Article du CRI des Travailleurs n°8

Non à la décentralisation-régionalisation imposée par l'UE et par Chirac-Raffarin

Le 1er octobre, le Conseil des ministres de Chirac-Raffarin a approuvé un projet de loi sur la décentralisation et le transfert de compétences étatiques vers les collectivités territoriales, en particulier les régions.

Mauroy-Jospin et Chirac-Raffarin, main dans la main…

Ce projet, qui sera discuté au Sénat à partir du 28 octobre et à l’Assemblée nationale après le 14 novembre, reprend largement les conclusions du rapport de la commission présidée par Pierre Mauroy, qui avait été mise en place par Jospin, rassemblant des représentants de toutes les composantes de la gauche plurielle d’alors, ainsi qu’un certain… Jean-Pierre Raffarin. En particulier, ce rapport rédigé essentiellement par la gauche plurielle préconisait « la mise à disposition de l’ensemble des personnels techniciens, ouvriers et agents de services [de l’Éducation nationale], aux Régions et Départements pour l’exercice de leur compétence »  (proposition 22) ; on sait que c’est en particulier contre ce transfert effectivement décidé par Chirac-Raffarin pour la rentrée 2004, que les personnels de l’Éducation nationale se sont massivement mobilisés en mai-juin dernier.

Que prévoit ce nouveau projet de loi ? Dans le cadre de la « loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République » adoptée par le Parlement le 17 mars 2003, et dans la continuité des deux projets de loi organique relatifs au « référendum local » et au « droit à l’expérimentation » adoptés le 16 juillet par l’Assemblée nationale, il vise officiellement à « transférer aux collectivités territoriales les compétences qu’elles paraissent le mieux à même de prendre en charge », au nom du « besoin de proximité » et du « souci d’adaptation aux réalités locales ». Il s’agit en réalité d’une application du principe de subsidiarité de l’Union européenne (cf. l’article précédent). Le texte prévoit de transférer la gestion de pans entiers de la vie économique et sociale : les infrastructures de transports aux régions, les routes aux départements ; des domaines majeurs de la santé et en particulier le financement des hôpitaux  aux régions (via la généralisation des SROS, les Schémas Régionaux d’Orientation Sanitaire) ; les aides sociales, du RMI à l’aide aux personnes âgées en passant par les soins à la petite enfance, aux départements, promus « interlocuteurs uniques sociaux » ; la formation scolaire et l’orientation professionnelle aux régions, avec en particulier une aggravation de l’« autonomie des universités » et, à titre expérimental, une « autonomisation » des académies et des établissements du secondaire… Enfin, les articles 1 et 2 du projet de loi prévoient de transférer aux régions la gestion de 238 millions d’euros d’aides de l’État « au profit des entreprises », ouvrant grand la porte à une multiplication des pots-de-vin…

Cette « décentralisation » mise en œuvre dans le cadre de l’Union européenne va ainsi conduire à une aggravation de la concurrence entre les régions et entre les départements, les charges pesant sur les collectivités territoriales étant inégales selon leur richesse et conduisant nécessairement à une augmentation des impôts locaux, à des baisses d’effectifs dans les services publics, à de fortes inégalités pour les usagers (diminution de la densité du maillage national, fin de la péréquation tarifaire…) et bien évidemment — c’est en fait le but ultime de l’opération — à la fermeture des services peu rentables et à la privatisation massive des autres. C’est bien ce qui s’est passé dans le cas célèbre de la décentralisation de l’Éducation nationale en Belgique dans les années 1990, qui a conduit à une baisse drastique du nombre d’enseignants et des budgets de l’école publique, entraînant un développement sans précédent des écoles privées pour les plus riches. En même temps, les garanties sociales nationales, en particulier le Code du travail et les statuts nationaux, seraient dans les faits de plus en plus vidés de leur contenu, ouvrant la porte à leur régionalisation, c’est-à-dire à leur destruction, aggravant la concurrence entre les travailleurs et atomisant leurs capacités de résistance collective. Enfin, à terme, en particulier avec le « droit à l’expérimentation », même l’égalité formelle des droits entre les citoyens serait mise en cause, notamment l’égalité en droit des enfants à l’école (principes de l’« école républicaine »).

… >aux ordres du MEDEF, de l’OCDE et de l’UE

Les institutions internationales de l’impérialisme, le MEDEF et le gouvernement sont tous très clairs sur les objectifs de la décentralisation. Ainsi, selon l’UE, il faut avant tout « améliorer la compétitivité des régions en aidant les entreprises à étendre leurs activités, à créer des emplois et à augmenter leur rentabilité » (1). Et, pour l’OCDE, « les collectivités locales et régionales ont beaucoup à apporter face à la mondialisation. Elles peuvent élaborer des politiques à l’appui de la compétitivité. » (2) En conséquence, on lit dans le Rapport Mauroy  que le but de la décentralisation est de permettre aux régions d’engager « la compétition économique avec leurs partenaires européens ». Et, selon Devedjian, ministre délégué « aux libertés locales » (ce titre même est tout un programme…) « la réforme de la décentralisation va permettre d’adapter l’appareil administratif français à l’évolution de la société. La France vient de passer au 30e rang pour la compétitivité, et de bons esprits nous disent : ne changeons rien ! Si on les écoute, la France finira au dernier rang. » (La Tribune, 19 septembre 2002.) D’autre part, la décentralisation a expressément comme objectif de faire baisser les dépenses de l’État en particulier et les dépenses publiques en général : l’OCDE estime que, « du fait de l’aggravation des contraintes qui s’exercent sur les budgets publics, la décentralisation et l’initiative locale sont appelées à jouer un rôle accru » (Déclaration du 10 juin 2003). Dans un document du MEDEF intitulé « Pour une décentralisation au service de l’attractivité des territoires », on lit que « le nouveau chantier de la décentralisation doit être l’occasion de réduire les dépenses publiques de fonctionnement » et que « le double objectif de l’allègement des impôts et de la réduction des déficits public ne pourra être atteint que si l’État et les collectivités territoriales donnent désormais la priorité à la baisse des dépenses de fonctionnement ». Idée que l’État s’empresse de reprendre à son compte par la voix de la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire), pour qui « l’aménagement du territoire doit contribuer à la sauvegarde des équilibres fondamentaux, en particulier à la maîtrise des dépenses publiques (…) », conformément, précise le texte, aux traités européens (DATAR, Une nouvelle politique de développement des territoires pour la France, 29 janvier 2003).

La défense des intérêts des travailleurs passe donc par le combat intransigeant contre la décentralisation et la régionalisation, pour la défense des services publics et des acquis ouvriers. Il est dès lors du devoir des organisations ouvrières syndicales et politiques d’engager dans l’unité le combat sur la ligne suivante :

• Non à la participation des organisations syndicales à la concertation avec le gouvernement et à la mise en œuvre de la décentralisation !

• Abrogation de la  « loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République » du 17 mars 2003 et des lois organiques sur le « référendum local » et le « droit à l’expérimentation » !

• Non au projet de loi sur la décentralisation du 1er octobre 2003 !

• Annulation du transfert des personnels TOS aux collectivités !

• Non au projet de loi Ferry aggravant l’autonomie financière des Universités et la régionalisation des droits ! Retour au financement étatique des facultés, défense des diplômes nationaux !

Défense de l’égalité des droits sur tout le territoire national ! Défense des services publics, du Code du travail national, des statuts nationaux et des conventions collectives nationales !


1) Site de l’UE : http://europa.eu.int, rubrique « Au service des régions ». Cette citation et d’autres reprises dans le présent article sont données dans l’article très complet et très juste « Décentraliser pour mieux privatiser » d’Augustin Balby paru dans Prométhée, revue de la Gauche communiste, 3e trimestre 2003.

2) (Site de l’OCDE : www.oecd.org, rubrique « Mondialisation et autorités locales ».)