Article du CRI des Travailleurs n°10

Loi Chirac contre les lycéennes musulmanes :
Déjouer le piège, adopter une position communiste révolutionnaire

Suite à la remise du rapport de la commission Stasi nommée par l’Élysée en juillet 2003, voilà que Chirac prétend endosser le manteau vertueux de la laïcité et de la défense des femmes musulmanes contre l’oppression, en proposant une loi sur l’interdiction des signes religieux « ostensibles » à l’école. Que se cache-t-il derrière cette « conversion » soudaine du président, naguère si calotin (1) et xénophobe (2) ? Faut-il emboîter le pas au premier menteur de la République en soutenant sa décision d’interdire le port du foulard musulman à l’école pour en exclure les jeunes filles voilées, comme le fait le PS, mais aussi Lutte ouvrière (LO), ou du moins en la cautionnant et en refusant de la combattre, comme le font la plupart des syndicats et organisations de travailleurs de ce pays (CGT, FO, FSU, PCF, LCR, PT) ? Faut-il à l’opposé, comme le font Speb (Socialisme par en bas) ou les JCR (Jeunesses communistes révolutionnaires), aller manifester avec les islamistes, sous prétexte de « front uni » contre la loi Chirac ? — Telles sont les questions qui agitent depuis plusieurs mois les organisations qui se réclament de la classe ouvrière, dans un contexte où la « question du voile » a été mise par le gouvernement au centre des « débats » de l’opinion publique officielle, politicienne et médiatique, pour des raisons rien moins que vertueuses. Or, comme les autres, ces questions appellent une réponse communiste révolutionnaire authentique : nous soumettons ici les premiers résultats de nos réflexions, pour une discussion qui devra être menée jusqu’au bout par tous ceux qui se réclament du mouvement ouvrier, et qui par conséquent doivent chercher les formes les plus justes du combat contre l’idéologie dominante sous toutes ses formes.

La question religieuse et la laïcité : quel combat, pourquoi, par qui ?

À quel point l’État bourgeois peut-il être laïque ?

Telle est la question fondamentale dont il faut partir. L’État est l’État de la bourgeoisie, il fait donc une politique qui sert les intérêts généraux de cette classe sociale et du système par lequel elle existe, le système capitaliste de production. Bien sûr, pour désamorcer les crises révolutionnaires ou pré-révolutionnaires (en France en 1936, 1944-47, 1968) ou pour intégrer la classe ouvrière et le salariat en général à la société bourgeoise, l’État — s’appuyant sur les réformistes (sociaux-démocrates et staliniens) — fut historiquement amené à faire des concessions en octroyant des réformes — qui du reste, dans certaines conditions socio-économiques et politiques, se révèlent en général profitables au système capitaliste lui-même, comme ce fut par exemple le cas pendant la période dite des « Trente Glorieuses ». Cependant, cela n’empêche pas que l’État bourgeois reste, comme le disait Marx, le « conseil d’administration » des affaires communes de la bourgeoisie, et que les gouvernements qui se succèdent à sa tête, quelles que soient leur couleur politique et leur idéologie, ont comme fonction d’assurer la reproduction optimale, dans des conditions données, du système capitaliste d’exploitation. Or, dans la société bourgeoise comme dans les sociétés divisées en classes qui l’ont historiquement précédée, la religion joue un rôle social irremplaçable, celui de catalyseur des frustrations populaires, offrant aux masses exploitées et ignorantes la consolation qui leur est nécessaire pour supporter l’exploitation, la pauvreté et toutes les frustrations de leur existence (3). En ce sens, les Églises au sens large du terme (les corps qui organisent la diffusion des croyances et la pratique religieuse) jouent un rôle fondamental pour maintenir les masses dans l’aliénation et sont des forces oppressives à combattre.

Mais elles ne s’en tiennent pas là : en reconnaissance de ce service socio-idéologique essentiel qu’elles rendent à la bourgeoisie, les Églises exigent de l’État qu’il les finance et qu’il les reconnaisse officiellement, afin de conserver ou d’accroître leur propre pouvoir. C’est pourquoi, dans les faits, la plupart des États bourgeois existants, à commencer par les États-Unis, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni… ne sont pas ou sont très partiellement laïques (4). La France fait donc plutôt figure d’exception. Il est nécessaire de rappeler très succinctement les causes matérielles historiques de cette situation.

Pourquoi la bourgeoisie française fut-elle particulièrement laïque ?

L’importance de la laïcité dans ce pays tient aux particularités de l’histoire de la bourgeoisie française qui, à la fin du XVIIIe siècle, contrairement à sa collègue anglaise, n’avait toujours pas réussi à soumettre politiquement la noblesse et la monarchie à ses propres besoins socio-économiques de classe, et dont les fractions les plus avancées se résolurent donc, en désespoir de cause, à s’appuyer sur le peuple pour conquérir le pouvoir politique par un combat révolutionnaire contre la noblesse et le clergé, et finalement contre la monarchie elle-même, en 1789-1793. Or un choix aussi radical eut pour effet de fractionner plus que partout ailleurs les anciennes classes dirigeantes et la bourgeoisie elle-même (5), ce qui conduisit par la suite, et tout au long du XIXe siècle, ces différentes fractions à s’affronter de manière continue et violente pour exercer le pouvoir, faisant tomber les régimes politiques les uns après les autres (Ière République, Empire napoléonien, Restauration, Monarchie de juillet, IIe République, Second Empire, Troisième République).

La majorité de la bourgeoisie comprit finalement qu’il fallait, pour garantir enfin la stabilité politique, se rallier à sa fraction la plus avancée, qui prônait un régime, la République parlementaire et laïque, seule à même de réduire définitivement les bastions de la réaction féodale, qui se concentraient tout particulièrement dans l’Église, la France ayant été pendant des siècles « la fille aînée de l’Église » catholique romaine. En ce dernier tiers du XIXe siècle, un tel régime permettait non seulement de pérenniser enfin un ordre politique stable — condition pour une bonne marche des affaires en général —, mais aussi de s’atteler sérieusement à l’expansion impérialiste de la France dans le monde, tâche d’autant plus urgente qu’elle était très en retard sur l’Angleterre et menacée par la puissance montante de l’Allemagne, facilement victorieuse de l’ « Empire » de Napoléon III dans la guerre de 1871. Enfin, cela permettait d’intégrer les classes ouvrières et populaires françaises, particulièrement agitées depuis leur expérience révolutionnaire de 1793 : journées révolutionnaires des années 1830, révolution de février 1848 instaurant la IIe République, insurrection de juin 1848, journées révolutionnaires de 1870 (la première aboutissant à la déchéance de Napoléon III vaincu et à la proclamation de la IIIe République le 4 septembre), Commune de Paris enfin au printemps 1871… En effet, la forme de la République parlementaire avait sur les autres régimes bourgeois envisageables l’avantage incomparable de faire croire aux masses, à travers la duperie du suffrage universel (masculin), qu’elles avaient leur mot à dire dans la politique de l’État. Ce sont donc ces nécessités politiques, économiques et sociales qui expliquent pourquoi, en France, la bourgeoisie républicaine mena assez loin le combat politique contre l’Église, des lois sur l’école publique laïque de 1882-84 à celle de 1905 dite « de séparation de l’Église et de l’État ». Ces lois furent progressistes et la laïcité de l’État et de l’école fut toujours, à juste titre, défendue par les militants ouvriers, dans la mesure où elle constitue un point d’appui pour combattre contre ces forces sociales oppressives et réactionnaires que sont les différentes Églises, en limitant leur influence. La laïcité est notamment une garantie indispensable, quoique bien évidemment partielle, contre la mainmise des Églises sur la conscience des enfants scolarisés dans les établissements publics, leur permettant de recevoir une instruction rationnelle indispensable pour forger leur intelligence et leur esprit critique. En ce sens, le mouvement ouvrier doit rester, aujourd’hui comme hier, à l’avant-garde des combats laïques.

La laïcité bafouée et menacée

Cependant, prétendre qu’il y aurait aujourd’hui, en France, une véritable séparation des Églises, tout particulièrement de l’Église catholique, et de l’État, ce serait une illusion — et affirmer, avec le rapport Stasi, qu’il y aurait une « neutralité du pouvoir politique », c’est une vaste supercherie. Tout d’abord, même la loi progressiste de 1905 n’a prévu qu’une séparation partielle : elle garantit par exemple la présence d’aumôneries dans les prisons, les armées, les hôpitaux et les établissements scolaires comprenant un internat. En outre, la IIIe République sut toujours aider généreusement, quoique discrètement, les missions catholiques qui précédaient ou accompagnaient ses armées dans la colonisation des peuples d’Afrique ou d’Asie. Enfin, non seulement la situation juridique de l’Église française depuis ces lois ne l’a pas empêchée de continuer à exercer une influence considérable sur les masses (cette influence reculant en fait surtout à partir des années 1950, pour des raisons socio-économiques et non politiques, et restant aujourd’hui vivace), mais en outre son offensive pour recléricaliser l’État fut permanente et souvent efficace tout au long du XXe siècle : persistance et développement des écoles privées catholiques permettant à l’Église de continuer à happer en toute légalité la conscience d’une bonne partie des enfants français et d’y distiller son poison obscurantiste ; suspension de la loi de 1905 pendant la Première Guerre mondiale (les curés devant jouer un rôle majeur dans l’ « union sacrée », aux côtés des traîtres du parti socialiste et de la CGT, et bénissant la chair à canon avant son départ au feu) ; maintien du concordat d’Alsace-Moselle garantissant les cours de religion dans les école publiques et assurant le financement public des églises et des curés de ces départements — dispositions étendues aux rabbins et pasteurs par le gouvernement d’union nationale contre-révolutionnaire De Gaulle-Thorez en 1945 ; loi Astier de 1919 subventionnant l’enseignement technique privé ; lois Barangé et Marie de 1951 accordant des bourses aux élèves des écoles privées ; loi Debré de 1959, qui sera renforcée par la loi Guermeur de 1977, permettant aux établissements scolaires privés qui passent un contrat avec l’État de faire rémunérer leurs enseignants par l’argent public...

Arrivés au pouvoir en 1981, le gouvernement PS-PCF cède à la pression de la réaction catholique qui descend dans la rue : non seulement, ici comme ailleurs, il refuse de tenir ses promesses d’abrogation de toutes les lois anti-laïques, mais il les aggrave : en 1983, il crée un Comité consultatif national d’éthique qui institutionnalise les représentants religieux dans la vie politique, au mépris de la loi de 1905, dont l’article 2 prévoit que « la République ne reconnaît (…) aucun culte » ; en 1984, une loi Rocard supprime toute limite aux subventions de l’enseignement agricole privé… Puis les atteintes à la laïcité se multiplient sous tous les gouvernements : en 1987, Monory, ministre de l’Éducation nationale de Mitterrand-Chirac, promulgue une circulaire qui généralise à tous les établissements du second degré l’autorisation d’avoir des aumôneries et de leur faire de la publicité (jusqu’à cette date, seuls les lycées dotés d’internat bénéficiaient de cette autorisation, aux termes de la loi de 1905 ; aujourd’hui, 1500 lycées ont leur aumônerie propre) ; en 1989, Jospin, ministre de l’Éducation nationale, autorise « l’enseignement du fait religieux » à l’école et dans les IUFM ; en 1991, Lang, ministre de la culture, fait financer par l’État la construction de la cathédrale d’Évry ; en 1992, le même Lang, devenu ministre de l’Éducation nationale, signe les accords dits « Lang-Clouper », qui accroissent encore les subventions publiques à l’enseignement catholique ; en 1993, sous le gouvernement Mitterrand-Balladur, il devient légal pour les représentants de l’État de parler de « Saint-Siège » pour désigner le Vatican ; en 1997, à Amsterdam, Jospin, fraîchement nommé Premier ministre, signe avec Chirac le Traité d’Amsterdam qui, tout en aggravant par ailleurs les dispositions du Traité de Maastricht, contient un article proclamant que, « en reconnaissance de leur identité et leur contribution spécifique, l’Union [européenne] maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier, avec [les] Églises et organisations [religieuses] » ; en janvier 2000, Allègre, ministre de l’Éducation de Jospin, titularise, par la création d’un concours de recrutement ad hoc, des auxiliaires chargés d’ « enseigner » la religion en Alsace-Moselle (trente-cinq catholiques et huit protestants)... De plus, au cours des vingt dernières années, les Églises ont été de plus en plus fréquemment « consultées » par le gouvernement sur les questions d’ « éthique » et d’éducation. La Conférence des évêques de France, la Fédération protestante, le Consistoire central (juif) sont devenus des interlocuteurs privilégiés de l’État. Pour faire bonne mesure, Chirac-Sarkozy ont eux-mêmes institué l’an passé le Conseil français du culte musulman, l’État devenant ainsi carrément le promoteur de nouvelles Églises officielles.

Dans ce contexte et sur la base de ces faits (dont la liste n’est pas exhaustive), qui pourrait croire à la transfiguration de Chirac en apôtre de la laïcité ? Certes, à l’heure où il décide de supprimer un jour férié pour les salariés, il ne pouvait tout de même pas aller jusqu’à accepter la proposition, faite par la commission Stasi, d’instaurer deux jours fériés lors de l’Aïd el Kébir et de Kippour, fêtes musulmane et juive — l’idée elle-même ayant cependant désormais tout loisir de faire son chemin. Mais l’une des suggestions de la commission Stasi sur laquelle Chirac insiste particulièrement est le développement de « l’enseignement du fait religieux » à l’école, déjà prévu par la loi Jospin de 1989 (et dont le « laïque » renégat Régis Debray se faisait le missionnaire zélé dans un autre rapport commandé naguère par Jack Lang), mais qui se heurte depuis à la résistance des enseignants. De plus, le rapport Stasi réitère évidemment, et Chirac à sa suite, « le caractère propre des établissements privés sous contrat », auxquels il garantit ainsi la pérennité de leur financement public (qui ne représente pas moins de 20% du budget de l’Éducation nationale !) et le droit, en ce qui les concerne, d’arborer tous les signes religieux qu’ils veulent — en fait essentiellement des crucifix, puisqu’ils sont à 95 % catholiques —, y compris lors des sessions d’examens publics nationaux qui sont organisées dans leur enceinte, comme c’est le cas chaque année. 

Dès lors, la décision d’interdire les signes religieux ostensibles à l’école ne peut évidemment pas être comprise, de la part de Chirac, ostensiblement soutenu en l’occurrence par le PS bourgeois (6), comme une décision visant à promouvoir la laïcité. Il n’est pas permis aux organisations ouvrières syndicales et politiques d’avoir la moindre illusion sur ce point, et encore moins de soutenir Chirac, à moins de tomber dans l’opportunisme le plus vil.

La question de l’oppression des femmes

Mais il est vrai que Chirac invoque également la défense des femmes contre l’oppression. Passons sur le fait que son ministre délégué à la famille, Christian Jacob, avait déclaré le 29 avril dernier, lors de la Conférence sur la famille, son intention de créer une allocation de cessation d’activité spéciale pour renvoyer les femmes au foyer après leur premier enfant. Passons également sur le fait que les femmes sont particulièrement touchées par la réforme Fillon des retraites, la décision d’allonger la durée de cotisation et d’augmenter la décote par année non cotisée touchant de plein fouet les salariées qui auront pris des congés sans solde ou travaillé à temps partiel pour élever leurs enfants, ainsi que toutes celles qui auront subi un temps partiel imposé avant d’entrer dans la Fonction publique. Passons enfin sur le fait qu’il s’en est fallu de peu, en décembre dernier, que ne soit adopté par l’Assemblée nationale l’amendement d’un député UMP qui prévoyait la création d’un « délit involontaire de grossesse » dans le but de changer le statut juridique du fœtus, et qui aurait donc ouvert la voie à une remise en cause du droit à l’IVG, partiellement conquis en 1975...

En fait, au-delà de son caractère hypocrite, l’invocation du droit des femmes par Chirac révèle la fonction réelle de sa loi, essentiellement destinée à réprimer les musulmanes et ainsi à stigmatiser les Arabes et les Noirs qui vivent dans ce pays. En effet, dans les discours des médias et des politiciens, seul l’islam est supposé opprimer la femme, alors que les autres religions seraient innocentes à cet égard. Porter un voile, pour une femme, serait le comble de l’oppression — alors qu’une croix autour du cou ne le serait pas (7). Mais pourquoi faire une telle différence ? Ce qui compte, en matière religieuse, ce ne sont pas les signes, fussent-ils « ostensibles » (adjectif désignant, selon le dictionnaire, ce « qui est fait sans se cacher ou avec l’intention d’être remarqué ») ; en fait, cette expression elle-même n’a pas d’autre fonction que de stigmatiser en priorité les musulmans, puisque les juifs en France ne revendiquent pas de porter la kippa à l’école, et fort rares sont les chrétiens qui sortent avec une « grande croix » (8)  ! Non, ce qui compte, en matière religieuse, ce sont les idéologies que, par définition, tous les signes religieux manifestent, quel qu’ils soient. Or, à cet égard, la lecture parallèle de l’Ancien testament, du Nouveau testament et du Coran montre que les trois grandes religions monothéistes tiennent semblablement la femme pour un être inférieur qui doit subir la tutelle de l’homme. De manière générale, il n’y a aucune différence qualitative entre les religions juive, chrétienne et musulmane — qui sont sur un pied d’égalité obscurantiste. Et, d’un point de vue quantitatif, qui pourrait dire aujourd’hui que, parmi les pratiquants de ces religions en France, il y ait proportionnellement plus d’intégristes musulmans que d’intégristes juifs ou chrétiens ? De plus, les positions du pape contre le droit à l’avortement et la contraception, mais aussi ses déclarations pour le maintien de l’oppression des femmes, pour leur retour au foyer, ont-elles quoi que ce soit à envier à celles des imams les plus réactionnaires ? Par exemple, la déclaration selon laquelle « la véritable promotion de la femme consiste à la promouvoir à ce qui lui est propre et lui convient en sa qualité de femme », ne fut pas prononcée par un barbu délirant, mais au contraire par un chauve, qui avait cependant encore toute sa tête à l’époque, à savoir Jean-Paul II, le 27 juillet 1994, à Rome. Bien sûr, il ne s’agit pas de nier que l’intégrisme islamiste se développe depuis vingt ans et, dans la mesure où les musulmans appartiennent souvent aux catégories les plus pauvres de la société française, les femmes et les jeunes filles musulmanes qui le subissent sont parmi les plus opprimées de ce pays, car elles sont en même temps victimes de la misère, de l’exploitation domestique, du racisme... Mais l’intégrisme catholique est-il en reste ? Absolument pas, il suffit, pour constater qu’il existe lui aussi, de regarder du côté des commandos anti-IVG, du côté des députés UMP comme Boutin, Barrau ou de Villiers, ou du côté du Front national, parti qui s’est développé lui aussi au cours des vingt dernières années. Simplement, l’intégrisme catholique est plus discret, il fait moins la une des journaux, car, à la différence de son confrère islamiste, c’est un phénomène dont la base sociale est avant tout la bonne bourgeoisie bien française !

Combattre contre les signes… ou contre les réalités sociales qu’ils manifestent ?

Or, si les signes religieux ne sont que les manifestations des idéologies religieuses, c’est à celles-ci qu’il faut s’en prendre : de fait, les communistes révolutionnaires doivent être à l’avant-garde du combat contre l’oppression et l’aliénation religieuses, pour le droit à l’instruction, pour le développement et l’enseignement des sciences... Mais, plus fondamentalement, les idéologies religieuses elles-mêmes ne sont pas autre chose que les « signes » qui manifestent la réalité sociale, qui « révèlent » une société où les individus ont besoin de religion. Si les individus de la société bourgeoise, quelle que soit d’ailleurs leur classe sociale, sont encore si nombreux à avoir besoin de religion, c’est que la réalité sociale elle-même suscite cette protestation qui est en même temps consolation. En particulier, le développement de l’intégrisme catholique dans la bourgeoisie française et, à l’inverse, l’effondrement de l’anti-cléricalisme et de l’idéologie laïque classique (radicale-socialiste) en France depuis la Seconde Guerre mondiale, peuvent s’expliquer par le désarroi né des reculs successifs de la bourgeoisie française sur la scène internationale, la France étant passée d’un statut de grande puissance à un statut d’impérialisme de second ordre. Et, du côté du peuple, il est clair que, depuis vingt ans, la religion a reculé beaucoup moins vite qu’elle ne l’avait fait au cours des trente années précédentes, non seulement parce que la dégradation des conditions de vie (pauvreté, chômage, précarité...) et le sentiment d’une montée de l’ « insécurité » engendrent des regains religieux, aisément canalisés et contrôlés par les Églises constituées, mais aussi parce que les directions des syndicats et les grandes organisatsions qui se réclamaient de la classe ouvrière ont capitulé face aux cléricaux comme dans tous les autres domaines.

Dès lors, contrairement à ce que croient les petits bourgeois « progressistes » et autres réformistes pour qui la laïcité et « l’école républicaine » — qui sont certes des acquis à défendre bec et ongles contre tous les réactionnaires — peuvent suffire à endiguer la montée de l’intégrisme religieux, les marxistes doivent affirmer clairement que celui-ci continuera de progresser dans la prochaine période historique. En effet, qu’on le veuille ou non, il constitue une véritable réponse à des frustrations et à des aspirations réelles, auxquelles la seule réponse alternative est l’organisation ouvrière et le développement de la conscience de classe dans les usines, les établissements et les quartiers. Les marxistes doivent dénoncer les vraies causes des maux sociaux, qui résident dans le système capitaliste engendrant spontanément, dans sa recherche du profit maximal, l’exploitation tendanciellement croissante, le chômage structurel, la précarisation des conditions de travail, la montée des inégalités sociales, la ségrégation, l’ « insécurité », la répression policière et judiciaire et la remise en cause permanente des conquêtes, droits et garanties arrachés par les luttes passées de la classe ouvrière et des travailleurs. Et c’est ce système, avec son État et les gouvernements de gauche et de droite qui se succèdent à sa tête, qui engendre également la persistance de l’oppression des femmes malgré les combats féministes et en particulier l’oppression particulière des femmes musulmanes. Celles-ci sont souvent traitées comme des êtres inférieurs, soumises au joug des maris et des frères (eux-mêmes souvent au chômage ou dans des conditions sociales difficiles) ; et elles assument fréquemment elles-mêmes cette situation, selon les mécanismes socio-psychologiques du consentement des individus atomisés à leur propre aliénation, qui est d’autant plus fort quand il se nourrit des illusions religieuses, et plus encore lorsque ces personnes sont en outre victimes du racisme et de la ghettoïsation.

Non à la loi Chirac, non à toute loi d’exclusion des lycéennes voilées, non aux actes d’exclusion !

Quant aux très nombreuses femmes et jeunes filles qui, au contraire, refusent cette soumission, celles qui refusent le voile, il est clair que les communistes révolutionnaires doivent leur apporter tout leur soutien. Mais ce n’est pas en en appelant à la violence de l’État oppresseur et de ses fonctionnaires que l’on peut les soutenir : c’est uniquement, et à l’inverse, en leur faisant comprendre qu’elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, sur leur auto-organisation, en relation étroite avec l’auto-organisation de la classe ouvrière, des travailleurs et de la jeunesse, qui ne peuvent en aucun cas s’en remettre à l’État bourgeois lui-même exploiteur et oppresseur pour se défendre contre leurs exploiteurs et leurs oppresseurs. En particulier, les marxistes révolutionnaires authentiques ne sauraient soutenir une loi interdisant le port du voile musulman à l’école, qu’elle vienne de Chirac ou du PS. Ils ne sauraient davantage organiser ou cautionner l’acte même d’exclure les jeunes filles musulmanes voilées, car il résulte de ce qui précède qu’on ne les aidera pas en ajoutant une nouvelle répression à la répression et à l’oppression qu’elles subissent (en l’acceptant ou non) de la part de leur famille et de la police dans leurs quartiers. Les enseignants qui, au nom de la lutte contre l’oppression des femmes, abusent du pouvoir que l’État leur confère (et dont la limite doit être celle de la seule discipline nécessaire à l’instruction, y compris bien sûr dans les matières comme les sciences nturelles ou l’éducation physique et sportive) lorsqu’ils essaient de forcer ces jeunes filles à ôter le signe de leur soumission, alors qu’on ne peut que les en convaincre. Ce faisant, non seulement ils les excluent de fait du seul lieu où elles pouvaient échapper aux griffes de leur famille et acquérir une instruction développant leur intelligence et étant par là même susceptible de les aider à trouver le chemin de leur émancipation ; mais encore, ils reprennent à leur compte, qu’ils le veuillent ou non, et même quand ils se croient par ailleurs révolutionnaires, l’idéologie de tous ceux qui en appellent à Dieu, à César ou aux tribuns, et à laquelle s’oppose le principe élémentaire du combat prolétarien, qui veut que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », comme le disait la fière devise de la Première Internationale. On ne peut forcer personne à être libre. Surtout pas en faisant appel aux puissances de l’esclavage. Les enseignants soi-disant révolutionnaires de LO, du PT et parfois de la LCR qui demandent au gouvernement une loi répressive et qui excluent leurs élèves, ne sont rien d’autre que d’auto-proclamés tribuns de pacotille qui, au lieu de prétendre émanciper autrui par la contrainte, feraient mieux de s’émanciper eux-mêmes de leur propre soumission à l’État, et de remonter leurs manches pour aider les femmes musulmanes, y compris celles qui portent le voile — à commencer bien sûr par celles qui le font contre leur gré — à trouver la voie de l’auto-émancipation, donc la voie du combat sans ambiguïté contre l’État bourgeois. Car, pour les marxistes authentiques, il ne revient pas à l’État d’éduquer le peuple, et le prolétariat doit exiger que le gouvernement ne s’immisce pas dans l’École : « Une éducation du peuple par l’État, écrivait Karl Marx en 1875, est chose absolument condamnable. Déterminer par une loi générale les ressources des écoles primaires, les aptitudes exigées du personnel enseignant, les disciplines enseignées, etc., et (...) surveiller, à l’aide d’inspecteurs d’État, l’exécution de ces prescriptions légales, c’est absolument autre chose que de faire de l’État l’éducateur du peuple ! Bien plus, il faut proscrire de l’école au même titre toute influence du gouvernement et de l’Église. »(9)

Gauche plurielle et bureaucraties syndicales soutiennent Chirac

Non seulement le PS, dont nous avons déjà vu la position intégralement chiraquienne, mais aussi les Verts, le PCF, tous les dirigeants de syndicats de salariés, sans oublier les responsables d’associations laïques (y compris la Libre Pensée, dirigée par les lambertistes du Parti des Travaileurs) ont cautionné la commission Stasi en se rendant à ses convocations. Or, tout le monde savait que son but était de trouver un consensus et les formes les plus habiles pour justifier une loi interdisant le voile musulman à l’école. Et il était évident que sa fonction politique immédiate était également de faire apparaître Chirac une nouvelle fois comme le sauveur de la République et de la nation, donc de reforger l’union sacrée scellée derrière lui en avril 2002. Corrélativement, tous ceux qui ont participé à la commission Stasi ont refusé de saisir l’existence d’un débat sur la question laïque dans l’opinion publique pour poser les vrais problèmes de la laïcité en France, c’est-à-dire son piétinement constant et régulièrement aggravé par les gouvernements successifs de droite comme de gauche. Ils ont refusé d’en appeler à la classe ouvrière et aux travailleurs pour exiger la satisfaction de ces revendications minimales que sont l’abrogation des lois anti-laïques de financement public des écoles privées, l’abrogation de toutes les lois et mesures contraires aux dispositions progressistes de la loi de 1905, l’expulsion des curés et des patrons des établissements d’enseignement publics.

Certes, les Verts ont dénoncé la loi annoncée par Chirac comme « dangereuse » et comme « risquant d’avoir des effets nocifs » et le PCF s’y est déclaré « fermement opposé ». Mais ils ont refusé d’engager un combat contre le gouvernement sur cette question comme sur les autres, les Verts ménageant le PS pour ne pas risquer de compromettre leur accord électoraliste, et le PCF se prononçant pour la création d’un « haut conseil de la laïcité », c’est-à-dire pour une nouvelle instance de collaboration avec le gouvernement, cette fois sur le dos de la laïcité. Cette orientation avait déjà été exprimée le 19 septembre lors de l’audition de la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, par la commission Stasi, où elle avait déclaré : « Pourquoi ne pas réfléchir, dans les espaces de concertation publique et de conseil que se donne la République, à la place donnée aux représentants des courants de pensées, des confessions religieuses ? » Au cours de cette audition, elle avait apporté son soutien à cette commission, en affirmant : « Je trouve que l’ouverture d’un tel débat, dans les conditions actuelles est tout à fait saine… Votre travail me semble primordial. » Et surtout elle s’était prononcée pour l’ « enseignement du fait religieux » à l’école : « Il convient pour la République de reconnaître l’existence de corps intermédiaires constituant des interlocuteurs potentiels (...). C’est au nom de la laïcité et parce que nous considérons que les courants religieux et philosophiques jouent un rôle dans la marche du monde, que nous sommes favorables à l’enseignement de l’histoire des religions et des idées à l’école. »

De leur côté, les directions syndicales CGT et FO (et celle de la FSU ne dit pas grand-chose d’autre) « ont accueilli plutôt favorablement les propositions formulées par le rapport Stasi sur la laïcité », tout en « s’interrogeant cependant sur l’opportunité d’une loi sur les signes religieux à l’école », selon l’AFP — c’est-à-dire qu’elles ont donné le feu vert à Chirac en l’assurant qu’elles n’avaient aucunement l’intention de le combattre. La CGT s’est contentée de se demander si une loi « ne va pas créer justement les clivages et les enkystements qu’on ne souhaite pas avoir », et elle a surtout félicité la commission pour sa volonté de « mettre en conformité les textes fondateurs comme la loi de 1905 à la réalité d’aujourd’hui » — c’est-à-dire qu’elle a entériné et approuvé les brèches successives dans la loi de 1905. Quant à FO, elle a déclaré qu’il était selon elle « nécessaire de conforter le principe de laïcité dans ce qu’il fut et dans ce qu’il doit être : un symbole de la liberté de conscience et non sa forme répressive comme l’invoquent les partisans du retour aux particularismes religieux, ethniques ou régionaux » ; bref, beaucoup de bavardage pour éviter d’exiger l’abrogation des lois antilaïques. La confédération FO précise que, pour elle, « défendre la laïcité institutionnelle comme facteur d’intégration exige de revenir sur la théorie économique libérale qui favorise l’enrichissement d’une minorité et permet à toutes les influences identitaires de prospérer au détriment de l’émancipation des individus » : autrement dit, FO fait croire qu’il suffirait de défendre la laïcité et de revenir à une politique plus keynésienne pour permettre « l’émancipation des individus » ! Mais, en attendant, mieux vaut réprimer ces individus, s’ils sont du sexe féminin et voilés : tout en demandant un retour à la loi de 1905 (mais sans exiger l’abrogation des lois anti-laïques), Marie-Suzie Pungier, la représentante de FO auditionnée par la commission Stasi le 24 octobre, a surtout stigmatisé le foulard « qui tente d’infiltrer la société » et a repris à son compte l’orientation de la fédération FO de l’enseignement (la FNEC-FP-FO, dirigée par les lambertistes du PT), qui avait déclaré le 30 septembre : « C’est l’article 10 de la loi d’orientation de juillet 1989 (dite loi Jospin) qui a créé le problème… La FNEC FP FO a exprimé auprès des parlementaires de la Mission d’information son souhait d’un retour aux principes de la République et leur strict respect. Cela nécessite l’abrogation de tous les textes contradictoires à ces principes, en particulier la loi d’orientation sur l’éducation de 1989. » Ainsi, tout en ne se prononçant pas explicitement pour la loi Chirac, FO en général et les lambertistes en particulier s’en remettent au gouvernement Chirac pour prendre une décision devant permettre de toute façon l’exclusion en toute légalité des jeunes filles voilées, au nom du « strict respect » de la laïcité (10).

LO aussi soutient Chirac en se félicitant de sa « loi juste et bonne »

Mais il faut s’arrêter ici sur le cas particulier de Lutte ouvrière, dans la mesure où cette organisation fait profession de communisme révolutionnaire (du moins à usage interne et, formellement, dans ses meetings). En effet, à l’automne dernier, les militants de Lutte ouvrière ont été à l’origine (avec leurs camarades de la LCR, cependant divisés sur la question), de l’exclusion de deux jeunes filles voilées du lycée H. Wallon d’Aubervilliers, événement qui a conduit les médias et les politiciens (qui n’attendaient que cela) à faire enfler la polémique — c’est-à-dire en fait, selon un calendrier soigneusement préparé depuis l’été par le gouvernement, à dérouler le tapis rouge devant la commission Stasi et finalement devant Chirac, ainsi présenté dans l’opinion publique officielle comme le sauveur de la nation, en ce début de période électorale. Mais surtout, LO a fait pendant tout l’automne, semaine après semaine, au nom de la laïcité « mais surtout » de la défense des femmes opprimées, une campagne acharnée pour justifier et provoquer l’expulsion des filles voilées et pour exiger une loi. Et, au lendemain de la publication du rapport Stasi et de la déclaration de Chirac, le journal Lutte ouvrière apportait son soutien explicite à la décision annoncée d’interdire le voile à l’école, en la présentant même comme une victoire des enseignants et des femmes ! On pouvait lire ainsi dans le numéro du 19 décembre, en page éditoriale : la décision du président « n’aurait sans doute pas été possible si des enseignants n’avaient pas refusé de faire cours à des jeunes filles voilées, s’ils ne s’étaient pas mobilisés pour refuser le port du voile, pas seulement au nom du respect de la laïcité, mais aussi et surtout au nom de la défense des droits des femmes. (…) Si l’avis de la commission Stasi est suivi d’une loi, de nombreux enseignants qui ont été confrontés au problème ces derniers temps s’en réjouiront car ils auront à leur disposition un texte sur lequel s’appuyer pour s’opposer au port du voile à l’école. Ce sera aussi et surtout un appui pour toutes les jeunes filles qui veulent résister aux pressions sexistes qu’elles subissent, et qui attendent une aide de la société. » Il faudrait même veiller à ce que Chirac tienne sa promesse (« mais une loi ne vaut d’abord par ce qu’elle contient et cela on le verra quand, après des tas de parlottes, elle sera adoptée ou pas ») et à ce que la loi soit appliquée car, figurez-vous, « une loi, même si elle est juste et bonne, ne compte que selon ce que l’on en fait » (sic !).

On se souvient que Lutte ouvrière, contrairement à la LCR, avait refusé d’appeler à voter Chirac en 2002, ce qui fut tout à son honneur — même si elle appela en même temps les travailleurs à participer à la mascarade électorale du deuxième tour en allant voter blanc, et ne proposa comme d’habitude aucune initiative politique de lutte de classe contre le vote Chirac. Mais à quoi cela sert-il de s’opposer à Chirac avant son élection si c’est pour se livrer moins de deux ans plus tard à une opération de soutien, en se félicitant qu’il décide de faire « une loi juste et bonne » ? Ici comme ailleurs (cf. ci-dessus notre article sur l’accord LO-LCR pour les prochaines élections), l’indigence politique de LO, son incapacité à proposer quelque combat que ce soit à la classe ouvrière et aux travailleurs, ne peut conduire cette organisation au mieux qu’à la passivité politique, et au pire, par voie de conséquence, à l’opportunisme ; car, si finalement ce gouvernement Chirac-Raffarin (ou d’ailleurs son prédécesseur Chirac-Jospin) peut faire des « lois justes et bonnes » sous la pression des luttes, on comprend mieux pourquoi LO, tout en le dénonçant certes sur les autres points de sa politique, refuse en tout cas de mettre en avant la perspective d’un gouvernement des travailleurs, pour les travailleurs, par les travailleurs !

Pour une position communiste révolutionnaire internationaliste 

Tout au contraire, les militants révolutionnaires doivent expliquer que les travailleurs, les enseignants, les jeunes, n’ont pas à compter sur Chirac, sur l’État bourgeois et sur les différents gouvernements de gauche et de droite, pour garantir la laïcité, et moins encore pour lutter contre l’oppression des femmes. Aujourd’hui, ils doivent aider les travailleurs à lutter contre cet État et ce gouvernement, fauteurs de régression sociale, de répression policière et judiciaire, de ségrégation sociale et de ghettoïsation géographique. Ils doivent montrer aux travailleurs qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et leurs combats, et que, en dernière analyse, seul leur propre gouvernement, exercé par eux-mêmes et pour eux-mêmes, pourra mener jusqu’au bout la séparation des Églises et de l’État et mener une politique permettant l’éradication de l’oppression des femmes en s’en prenant à ses racines socio-économiques.

Aujourd’hui, il est possible et nécessaire de se battre pratiquement, dans les établissements scolaires, dans les syndicats d’enseignants, les fédérations et les confédérations, dans les associations lycéennes et organisations de jeunesse, dans les comités à constituer dans les établissements dès que possible, pour les revendications suivantes :

• Non à l’exclusion des lycéennes portant un voile ! Droit à l’éducation pour toutes !

• Oui à l’expulsion des aumôniers  des lycées ! Ni curés, ni rabbins, ni imams dans les écoles !

• Oui à l’expulsion des « personnalités extérieures » quelles qu’elles soient (patrons, élus politiques…) des conseils d’administration des lycées et des Universités !

• Non à l’ « enseignement du fait religieux » à l’école !

• Abrogation du concordat d’Alsace-Moselle !

• Suppression des fonds publics à l’école privée !

• Abrogation de toutes les lois et mesures antilaïques !

Et il est tout aussi possible et nécessaire de se battre ici et maintenant, sur les lieux de travail comme dans les quartiers, en constituant des comités d’auto-organisation de travailleurs et de jeunes, et en en appelant au soutien effectif des organisations syndicales et des associations populaires, sur l’orientation suivante, liant la cause des femmes à celle des travailleurs, et tout particulièrement à celle des travailleurs immigrés :

• Non à la violence contre les femmes dans les quartiers, création de comités d’auto-défense pour les femmes pour mettre hors d’état de nuire les hommes violents et les petits caïds !

• Halte aux interventions de la police dans les quartiers, aux contrôles au faciès et à Vigipirate ! Abrogation des lois Vaillant et Sarkozy sur la « sécurité » !

• Halte aux expulsions d’immigrés sans-papiers, des papiers pour tous !

• Droit au logement décent ! Construction des centaines de milliers de logements nécessaires et location à bon marché ! Restauration et aménagement des cités, pris en charge par la collectivité (sans augmentation des loyers) !

• Droit au travail pour tous et toutes !


1)  En 1987, Chirac Premier ministre de Mitterrand a décidé d’accorder des avantages fiscaux (de l’ordre de 40 à 50 % d’abattement) à l’association Denier du culte, bailleur de fonds de l’Église catholique, en la faisant passer pour une association caritative. Par ailleurs, il assiste régulièrement, ès qualités, à des offices catholiques. Le 19 octobre dernier encore, en plein matraquage médiatique conjoint sur le foulard musulman et sur la santé du pape, il s’est fait représenter à la cérémonie de béatification de Mère Teresa au Vatican par son épouse Bernadette et son Premier ministre Raffarin, accompagnés d’une cour de quarante dignitaires de la République française… tous accueillis dans les hôtels et les restaurants les plus chers de Rome aux frais du contribuable, évidemment ! (Cf. Le Canard enchaîné, 22 octobre.)

2) On se souvient qu’il avait déclaré dans un discours à Orléans en 1991 : « Comment voulez-vous que le travailleur français qui travaille avec sa femme et qui ensemble gagnent environ 15 000 francs et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses et qui gagne 50 000 francs de prestation sociale sans naturellement travailler. Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou. »

3) On connaît le texte célèbre du jeune Marx, qui écrivait dans la Critique de la philosophie du droit de Hegel : « La religion (…) est la réalisation imaginaire de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de réalité vraie. La lutte contre la religion est donc immédiatement la lutte contre ce monde dont la religion est l’arôme spirituel. La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature tourmentée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit de situations dépourvues d’esprit. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est l’exigence de son bonheur véritable. Exiger de renoncer aux illusions relatives à son état, c’est exiger de renoncer à une situation qui a besoin de l’illusion. La critique de la religion est donc dans son germe la critique de la vallée des larmes, dont l’auréole est la religion. » (Trad. Rubel, Gallimard, 1983, Pléiade, III.)

4) Même aux États-Unis, où la bourgeoisie révolutionnaire du XVIIIe siècle fut très radicale, la Constitution ne reconnaît certes pas une religion d’État particulière, mais elle se réfère à Dieu et le président nouvellement élu doit prêter serment sur la Bible. Et, contrairement à ce qui est la règle en France, rien dans la loi n’interdit à Bush de justifier sa politique en en appelant à Dieu et aux « valeurs » chrétiennes.

5)  Ainsi, alors que les révolutionnaires de 1789-93 combattirent les curés, imposèrent la constitution civile du clergé, pourchassèrent les prêtres « réfractaires » et rompirent les liens avec l’Église romaine — devenant ainsi le premier État à reconnaître les mêmes droits à tous les citoyens (masculins) quelle que soit leur religion —, Napoléon Bonaparte, après son coup d’État contre-révolutionnaire, réconcilie l’État français avec l’Église, signant, en échange d’un soutien politique sans faille de la papauté et de l’épiscopat, un concordat qui assurait le financement des églises et le salariat des prêtres par les fonds publics et qui leur livrait les enfants scolarisés.

6) Pour ne pas laisser la vedette à Chirac tout en continuant à préserver l’union sacrée scellée en avril 2002, le bureau national du PS avait décidé en décembre dernier, à l’unanimité moins trois abstentions, que les députés de ce parti proposeraient un projet de loi dont l’article 1er était ainsi formulé : « Le port apparent de signes religieux, politiques ou philosophiques est interdit dans l’enceinte des établissements publics d’enseignement ainsi que dans toutes les activités extérieures organisées par eux. » Et l’article 2 prévoyait l’exclusion des élèves qui persisteraient à refuser d’enlever leur voile, après une procédure de « médiation » du chef d’établissement « dans un délai raisonnable ». Pour que les choses soient claires, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée, avait précisé : « Nous souhaitons aboutir à une loi de concorde nationale », à un « consensus entre tous les Républicains, quelle que soit leur appartenance politique ».

7)  Les médias et politiciens parlent d’ailleurs toujours de « foulard islamique », et non de « foulard musulman », jouant sur la confusion qui règne le plus souvent dans la tête des gens entre « islamique » (c’est-à-dire musulman) et « islamiste » (c’est-à-dire musulman intégriste), et faisant croire ainsi par un simple suggestion de glissement sémantique que tout ce qui est islamique est peu ou prou islamiste.

8) La commission Stasi et Chirac veulent que « les tenues et signes religieux interdits (soient) les signes ostensibles tels que grande croix, voile ou kippa ». En revanche, ils entendent autoriser les « médailles de baptême, petites croix, petits corans, mains de Fatima, étoiles de David », qu’ils énumèrent expressément... Il s’agit là d’un véritable tour de passe-passe : aujourd’hui, pour les musulmans pratiquants, c’est avant tout par le voile que l’on affiche sa religion, alors que, pour les chrétiens pratiquants, une petite croix suffit. Faire une distinction de visibilité, donc une distinction de degré entre les signes religieux, c’est en fait une manière de camoufler une discrimination de nature entre les religions et leurs pratiquants respectifs.

9)  Critique du « Programme de Gotha », Éditions sociales, éd. de poche, 1966, p. 47 (nous soulignons).

10) L’article incriminé de la loi Jospin de 1989 reconnaît à l’élève le droit à l’expression dans l’enceinte des établissements. Un avis du Conseil d’Etat en date du 27 novembre 1989 l’a interprété en considérant que la liberté d’expression des élèves comporte le droit d’exprimer leur appartenance à une religion. Mais cet article ne permet pas seulement d’exprimer ses croyances religieuses, il autorise également l’expression des convictions politiques. Or, en demandant son abrogation pure et simple, FO et les lambertistes ne se prononcent pas seulement pour l’interdiction du voile : ils dénient en outre aux lycéens le droit de faire de la politique dans leur établissement, reprenant ainsi le mythe de la « neutralité » de l’école coupée du monde et couvrant les mécanismes socio-politiques de dépolitisation généralisée de la jeunesse. Faut-il leur rappeler, par exemple, le rôle politique d’avant-garde que les lycéens ont joué dans la lutte contre la guerre d’Algérie, en 1968 ou dans les grandes mobilisations de la jeunesse des années 1970 et 1980 ? Faudrait-il exclure des établissements les lycéens qui y distribuent des tracts ou qui y tiennent des réunions ? — Mais il est vrai que cette question ne se pose plus guère au CCI-PT, puisqu’il n’a plus guère de militants lycéens dans ses rangs vieillissants et eux-mêmes dépolitisés par des décennies de syndicalisme réformiste !