Article du CRI des Travailleurs n°10

... pourtant les dirigeants syndicaux co-élaborent les contre-réformes du gouvernement et osent nous refaire le coup des « journées d'action » carégorielles et sans lendemain

Face aux attaques en préparation, qui sont de notoriété publique, et face aux effets désastreux de toute la politique menée par le gouvernement Chirac-Raffarin dans la continuité de son prédécesseur de gauche plurielle, les travailleurs conscients, malgré le désarroi où ils sont plongés depuis la liquidation bureaucratique du mouvement de mai-juin, voudraient pouvoir trouver les voies de la résistance. Après sept mois de léthargie, ils se rendent bien compte qu’ils ont perdu une bataille, mais que la guerre du patronat et du gouvernement contre eux continue avec une brutalité croissante. En particulier, ils ont bien conscience que, quand le gouvernement prétend manquer d’argent pour justifier sa politique, il trouve dans le même temps les moyens de multiplier les cadeaux au patronat, notamment sous la forme d’exonération de charges sociales et fiscales. C’est pourquoi le refus des plans sociaux et des licenciements, le refus des privatisations et de l’ouverture à la concurrence des services publics, la revendication d’une augmentation générale des salaires pour les travailleurs du public comme du privé, et notamment des bas salaires — apparaissent à tous comme parfaitement légitimes et justifiés. En particulier, les électriciens et gaziers, les cheminots, les hospitaliers, les enseignants et même les chercheurs du public (1) seraient prêts à se mobiliser réellement pour leurs revendications, s’ils étaient sûrs que, cette fois, les syndicats étaient décidés à aller jusqu’au bout. Or, que font les dirigeants syndicaux ?

Les bureaucrates, de la collaboration à la co-élaboration…

On se souvient que, pour faire avaler la couleuvre de leur trahison en mai-juin, ils nous avaient juré qu’on verrait ce qu’on verrait… à la rentrée (« la CGT avec vous pour une rentrée offensive », titrait par exemple un tract confédéral début septembre). On a vu : ils n’ont rien proposé, ils se sont contentés d’observer l’effet du coup porté par leur politique au moral des travailleurs mobilisés en mai-juin et ont abandonné à leur sort les catégories les plus fragiles qui essayaient malgré tout de lutter. En revanche, ces bureaucrates ont accepté de siéger dans tous les organismes de « dialogue social » et de « concertation » mis en place par le gouvernement. Pour se justifier, ils nous font croire qu’ils peuvent obtenir des avancées, ou du moins limiter les dégâts. Par exemple, dans le cadre des discussions sur « l’avenir de l’assurance maladie », on a assisté au petit jeu habituel : d’un côté, Daniel Bouton, PDG de la Société générale et porte-parole du MEDEF, n’a pas cessé de faire de la surenchère en proposant d’accroître la CSG en fonction de l’âge, de ne plus rembourser les dépenses d’accidents liés à la pratique d’un sport, de faire rembourser par les héritiers une partie des soins des personnes décédées, etc. ; de l’autre, les bureaucrates syndicaux, montant en épingle ses provocations, se sont donné le beau rôle en grimpant au créneau contre ces « ultra » du MEDEF… et en présentant comme une victoire les « constats » et propositions tellement plus « raisonnables » qui ont fait l’objet du « diagnostic partagé »… Par exemple, J.-C. Le Digou, n°2 de la CGT et responsable de la protection sociale, a vilipendé d’autant plus Daniel Bouton, représentant des méchants financiers, que cela lui a permis de présenter Guillaume Sarkozy, frère de ministre, chargé de la protection sociale au MEDEF… comme un « homme de dialogue », censé représenter quant à lui les gentils « patrons employeurs » et « responsables »... Dans la même ligne, la CGT s’est réjouie que le gouvernement ouvre des discussions avec les syndicats sur l’hôpital, n’hésitant pas à proclamer qu’ « une réforme démocratique du système de santé est nécessaire » et que les organisations syndicales doivent être associées à son élaboration (texte « L’urgence d’une réforme de progrès », site internet de la CGT).

… et aux vrais faux appels à la « mobilisation »

Mais alors, dira-t-on, pourquoi les syndicats ont-ils appelé certaines catégories du secteur public à faire grève et à manifester dans les dix derniers jours de janvier ? On peut distinguer deux raisons, l’une structurelle, l’autre conjoncturelle. D’une part, il leur faut bien faire croire de temps à autre qu’ils ne sont pas d’accord avec le gouvernement, car s’ils ne faisaient que collaborer sans faire aussi semblant de mobiliser, les travailleurs finiraient tous par s’apercevoir que ces bureaucrates ne roulent pas pour eux. D’autre part, en cette veille de période électorale, la gauche plurielle, qui dirige les syndicats, a besoin de montrer qu’elle n’est pas complètement morte depuis le printemps 2002 ; non qu’il s’agisse pour elle d’infliger une défaite au gouvernement, fût-elle simplement électorale : elle affirme elle-même que son objectif reste les échéances de 2007, et qu’elle n’a aucunement l’intention de faire vaciller d’ici là le pouvoir de la droite et du président, même en cas d’une involontaire et bien peu probable victoire aux élections régionales (habituée à la cohabitation, elle se contenterait dans ce cas de gérer bien gentiment ses régions en attendant 2007). Mais bon, il faut bien qu’elle commence à se relever de la débâcle politique qu’elle a subie le 21 avril 2002, sans quoi il finirait pas devenir évident aux yeux de tous qu’elle n’a aucune alternative à proposer à la politique de Chirac-Raffarin ; il faut bien commencer à reconquérir les électeurs qui l’ont si légitimement sanctionnée en 2002 ; et il faut bien faire campagne pour garder ses postes d’élus, qui constituent encore sa base la plus sûre…

Du reste, si les dirigeants syndicaux cherchaient réellement un affrontement avec le gouvernement, s’ils avaient vraiment un autre but que d’instrumentaliser les travailleurs du public (qui constituent les gros bastions traditionnels de l’électorat de gauche), en essayant de redorer le blason de la « gauche plurielle » à laquelle eux-mêmes appartiennent, ils n’appelleraient pas à de prétendues « mobilisations » émiettées et purement symboliques. Or leur tactique, savamment maîtrisée pour avoir été si fréquemment utilisée depuis des années, et en particulier l’an passé avec le résultat que l’on sait, se réduit à l’organisation de journées d’action catégorielles et sans lendemain : ils ont ainsi convoqué une journée d’action le 20 janvier à EDF-GDF, une autre le 21 janvier à la SNCF, une autre encore le 22 janvier dans les hôpitaux, et les sept fédérations de fonctionnaires ont appelé ensemble pour fin janvier à une « semaine d’actions unitaires diversifiées » (sic, communiqué commun du 9 janvier), dont le but est… d’ « engager une nouvelle approche du dialogue social » (re-sic)… D’ailleurs, cette tactique s’accompagne de déclarations clairement destinées à rassurer le gouvernement : « C’est l’usager qui devrait faire grève », dit Marc Blondel, de FO, comme pour mieux justifier qu’il n’appellera pas les travailleurs à faire grève tous ensemble (Force ouvrière hebdo, 24 décembre 2003). Quant au SNES-FSU (principal syndicat des enseignants du secondaire), qui se veut plus à gauche que les fédérations de fonctionnaires, il propose, dans le cadre de la « semaine d’actions unitaires diversifiées »… une journée de grève de la seule Éducation nationale « le 27 ou le 29 »… tout en invitant ses sections académiques à partir en ordre de bataille dispersé… sous prétexte de « tenir compte des différences de calendrier de préparation de rentrée entre les académies et donc des différences de rythmes de mobilisation, (ainsi que) des contraintes de calendrier (calendrier des vacances, calendrier des prochaines échéances électorales) » (sic, communiqué du SNES, 13 janvier). Ainsi — sans parler des pitoyables opérations « cartes postales » du SNES ! — des « appels » à la grève soi-disant unitaires (c’est-à-dire intersyndicaux : FSU, CGT, FO, SUD, UNSA, CNT…) sont-ils lancés par les syndicats enseignants, mais de manière dispersée, académie par académie : pour le 19 janvier dans l’académie de Limoges, pour le 21 dans l’académie de Grenoble, pour le 30 dans l’académie de Lille, etc. En même temps, la FSU annonce un meeting à la Mutualité pour le… 14 mars (qui ressemblera donc très fort à un meeting électoral pour la gauche plurielle !) et le SNES à une deuxième journée de grève… mais pour la première quinzaine de mars !

Face à cette misérable tactique des bureaucrates syndicaux, qui ne peut conduire une fois de plus que dans le mur de la défaite et du désarroi une éventuelle remobilisation des travailleurs, il est du devoir des révolutionnaires et de tous les militants ouvriers honnêtes d’avertir les travailleurs sur la signification de la politique menée par les appareils. En particulier, il est nécessaire de continuer à expliquer les leçons de la trahison subie en mai-juin. Absolument nécessaire dans la prochaine période, une nouvelle mobilisation générale des travailleurs ne pourra aboutir, ne pourra infliger une défaite à Chirac et à son gouvernement en aboutissant à la grève générale, que si elle se donne les moyens et les objectifs suivants :

• Non au renouvellement de la tactique suicidaire de division pratiquée l’an passé ! Mobilisation de toute la classe ouvrière, de l’ensemble des travailleurs salariés et de la jeunesse, avec ou sans emploi, français ou immigrés, tous unis contre le patronat et le gouvernement !

• Non à l’instrumentalisation de la lutte de classe au service de la gauche plurielle et des élections !

• Dirigeants syndicaux, rompez immédiatement le prétendu « dialogue social » par lequel le gouvernement associe les syndicats à l’élaboration de ses « réformes » !

Pour que la Sécurité sociale soit préservée, pour que tous les soins et médicaments soient remboursés !

• Pour que les dépenses de santé, d’éducation, de recherche et de tous les services publics utiles à la population soient augmentées à hauteur des besoins, tels qu’établis par les personnels eux-mêmes !

• Pour qu’aucun service public ne soit privatisé ou ouvert à la concurrence !

• Pour l’abrogation pure et simple de la loi Fillon de 2003 contre les retraites du public et de la loi Balladur de 1993 contre les retraites du privé ! Pour le retour aux 37,5 pour tous, public-privé !

• Pour que l’État cesse de faire des cadeaux au patronat, non aux allègements de charges !

• Abrogation de l’accord sur le régime d’indemnisation des intermittents et de l’accord qui réduit la durée d’allocations des ASSEDIC et du RMA ! Syndicats, reprenez ces revendications !

• Empêchons les licenciements par le combat uni de la classe ouvrière ! Dirigeants syndicaux, cessez de vous associer aux plans sociaux ou de les accepter, organisez la grève avec occupation des entreprises qui licencient, organisez la solidarité active de toute la classe ouvrière ! Pour l’ouverture des livres de comptes des entreprises qui invoquent des difficultés financières !


1)  Les chercheurs du service public (employés par les « grands organismes » comme le CNRS, l’INSERM, le CEA, etc.), qui ne sont pourtant pas les catégories les plus défavorisées de la population, ont décidé en effet de se mobiliser, non pas tant pour leurs propres salaires (cependant très inférieurs à ceux des chercheurs du privé) que pour défendre la recherche publique, et notamment la recherche fondamentale. Dans une pétition signée par des milliers de chercheurs (4 000 le 9 janvier, 15 666 une semaine plus tard…), parfois de grand renom, ils dressent un bilan catastrophique de la situation de la recherche publique en France, dénonçant l’asphyxie budgétaire (les crédits théoriques du CNRS pour 2003 sont ainsi inférieurs de 381 millions d’euros à leur niveau de 2002), le non-paiement par l’État d’une partie des crédits promis pour 2003, la baisse drastique des recrutements, qui conduit à la multiplication des contrats précaires et sous-payés pour les jeunes chercheurs pourtant bardés de diplômes et, dans les faits, souvent surexploités par des directeurs de laboratoire eux-mêmes pris à la gorge financièrement… Malgré le caractère partiel des revendications de cette pétition (notamment le fait qu’elle n’exige pas le recrutement massif de chercheurs fonctionnaires par concours et l’abolition des contrats précaires), la mobilisation des chercheurs doit donc être considérée en elle-même comme une partie du mouvement d’ensemble des travailleurs pour défendre les services publics utiles à la population. En même temps, il faut bien comprendre que, là encore, ce n’est pas par manque d’argent que l’État asphyxie la recherche publique, mais par choix politique : dans le même temps, le gouvernement verse de plus en plus de subventions aux entreprises privées pour leurs propres recherches, y compris pour les recherches d’armement, et il applique la « loi sur l’innovation » élaborée par Allègre et votée par la gauche plurielle en 1999, qui permet aux chercheurs du public de travailler pour le compte du privé tout en conservant leur statut de fonctionnaires et en utilisant les ressources matérielles et financières de la recherche publique !