Article du CRI des Travailleurs n°10

Campagne électorale : l'accord LO-LCR pour les régionales ou la campagne du PT pour les cantonales sont-ils des points d'appui pour la lutte de classe ?

Et les élections ?, dira-t-on peut-être… Ce « programme » proposé par le Groupe CRI ne contient-il pas une bonne partie des revendications immédiates que devrait comporter un véritable programme présenté par un véritable parti communiste révolutionnaire internationaliste aux travailleurs à l’occasion de consultations électorales — tout en expliquant bien sûr que ce n’est pas par le bulletin de vote, mais par la lutte de classe contre ce gouvernement et ce régime, qu’il pourra être réalisé ? — En tout cas, force est de constater qu’on ne le retrouve pas dans la « profession de foi » LO-LCR pour les prochaines élections régionales (pas plus que dans leur politique habituelle), ni dans la politique du PT…

Le PT continue de défendre l’État bourgeois contre l’impérialisme américain

La ligne actuelle du Parti des Travailleurs est d’expliquer qu’il faut se présenter aux élections cantonales pour défendre la République et la nation française prétendument menacées de « démantèlement » par l’Union européenne, elle-même instrument de l’impérialisme américain ; en revanche, il ne faut pas se présenter aux élections régionales et européennes, car ce serait en soi cautionner la politique maastrichtienne de l’Europe des régions… Et peu importe si le PT s’est naguère présenté à ces mêmes élections européennes, non seulement en 1984 (sous le nom de PCI, à une époque révolue où, quoique l’on pense par ailleurs de son orientation, il ne craignait pas en tout cas de mettre en avant l’objectif des « États-Unis socialistes d’Europe » !), mais aussi en 1994, soit deux ans après l’adoption du Traité de Maastricht ! — Soyons clairs : la lutte contre l’Union européenne en tant que structure étatique bourgeoise, contre son projet de constitution (ou le prochain remanié (1)), contre ses directives régressives, contre la régionalisation… est une lutte nécessaire (cf. sur ce point, en particulier, Le Cri des travailleurs n°8, octobre 2003). Mais à condition de ne jamais oublier que la classe ouvrière et les travailleurs doivent combattre en priorité contre leur propre bourgeoisie, contre leur propre État bourgeois et contre les gouvernements qui le dirigent. De plus, il est ridiculement simpliste de croire que l’Union européenne ne serait qu’un jouet aux mains des Américains, un espace tout entier placé sous ce que le PT appelle la « botte yankee ». Les lambertistes ne comprennent rien aux rivalités inter-impérialistes, ils sont incapables de voir que l’UE se constitue comme un pôle économique et politique dont les bourgeoisies européennes ont besoin pour lutter non seulement contre leurs propres classes ouvrières, mais aussi contre la puissance américaine. Ils ne voient pas non plus les contradictions propres à l’impérialisme américain qui, s’il s’affirme actuellement comme une puissance imposant son hégémonie sur le monde, est aussi, par exemple, la nation la plus endettée de la planète ; or la plus grosse partie des 40 % de sa dette extérieure qui se trouvent entre les mains de créanciers étrangers, est détenue par des Européens.

Les retrouvailles avec Pablo…

Ainsi, par une de ces ironies croustillantes dont l’histoire a le secret, l’idéologie de plus en plus républicaine petite-bourgeoise et même nationaliste du PT, le conduit-elle… à suivre une pente analogue à celle empruntée jadis, dans un autre contexte, par Pablo, le liquidateur de la IVe Internationale, et contre laquelle le courant lambertiste est pourtant censé s’être constitué historiquement… En effet, Lambert, Gluckstein et les béni-oui-oui bureaucratisés qui les entourent à la tête du PT et de son soi-disant « courant » CCI, en viennent à substituer à la lutte de classe comme point de départ et d’arrivée de toute analyse marxiste, la croyance en un monde dominé au contraire par l’opposition entre les nations et leurs structures étatiques… et divisé en deux camps principaux : les États-Unis, d’un côté, les « nations », de l’autre, ces dernières étant attaquées par les premiers, qui auraient comme seul et unique objectif leur « dépeçage »… Dès lors, les travailleurs auraient à défendre, contre les États-Unis et l’Union européenne, considérée unilatéralement comme leur valet, toutes les nations et tous les États ! Ainsi les lambertistes en appellent-ils explicitement, quel que soit le pays considéré, à « préserver (et renforcer) l’indépendance des nations » (Informations ouvrières n°620, 17 décembre 2003) et même à défendre « la souveraineté des nations et des États » (Lettre de La Vérité n°310, 9 décembre 2003). La nation et l’État français seraient ainsi une cause à défendre pour les travailleurs ! Leur nature bourgeoise disparaît, sous prétexte qu’ils seraient attaqués par un État plus puissant… Or, même dans ce cas, il est clair que le prolétariat ne saurait lier son sort à celui de l’État bourgeois. Il faudrait au contraire qu’il adopte la position défendue par Lénine pendant la Première Guerre mondiale, et reprise ensuite par Trotsky et la IVe Internationale comme une position programmatique, principielle : le « défaitisme révolutionnaire », qui consiste pour le prolétariat à tout faire pour la défaite de son propre État bourgeois. En effet, tout affaiblissement de celui-ci permet à la lutte du prolétariat d’être plus forte et plus efficace ; en revanche, tout renforcement de l’État bourgeois lui permet de porter des coups terribles et déterminés aux travailleurs, comme c’est le cas depuis que la gauche plurielle et les bureaucraties syndicales, au lieu de le combattre, ont réalisé l’union sacrée avec Chirac en avril 2002, et de nouveau au moment des préparatifs de la guerre en Irak, sous prétexte que Chirac, représentant les intérêts propres de l’impérialisme français, n’était pas d’accord avec Bush sur l’opportunité de l’intervention militaire ! (2)

… et avec Guesde !

En réalité, en prenant la défense de la nation française et de l’État bourgeois contre les États-Unis, comme d’ailleurs sur bien d’autres points de leur politique (nous y reviendrons dans un prochain numéro), les lambertistes reproduisent la même dérive que celle de Jules Guesde et des « guesdistes » au début du XXe siècle : ceux-ci, en effet, exactement comme l’OCI-PCI-PT au cours de sa propre histoire, dégénérèrent d’un « marxisme » formel et mécanique à une pratique réformiste-étatiste, et de là, en 1914-1918, à l’union sacrée avec leur propre État bourgeois, sous prétexte de « défense de la République et de la nation »… contre l’impérialisme étranger, allemand cette fois (3).

Aujourd’hui, l’idéologie lambertiste est bien celle de crypto-réformistes contaminés par leur pratique pluri-décennale de collaboration avec la bureaucratie réformiste traditionnelle et bien française de FO, et devenus aujourd’hui nostalgiques du bon vieux capitalisme des « Trente glorieuses », de ce capitalisme national « indépendant » où régnaient, grâce à la collaboration de classe et à l’État keynséien, ces « relations sociales stables » entre les classes dont le PT pleure la « dislocation » semaine après semaine, et qu’il se fixe l’objectif de « préserver » par des campagnes de pétition et autres manifestations avec des maires « républicains »… — À l’opposé de cette orientation du PT, qui condamne ses propres militants à la dépolitisation (il suffit de lire les comptes rendus vides de contenu de ses congrès fédéraux pour s’en rendre compte) et à l’impuissance, les communistes révolutionnaires expliquent aux travailleurs que le combat pour la conquête et la reconquête des droits est indissociable du combat intransigeant, sans ambiguïtés, contre l’État bourgeois, contre l’impérialisme français, pour son affaiblissement et sa défaite.

Analyse de l’accord électoral LO-LCR

Faut-il alors se tourner du côté de LO et de la LCR, et voir en particulier dans leur fameux accord électoral un point d’appui pour la lutte de classe ? — À première vue, on ne peut qu’être d’accord avec les « mesures d’urgence » avancées : interdire les licenciements collectifs dans les entreprises qui font du profit ; prendre sur les profits du patronat pour créer des emplois et étendre les services publics ; construire des logements, des maisons de retraite et des crèches ; rejeter les lois Raffarin-Fillon sur les retraites et toute atteinte à la Sécurité sociale ; prévoir un plan d’augmentation des salaires et de défense du pouvoir d’achat ; refuser les lois sécuritaires de Sarkozy. Et l’on trouve même, au détour d’une phrase il est vrai, la mention des « États-Unis socialistes d’Europe », dans le « protocole d’accord » (à diffusion limitée) signé entre LO et la LCR…

Un programme réformiste…

Cependant, cette expression disparaît de la profession de foi pour les régionales, qui sera, quant à elle, distribuée aux 40 millions d’électeurs pour les régionales ! En effet, dans cette profession de foi, LO et la LCR ont décidé de ne pas parler de socialisme, se contentant de dénoncer « l’organisation capitaliste de l’économie mondiale » et affirmant que « nous voulons une société d’où soient bannies toute oppression et toute discrimination » : en limitant ainsi expressément leurs « vœux » au « bannissement » de l’oppression et de la discrimination, elles ne parlent pas de la nécessaire éradication de l’exploitation, c’est-à-dire de la base même du mode de production capitaliste, dont ils devraient pourtant savoir qu’elle est la cause de toute oppression et de toute discrimination dans la société contemporaine. Ainsi LO et LCR disent-elles elles-mêmes qu’elles ne « veulent » rien de plus que les bons vieux réformistes traditionnels (ceux qui ne sont pas encore au pouvoir). En tout cas, ces organisations centristes (ni révolutionnaires, ni tout à fait réformistes) refusent de mettre en avant leur propre programme officiel, soi-disant communiste révolutionnaire, elles le cachent aux masses (aux 40 millions d’électeurs), ce qui est déjà en soi une attitude méprisante à leur égard, et elles lui substituent un programme d’illusions réformistes, ce qui constitue, sur le plan idéologique, une capitulation opportuniste devant l’air du temps.

… sans perspective politique…

Mais, après tout, le caractère réformiste de ce programme ne suffirait pas pour en conclure que l’accord LO-LCR ne constitue pas un point d’appui, fût-il limité et partiel, pour la lutte de classe. Le problème le plus grave que pose cet accord, c’est qu’il ne se présente pas comme un moyen d’engager le combat contre le gouvernement Chirac, pour lui infliger une défaite politique, donc pour ouvrir aux travailleurs la perspective d’un autre gouvernement, qui ne soit ni celui de la droite, ni celui de la gauche plurielle. Certes, la profession de foi affirme que, « voter pour les listes LCR-LO (ou LO-LCR) (…) c’est voter contre la politique du gouvernement Chirac et Raffarin et les partis de droite » et « c’est désavouer les partis de l’ex-gauche plurielle et la politique qu’ils ont menée au gouvernement » (LO souhaitant cependant, avec cette tendre nostalgie qu’on lui connaît pour le PCF d’antan, que ce parti « gagne de la crédibilité aux yeux de ses militants » ! Cf. Lutte ouvrière, 19 décembre 2003). Mais, tout en proclamant formellement qu’elles « dénoncent » et « désavouent » ces politiques gouvernementales, LO et LCR refusent de prendre leurs responsabilités, de se présenter elles-mêmes comme une alternative politique aux gouvernements de droite et de gauche plurielle, ou du moins d’appeler les travailleurs à construire un nouveau parti, un parti qui soit le leur et qui se donne comme objectif de lutter pour un gouvernement qui les représente réellement.

Pourtant, lorsque l’on affirme (à juste titre) que les autres forces politiques qui se présentent ne constituent aucune alternative pour les travailleurs ; lorsque l’on a les moyens de présenter des listes dans toutes les régions d’un pays et à l’échelle nationale ; lorsque l’on a déjà fait trois millions de voix au cours de scrutins récents (Laguiller et Besancenot en 2002) ; lorsque, en tout cas, on peut légitimement espérer dépasser les 5 %, donc faire autant que, par exemple, le PS en 1969, soit… treize ans seulement avant son arrivée au pouvoir et sa conquête de la majorité absolue à l’Assemblée nationale… — ne faut-il pas assumer ses responsabilités juqu’au bout en proposant clairement une perspective politique aux travailleurs ? Mitterrand, lui, homme de la bourgeoisie intelligent, prenant la tête d’un parti ouvrier réformiste alors moribond en 1969-1971, avait bien compris que la politique de la droite et celle du PCF lui offraient un boulevard, et qu’il fallait donc s’y engouffrer sans hésitation, y aller à fond, certes en « donnant du temps au temps », mais avec un objectif clair et net, celui de construire un parti et de s’en servir pour s’élancer à la conquête du pouvoir en s’appuyant sur les travailleurs ! Bref, le PS était alors un parti ouvrier certes révisionniste et réformiste jusqu’à la moelle, mais un parti qui, au moins, assumait son réformisme (son programme électoral était d’ailleurs beaucoup plus radical que celui de l’accord LO-LCR !), et qui savait faire de la politique. — Par comparaison (et même s’il est évident que la crise du mouvement ouvrier rend la situation très différente de ce qu’elle était dans les années 1970), il semble que le seul objectif de LO et de la LCR soit de rester à jamais, comme depuis trente ans, les éternels « contestataires », aussi bavards qu’incapables de proposer une alternative politique réelle en ouvrant une perspective de reconstruction du mouvement ouvrier.

… dont LO et LCR demandent l’application aux gouvernements bourgeois…

Mais ce n’est pas tout. Dépourvus de tout objectif politique, LO et LCR se condamnent non seulement à l’opportunisme idéologique, mais surtout à l’opportunisme pratique le plus plat. En effet, si les textes scellant l’accord électoral ne nous expliquent pas que seul un gouvernement au service des travailleurs pourra mettre en œuvre leur « plan d’urgence contre le chômage, la précarité et la misère », ce n’est pas parce que ces organisations n’auraient pas confiance dans leurs propres forces, certes limitées, mais réelles. La raison fondamentale, c’est qu’elles comptent… sur un gouvernement bourgeois (donc par exemple un gouvernement Chirac) pour mettre en œuvre les « mesures d’urgence sociale » qu’elles préconisent ! En effet, « ces mesures d’urgence sociale », lit-on dans la profession de foi commune, « ce sont les luttes collectives qui les imposeront » — le vote pour les listes LO-LCR étant alors présenté comme un « encouragement pour les luttes »… Et Arlette Laguiller affirmait carrément dans son éditorial du journal Lutte ouvrière, le 12 décembre 2003, que « la classe ouvrière a la possibilité de les imposer, à un gouvernement de droite comme à un gouvernement de gauche » (sic !). Autrement dit, point n’est besoin de donner aux travailleurs l’objectif politique de chasser les gouvernements bourgeois du pouvoir, de porter au pouvoir un gouvernement qui les représente : pour imposer rien de moins que « l’interdiction des licenciements », la « garantie de l’emploi » ou encore « l’extension du service public sur tout le territoire et aux entreprises qui font du profit sur les besoins élémentaires de la population : distribution de l’eau, industrie pharmaceutique », etc., il suffit… de faire une grosse pression, avec « des luttes collectives » dépolitisées ! Et alors on pourra obtenir d’un gouvernement bourgeois qu’il s’en prenne lui-même à la nature du mode de production capitaliste ! Autant demander à un bidon de pétrole d’éteindre l’incendie qu’il a lui-même provoqué !

Certes, les « luttes collectives » du passé ont permis d’obtenir des conquêtes importantes de la part de gouvernements bourgeois (quoique jamais des mesures aussi incompatibles avec le mode de production capitaliste que l’interdiction des licenciements et la garantie de l’emploi !). Mais les plus grandes de ces conquêtes (congés payés, Sécurité sociale, statuts nationaux, conventions collectives…) n’ont pas été le produit de simples luttes syndicales et réformistes, mais les sous-produits de situation révolutionnaire ou pré-révolutionnaire, c’est-à-dire de situations où la classe ouvrière était prête à partir à la conquête du pouvoir politique, et où la bourgeoisie a préféré faire de très importantes concessions plutôt que de tout perdre, en recourant à la liquidation du mouvement révolutionnaire par les réformistes sociaux-démocrates et staliniens (pour la France, 1936, 1944-47, 1968). Autrement dit, c’est semer des illusions dans la tête des masses que de prétendre qu’elles pourront obtenir les « mesures d’urgence sociale » mises en avant par LO et la LCR sans se battre pour conquérir le pouvoir politique, donc sans construire un parti politique révolutionnaire — ainsi que des organisations syndicales puissantes, débarrassées de la bureaucratie syndicale traître. Et c’est un manipulation des travailleurs de dire qu’ils pourront obtenir de réelles avancées en suivant « ceux qui ont fait grève et manifesté au printemps dernier (et qui ont ainsi) montré la voie ». : quand on se dit organisations révolutionnaires, il est inadmissible d’évoquer un mouvement aussi important que celui de mai-juin dernier en cachant aux travailleurs qu’ils ont été défaits par la trahison des bureaucrates syndicaux au service du gouvernement ; mais il est vrai que ces organisations ont refusé de dénoncer et de combattre réellement les bureaucrates syndicaux en mai-juin, la LCR prétendant que la grève générale pouvait ne se réaliser que par le bas, et LO qu’elle n’était pas à l’ordre du jour parce que les travailleurs n’étaient pas prêts…

Enfin, l’illusion et la manipulation sont également présentes lorsque la profession de foi se conclut en disant aux travailleurs : « En votant pour les listes conduites par LO et la LCR, vous pouvez élire dans les conseils régionaux des hommes et des femmes qui y représenteront les intérêts des travailleurs », etc. LO et LCR semblent ainsi croire et faire croire, de façon typiquement réformiste, que la présence de quelques élus dans les conseils régionaux pourra aider les travailleurs à faire valoir leurs intérêts dans le cadre des institutions bourgeoises. La LCR va même jusqu’à faire croire que les élus pourront « défendre des propositions concrètes » et que, à l’encontre de la « logique libérale » des élus régionaux actuels, « une alternative qui aille dans le sens de la satisfaction des besoins sociaux de la population est possible », telle « une politique volontariste pour le développement du logement social » et autres « mesures, certes limitées, mais qui pourraient constituer un point d’appui pour développer les mobilisations contre la politique gouvernementale et imposer un plan d’urgence social et démocratique » (Rouge, 8 janvier). On a là la description typique de l’illusion réformiste. Et cela est d’autant plus inadmissible que, en réalité, les conseils régionaux (à la différence des conseils municipaux, où certaines avancées ont pu être obtenues par le passé), ont été mis en place non pas pour gérer les affaires purement locales qui relèvent des « communes », mais uniquement pour organiser, dans le cadre de l’Europe de Maastricht, la régionalisation et la décentralisation des services publics, ouvrant la voie à leur privatisation. Dès lors, à part voter contre ces mesures (du moins peut-on l’espérer…), quelle efficacité pourront bien avoir les élus LO-LCR contre cette politique décidée en fait au niveau de l’Union européenne et de l’État central ?

… tout en refusant toute initiative concrète dans la lutte de classe

À moins que, dans la pratique, ne soit mise en œuvre l’orientation préconisée par l’article cité de la LCR : revendiquant la politique de « budget participatif » menée par les amis brésiliens de son organisation, l’auteur explique que, si son organisation obtient des élus aux conseils régionaux, ils mettront en place un budget participatif « qui permette à toutes et à tous de décider des priorités du budget régional » (Rouge, 8 janvier). Autrement dit, au lieu de dénoncer le budget des conseils décidé par les partis de la bourgeoisie — comme c’est de tradition pour les organisations ouvrières qui ont des élus minoritaires dans les conseils locaux et qui sont donc dans l’opposition — la LCR propose à la population d’imiter un « modèle » qui, dans la pratique, au Brésil, conduit à accepter le cadre du budget imposé par la bourgeoisie, la population étant simplement sollicitée pour décider elle-même le taux d’augmentation de ses impôts locaux — qui est de fait programmée en France pour financer les services publics régionalisés —, ou pour choisir elle-même les services publics qu’il faut asphyxier financièrement ou privatiser — ce qui, en France, est justement le seul et unique objectif de la régionalisation ! (Cf. à ce sujet Le Cri des travailleurs n°1 de février 2003 et n°8 d’octobre 2003) (4).

Quant à Lutte Ouvrière, qui n’est certes pas sur une orientation aussi expressément réformiste que la LCR, que peut-on en attendre pratiquement ? Si elle prétend que les travailleurs peuvent obtenir l’interdiction des licenciements et la garantie de l’emploi de la part d’un gouvernement bourgeois, elle soutient aussi… qu’ils ne peuvent empêcher les licenciements par eux-mêmes, ici et maintenant ; ou du moins elle considère qu’elle n’a pas à les aider à combattre en ce sens. En effet, fidèle à sa passivité habituelle, elle a rejeté expressément toute initiative pratique contre les licenciements lors de son XXXIIIe congrès, malgré la demande en ce sens (certes timide) d’une partie de ses propres militants — des délégués membres de la « Fraction » proposant une motion prudente qui se prononçait pour une action particulière contre les licenciements et les suppressions d’emploi par la constitution de « comités » ou « collectifs » dans les entreprises (5). Certes, cette motion était pour le moins fort insuffisante et même politiquement erronée, puisqu’elle prétendait contourner l’obstacle des bureaucraties syndicales apathiques par les seules forces de LO (préconisant un combat « à la portée de notre organisation »), et non par le front unique ouvrier (il ne s’agit pas, précisait la Fraction, de « lancer de quelconques appels, ni de s’adresser nationalement aux autres organisations syndicales ou politiques, ni même au reste de l’extrême gauche »). Passons sur le fait que, au contraire, seul le front unique ouvrier, imposé par les travailleurs, peut permettre à ces derniers de déborder les directions syndicales et de les obliger à aller plus loin qu’elles ne le veulent elles-mêmes dans l’affrontement avec le patronat et le gouvernement ; passons également sur le caractère fort surprenant d’une stratégie qui repose tout entière sur l’idée que l’on peut, par la pression mécanique des luttes, obtenir des résultats faramineux d’un gouvernement bourgeois, mais qui considère en même temps erroné d’exiger quoi que ce soit des directions syndicales… Ce qu’il faut surtout souligner ici, c’est que même cette motion pourtant bien timide et dépolitisée (qui reflétait toutefois à sa manière le désarroi d’une partie des militants de LO face à l’incroyable apathie de leur direction) a été rejetée par le congrès (97 % des délégués) à la demande de la direction, celle-ci estimant que la démarche proposée « ne correspond pas du tout à la situation actuelle ». Mais alors, si ce combat n’est pas à l’ordre du jour, pourquoi faire croire aux travailleurs qu’une loi sur l’interdiction des licenciements est à portée de main, comme « mesure d’urgence » à exiger de Chirac ? Décidément, ici comme ailleurs, à l’heure où se succèdent les plans de licenciements et de suppressions d’emplois sans que les directions syndicales lèvent le petit doigt, c’est bien plutôt l’incapacité de LO à prendre des initiatives politiques dans la lutte de classe qui « ne correspond pas du tout à la situation » !

Une fois de plus, LO ne sait donc faire que de la dénonciation et, périodiquement, de l’agitation électorale. En l’occurrence, c’est même caricatural : alors que son congrès venait de consacrer de longs moments à justifier et décider l’accord avec la LCR, la direction de LO a refusé d’envisager quelque action concrète que ce soit avec son partenaire ; et, aussi incroyable que cela paraisse, elle a même fait rejeter catégoriquement une autre motion proposée par la « Fraction », qui demandait une intervention commune des deux organisations sur le terrain des luttes, à la fois contre les licenciements et le chômage et pour défendre la Sécurité sociale (motion rejetée elle aussi par 97 % des voix). Voici la réponse de la direction, qui vaut son pesant d’or : « Lutte Ouvrière comme la LCR mènent déjà, chacune avec ses mots et son argumentation dans ses propres publications, une propagande sur les deux thèmes. Donner un caractère commun à cette propagande serait au mieux inutile. Quant à une agitation systématique en vue de déboucher sur une action, elle ne correspondrait pas à la situation telle qu’elle est actuellement, qu’elle soit menée ensemble par les deux organisations ou séparément. » Comme, de son côté, la LCR ne propose elle non plus aucun travail commun de mobilisation concrète avec LO, il apparaît clairement que les deux organisations refusent décidément l’une comme l’autre de prendre leurs responsabilités, de retrousser leurs manches pour mettre la main à la pâte de l’initiatve politique — comme le montre en l’occurrence leur peur panique du flirt poussé.

Regarder au-delà des élections, faire de la politique, s’organiser

L’accord LO-LCR est donc réformiste dans son contenu, vide dans ses perspectives et purement électoraliste dans sa démarche. Par ailleurs, il est évidemment hors de question, pour les travailleurs conscients, d’aller voter pour la gauche plurielle légitimement sanctionnée en 2002 pour avoir fait une politique de droite préparant le retour de la vraie droite, et qui, depuis lors, a réalisé l’union sacrée derrière Chirac, puis trahi la montée vers la grève générale en mai-juin 2003 — persistant encore aujourd’hui à refuser de le combattre réellement, y compris en cette veille de période électorale. Dès lors, les conditions ne sont pas réunies pour infliger une défaite électorale de classe à Chirac et à l’UMP. Ceux-ci, manifestement, vont remporter la majorité des voix exprimées. Mais les ouvriers, les exploités, les opprimés n’ont pas d’illusion, ils s’apprêtent à boycotter massivement les prochains scrutins, sachant qu’il n’en sortira de toute façon rien de bon pour eux — des millions sanctionnant ainsi, de même que les électeurs LO-LCR, à la fois la politique du gouvernement et celle, passée et présente, de la gauche plurielle.

Dans ces conditions, le Groupe CRI appelle les lecteurs de son journal, tous les travailleurs conscients, à regarder au-delà des élections et à préparer activement, dès maintenant, sur leur lieu de travail, dans leur quartier, dans leur syndicat… les très durs combats de classe qui nous attendent dans la prochaine période. Ceux-ci devront surmonter les obstacles qui ne manqueront pas de surgir de nouveau sur le chemin de la grève générale, seule à même de vaincre Chirac et d’ouvrir une situation politique nouvelle dans ce pays.

Pour le Groupe CRI, une telle situation ouvrirait concrètement la perspective d’un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs. D’ores et déjà, il est clair que cette perspective est la seule qui exprime de manière conséquente et positive la nécessité d’une rupture avec le système capitaliste, l’État bourgeois et le gouvernement de droite, mais aussi avec les gouvernements de gauche et tous les appareils bureaucratiques des syndicats et de la gauche plurielle ; cette perspective est en rupture également avec la politique des directions centristes de LO, de la LCR et du PT ; elle rend nécessaire le regroupement politique des travailleurs conscients, dans l’objectif de construire un parti qui soit le leur, un parti communiste révolutionnaire internationaliste.

Le Groupe CRI invite ses lecteurs à en discuter, à lui envoyer leurs contributions politiques, à s’organiser et — pourquoi pas ? — à rejoindre ses rangs.


1) Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur la signification politique internationale de l’échec du sommet européen de décembre, qui devait adopter le projet de Constitution de Giscard (longuement analysé dans le n°8 du Cri des travailleurs). Disons simplement ici que, si cet échec va retarder la difficile constitution d’un pôle impérialiste européen fondé sur l’axe Paris-Berlin et autonome sur la scène internationale, il ne va pas l’empêcher, car elle est une nécessité historique pour les États impérialistes d’Europe.

2)  Cf. sur ce point Le Cri des travailleurs n°1, 2 et 3 (février, mars et avril 2003).

3) Cette politique de défense nationale est exacerbée en Algérie, où les lambertistes ont, hors de France, leurs principales forces, réunies dans le Parti des travailleurs algérien. (Cf. Le Cri des travailleurs n°4 de mai 2003.) Dans ce pays, en effet, des déchirements traversent actuellement le principal parti au pouvoir, le FLN, également principal ennemi de la classe ouvrière et du peuple algérien, par la politique qu’il mène depuis quarante ans. L’un des dirigeants de ce parti, Ali Benflis, entend se présenter aux prochaines élections présidentielles contre Bouteflika, ce qui a provoqué la récente invalidation du VIIIe Congrès du FLN par la Chambre administrative de la Cour d’Alger et des combats de rue opposant les forces de l’ordre aux partisans de Benflis. Cette situation de crise politique ouverte au sein de l’appareil d’État honni par le peuple ouvre potentiellement des perspectives de lutte politique pour la classe ouvrière et la jeunesse, seule alternative à ce pouvoir corrompu et assassin. Les revendications à mettre en avant par un parti qui se réclame de la classe ouvrière devraient en tout cas être des revendications de classe — d’autant que, au cours de ces derniers mois, la lutte de classe s’est faite vive dans ce pays, avec la grève très puissante chez les enseignants, mais aussi chez les cheminots ou chez les travailleurs du complexe véhicules industriels de Rouiba. Or, que fait le PT dans une telle situation ? Au lieu d’en appeler à la mobilisation du prolétariat et des travailleurs comme seule force capable de mener à bien le combat pour les revendictions sociales et anti-impérialistes, au lieu d’aider les masses à poser et à s’approprier la question du pouvoir dans cette situation de crise politique, il en appelle à « raison garder » ! Il met en garde contre les « immenses dangers pour l’intégrité de la nation » que constitue selon lui cette crise au sommet de l’État ! Et il assure : « Rien ne peut, rien ne doit être supérieur aux intérêts, à l’intégrité de la nation algérienne, du peuple algérien. » Aussi la seule perspective politique qu’il se fixe, c’est de mandater sa secrétaire nationale Louisa Hanoune pour prendre part à « toute initiative dont les auteurs déclarent, dans le respect des positions de chacun, que l’Algérie ne doit pas sombrer ». (Informations ouvrières n°622, 7 janvier 2004). Ce qui a débouché sur une rencontre officielle entre Louisa Hanoune et Bouteflika, à la demande du PT ! Louisa Hanoune a demandé au « premier magistrat du pays »... « d’assainir le climat politique et social (pour) éviter que le scrutin ne soit un facteur déclencheur de l’irrémédiable » et a plaidé pour « la préservation et le renforcement de l’unité nationale » (Informations ouvrières n°624 du 21 janvier). En clair : une explicite collaboration de classe avec la bourgeoisie pour maintenir l’État algérien tel qu’il est, comme s’il n’était pas le premier bradeur et liquidateur de la nation algérienne à l’impérialisme et à la clique militaire au pouvoir depuis quarante ans ! Les marxistes affirment au contraire que la nation algérienne ne pourra être défendue contre l’impérialisme (comme elle doit l’être) que par la liquidation de l’État bourgeois algérien et par la conquête du pouvoir par le prolétariat allié à toutes les catégories de travailleurs.

4)  On pourrait d’ailleurs développer la comparaison avec le Brésil en se demandant si la LCR fera dans les conseils régionaux la même politique que celle que mènent ses camarades brésiliens de Démocratie socialiste (courant du PT et membre de la même organisation internationale que la LCR) au niveau cette fois du gouvernement fédéral (comme dans plusieurs municipalités brésiliennes). L’avenir le dira. Rappelons seulement que nous avons déjà dénoncé dans ces colonnes la politique de DS, de ses députés qui ont voté la contre-réforme de Lula contre les retraites, et de son ministre de la réforme agraire, Miguel Rossetto, qui cautionne les décisions de la justice et de la police contre les paysans sans-terre et leurs militants ; cf. Le Cri des travailleurs n°8 et n°9. Ajoutons que, récemment encore, lors d’une réunion du Directoire national du PT, et malgré l’exclusion du PT de sa propre camarade Héloïsa Helena, sénatrice ainsi sanctionnée pour avoir voté contre la contre-réforme des retraites, contrairement à la quasi-totalité des autres parlementaires de DS — ce courant a osé voter pour un texte disant : « Le PT n’a pas vacillé et ne peut vaciller dans son soutien au gouvernement » — alors que Lula et ses ministres, soutenus par la quasi-totalité des députés du PT, a amplement montré qu’ils n’étaient que de vils serviteur du FMI, des capitalistes et des propriétaires fonciers.

5) Les citations suivantes sont extraites des « Textes du 33e Congrès de Lutte ouvrière », Lutte de classe, n°77, décembre 2003-janvier 2004.