Article du CRI des Travailleurs n°14

La situation après les nouvelles défaites de juin-juillet, et que faire ?

Bilan du printemps 2004 : de nouvelles défaites majeures pour les travailleurs

La situation en France est marquée avant tout par les nouvelles défaites majeures subies par les travailleurs au printemps : réforme de la Sécurité sociale, changement de statut d’EDF-GDF, décentralisation. Nous ne reviendrons pas ici sur la responsabilité centrale de la gauche plurielle et des principaux dirigeants syndicaux, qui en font partie (Thibault, Mailly, Aschieri, etc.) : nous avons constamment dénoncé dans ces colonnes et dans nos tracts comment ils avaient co-élaboré ces contre-réformes avec le gouvernement, avant de tout faire pour briser les débuts de mobilisation, avec leur tactique éculée de journées d’actions dispersées et sans lendemain, leurs « négociations » et leur panoplie d’ « actions » diverses dont l’objectif était d’empêcher la seule solution efficace : la grève jusqu’à la victoire.

Cette fois, toutes ces nouvelles trahisons ont aisément abouti, sans rencontrer de résistance majeure de la part des salariés. Il se confirme ainsi que la partie principale s’est jouée un an auparavant, en mai-juin 2003, avec la liquidation de la montée vers la grève générale par les bureaucrates syndicaux de la CGT, de FO et de la FSU : à l’époque, le Groupe CRI avait fait partie des très rares organisations à analyser lucidement la situation, en caractérisant le bilan de la mobilisation comme ce qu’il était : une défaite majeure pour les travailleurs. Pendant ce temps-là, les dirigeants syndicaux, mais aussi les principales forces d’extrême gauche, refusaient de parler de défaite et nous promettaient que « ça repartirait » à la rentrée suivante… Puis, toute l’année, nous avons expliqué que cette défaite terrible pesait fortement sur la conscience des travailleurs, donnant toute latitude au gouvernement pour préparer ses contre-réformes avec la collaboration éhontée des dirigeants syndicaux. Même lorsqu’il y a eu de timides « appels » à la « mobilisation » dans certains secteurs vers février-mars 2004, nous avons attiré l’attention sur le caractère fondamentalement manipulateur de ces initiatives qui, à la veille des élections régionales, avaient comme seul objectif de redorer le blason d’une gauche plurielle dont la campagne était pour le moins hésitante et timorée, menaçant de lui faire perdre les élections malgré l’opportunité que lui offrait le mécontentement populaire. Enfin, dès le lendemain de la victoire électorale très relative de la gauche plurielle, nous avons dénoncé le refus de ses dirigeants et des bureaucrates syndicaux de profiter de la sanction infligée au gouvernement pour engager un combat décisif contre lui… et d’entrer au contraire dans une cohabitation d’un nouveau type (l’UMP à la tête de l’État, le PS et ses alliés aux commandes des régions et appliquant la décentralisation en réclamant plus d’autonomie des régions et plus d’argent de l’État pour cela…). C’est ce feu vert, et lui seul, qui a permis au gouvernement, rassuré par l’attitude de la soi-disant opposition, d’annoncer tranquillement ses contre-réformes. Dès lors, malgré tous les efforts des militants d’avant-garde, les jeux étaient faits, la perspective d’une riposte, notamment chez les électriciens et gaziers, restant grevée par le pessimisme bien compréhensible de la masse des travailleurs défaits et trahis un an auparavant (1).

L’offensive du patronat

C’est ce contexte social désastreux qui permet aujourd’hui au MEDEF d’être en position de force et de passer à l’offensive non plus seulement au niveau des grandes contre-réformes structurelles, mais sur les lieux de travail eux-mêmes. Les médias, la gauche plurielle et les directions syndicales voudraient nous faire croire qu’il y aurait une attaque du patronat contre les lois Aubry, présentées comme un grand acquis social des travailleurs (les cris d’orfraie entendus à la récente université du PS étant à cet égard vraiment cocasses tant ils sont hypocrites). Il ne s’agit en réalité pas de cela : en contrepartie d’une baisse du temps de travail à 35 heures par semaine en moyenne, ces lois de la gauche plurielle, qui n’ont pas permis la création de nombreux emplois, constituent surtout un formidable acquis pour le grand patronat, car elles lui ont offert le cadre juridique lui permettant de généraliser la flexibilité, l’annualisation du temps de travail, la « modération salariale », la suppression d’une grande partie des heures supplémentaires naguère majorées et l’atomisation des garanties par la généralisation des accords d’entreprise. C’est pourquoi elles avaient entraîné une importante vague de grèves dans certains secteurs et dans de nombreuses usines — aboutissant à des accords qui, dans bien des cas, limitaient les dégâts. Il ne s’agit donc nullement, pour le MEDEF, d’exiger l’abrogation des lois Aubry en tant que telles : le grand patronat en a, tout au contraire, tiré un grand bénéfice, grâce à une augmentation très importante de la productivité (la réduction du temps de travail n’a en fait porté préjudice qu’à de petites entreprises qui étaient ou auraient été de toute façon en difficulté, malgré les aides qu’elles ont souvent reçues du gouvernement).

Simplement, la hausse de la productivité ne suffit pas : même si la France fait aujourd’hui partie des pays où celle-ci est la plus élevée du monde, les difficultés économiques dont argue le patronat sont réelles, tant la concurrence capitaliste s’aiguise à l’échelle de la planète avec la déréglementation généralisée des marchés, surtout en cette période d’accélération de la croissance dans toutes les zones économiques développées et semi-développées du monde, mais en Europe et en France bien moins qu’ailleurs. Contrairement à ce qu’on lit dans la presse réformiste et centriste, ce n’est donc pas seulement pour faire « encore davantage de profit » que le patronat français passe à l’offensive, mais c’est avant tout parce qu’il n’a pas le choix : il est indéniable que le « coût du travail » est trop élevé en France, eu égard aux besoins de la concurrence capitaliste mondiale — car en fait la valeur de la force de travail intègre le coût des acquis sociaux encore importants qui subsistent. Le marxisme de base enseigne que les patrons ne sont pas des « méchants » qui « désirent » exploiter les ouvriers, mais les « masques humains » que revêt la logique même du système capitaliste (2). Lors donc qu’ils font du chantage aux travailleurs en les menaçant de délocaliser s’ils n’acceptent pas une baisse de salaire ou une augmentation de la durée du travail (ou les deux, comme à l’usine Ronzat de Châlons-en Champagne), cela correspond le plus souvent à la situation réelle de leur branche d’activité, quand bien même ils feraient déjà des profits. Car, dans le mode de production capitaliste, il ne suffit pas qu’une entreprise fasse des profits pour qu’elle soit viable, il faut encore que son taux de profit ne soit pas inférieur au taux de profit moyen de ses concurrentes, sous peine de grever l’accumulation du capital, c’est-à-dire les investissements de demain. C’est ce qu’explique le directeur des ressources humaines de Bosch-France, Luc Hervé, dans Le Progrès de Lyon du 20 juillet : « Bosch fait des bénéfices, dit-il, mais pas suffisamment. Il gère ses activités dans la durée. Avec deux grands objectifs : pouvoir financer les énormes dépenses de recherche et développement, se développer. Pour cela, il faut des résultats. Vous savez, la République tchèque était beaucoup plus juteuse pour le groupe. » Ce porte-parole du patronat ne fait qu’exprimer ici en termes clairs la réalité inévitable du mode de production capitaliste, qui n’est pas réformable (3).

Aujourd’hui, pour le patronat français — comme d’ailleurs pour les patronats belge ou allemand, par exemple —, il ne s’agit donc plus seulement d’augmenter la productivité, source de plus-value relative ; mais il est urgent — et politiquement opportun, pour les raisons que nous avons vues — d’augmenter en outre le temps de travail lui-même, c’est-à-dire la plus-value absolue. C’est ce qui explique la multiplication des pressions, relayées par les syndicats jaunes, pour accroître la durée du travail — avec ou sans compensation salariale —, comme récemment dans la métallurgie (chez Bosch à Vénissieux en France, chez Daimler-Chrysler en Allemagne ou dans l’entreprise sidérurgique liégeoise Marichal Ketin en Belgique). C’est ce qui explique aussi les pressions du MEDEF non pas pour abroger les lois Aubry, mais pour les « assouplir », c’est-à-dire pour maintenir leur cadre de déréglementation, de flexibilité et d’accords entreprise par entreprise — sans oublier les exonérations afférentes —, tout en augmentant la quantité globale de travail pour faire face aux impératifs de la croissance économique sans embaucher.

Que signifie le conflit Chirac-Sarkozy ?

C’est bien évidemment à la lumière de cette situation sociale générale qu’il faut examiner la signification réelle du conflit Chirac-Sarkozy. Il serait erroné, en effet, de ne voir là qu’un conflit de personnes et un feuilleton médiatique destiné à amuser la galerie : en réalité, même les bouffonneries des uns et des autres ne sont que l’expression d’un vrai problème politique qui se pose aujourd’hui aux représentants de la bourgeoisie. Il ne s’agit évidemment pas de parler d’une « crise » dans le gouvernement, comme le font tant d’organisations et de groupes d’extrême gauche (en général, il suffit d’ailleurs d’examiner leurs publications depuis trente ans pour constater que cette caractérisation est une constante de leur « analyse » soi-disant marxiste ! (4)). En revanche, il est vrai que la bourgeoisie française hésite entre deux voies pour poursuivre sa politique jusqu’en 2007 avec un parti de gouvernement qui a été sévèrement sanctionné aux dernières consultations électorales et qui ne dispose pas d’une large assise sociale dans la population. En gros, on peut considérer que la voie préconisée par Sarkozy est celle qui veut exploiter à fond la succession de défaites majeures qui ont été infligées aux travailleurs pour aller rapidement jusqu’au bout des contre-réformes ; c’est la voie du libéralisme pur et dur, celle du MEDEF et de la nouvelle commission de Bruxelles mise en place en juillet et présidée par Barroso, dont l’objectif est d’accélérer la libéralisation en battant en brèche les pressions de Paris et de Berlin sur les choix de l’Union européenne (5). Les partisans de cette ligne dure — qui se multiplient à la tête de l’UMP, à commencer par des personnages aussi importants que Gaudin, Madelin ou Bachelot — reprochent au gouvernement d’aller trop lentement et de n’avoir pas vraiment rompu, quant à la méthode, avec l’orientation de la gauche plurielle — point sur lequel on ne saurait leur donner tout à fait tort…

De fait, la ligne de Chirac-Raffarin est au contraire, pour le moment, de poursuivre bien sûr les contre-réformes, mais au rythme que permettra le maintien coûte que coûte de la collaboration de la gauche plurielle et des bureaucrates syndicaux — ce qui suppose évidemment d’être plus précautionneux dans la manière de mener les attaques, en n’engageant, l’une après l’autre, que les mesures qui auront reçu au préalable l’aval explicite ou tacite des « partenaires sociaux ». Cette méthode, qui tient compte de la faiblesse sociale du gouvernement, constitue toute sa force politique jusqu’à présent : elle a indéniablement fait ses preuves depuis le début du quinquennat et elle a déjà permis des victoires majeures (retraites, formation professionnelle, union sacrée contre le voile islamique à l’école, Sécurité sociale, changements de statut et privatisations, décentralisation…). La promotion estivale de Borloo comme figure sociale du gouvernement face à Sarkozy n’a pas d’autre signification. C’est ce que montre expressément, notamment, la déclaration qu’il a faite au sujet du maintien de la décision de relever le SMIC en juillet 2005 (alors que Sarkozy préconisait de la reporter à 2006, au mépris de la parole donnée par le gouvernement) : « Il serait regrettable, a déclaré Borloo, de rompre la confiance des partenaires dans la parole de l’État. Les partenaires sociaux, et notamment la génération actuelle des dirigeants syndicaux, me semblent très conscients des mutations de la société française. Je ne doute pas qu’ils avanceront des propositions ou contre-propositions de qualité. Entre la confrontation et la signature, il existe, à mon avis, un espace créateur de droit, vivace et bien réel. » Cet hommage aux bureaucrates syndicaux qui ont si bien travaillé pour le gouvernement depuis deux ans est aussi un appel à la poursuite de la même méthode. C’est à cette aune qu’il faut mesurer notamment les récentes garanties données aux dirigeants syndicaux de ne pas toucher aux lois Aubry, ou encore l’annonce à grand fracas médiatique du « plan de cohésion sociale » de Borloo (sur ce point, cf. l’article de Laura Fonteyn ci-dessous). Seulement, il n’est pas sûr non plus que cela soit possible indéfiniment. Tout dépend, en dernière analyse, de la capacité de la gauche plurielle et des bureaucrates syndicaux à maintenir leur cadenassage et leur sabotage systématiques de la lutte de classe. Or, leurs succès jusqu’à présent ne suffisent pas à garantir que le dispositif tiendra jusqu’en 2007, tant le gouvernement est discrédité aux yeux d’une grande majorité de travailleurs…

Que faire ?

En ces temps difficiles pour la lutte de classe, il n’y a pas de perspective politique immédiate. — Sur le terrain dit « social », il n’y a aucune lutte majeure en vue dans l’état actuel des choses ; cela ne veut pas dire qu’il ne puisse pas y en avoir dans tel ou tel secteur au cours de la prochaine période, en réaction aux attaques du gouvernement, qui vont évidemment se poursuivre ; mais il serait vain de se perdre en conjectures sur ce point, et cela ferait passer à côté du fait majeur : les défaites successives infligées aux travailleurs et, sur cette base, le passage à l’offensive du patronat, constituent le trait majeur de la situation objective. En vérité, la tâche prioritaire est d’expliquer aux travailleurs conscients les causes qui ont mené à celle-ci, et d’en discuter patiemment avec eux pour les amener à rompre jusqu’au bout avec les différentes composantes de la gauche plurielle et les bureaucrates syndicaux, en acquérant une conscience communiste révolutionnaire. — De ce point de vue, l’heure est à un large rassemblement politique de l’avant-garde ouvrière et jeune, sous la forme de réunions ouvertes que les militants du Groupe CRI, à leur échelle, vont organiser autour d’eux, tout en participant à celles qui sont ou seront convoquées par d’autres, dès lors qu’elles contribuent à la recherche d’une issue politique pour les travailleurs et la jeunesse.

Sur le terrain plus immédiatement politique, il n’y a pas davantage d’échéance en vue qui offre l’occasion immédiate d’infliger une défaite au gouvernement, avant le référendum sur la Constitution européenne, qui aura lieu au début de l’an prochain. Sur ce point, le Groupe CRI fera campagne pour le « non », sur la ligne que nous avons développée en analysant longuement le projet de Giscard dans Le CRI des travailleurs n°8 d’octobre 2003, où nous avions montré que, pour les bourgeoisies d’Europe, la construction de l’UE en tant qu’instrument étatique supranational permet à la fois de faciliter juridiquement et politiquement le combat contre les acquis des travailleurs et à constituer un pôle impérialiste rival des États-Unis d’un point de vue économique et, à terme, d’un point de vue géopolitique (selon l’orientation de l’axe franco-allemand). — Là encore, l’heure est à la discussion la plus large avec les travailleurs d’avant-garde, les militants d’extrême gauche, les groupes qui se réclament de la révolution et du socialisme, pour envisager une campagne commune en direction des travailleurs et de la jeunesse. Une telle campagne pour le « non » devrait avoir comme axes principaux : 1) infliger une défaite aux bourgeoisies européennes en sabotant la construction de leur instrument étatique impérialiste supranational ; 2) infliger par là même une défaite à la bourgeoisie française et à ses représentants directs de l’UMP, de l’UDF, du PS et des Verts ; 3) défendre, contre les États bourgeois et leurs structures internationales, la perspective historique des États-Unis socialistes d’Europe.

Plus largement, comme il l’a toujours fait depuis qu’il existe publiquement et de manière autonome (février 2003), le Groupe CRI poursuit sa recherche de liens avec d’autres groupes communistes révolutionnaires internationalistes, en France et dans les autres pays, afin d’engager ou de poursuivre les discussions de fond — incluant les polémiques quand il le faut — sur l’analyse de la situation, le programme révolutionnaire, la stratégie et la tactique adéquates à la période et, indissociablement, la construction d’une véritable organisation centralisée et démocratique capable d’intervenir, même à une échelle modeste, dans la lutte de classe. Lecteurs, contactez-nous !


1) Il n’y a que les bureaucrates et leurs flancs-gardes d’extrême gauche pour cacher encore aux travailleurs l’ampleur de leurs défaites. C’est ainsi que, selon la direction de la CGT, « il convient de conforter l’idée que les mobilisations effectuées depuis le début de l’année sont loin d’avoir été vaines. Si elles n’ont pas réussi à empêcher les projets de passer, elles en ont affecté la portée. » C’est tout juste si l’on n’en vient pas à parler de victoire : sur l’Assurance maladie, nous dit-on, « c’est une régression beaucoup pus importante qui était visée »... et qui aurait été évitée grâce au… « million de signatures recueillies sur notre pétition nationale » ! D’ailleurs, il paraît que ce dossier de l’Assurance maladie « n’est pas clos » ! Quant au changement de statut d’EDF-GDF, il passerait presque pour quantité négligeable à côté de ce que les salariés ont obtenu grâce à la CGT : « En tant qu’usagers, on ne peut pas sous-estimer le fait que la loi limite la portée de la privatisation à l’ouverture d’une part minoritaire de 30 % du capital et que le Conseil constitutionnel rappelle que sans nouvelle loi il est impossible d’aller au-delà. Le personnel ne peut pas non plus négliger l’augmentation de 2,5 % des salaires obtenue au cours de la lutte, même si elle n’a jamais été considérée comme une monnaie d’échange. » Ces bureaucrates vont jusqu’à faire aux militants syndicaux la préconisation suivante : « Évitons donc de focaliser l’expression de la CGT sur la liste des mauvais coups de l’été (et ils sont nombreux), ou sur ceux qui ont été annoncés, par exemple, à travers 5 chantiers ouverts par le Ministre du Travail, ou la discussion sur le droit de grève programmée par le Ministre des Transports, les suppressions d’emplois publics envisagées dans le prochain budget par le Ministre des finances. » Car, voyez-vous, « là encore, la liste peut être longue et déroutante… » Dès lors, mieux vaut ne pas dérouter les salariés et les syndiqués... des fois qu’ils voudraient riposter ! La direction de la CGT ressort alors sa vieille tactique de division en dressant la liste des prétendues « journées d’action » dispersés et atomisées, convoquées dans différents secteurs : les PTT, la Construction, les Cheminots, la Métallurgie, les retraités... Et elle insiste sans vergogne, sur le fait que ces actions dispersées ne doivent absolument pas être coordonnées : « Pour la CE confédérale, l’heure n’est pas de rechercher aujourd’hui une convergence et un élargissement de manière artificielle » (Source des citations : réunion de la CE confédérale du 26 août, http://www.cgt.fr)

2) Marx écrit ainsi que « les masques économiques dont se couvrent les personnes ne sont pas autre chose que la personnification des rapports économiques » (Le Capital, livre I, rééd. PUF-Quadrige, Paris, 1993, p. 97). En particulier, le capitaliste, « en tant que capitaliste, n’est que capital personnifié. Son âme est l’âme du capital. » (Ibid., p. 259 ; cf. aussi p. 6, 172, 345-7, 663-4, etc.)

3) C’est cette logique du capitalisme que ne comprend pas notamment LO, qui verse, ici comme ailleurs, dans le réformisme et le moralisme, comme par exemple dans l’éditorial d’A. Laguiller du 27 août : « Le patronat, (…) a eu l’argent du beurre, et maintenant il voudrait le beurre en plus. (…) Ce n’est pas la santé des entreprises qui nécessite les sacrifices que le patronat veut imposer à la classe ouvrière. Les entreprises, dans la grande majorité des cas, se portent très bien. (…) Mais il n’y a pas de limites à la soif de profits de la bourgeoisie. » (Cf. aussi le titre ridicule du journal Lutte ouvrière le 3 septembre : « Seillère, un paquet d’actions à la place du cœur » !...) D’où la proposition purement réformiste — et d’ailleurs absurde — de demander au gouvernement d’interdire les licenciements dans les seules entreprises qui font du profit (sur ce point, cf. notamment notre critique du programme électoral LO-LCR dans Le CRI des travailleurs n°10-11 de janvier-février 2004). — Quant au PT, il croit fermement et il martèle semaine après semaine que c’est l’Union européenne, dirigée en sous-main par les États-Unis, qui est la cause des délocalisations et les impose aux gouvernements nationaux… ce qui justifierait sa ligne réactionnaire de « défense de la nation » en France et en Europe… L’organisation lambertiste croit avec une telle ferveur à son propre mythe — couverture idéologique de son réformisme para-syndical — qu’un de ses partisans n’hésite pas, dans son aveuglement, à personnifier « Maastricht », ce nouveau Démon maléfique et tout-puissant qui le conduit dès lors à adopter les formulations des contes et légendes de nos grands-mères : « Au début était l’Europe de Maastricht, écrit-il. (…) Cela peut paraître évident [sic !], mais mieux vaut le répéter. C’est Maastricht, et personne d’autre [sic bis !], qui exige l’ouverture à la concurrence de tous les secteurs d’activité de La Poste (…). » (Informations ouvrières n°655 du 25 août, p. 8.) Heureusement que le ridicule, même « répété », ne tue pas !

4) Les lambertistes — mais aussi, hélas, les si nombreux ex-lambertistes… — sont champions en la matière, sans jamais prendre la peine d’expliquer à leurs pauvres lecteurs ce qu’ils entendent par ce vocable passe-partout de « crise ». Par exemple, le journal du PT, Informations ouvrières n° 655 du 25 août (p. 4), n’hésite pas à parler de « crise politique qui ravage l’UMP et le gouvernement » et même de « crise du régime » ! Rien que cela ? Mais encore ?

5) La nomination de Miguel Barroso a représenté un compromis par défaut entre les deux principales sensibilités de la bourgeoisie européenne : le très européaniste journal Le Monde déplorait ainsi, dans son éditorial du 29 juin, une « Europe du minima », à cause d’une « Union déchirée en deux camps, Britanniques d’un côté, et Français et Allemands de l’autre, qui, depuis le conflit irakien, ne cessent de s’affronter sur tous les sujets ». Le fait que ni les uns, ni les autres n’aient réussi à imposer leur candidat respectif ne constitue pas une victoire pour les Américains (comme le croient naïvement aussi bien Le Figaro — journal d’une bourgeoisie conservatrice qui hésite entre l’européanisme et le souverainisme — que… Informations ouvrières — journal de syndicalistes lambertistes qui n’hésitent hélas plus guère entre le communisme et le réformisme…) ; mais c’est une victoire des libéraux européanistes les plus convaincus, qui ont comme supporters français des Giscard aussi bien que des Sarkozy. Certes, Barroso avait organisé la rencontre aux Açores à la veille de l’offensive en Irak pour soutenir Bush et ses alliés et, dans la nouvelle commission, les Français et Allemands sont relégués à la portion congrue (J. Barrot hérite ainsi d’un poste subalterne, les transports) ; mais il a comme objectif prioritaire la coopération en matière judiciaire et pénale et la mise en place d’une défense commune, c’est-à-dire un pas en avant important dans la constitution de l’UE comme structure étatique et impérialiste unifiée ; de plus, sa mission est de battre en brèche le lobbying protectionniste de Paris et de Berlin, dont les gouvernements sont obligés, quand il s’agit de faire passer les contre-réformes, de tenir compte du poids social de la classe ouvrière — ainsi que des agriculteurs dans le cas de la France. Comme le dit le même article du Monde, « trop de pays, dont la France et l’Allemagne, ont affaibli ces dernières années le pouvoir de la Commission de Bruxelles. (…) L’Europe en paie le prix. M. Barroso saura-t-il la replacer au centre du jeu ? » Manifestement, Barroso représente les intérêts communs fondamentaux et à long terme des bourgeoisies européennes, qui supposent justement une autonomie minimale à l’égard des gouvernements nationaux, trop dépendants des pressions intérieures, que ce soient celles des travailleurs défendant leurs acquis ou celles des paysans défendant leurs subventions… — Rappelons par ailleurs que la Commission est également indépendante à l’égard du « Parlement » européen, qui n’a pas son mot à dire dans la nomination du président et la constitution de la commission, puisqu’il n’est invité qu’à émettre un « vote d’approbation ».