Article du CRI des Travailleurs n°14

À bas le plan Borloo dit « de cohésion sociale » !

Le Plan Borloo, dit de « cohésion sociale », présenté au Conseil des ministres le 30 juin dernier par le ministre « de l’Emploi », prétend couvrir à la fois les domaines de l’emploi, du logement et de ce qu’il appelle sans vergogne « l’égalité des chances ».

Sur le front du logement, il se targue de prévoir la « production » de 100 000 logements sociaux par an, soit 500 000 sur 5 ans : mais ce chiffre même est trompeur puisqu’il occulte les 200 000 logements de HLM voués à la destruction, ainsi que les logements qui ne seront pas accordés, d’après ce plan, aux familles les plus défavorisées, mais réservés aux couches moyennes (cela représentera environ 20 % de ces logements prétendument « sociaux » mais dont les loyers seront trop élevés pour être accessibles aux familles les plus pauvres). Ce chiffre trompe encore dans la mesure où il n’englobe pas uniquement la construction de logements neufs mais comprend aussi des acquisitions de logements existants et déjà occupés. Le plan Borloo n’envisage en outre aucun moyen de prévention contre les expulsions, aucune solution durable de relogement le cas échéant. Il faut souligner que son programme de logements d’urgence vise aussi à instaurer un contrôle social sur les populations précaires ou en détresse, et ce au moyen d’intervenants sociaux à même de les contrôler. Le budget 2005 affiche d’emblée des moyens financiers réduits en termes de logement social, et prévoit la libéralisation de ce secteur, du fait de la décentralisation : l’État se désengage donc, comme dans d’autres domaines, sur le dos des mairies. Cela a également pour conséquence la déréglementation des loyers, le tout au profit naturellement des bailleurs et de la spéculation immobilière. On s’achemine donc clairement vers la privatisation du logement social.

Rappelons qu’en France, 3 millions de personnes mal logées sont inscrites sur les listes d’attente des organismes HLM. Dans cette situation, c’est 350 000 logements par an qu’il faudrait construire, au bas mot. Or, la construction de logements a été divisée par deux en dix ans : 32 000 logements construits en 2003, contre 72 000 en 1994, tandis que dans le même temps, le montant des loyers s’est envolé, progressant de 10 % par an. Selon une enquête de l’INSEE, le loyer représentait en 2002 40 % des ressources des familles pauvres, contre 29 % en 1988.

Contre le plan Borloo d’enrégimentement des populations les plus pauvres et de déréglementation du logement social, il nous faut revendiquer la construction des logements neufs nécessaires au bien-être de tous, la réquisition des logements vacants, le blocage des loyers, contre les expulsions.

Sur le plan de l’emploi, le plan Borloo s’inscrit dans l’exact prolongement de la contre-réforme du PARE (plan d’aide au retour à l’emploi) MEDEF-CFDT : le droit à l’indemnisation chômage passe par la signature d’un contrat de type PARE, qui impose au travailleur sans emploi d’accepter n’importe quel travail sous peine de voir supprimer ses allocations chômage. Il ne s’agit dès lors plus d’un droit, fondé sur les cotisations versées grâce au salaire différé, mais d’un contrat qui transforme les travailleurs au chômage en assistés.

L’objectif du plan Borloo est clair : supprimer purement et simplement le « monopole de l’ANPE » grâce à « l’ouverture du marché du placement » et permettre le « développement du contrôle des chômeurs ». Il prétend notamment instaurer 300 « maisons de l’emploi » : dans un même « groupement d’intérêt public » doivent ainsi être « fédérés » des « acteurs » aussi divers que l’ANPE, les collectivités territoriales, l’UNEDIC, mais aussi des entreprises privées de travail temporaire et autres « agences d’intérim » à qui seront déléguées des « missions de service public » : entreprises qui, comme Manpower, Adecco ou Maatwerk, empochent 3 800 €, pour chaque chômeur reclassé, sur les fonds de l’UNEDIC. Le plan Borloo projette ainsi la création d’un « grand service privé de l’emploi » piloté par un « manager expérimenté » à la tête d’une « équipe pluridisciplinaire » composée en bonne partie d’ « agents venant du monde de l’entreprise ». Le statut des salariés de l’ANPE est donc directement menacé, de même que la confidentialité des données contenues dans le dossier des demandeurs d’emploi : en effet, ces officines privées seront en droit d’accéder à un « dossier unique de demandeur d’emploi ». Cela ne peut que faire penser au « dossier médical partagé » prévu par la contre-réforme Douste-Blazy de la Sécurité sociale, et qui lui aussi expose en pâture les éléments les plus confidentiels du dossier des patients, au profit notamment des mutuelles privées. Pendant ce temps, les bureaux des ASSEDIC considérés comme « trop ruraux » ferment les uns après les autres. Là encore, c’est à un véritable flicage des chômeurs que l’on va assister, puisque le plan Borloo souligne que le demandeur d’emploi sera « tenu, en contrepartie, à la recherche assidue d’un travail et à une participation active au programme de formation. Pour crédibiliser ce dispositif, des sanctions justes et graduées pourront être prononcées, après une procédure contradictoire, en lieu et place du “tout ou rien” actuel. » Pour mettre en place de telles sanctions, c’est une fois encore la collaboration des syndicats qui est sollicitée, dans le cadre d’objectifs fixés par le « Comité supérieur de l’emploi » qui compte parmi ses membres, outre des représentants du patronat et de l’État, des syndicalistes des principales confédérations ouvrières.

L’intégration et la collaboration ont d’ailleurs d’ores et déjà commencé. Que dit le PS au sujet du plan Borloo ? Il parle d’un « catalogue de bonnes intentions », le seul problème étant le manque de « financement » prévu. Que dit Force ouvrière ? Exactement la même chose : « De bonnes intentions, des moyens mobilisés, une méthode affirmée, mais quand même une copie à améliorer sensiblement » quant aux moyens financiers mis en œuvre (communiqué de la Confédération FO du 1er juillet 2004, paru dans FO Hebdo du 7 juillet). Quant à la CGT, elle a carrément tressé des lauriers à Borloo, glorifiant « le travail entrepris par le ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale » et louant « la qualité de son engagement » ! Elle a aussi profité de l’occasion pour proposer encore davantage ses services au gouvernement, rappelant son propre « investissement » sur la « question majeure de la cohésion sociale » et affirmant que celle-ci « est véritablement un enjeu de société qui devrait être au centre des actions des gouvernements et mobiliser le plus grand nombre de citoyens ». Et elle a expressément regretté que le projet ne soit pas « plus incisif sur l’importance du rôle des partenaires sociaux au sein de tous les dispositifs appelés à être mis en place » (Source : déclaration du groupe de la CGT sur « l’avant-projet de loi de programmation sur la cohésion sociale », 31 août 2004, site Internet de la Cgt : http://www.cgt.fr). La collaboration ne vient certes pas de commencer, mais elle ne cesse de s’amplifier et continuera... jusqu’à ce que les travailleurs passent à l’offensive contre leurs propres « dirigeants », ces bureaucrates qui transforment les syndicats — organisations qui appartiennent en tant que telles à la classe ouvrière — en de simples courroies de transmission de la politique gouvernementale.