Article du CRI des Travailleurs n°10

Mauritanie : Des survivances esclavagistes et féodales à la domination impérialiste

Le régime oppressif pseudo-démocratique et ses bases sociales

L’illusion d’un « renouveau du processus démocratique », annoncé par les autorités mauritaniennes, se sera vite dissipée. Au lendemain du scrutin du 7 novembre 2003, qui l’a reconduit pour la troisième fois en tant que président de la Mauritanie, poste qu’il occupe depuis 19 ans, le militaire Maaouiya Ould Taya a fait arrêter son principal adversaire lors de ce scrutin, l’ancien président Mohamed Ould Haïdallah.

Plus fondamentalement, la « démocratie » mauritanienne reste fortement marquée par le clientélisme à base « ethnique », qui perpétue la domination de la composante arabo-berbère (les « Maures blancs »). Malgré le principe d’égalité des Mauritaniens devant la Constitution affirmé lors de l’indépendance du pays en 1960, les inégalités de fait subsistent entre les différentes composantes « ethniques » (Maures, Halpularens, Soninkés et Wolofs) et à l’intérieur même de ces composantes. Si les rapports de production ont évolué au cours du temps, la place des différentes classes sociales s’est maintenue. Les anciens maîtres esclavagistes sont devenus propriétaires fonciers féodaux avec la sédentarisation, puis classe bourgeoise embryonnaire au service de la puissance coloniale française, puis de l’impérialisme, alors que s’établissait, surtout dans les villes, la propriété privée des moyens de production. Parallèlement, les anciennes classes serviles, qu’il s’agisse des Haratines (les « Maures noirs », descendants des esclaves libérés, qui constituent 30 % de la population mauritanienne) ou des esclaves non affranchis au regard du droit coutumier, continuent à former les couches les plus pauvres de la population. Cette persistance de la place de chacun dans les rapports d’exploitation est illustrée par l’application de la réforme foncière de 1983 dans la vallée du fleuve Sénégal, où les populations travaillant la terre ont été de fait exclues de l’accès à la propriété, pour devenir ouvriers agricoles dans les moyennes et grandes exploitations accaparées par la bourgeoisie maure venue des villes. Et ce n’est pas la nomination épisodique, depuis une quinzaine d’années, d’individus haratines à des postes gouvernementaux (qui n’est pas sans rappeler la nomination par le gouvernement Chirac-Raffarin-Sarkozy d’un préfet « issu de l’immigration », alors que l’oppression de la jeunesse immigrée continue !), qui change quelque chose à la situation quotidienne de ces populations.

Les Mauritaniens maintenus dans la misère par l’impérialisme

De fait, la situation économique et sociale de la Mauritanie est critique, faisant de ce pays l’un des plus pauvres du continent. Avec un PIB par habitant de l’ordre de 360 dollars, la moitié des 2,5 millions de Mauritaniens vivt avec moins d’un dollar par jour. Cette extrême pauvreté change de forme : si elle touche de plein fouet les nomades, qui ne constituent aujourd’hui plus que 5% de la population, elle s’est déplacée vers les bidonvilles des grandes villes (Nouakchott, capitale administrative du pays, et Nouadhibou, capitale économique), où s’entassent les populations pauvres venues des campagnes. La situation sanitaire reste déplorable (accès difficile aux soins, à l’eau) ; pour 1000 naissances, 183 enfants meurent avant 5 ans. Quant à l’analphabétisme, il touche la moitié de la population.

Cette situation n’est pas une fatalité due à de quelconques causes naturelles, mais le fruit du système de domination impérialiste, relayé par les classes dominantes mauritaniennes. Alors que la malnutrition frappe le pays, et que le système d’irrigation mis en place dans la vallée du fleuve Sénégal devrait permettre la satisfaction des besoins, l’agriculture mauritanienne est dirigée vers l’exportation, par l’intermédiaire de sociétés étrangères, et en particulier françaises, comme les Grands Domaines de Mauritanie. La Mauritanie dispose également des eaux parmi les plus poissonneuses du monde, mais les conditions de vie des petits pêcheurs sont de plus en plus difficiles ; ils subissent la concurrence des bateaux de pêche industrielle, qui récoltent 25 fois plus qu’eux, tout en provoquant des dégâts écologiques et matériels. Cette pêche industrielle représente 34 % des ressources de l’État mauritanien et une part prépondérante des exportations ; s’y ajoute la présence des bateaux de pêche étrangers (Union européenne, Russie, Chine, Japon...), dont la production, moyennant des licences dérisoires, ne passe même pas par la Mauritanie. L’autre secteur d’avenir livré à la rapacité impérialiste est celui de l’exploitation des sous-sols, qu’ils soient continentaux ou off-shore. Si le fer est déjà exploité depuis 1963, la découverte récente de traces d’hydrocarbures et d’autres minerais (or, cuivre, diamants, phosphate, gypse) a engendré l’afflux de nombreuses compagnies (principalement australiennes, anglaises et italiennes pour le moment) vers les licences bradées par le gouvernement mauritanien.

Cette politique de l’exploitation des ressources mauritaniennes contraire aux intérêts de la population est indissociable de la soumission du gouvernement au paiement de la dette et aux plans d’ajustements structurels, imposés par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, qui y sont liés. Le gouvernement mauritanien fait figure de bon élève à cet égard : privatisation de l’essentiel des services publics marchands (télécommunications, banques, transport aérien, en attendant l’électricité et les mines), cadeaux aux entreprises, dégagement d’excédents budgétaires. Il en a été remercié en 2001 : la Mauritanie, de toute façon non solvable (sa dette extérieure s’élevait alors à 2,2 milliards de dollars, soit 226% de son PIB annuel), a vu sa dette réduite de moitié en tant que Pays Pauvre Très Endetté (PPTE) ; à charge pour le gouvernement de continuer ses réformes structurelles et d’utiliser les millions de dollars qui échapperont chaque année au service de la dette (jusqu’en 2011) pour jouer au pompier social, principalement dans les domaines de l’éducation et de la santé. Il peut compter pour ce rôle sur l’appui des soi-disant syndicats, inféodés au pouvoir : ainsi, l’Union des Travailleurs de Mauritanie a organisé, le 2 décembre 2003, une marche de soutien et de remerciement au président de la République pour sa décision d’augmenter les salaires dans la Fonction publique et dans l’armée.

Il est aujourd’hui possible, en Mauritanie, d’être poursuivi pour appartenance à une association non reconnue, comme en a fait l’expérience le président de SOS-Esclaves, condamné en 1998 à 13 mois de prison. Malgré les difficultés dues à ces entraves, les libertés démocratiques ne pourront être conquises que par les masses opprimées, construisant leurs propres organisations, sans distinction d’origines ethniques, et indépendantes du pouvoir, dans l’objectif de leur émancipation économique et sociale, en revendiquant en particulier :

• Une véritable réforme agraire, en faveur des travailleurs agricoles ;

• L’expropriation sans indemnités des entreprises impérialistes ;

Le non paiement de la dette.

• Que les ressources de la Mauritanie soient exploitées en faveur du peuple mauritanien.