Article du CRI des Travailleurs n°10

Non à la présence policière dans les collèges et les lycées !
(Lettre des personnels d'un collège contre la vidéosurveillance)

Selon l’AFP, il existerait un avant-projet de loi du Ministère de l’Intérieur imposant, sous peine de sanctions, un « devoir de signalement » à tous les professionnels intervenant « au bénéfice d’une personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles ».  En particulier, tous les établissements scolaires devraient élaborer « un plan de sécurité et de prévention de la délinquance ». Les collectivités locales financeraient des « dispositifs de sécurisation dans les établissements scolaires », comme des systèmes de vidéosurveillance. Nous reviendrons sur ce projet dès que nous aurons davantage d’informations. Mais nous savons d’ores et déjà que les pressions pour mettre en place ce genre de dispositifs se multiplient, comme le montre la récente affaire du Collège Édouard-Manet de Villeneuve-la-Garenne (92), dont le Conseil d’administration vient de demander à Sarkozy, qui lui a immédiatement répondu positivement, de mettre un policier à la disposition permanente de l’établissement. Cette mesure est pourtant refusée par la grande majorité des professeurs du collège, dont les élus au conseil d’administration ont unanimement voté contre cette décision. — Nous publions ci-dessous, à titre de document, la lettre adressée au président du conseil général du même département (92, Hauts-de-Seine) par les personnels d’un autre collège de la région parisienne, protestant cette fois contre la mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance dans leur établissement (Collège Guy-Môquet de Gennevilliers). Cette lettre du 8 janvier a été signée par la majorité des personnels (56 enseignants, conseillers d’éducation, ouvriers et secrétaires), et elle a été communiquée aux familles des élèves. (N.P.)

« Monsieur le Président,

Nous avons appris (Le Parisien, édition Hauts-de-Seine, du 10 décembre 2003) que le Conseil Général 92 a décidé de mettre en place un système de vidéosurveillance autour des 90 collèges publics du département. Ce système « anti-intrusion » fonctionnera aux abords des établissements scolaires 24 heures sur 24 et sera relié aussi à la Police.

Cette décision nous inquiète à plusieurs titres :

1) Nous contestons son efficacité. Les récentes études ont démontré l’inutilité de la vidéosurveillance. Par exemple Eric Heilmann et Marie-Noëlle Mornet écrivent, dans leur étude pour l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure : « L’aide apportée par les caméras à l’identification et à l’arrestation de suspects est négligeable. » (Le Monde du 18 décembre 2003)

2) Nous considérons que les 11 millions d’euro prévus pour la vidéosurveillance des 90 collèges du département, c’est-à- dire 122 000 euro (800 000 Francs) par collège doivent être utilisés pour les dépenses qui bénéficieraient réellement à nos élèves : achats des livres en double, heures de soutien individualisées, activités culturelles, voyages...

3) D’une manière plus fondamentale, nous considérons que si violence il y a, l’approche « tout sécuritaire » ne constitue pas une réponse. Les habitants de la cité où nous travaillons subissent de plein fouet, le chômage, la précarité, les « petits boulots jetables ». Ils souffrent du racisme et de la xénophobie. Ils sont victimes d’une sélection sociale qui dévalorise la valeur même de notre travail, celle des études et diplômes. Dans les conditions de vie extrêmement difficiles qu’ils connaissent, l’École doit leur rester ouverte, elle ne doit pas apparaître comme une prison avec des caméras, et pourquoi pas bientôt, avec ses barbelés et miradors ?

Monsieur le Président, nous, soussignés, considérons que notre travail consiste à transmettre des connaissances, à ouvrir les esprits de nos élèves sur la vie, sur la société, à les former à une citoyenneté démocratique. Vos mesures vont dans le sens contraire. Un collège barricadé, transformé en ghetto nous attribuerait, inévitablement, le rôle de gardien de prison qui ne ferait qu’aggraver les difficultés déjà grandes que connaît notre équipe éducative.

Nous vous demandons donc, Monsieur le Président, de bien vouloir annuler votre décision de vidéosurveillance de notre collège et de consacrer ces 122 000 euro à des dépenses dont bénéficieraient réellement nos élèves.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expressions de nos salutations distinguées. »