l’Assemblée Nationale avec 92 sièges sur 165. Il est davantage soudé autour de la personnalité de Chavez qu’autour d’un programme précis, et possède des structures relativement lâches. Il comporte, comme c’est toujours le cas dans ce type de situation, une aile « droite » et une aile « gauche », mais qui s’arrêtent l’une comme l’autre devant le fétiche de la propriété privée et de l’État bourgeois, reflétant ainsi parfaitement la nature même du « chavisme ».

La vérification par la lutte des rapports entre les classes : prolétariat, lumpen-prolétariat, petite paysannerie, bourgeoisie et gouvernement bonapartiste

a) Avril 2002 : les masses défont le coup d’État organisé par l’impérialisme et la bourgeoisie… mais Chavez laisse en paix les putschistes !

Dans ces conditions, l’impérialisme comme la bourgeoisie vénézuélienne estiment nécessaire de mettre au plus vite un terme au régime de Chavez, dans l’objectif de réinstaller, après une période de dictature militaire, une dictature « démocratique » muselant fermement les masses. Une première tentative sérieuse de coup d’État a été réalisée en 2002 par l’opposition dirigée par le patronat vénézuelien, appuyée par une campagne médiatique dénonçant les tentations dictatoriales de Chavez, avec des appuis significatifs dans les forces armées, le soutien matériel de la CIA et du gouvernement américain, qui est le seul au monde à avoir immédiatement reconnu le nouveau « gouvernement » dirigé par Pedro Carmona (le président de la Fedecamaras, le MEDEF vénézuelien). Les masses, un instant troublées par l’annonce dans tous les médias (détenus par les magnats qui dirigent l’opposition) de la prétendue démission de Chavez, sont ensuite sorties spontanément dans les rues de Caracas, encerclant le palais présidentiel et les casernes pour défaire par leur action directe le coup d’État, tandis que Chavez s’efforçait de négocier avec ses geôliers un quelconque compromis. La puissance de la mobilisation des masses et la loyauté de nombreuses unités de l’armée, ainsi que la passivité des autres, allaient avoir en quelques heures raison du coup d’État. Sous la pression du peuple, les soldats du rang, les officiers subalternes et une partie des officiers allaient arrêter les militaires putschistes. Chavez était remis en selle.

Les principaux responsables du coup d’État, tous connus, sont aujourd’hui aussi libres que n’importe quel citoyen. Au lieu de réagir au coup de force par des mesures d’épuration des corps de l’État, l’expropriation des grands groupes capitalistes et l’armement du peuple, Chavez a au contraire renvoyé les masses chez elles et décidé de laisser tranquillement les auteurs du coup d’État préparer le prochain. Il a même fait un certain nombre de concessions supplémentaires aux capitalistes vénézueliens et impérialistes, revenant sur une partie des nominations au conseil de gestion de la PDVSA, sur des mesures de réforme agraire et sur le montant des impôts sur les sociétés. Il s’agit là non d’une « erreur » ou de « naïveté », comme se l’imaginent certains, mais au contraire d’une politique délibérée, reposant sur une conscience aiguë qu’il ne peut maintenir son propre pouvoir sans préserver un équilibre fragile entre l’impérialisme et la bourgeoisie d’un côté, et les masses exploitées et opprimées de l’autre.

b) Décembre 2002-Janvier 2003 : les masses triomphent du lock-out patronal en faisant repartir elles-mêmes la production… mais Chavez organise le « retour à la normale »

Face à l’échec du coup d’État, l’opposition, toujours emmenée par les principaux représentants du patronat, suivis comme leur ombre par les dirigeants corrompus de la CTV (Confédération des Travailleurs Vénézueliens, jusqu’alors la principale centrale syndicale du pays), ont tenté de se débarrasser de Chavez par l’organisation d’un lock-out patronal, présenté de façon mensongère dans les médias vénézueliens et internationaux comme une grève générale contre Chavez. Le but était de le faire tomber en paralysant la principale source de richesse du pays et du gouvernement, la PDVSA. À la demande du patronat et des administrateurs de la société pétrolière, la majorité des ingénieurs et techniciens de celle-ci, bien payés, et sans lesquels la production, très moderne, ne peut fonctionner, ont cessé le travail tout en continuant de toucher leur salaire. Le patronat a fermé ses usines, renvoyant les ouvriers chez eux, quitte à leur payer là aussi leur salaire. Une partie des travailleurs, frappés de plein fouet par la pauvreté et la misère persistante, ont suivi les mots d’ordre de la CTV qui, tout syndicat jaune qu’il soit, continue d’avoir une influence réelle sur une partie des masses. Mais la majorité de la classe s’est dressée contre ce lock-out : ce sont les ouvriers eux-mêmes qui, s’organisant, avec l’aide des cadres et techniciens de PDVSA qui n’avaient pas suivi l’appel du patronat, ont peu à peu remis en marche sous leur contrôle l’industrie pétrolière. Le chroniqueur du New York Times, visitant une des principales raffineries du pays fin décembre 2002, constatait lui-même que la production avait largement repris, atteignant environ 70 % de son niveau normal, que moins de 20 % des employés manquaient à l’appel et que les autres se dépensaient sans compter pour faire tourner les machines. Il citait les paroles d’un jeune ouvrier de 19 ans : « Nous sommes plus fiers que jamais. Maintenant, nous avons montré à nos chefs que nous pouvons faire fonctionner cette usine sans eux » (New York Times, 29 décembre 2002), phrase tout aussi symptomatique de l’immense réserve d’énergie révolutionnaire des masses que de leurs illusions envers Chavez.

Le soutien sans faille de la CTV au lock-out patronal contre les travailleurs a conduit à la constitution d’un nouveau syndicat à l’échelle nationale, l’UNT, dans la direction duquel des courants se revendiquant du trotskysme ont une influence importante. Il est difficile d’estimer son implantation exacte, mais il s’agit sans aucun doute d’une organisation de masse. Si la constitution de cette nouvelle organisation constitue un progrès important pour le prolétariat vénézuelien qui commence à se doter de ses propres organisations, la ligne de soutien à peine critique à Chavez que semble avoir adoptée la majorité de sa direction nationale représente quant à elle un obstacle au processus de radicalisation et de conscientisation des masses.

Cependant, l’opposition, vaincue par l’activité révolutionnaire des masses remettant elles-mêmes l’économie en marche, avait à peine annoncé l’arrêt du lock-out, que Chavez faisait mettre un terme à l’expérience du contrôle ouvrier dans l’industrie pétrolière et rétablissait le fonctionnement normal de la compagnie, se bornant à licencier un certain nombre de cadres de l’entreprise parmi les plus en vue dans les opérations visant à bloquer la production pour faire tomber son gouvernement (5). Une nouvelle fois, Chavez révélait au grand jour sa véritable nature de Bonaparte, s’appuyant sur les épaules du prolétariat, du lumpen-prolétariat et de la paysannerie pour assurer son pouvoir contre la bourgeoisie, tout en leur tenant la bride pour continuer de gérer le capitalisme vénézuelien à sa façon.

L’imposition du référendum révocatoire du 15 août 2004 : une défaite pour les masses

S’appuyant sur la disposition de la Constitution qui prévoit la possibilité d’organiser un référendum révocatoire à partir de la mi-mandat, l’opposition, deux fois défaite, s’est alors lancée dans une campagne frénétique pour essayer d’obtenir par les urnes ce qu’elle n’avait réussi à obtenir ni par la force des armes, ni par le blocage de l’économie : les patrons ont multiplié les pressions sur leurs employés pour qu’ils signent, ont fait signer les morts encore inscrits sur les listes électorales, les médias n’ont cessé de susciter la peur parmi la petite bourgeoisie, dénonçant en Chavez la menace d’un tournant à la cubaine, etc. De son côté, Chavez donnait de la voix, affirmant que la révolution entrait dans sa phase « anti-impérialiste » et qu’il était nécessaire d’organiser sa « défense populaire », laissant imaginer à certains doux rêveurs (comme les militants vénézueliens lié au groupe français La Riposte) qu’il pourrait finalement se décider à armer le peuple. Encouragés par la rhétorique du président qui dénonçait la campagne de l’opposition pour un référendum révocatoire, et soucieux d’éviter le terrain électoral favorable à la bourgeoisie, mais défavorable aux masses, les militants d’avant-garde, notamment ceux de l’UNT, ont mené dans un premier temps une bataille acharnée contre la tenue du référendum, dénonçant le caractère frauduleux des signatures recueillies, soulignant que le terrain électoral favorise la bourgeoisie qui dispose des médias et expliquant que cette campagne était possible seulement parce que l’opposition n’avait pas été frappée à temps. Si dans un premier temps le CNE (Conseil National Électoral) avait déclaré que le nombre de signatures valables était inférieur à 20 % du corps électoral, suite aux pressions de l’impérialisme sur tous les gouvernements de la région pour qu’ils s’associent à la campagne anti-Chavez et suite aux pressions de la mission Carter (l’ancien président des États-Unis), Chavez a finalement décidé d’accepter la tenue d’un référendum, bien que l’opposition n’ait pas obtenu les signatures requises. Il a justifié son revirement en présentant ce choix comme une tactique semblable à celle employée par les révolutionnaires (bourgeois) vénézueliens contre l’impérialisme espagnol au milieu du XIXe siècle : refuser d’abord le combat pour attirer l’adversaire sur un terrain plus favorable et l’y écraser ensuite, comme ce fut le cas lors de la bataille dite de Santa Ines en 1811... En réalité, loin de garantir le moindre succès aux masses, cette concession de Chavez visait de sa part à la fois à persuader les impérialistes de sa bonne volonté et de sa modération, à détourner l’énergie révolutionnaire des masses dans un processus électoral de nature plébiscitaire et à se faire une nouvelle fois légitimer par l’onction du suffrage universel (soit la cinquième fois en six ans : élection présidentielle de 1998, élections à l’Assemblée Constituante en 1999, ratification de la Constitution par référendum en 1999, élection présidentielle de 2000).

Les résultats du référendum : défaite pour l’impérialisme, victoire pour Chavez

Les résultats du référendum sont une participation de 80 % et 58% de « non » (votes contre la destitution de Chavez). La majorité des ouvriers, les lumpen-prolétaires, les petits paysans ont fait la queue jusque tard dans la nuit pour pouvoir voter. À l’opposé, la bourgeoisie, les classes moyennes et la fraction des masses qui suit la CTV, laquelle dénonce la persistance de la pauvreté pour l’immense majorité, se sont également mobilisées. Au total, Chavez a augmenté de près de 2 millions le nombre de voix qu’il avait recueillies à la présidentielle de 2000. La signification immédiate de ces résultats, c’est à la fois une cinglante défaite pour l’impérialisme et la bourgeoisie vénézuélienne et une victoire pour Chavez, qui a une nouvelle fois réussi à canaliser l’énergie révolutionnaire des masses contre la bourgeoisie dans un soutien à son régime bonapartiste. Mais ces mêmes résultats manifestent la persistance d’une forte polarisation au sein de la société vénézuelienne, lourde d’affrontements à venir.

Pourquoi Washington est obligé de reconnaître la victoire de Chavez…

Après avoir annoncé dans un premier temps son refus de reconnaître les résultats du référendum, le gouvernement américain s’est finalement ravisé. Déjà, quelques jours avant le référendum, les « marchés » avaient fait savoir qu’ils ne verraient pas d’un mauvais œil la victoire de Chavez. Voilà en apparence un nouveau paradoxe : pourquoi la bourgeoisie américaine qui déteste tant Chavez a-t-elle été obligée de reconnaître assez rapidement les résultats du référendum, malgré la pression de l’opposition bourgeoise vénézuelienne ? Une fois de plus, cela ne peut se comprendre qu’en analysant la dialectique de la lutte de classes au Venezuela. Les résultats mêmes du référendum montrent qu’une défaite de Chavez n’aurait pas ouvert une ère paisible de restauration d’un gouvernement bourgeois traditionnel, mais aurait au contraire encore davantage aiguisé les conflits de classes, mettant le pays au bord de la guerre civile, situation pouvant ouvrir la voie à une révolution prolétarienne, comme à un renforcement du régime bonapartiste s’appuyant sur l’armée, car en l’absence de parti révolutionnaire de masse, et vu le prestige de Chavez, l’activité des masses risquerait fort d’être une nouvelle fois canalisée par le régime. Voilà une perspective qui ne pouvait qu’inquiéter la bourgeoisie américaine, au moment où elle a déjà de sérieuses difficultés à installer en Irak un gouvernement à sa botte reconnu par la population. À l’inverse, le maintien de Chavez au pouvoir est pour l’impérialisme, dans l’état actuel des choses, un moindre mal, car elle semble écarter, au moins à courte échéance, tout risque de dérapage en ce sens. Si Chavez inquiète parce qu’il s’appuie sur les masses, il devient pour l’impérialisme, dans la situation nouvelle qu’il a contribué à créer, un recours pour canaliser l’énergie révolutionnaire des masses dans le cadre du capitalisme. C’est d’ailleurs comme cela que les dirigeants chavistes se vendent à l’impérialisme. Dans une interview au quotidien argentin Pagina 12, le vice-président vénézuélien, José Vincente Rangel, explique que l’opposition n’a aucun candidat de remplacement et aucune base sociale pour gouverner : « Je vous dis aujourd’hui que vous ne pouvez pas contrôler ce pays. (…) Chavez est une digue contre les troubles sociaux et les marchés savent cela. Ils le savent parfaitement. Les marchés sont beaucoup plus intelligents que les observateurs politiques, parce qu’ils veulent à tout prix éviter les pertes. » (Cité par Bill Von Auken dans son article du World Socialiste Web Site — publication du comité international de la Quatrième Internationale — en date du 17 août 2004, sans donner la date de l’interview.)

Réaction bourgeoise ou révolution prolétarienne ?

Cela ne signifie pas cependant que la bourgeoisie vénézuelienne et l’impérialisme américain soient moins hostiles à Chavez et qu’elles aient renoncé à s’en débarrasser à plus ou moins brève échéance, selon l’évolution de la situation nationale et internationale. En effet, si la victoire de Chavez stabilise temporairement la situation au Venezuela, le fait qu’elle renforce son prestige auprès de tous les exploités et opprimés d’Amérique Latine contribue à déstabiliser un peu plus tous les gouvernements en place, qui justifient leur politique en expliquant qu’on ne peut pas faire autrement que d’appliquer entièrement ce qu’exige l’impérialisme, tels les gouvernements de Lula, de Toledo, de Kirchner, etc. ; or, comme nous l’avons vu, Chavez a pris une série de mesures qui représentent des remises en cause (limitées, encore une fois) des volontés de ce même impérialisme. La bourgeoisie vénézuelienne a quant à elle une vision particulièrement claire de la situation. Dans une interview donnée au quotidien vénézuélien El Nacional, l’ancien président Carlos Andres Perez (destitué en 1993 pour corruption) s’exprime on ne peut plus clairement : « Je travaille à la destitution de Chavez. Ce n’est que par la violence que nous pourrons le destituer. Nous n’avons pas d’autre possibilité. (…) Chavez doit crever comme un chien, car il le mérite. (…) Nous ne pouvons pas simplement nous débarrasser de Chavez et immédiatement introduire une démocratie. Nous allons avoir un besoin d’une période de transition de deux à trois ans, pour jeter les bases d’un État, dans lequel le droit et la loi règnent. (…) Une junte devra d’abord fermer le Parlement, la Cour Suprême, et toutes les institutions où les partisans de Chavez ont la majorité. » (Cité également par Bill Von Auken, ibid.) Voilà ce que pense la bourgeoisie vénézuelienne — comme l’américaine.

Il est d’ailleurs parfaitement clair que cet équilibre précaire ne durera pas éternellement. Ou bien les reculades successives de Chavez face à l’impérialisme, ayant fini d’épuiser l’énergie des masses, conduiront au renversement de son régime par la bourgeoisie, à l’instauration d’une dictature et à la reconstruction d’un régime de domination normal pour la bourgeoisie ; ou bien les masses, débordant du cadre étroit de la propriété privée dans lequel Chavez cherche à contenir leur mobilisation, s’ouvriront la voie de la révolution prolétarienne. De ce point de vue, il est évident que l’orientation des organisations se revendiquant du combat pour la révolution prolétarienne sera décisive.

Politique de pression de gauche sur le « bonapartisme chaviste »... ou politique marxiste révolutionnaire ?

a) Où mène la politique de pression à gauche sur Chavez ?

La plupart des organisations se revendiquant du trotkysme ont adopté comme orientation principale dans la question vénézuelienne une position d’aile gauche du chavisme, donnant des conseils et faisant pression sur Chavez pour qu’il aille plus loin qu’il ne le veut lui-même. Cette politique a beau se réclamer de Trotsky, elle est l’antithèse même de la politique préconisée par le fondateur de la IVe Internationale. Car, tout en indiquant que l’hypothèse que, dans des circonstances particulières, des partis petit-bourgeois ou staliniens puissent aller plus loin dans la rupture avec la bourgeoisie qu’il ne le veulent eux-mêmes, le « Programme de transition » rédigé par Trotsky affirme clairement que « les sections de la IVe Internationale doivent s'orienter de façon critique à chaque nouvelle étape et lancer les mots d'ordre qui appuient la tendance des ouvriers à une politique indépendante, approfondissent le caractère de classe de cette politique, détruisent les illusions réformistes et pacifiques, renforcent la liaison de l'avant-garde avec les masses et préparent la prise révolutionnaire du pouvoir ». La politique de critique et de pression à gauche sur Chavez n’est pas une politique trotskyste, mais la politique du réformisme, illustrée à maintes reprises par les organisations staliniennes. C’est une politique qui conduit tout droit à la défaite, c’est-à-dire à la victoire plus ou moins rapprochée de la réaction bourgeoise et à des années de dictature. Le prolétariat bolivien l’a appris dans sa chair : cette orientation appliquée par le puissant POR (Parti Ouvrier Révolutionnaire), alors section de la IVe Internationale en Bolivie, avec l’accord de la direction internationale Pablo-Mandel, cette politique de pression sur le MNR petit-bourgeois, puis de participation au gouvernement bourgeois constitué par le MNR, alors que les ouvriers organisés dans la COB (centrale syndicale issue de ces luttes) et leurs conseils dirigeaient de facto le pays, a conduit à l’échec l’un des plus puissants et des plus prometteurs soulèvements révolutionnaires de l’après-Seconde Guerre mondiale.

On ne s’étonnera pas que le prétendu « Secrétariat unifié » (SU) de la « IVe Internationale » et la LCR, sa section française, soient encore aujourd’hui les champions toutes catégories dans cette politique servile de trahison de la révolution. Edouard Diago, dans son article d’Inprecor, attribue ainsi les « limites » du chavisme essentiellement à « l’absence d’un projet stratégique ». Dans la dernière livraison de Rouge, le même Edouard Diago, énumérant les réformes de Chavez sans parler du reste, va encore plus loin, dénonçant ceux qui osent encore rester « sceptiques » : « Pourtant nombreux sont encore les sceptiques de la dynamique vénézuélienne, y compris chez les marxistes-révolutionnaires, qui reprochent l’absence de perspective socialiste. Lorsque les droits énoncés par la Constitution seront remplis, la perspective socialiste se sera singulièrement rapprochée. Il n’est donc pas question de sémantique, mais d’action politique. » Les masses vénézueliennes apprécieront que le SU et la LCR estiment que l’impunité des artisans du coup d’État, la protection des propriétaires fonciers et des capitalistes vénézueliens, les concessions récurrentes à l’impérialisme, le maintien de l’armée et de la police comme organes de défense de l’ensemble de ce régime bourgeois, ainsi que la persistance de la misère dans un pays aussi riche que le Venezuela, soient qualifiés de « question de sémantique ». En même temps, de la part d’une organisation qui a un ministre, Miguel Rossetto, dirigeant de DS (organisation sœur de la LCR au Brésil), dans le gouvernement Lula, qui applique lui-même sans sourciller toutes les exigences de l’impérialisme et de la bourgeoisie brésilienne, y compris les mesures de répression contre les paysans sans-terre qui occupent les grandes propriétés, cela ne saurait surprendre outre mesure. Mais, à ce stade, les militants du SU et de la LCR devraient tout de même sérieusement s’interroger sur l’orientation de leur organisation.

Le PT français et la prétendue « IVe Internationale » lambertiste ne sont évidemment pas en reste, puisqu’ils apportent un soutien a-critique à Chavez par l’intermédiaire de syndicalistes réformistes de leur « Entente Internationale des Travailleurs ». Dans un communiqué datant du 11 août, Daniel Gluckstein, repeignant la politique de Chavez aux couleurs de l’anti-impérialisme et de l’anti-capitalisme, explique : « Ils veulent chasser Chavez, le gouvernement légitime du Venezuela, porté au pouvoir par le peuple parce qu’il a refusé de privatiser la compagnie nationale du pétrole vénézuelien [on a vu ce qu’il en était en réalité], parce qu’il a osé utiliser l’argent du pétrole pour augmenter les salaires et pour consacrer plus de 2 milliards de dollars de ces revenus aux services et droits sociaux des travailleurs vénézueliens [sur combien de milliards de recettes pétrolières ?… 57 milliards !]. Ils veulent chasser Chavez parce qu’il a osé commencer la distribution des terres aux sans-terre vénézueliens » (Informations Ouvrières n° 654 du 18 août 2004). Gluckstein passe ainsi entièrement sous silence, comme son compère-adversaire de la LCR, que le régime en place continue de gérer le capitalisme, avec l’exploitation et les souffrances que cela continue d’engendrer pour les masses. Le PT est tout simplement à la remorque de Chavez lorsqu’il s’exclame : « Halte à l’ingérence nord-américaine au Venezuela ! (…) Souveraineté du peuple et de la nation vénézuelienne ! Le pétrole et la terre du Venezuela appartiennent au peuple vénézuelien ! » Reprenant la rhétorique petite-bourgeoise de conciliation des classes dans l’union nationale utilisée par Chavez, Daniel Gluckstein dissimule aux militants du PT que 90 % de la terre appartiennent à 1% des propriétaires fonciers, que le pétrole appartient non pas au peuple, mais à la clique qui gère l’État et à l’impérialisme, et que les richesses du Venezuela sont concentrées pour l’essentiel dans les mains de 31 familles, pendant que 75 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Ah qu’il est loin le « Programme de transition » de la Quatrième Internationale ! Les héritiers officiels de la lutte contre le « pablisme » ont visiblement un souvenir lointain du sens de ce combat, car là non plus, on ne trouve pas l’ombre d’une politique indépendante, d’une politique de classe. Les militants du CCI-PT devraient relire le programme de Trotsky et les leçons du combat contre le pablisme pour apprécier, avec le recul et l’esprit critique nécessaire aux révolutionnaires authentiques, la politique menée aujourd’hui par leur parti.

Quoique sous une forme nettement plus gauche, l’UIT (Unité Internationale des Travailleurs, organisation internationale du MST argentin, née de la crise du « morénisme » en Amérique latine) a mené, sous l’étiquette de syndicalistes membres ou proches de cette organisation au Venezuela, notamment des dirigeants de la nouvelle confédération UNT, une campagne internationale de soutien au « non » pour le référendum révocatoire. Mais non seulement cette organisation n’a pas formulé la moindre critique sérieuse contre Chavez et sa politique, mais encore elle a repris toute sa rhétorique trompeuse sur la prétendue nouvelle « bataille de Santa Ines » (bataille ayant permis l’accession du Venezuela à l’indépendance en 1811 !), recouvrant d’un vernis de gauche la prétendue « révolution bolivarienne » de Chavez, dont le régime est ainsi présenté comme n’étant plus un régime démocratique bourgeois, sans être pour autant un régime prolétarien. C’est ainsi que l’organisation politique vénézuelienne avec laquelle l’UIT semble entretenir des liens étroits, l’OIR (Organisation de Gauche Révolutionnaire) tenait au lendemain du référendum une position plus proche d’un soutien de gauche à Chavez que d’une politique de classe indépendante. Après avoir parlé des « spectaculaires conquêtes démocratiques et sociales acquises par les travailleurs et le peuple ces dernières années (élargissement des droits politiques, répartition de terres, crédits à bas prix…) », elle explique que « la révolution se poursuit » avant de s’interroger sur la continuité du paiement de la dette, la liaison de la politique pétrolière aux exigences des multinationales, la baisse du pouvoir d’achat et l’impunité des auteurs du coup d’État. Non seulement tout cela est formulé sous la forme de simples questions, non seulement il manque des mots d’ordre décisifs (cf. ci-dessous), mais surtout l’OIR remet à Chavez la charge de réaliser ses revendications, affirmant dans sa dernière phrase : « Si nous voulons parler véritablement d’approfondir le processus révolutionnaire, nous devons réclamer du gouvernement de Chavez que, s’appuyant sur cette immense énergie populaire, mise en évidence aujourd’hui, qu’il utilise le triomphe du NON pour faire face à tous ces problèmes ». Ce n’est évidemment pas une politique de classe indépendante que de renforcer les illusions des masses dans la volonté et la capacité de Chavez de réaliser une politique authentiquement anti-impérialiste. On ne saurait justifier une telle retenue au nom de la politique du front unique anti-impérialiste (FUA), car une telle retenue est contraire à une authentique politique de FUA, telle que recommandées par les « thèses d’Orient », adoptées par le IVe Congrès de l’Internationale Communiste (1922) : « Non moins nocive est la tentative de mettre à l’écart de la lutte pour les intérêts quotidiens et immédiats de la classe ouvrière au nom d’une ‘unification nationale’ ou d’une ‘paix sociale’ avec les démocrates bourgeois (…) De même que le mot d’ordre de front prolétarien unique a contribué et contribue encore en Occident à démasquer la trahison par les social-démocrates des intérêts du prolétariat, de même le mot d’ordre du front anti-impérialiste unique contribuera à démasquer les hésitations et les incertitudes des divers groupes du nationalisme bourgeois. » Certes, on ne saurait mettre la politique de l’UIT exactement sur le même plan que celle de la LCR et du CCI-PT, mais il est clair qu’il ne s’agit pas d’une politique révolutionnaire, mais d’une politique opportuniste, de pression à gauche sur Chavez.

b) Où mène le gauchisme renvoyant dos-à-dos les deux camps bourgeois ?

À l’extrême opposé, les camarades de la LOI (« Democracia Obrera ») (6) se bornent à renvoyer dos-à-dos les deux camps, celui de Chavez comme celui de son opposition, sous prétexte qu’ils sont et l’un et l’autre bourgeois. Ils en concluent qu’une organisation prolétarienne digne de ce nom ne pouvait ni appeler à voter « non » ni appeler à voter « oui », mais devait se borner à dénoncer le piège du référendum… S’il est tout à fait vrai que les deux camps en lutte sont bourgeois, il est en revanche absolument faux d’en déduire que le prolétariat doive être neutre. Le prolétariat ne s’intéresse pas simplement au « contenu de classe » des programmes en présence, mais également à la dynamique de la lutte de classe, pour s’efforcer d’y développer son intervention indépendante. Ignorer les conflits entre l’impérialisme et la bourgeoisie, d’un côté, et le régime bonapartiste de Chavez, de l’autre, ce n’est pas du marxisme, mais une caricature de marxisme — de même que, à l’opposé, farder Chavez d’un vernis de gauche sous prétexte de combattre l’impérialisme et la bourgeoisie, c’est de l’opportunisme. Une fois que la tenue du référendum était devenue inévitable en raison des rapports de force entre les classes (qui incluent bien sûr la conscience des masses et la politique des organisations d’avant-garde), il était nécessaire d’appeler à voter « non » au référendum, pour infliger une défaite à l’impérialisme, tout en profitant de l’agitation politique pour développer parallèlement une campagne en faveur de mots d’ordre spécifiquement prolétariens. Le prolétariat n’accorde en aucun cas de soutien politique aux bons bourgeois « progressistes » contre les « méchants » bourgeois dictatoriaux, mais il pratique l’unité d’action, y compris avec les partis petit-bourgeois lorsque ceux-ci s’engagent, fût-ce timidement, sur la voie de la lutte contre l’impérialisme, à la condition que, comme l’écrit Trotsky, « on lui [au mouvement ouvrier] reconnai[sse] cette importance autonome et [qu’] ’il conserve sa pleine indépendance politique que des accords temporaires avec la démocratie bourgeoise sont admissibles », avec les objectifs rappelés plus haut. Car le prolétariat s’efforce de créer les meilleures conditions pour développer sa propre lutte de classe, c’est-à-dire pour rassembler peu à peu toutes les masses exploitées et opprimées, y compris les masses non prolétariennes, derrière le drapeau de la révolution socialiste. De même, l’organisation communiste révolutionnaire ne se borne pas à prêcher dans l’abstrait aux masses les vertus du socialisme sans se plonger dans les luttes qui polarisent leur intérêt. L’orientation typiquement gauchiste — au sens léniniste du terme — consistant à refuser de prendre position pour le « non » au référendum ne peut que faciliter la tâche de Chavez et de ses amis en isolant les marxistes des masses.

c) Combattre pour le « non » au référendum et mettre en avant les mots d’ordre de transition vers le gouvernement ouvrier et paysan

Dans les deux dernières années, les masses exploitées et opprimés du Venezuela ont fait preuve d’une énergie révolutionnaire. Ce qui leur manque, ce n’est donc pas la spontanéité révolutionnaire, c’est un programme révolutionnaire leur permettant de s’orienter vers la prise du pouvoir. Cela revient à dire qu’il leur manque d’abord et avant tout un parti authentiquement marxiste. La tâche de l’heure pour les communistes révolutionnaires au Venezuela, c’est donc de mettre en avant des mots d’ordre de transition, permettant aux masses de se diriger toujours plus vers la conclusion qu’elles ne peuvent mettre un terme à leurs souffrances sans prendre elles-mêmes le pouvoir. L’incapacité de Chavez par sa politique nationaliste bourgeoise de satisfaire les demandes des exploités et des opprimés parce qu’il refuse de rompre avec l’impérialisme et la bourgeoisie, est un puissant facteur de radicalisation des masses, tout comme la menace du retour des politiciens honnis. La lutte contre la réaction bourgeoise et les risques d’une nouvelle tentative de coup d’État doivent être pour les marxistes l’occasion de mettre en avant le mot d’ordre de développement et de centralisation des organismes d’auto-organisation des masses vénézuliennes, l’exigence de l’armement généralisé du peuple sous la direction de milices prolétariennes, comme seule véritable garantie contre un nouveau putsch. Ne pas mettre en avant ce mot d’ordre est absolument criminel, car c’est préparer l’écrasement des masses soit par la réaction bourgeoise directe, soit par la clique bonapartiste de Chavez. Corrélativement, les marxistes s’efforcent de développer leur propagande et agitation dans l’armée, d’organiser des comités de soldats, de les lier aux organes d’auto-organisation des masses. Contre la propagande diffusée continuellement par les médias aux mains des 31 familles, les marxistes exigent l’expropriation de ces moyens de communication et leur mise à disposition des travailleurs et des masses organisées. Face à l’incroyable parasitisme de la bureaucratie qui dirige l’État, les marxistes doivent mettre en avant l’exigence d’expulsion des administrateurs corrompus de la PDVSA, l’instauration du contrôle ouvrier et la publicité des comptes de l’entreprise, afin que la rente pétrolière serve au développement de l’économie, et non à nourrir quelques centaines de parasites. Ils avancent également le mot d’ordre du contrôle ouvrier pour tout autre secteur important de l’économie nationale. Face à ce scandale que le Venezuela doive importer une large part de sa consommation alimentaire et qu’en outre de très nombreuses familles n’aient toujours pas à manger à leur faim, l’organisation marxiste exige l’expropriation des grands propriétaires terriens au profit de l’État et la culture des grands domaines sous contrôle des paysans avec du matériel moderne et la mise en culture des terres encore laissées en jachère. Ils doivent proposer aux paysans de travailler sur ces grands domaines nationalisés sous leur propre contrôle, en faisant tout leur possible pour les convaincre que c’est la solution la plus rationnelle pour nourrir le peuple, grâce aux instruments agricoles modernes ; en même temps, pour réaliser l’union indéfectible des paysans avec le prolétariat, ils reconnaissent le droit pour les petits paysans et les paysans sans-terre spoliés, pillés et exploités par les grands propriétaires depuis plusieurs générations, d’obtenir s’ils le souhaitent une terre à titre privé, pour nourrir leur famille (alors que Chavez refuse quant à lui de réaliser une véritable réforme agraire, capitulant dans la pratique devant les grands propriétaires fonciers, tout en flattant idéologiquement les préjugés des petits paysans qui aspirent à la propriété privée).

À ces principales revendications doivent venir, selon le moment de la lutte, s’en ajouter d’autres. Mais, en tout état de cause, les communistes révolutionnaires internationalistes expliquent sans relâche aux masses qu’elles ne sauraient en aucun cas compter sur Chavez pour réaliser ce programme, c’est-à-dire que seuls les travailleurs eux-mêmes, entraînant à leur suite les masses opprimées des villes et des campagnes, peuvent résoudre les problèmes auxquels le Venezuela est confronté, par la conquête du pouvoir. Ces revendications sont en effet liées indissolublement à la perspective d’un gouvernement des travailleurs et de la paysannerie, seul à même de réaliser un plan de développement économique efficace, en s’appuyant sur le soutien des prolétaires et des peuples des autres pays du continent. Cette orientation est donc indissolublement liée à l’orientation vers les États-Unis socialistes d’Amérique Latine.

L’orientation développée ici est proche de celle proposée aussi bien par le CC-POR (section argentine de la TCI) que par la FTSI (PTS en Argentine), deux organisations avec lesquelles le Groupe CRI est en discussion. Néanmoins, on reprochera au CC-POR de tendre à transformer le Front Unique Anti-impérialiste d’une simple tactique (très importante) en une stratégie, en donnant une importance insuffisante aux revendications proprement ouvrières ou en tendant à les enfermer dans un cadre strictement anti-impérialiste. Mais, à l’opposé de tous les opportunistes, le CC-POR met correctement en pratique l’orientation du FUA, sans jamais farder Chavez, mais en indiquant comment le démasquer. On peut mesurer toute la différence avec les diverses variétés de l’opportunisme dans les mots d’ordre et la perspective mis en avant : « Le meilleur chemin pour affronter la capitulation et la trahison du nationalisme bourgeois est la construction d’un Front Unique Anti-impérialiste qui mette au premier plan l’unité de tous les exploités sur la base d’un programme anti-impérialiste de gouvernement et développe les méthodes de mobilisation et d’action directe. La concrétisation de cette politique et de ce programme est lié au rôle directeur que la classe ouvrière et son parti (qu’il est nécessaire de construire) doivent assumer en luttant pour un gouvernement ouvrier et paysan sur le chemin des États-Unis socialistes d’Amérique Latine » (Masas n° 165, juillet 2002). — De son côté, la FTSI présente une analyse juste de la situation et dénonce correctement ceux qui capitulent devant le chavisme en le soutenant politiquement, mais il manque à ses articles d’expliquer en quoi doit consister pratiquement la politique indépendante du prolétariat qu’il préconise, donnant l’impression qu’il s’agit plus de commentaires extérieurs à la situation que d’analyses visant à permettre une intervention politique communiste révolutionnaire internationaliste sur la base d’un programme de transition clair et adapté à la conscience des masses. — Et surtout, dans les deux cas (TCI et FTSI), il manque le mot d’ordre essentiel de l’armement du prolétariat et du peuple vénézueliens, sans lequel ils seront inévitablement défaits.


1) Cette contribution doit beaucoup à l’excellent article de Roberto Ramirez dans Socialismo o Barbarie n° 16 (revue théorique du MAS, l’un des nombreux partis argentins issus de la crise du morénisme) de mars 2004. Il puise également à de nombreuses autres sources, entre autres : l’article d’Edouard Diago dans Inprecor (revue théorique du Secrétariat Unifié dit de la « IVe Internationale ») n° 483 de juillet 2003 ainsi que son article dans Rouge n° 2076 (hebdomadaire de la LCR, section française du Secrétariat Unifié) ; deux articles du World Socialiste Web Site (publication du « Comité International de la Quatrième Internationale »), celui de Bill Von Auken en date du 17 août 2004 et celui de Patrick Martin du 20 janvier 2003 ; divers articles de La Verdad Obrera, journal du PTS, section argentine de la FTQI (Fraction Trotskyste pour la Quatrième Internationale) ; la série d’articles publiés dans Masas (n° 163, 165, 170, 178, 181, 182), journal du Comité pour la Construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire, section argentine de la TCI (Tendance Quatrième Internationaliste) ; le projet d’article pour le BIOI n° 6 que nous ont envoyé les camarades de la LOI (Democracia Obrera), section argentine de la FTI-CI (Fraction Trotskyste Internationale-Quatrième Internationale) ; enfin diverses sources bourgeoises pour les statistiques.

2) Ceux qui douteraient de l’exactitude de ces informations peuvent aller consulter le site parfaitement documenté sur ce point de l’Energy Information Administration, Official Energy Statistics of the U.S. Governement : http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/venez.html.

3) Trotsky parlait à propos de ce type particulier de bonapartisme, dont il avait théorisé la possibilité à partir de l’expérience du gouvernement de Cardenas au Mexique (1934-1940), de « bonapartisme sui generis ».

4) La IVe République vénézuelienne était née d’un pacte entre les deux principaux partis de la bourgeoisie, Action Démocratique et COPEI, scellé à Punto Fijo. Chavez a fait de la dénonciation de cette République corrompue et livrée à l’impérialisme américain un des thèmes constants de ses dénonciations.

5) Sur ce point, les sources divergent. Certains parlent du licenciement de 15 000 employés de PDVSA (par exemple, l’article de Socialismo o Barbarie) tandis que d’autres évoquent le chiffre d’un millier.

6) D’après le projet d’article pour le BIOI n° 6 envoyé aux organisations préparant une conférence internationale pour janvier 2005.