Article du CRI des Travailleurs n°8

À quoi ressemble l'« autre monde » des fondateurs et des dirigeants du Forum social mondial ?
Retour sur le soutien et la participation des camarades brésiliens d'ATTAC et de la LCR au gouvernement de Lula, « élève-modèle » du FMI

« Démocratie Socialiste » (DS), section brésilienne du Secrétariat Unifié (organisation internationale de la LCR), courant du Parti des Travailleurs (PT), a joué un rôle central dans la mise sur pied du Forum Social Mondial, dont les deux premières éditions ont eu lieu à Porto Alegre, ville brésilienne co-dirigée par DS, également connue pour son « budget participatf ». On sait que le slogan de ces « altermondialistes » est : « Un autre monde est possible ». Assurément, mais quel monde, et à quelles conditions ? Un autre monde est-il possible sans rompre avec la bourgeoisie, sans combattre pour la révolution prolétarienne et le socialisme ? Peut-on lutter contre le « néolibéralisme », c’est-à-dire la politique capitaliste en sa phase actuelle, sans lutter pour le socialisme ? Lorsque l’on examine la politique de DS au Brésil depuis l’arrivée au pouvoir de Lula, la supercherie de l’« altermondialisme » éclate au grand jour. Rappelons que le gouvernement Lula est un gouvernement de « front populaire », c’est-à-dire de coalition entre des partis ouvriers-bourgeois et bourgeois. Il regroupe des ministres issus du PT, y compris un dirigeant de DS, Miguel Rossetto (ministre de la réforme agraire), du PCdoB (parti communiste du Brésil, « maoïste ») et de divers autres partis, ainsi qu’un grand propriétaire foncier, Rodrigues, ministre de l’Agriculture, et des grands patrons, comme Furlan, ministre du Développement, de l’Industrie et du Commerce Extérieur, par ailleurs directeur de la plus grande entreprise exportatrice de viande du Brésil, la Sadia SA, membre du conseil d’administration d’Amro Bank Brésil et vice-président de l’Association des exportateurs brésiliens... En somme, cela correspond à peu près à ce que serait en France un gouvernement qui irait de Seillière à... la LCR, en passant par le PS, les Verts et le PCF.

De fait, le gouvernement Lula a dépassé tous les espoirs placés en lui par les patrons, les propriétaires fonciers brésiliens et le capital financier international. Le précédent gouvernement, celui de Federico Henrique Cardoso (FHC), usé par huit années de pouvoir, en butte à une hostilité croissante des masses, devenait de moins en moins capable de mettre en œuvre la politique de régression sociale exigée la bourgeoisie. Lula, lui, s’en révèle capable, du moins pour le moment. Il faut donc revenir ici sur ce qu’a fait ce gouvernement depuis son entrée en fonction il y a dix mois, afin de bien comprendre à quelle prétendue « autre politique » les dirigeants altermondialistes en général, les dirigeants de LCR et leurs camarades des autres pays en particulier, sont prêts à apporter leur soutien et leur participation active.

L’autonomie de la Banque centrale et la réforme des retraites

Lula a d’abord désigné Meireles, ancien directeur de la Banque Boston, une des plus grandes banques américaines au Brésil, comme président de la Banque Centrale. Il a ensuite imposer « l’autonomie » de celle-ci, une des mesures-clés exigées par le FMI.

Puis il a fait passer une « réforme » des retraites des fonctionnaires qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de Raffarin-Fillon. En France, le gouvernement Balladur avait réussi grâce à la complicité des directions syndicales à réduire les retraites des salariés du privé dès 1993. FHC avait réussi à faire de même au Brésil. Mais face à la résistance des travailleurs et à l’opposition de la CUT et du PT, il avait dû remballer son projet de réforme des retraites du public. C’est précisément ce projet que le gouvernement Lula et les députés du PT ont repris. La réforme, finalement adoptée en août, recule de sept ans l’âge de départ pour avoir une retraite à taux plein (de 53 à 60 ans pour les hommes, de 48 à 55 ans pour les femmes, dans un pays où l’espérance de vie moyenne est de 67,5 ans, inférieure de plus dix ans à celle des Français). Elle diminue de 30% environ le montant des pensions à taux plein et instaure un système de décote en cas d’annuités manquantes. Elle met en place des « fonds de pensions sans buts lucratifs, administrés paritairement par les entités de l’État et les représentants des fonctionnaires ». Enfin, elle oblige les retraités à verser une contribution au système de retraite (jusqu’à 11% de leur pension).

Lula dit oui à l’ALCA et paie la « dette »

Le PT avait fait de la lutte contre l’ALCA (Zone de Libre Echange des Amériques) un axe de son discours de campagne. Il s’agit d’un traité de libre-échange à l’échelle de toute l’Amérique, exigé par les multinationales des États-Unis qui, grâce à la baisse des droits de douanes, pourront profiter à plein de leur compétivité supérieure pour gagner des parts de marché. À la fin d’une récente visite à Washington, Lula a annoncé le ralliement du Brésil à l’ALCA pour 2005. Cela prépare de gigantesques restructurations dans l’industrie brésilienne, avec leurs habituelles vagues de licenciements.

Corrélativement, ce gouvernement mène une politique macro-économique des plus orthodoxes, en maintenant des taux d’intérêts élevés pour attirer les capitaux et en coupant dans tous les budgets sociaux pour dégager un excédent budgétaire primaire (avant paiement de la dette) de 4,5%, afin de pouvoir payer la dette rubis sur l’ongle, soit environ 36 milliards d’euros cette année, ce qui représente le coût de beaucoup d’égoûts, d’hôpitaux, d’écoles, de logements, de matériels pour travailler la terre, toutes choses qui manquent si cruellement à la population. Bref, pas de doute possible : comme le dit Le Monde, le gouvernement Lula-Rossetto, est aujourd’hui vraiment « l’élève-modèle du FMI ».

Enfin, le gouvernement Lula a également réussi à stopper presque toute mesure de réforme agraire, dans des conditions que nous allons voir.

Les masses se dressent contre la politique du PT : « Je suis de la lutte, je suis radical, cette réforme est de la Banque Mondiale »

Face à cette offensive brutale d’un gouvernement qu’elles considéraient comme le leur, les masses, loin de rester passives, se sont mobilisées. Les occupations de terre se sont multipliées. S’appuyant sur les quelques parlementaires de la gauche du PT qui n’ont pas trahi et sur le PST-U (Parti Socialiste des Travailleurs Unifié, section brésilienne de la Ligue Internationale des Travailleurs), les fonctionnaires ont organisé eux-mêmes, avec leurs syndicats, malgré l’absence de soutien de la direction de la CUT (Centrale Unique des Travailleurs, principale confédération syndicale), une grève puissante, qui a duré plus d’un mois, avec des taux de grévistes montant jusqu’à 80%.

Dès la première manifestation, le 11 juin, le nouveau secrétaire général de la CUT, Marinha, a été sifflé par la foule de 20 000 manifestants, tandis que quatre parlementaires dits « radicaux » (Luciana Genro, Baba, Joao Fontes, Heloïsa Helena) qui avaient annoncé qu’ils voteraient contre la réforme quoiqu’il arrive, ont été ovationnés. Les fonctionnaires ont scandé : « Lula, change de camp ! Choisis le peuple et non le capital ! ». Les travailleurs avaient compris que la direction de la CUT allait leur mettre des bâtons dans les roues. Lors d’une réunion nationale de 350 délégués, la représentante de la direction de CUT a plaidé pour la modération : « Si nous ne faisons pas cela [nous contenter d’amender la réforme], nous serons une nouvelle fois défaits comme nous l’avons été lors de la réforme des retraites précédente et de la réforme administrative. Nous ne pouvons pas être seulement contre, contre et toujours contre ». Les délégués se sont alors levés et ont rétorqué en criant tous ensemble : « Je suis de la lutte, je suis radical. Cette réforme est de la Banque Mondiale ». La Coordination Nationales des Entités de Fonctionnaires Fédéraux, qui regroupe les syndicats de la fonction publique fédérale (800 000 adhérents) et est dirigée par la gauche de la CUT, a ensuite décidé d’appeler à une grève nationale illimitée à partir du 8 juillet. La direction de la CUT a refusé de soutenir, avant de se rallier très tard à une grève déjà massive, sans jamais pour autant y appeler. Le gouvernement a envoyé la police réprimer violemment l’occupation d’un centre de Sécurité sociale par les fonctionnaires en grève, soutenus par la sénatrice PT oppositionnelle Heloïsa Helena, elle aussi frappée sans ménagement. Le président PT de l’Assemblée nationale a fait évacuer les fonctionnaires qui voulaient assister à une réunion d’une commission de cette Assemblée, dont le caractère public est théoriquement garanti par la Constitution. La situation était critique pour le gouvernement au moment où le projet devait être voté au Parlement. Si la grève a finalement été défaite, c’est à cause de la trahison complète non seulement de la direction du PT, mais également de la plupart de ses courants dits « de gauche », Démocratie Socialiste en tête.

Les camarades brésiliens de la LCR participent au gouvernement Lula-FMI : les altermondialistes passent aux travaux pratiques

DS, organisation-sœur de la LCR, pèse environ 20% des votes aux congrès du PT, qui compte 300 000 adhérents. Principale organisatrice du Forum Social Mondial de Porto Alegre, elle dénonce en parole le « néolibéralisme », se dit pour l’annulation de la dette et chante qu’« un autre monde est possible ». Mais à Porto Alegre, elle met en œuvre depuis plusieurs années le budget participatif, dont nous avons montré dans le numéro 3 du CRI des travailleurs (avril 2003) que c’est un moyen de manipuler la population en la faisant renoncer à ses revendications et en l’associant à la mise en œuvre d’une politique soumise au paiement de la dette.

Maintenant, DS va plus loin, en participant à un gouvernement qui paie la « dette » au FMI, soit cette année plus de 36 milliards d’euros de richesses produites par les travailleurs du Brésil et offertes aux capitalistes brésiliens et étrangers, et en étant solidaire de la politique qui découle de cette orientation. Miguel Rossetto dirigeant de DS, siège dans le même gouvernement que des grands patrons. Ministre de la réforme agraire, il travaille directement sous les ordres du ministre de l’Agriculture, Roberto Rodrigues, grand propriétaire foncier, qui a présidé les plus importantes institutions s’occupant d’agriculture et d’exportations agricoles, notamment l’Association brésilienne de l’agro-business ou la Société Rurale Brésilienne. En conséquence, Rossetto refuse de mettre en œuvre la réforme agraire. Pire : le gouvernement Lula-Rodrigues-Rossetto a déjà amputé de 36% le budget de la réforme agraire prévu par... FHC pour 2003. Dès lors, l’installation de familles de paysans sans-terre se fait désormais à un rythme dix fois moins rapide que sous le précédent gouvernement : seules 3000 familles ont pour le moment été installées, et il y en aura au maximum 10 000 à la fin de l’année, alors qu’elles sont 1 million à attendre. Le gouvernement a annoncé qu’il ne reviendrait pas sur le décret pris par Cardoso pour protéger les propriétaires fonciers, qui vise à décourager les occupations en excluant pour deux ans de la réforme agraire toutes les terres occupées. Pendant ce temps, les principaux dirigeants combatifs du MST croupissent dans les geôles de Lula-Rossetto, tandis que les bandes au service des propriétaires fonciers continuent d’assassiner en toute impunité les militants du MST.

Miguel Rossetto ne joue nullement un rôle secondaire dans le gouvernement Lula-FMI ; il en est au contraire une pièce maîtresse, sa caution de gauche « altermondialiste ». Ainsi est-ce lui qui a été désigné comme l’un des principaux négociateurs du Brésil au sommet de l’OMC à Cancun. Et sa mission était très claire : « Nous ne voulons pas l’échec de l’OMC, a-t-il déclaré. Et encore moins maintenant qu’il se produit une fragilisation des organismes internationaux » (El Pais, 14/09/2003). Pendant ce temps-là, ses camarades dirigeants de la LCR et du Secrétariat Unifié manifestaient et appelaient à manifester « contre l’OMC »... Faut-il parler de division du travail ? Les militants de la LCR, en tout cas, apprécieront.

Pendant que Krivine-Besancenot manifestaient contre la réforme Raffarin-Fillon des retraites, leurs camarades députés de DS votaient pour la réforme jumelle de Lula

Mais les responsables syndicaux et les députés de DS valent-ils mieux que le traître Rossetto ? Qu’on en juge. Début juin, lors du Congrès de la CUT, les courants « Unir la gauche », dirigé par le PST-U et « Renforcer la CUT » (regroupant plusieurs courants de gauche du PT) ont mené bataille pour que le congrès prenne position pour l’abrogation de l’amendement n°20 de la Constitution (adopté sous Cardoso pour réformer les retraites du privé) et pour le retrait du projet de réforme des retraites de Lula. C’était la seule position qui pouvait constituer un point d’appui pour la mobilisation des masses. Cette motion a recueilli 25%. Or le courant de la CUT dirigé par DS, avec son allié, le courant dirigé par le PCdoB « maoïste », qui pèsent à eux deux environ 25%, n’ont pas soutenu cette motion, qui aurait pu, s’ils l’avaient fait, être majoritaire. Au contraire, DS a utilisé son poids pour couvrir « à gauche » la ligne de la direction, qui consistait à accepter réforme, tout en proposant des amendements pour l’« améliorer ».

La direction de DS a ensuite donné comme consigne à ses parlementaires de voter pour la réforme des retraites. Et elle a soutenu la mise en œuvre de la procédure d’exclusion du PT des parlementaires qui ont voté contre la réforme (1), se désolidarisant en particulier totalement de sa propre sénatrice, Heloïsa Helena, qui, depuis le début, s’oppose publiquement à la politique de Lula.

La direction de la LCR couvre la direction de DS

Mais, nous dit-on, la direction de la LCR est bien plus à gauche que celle de DS... Vraiment ? Quels sont les faits ? Le Congrès mondial du Secrétariat Unifié, qui se prétend la « IVe Internationale », organisation dont la LCR est la section française et DS la section brésilienne, s’est réuni en février 2003. À cette date, la direction de DS participait déjà au gouvernement de Lula. Pourtant la direction de la LCR n’a pas estimé nécessaire de présenter une résolution condamnant la participation de DS à ce gouvernement bourgeois de front populaire qui s’engageait déjà à servir le FMI. S’agit-il d’une simple erreur, comme le croient des militants et tendances critiques de la LCR ? Dans une situation inverse, ces militants n’auraient sans doute pas pensé que les directions des autres sections auraient fait une simple « erreur » en ne présentant pas une résolution condamnant la direction de la LCR, si celle-ci avait décidé de participer à un gouvernement avec Seillère, Bayrou, Hollande et Buffet.

Mais admettons que la direction de LCR ait un instant (dix mois) oublié tout le programme de la IV° Internationale. Qu’en est-il aujourd’hui, après que le gouvernement Lula a montré par sa politique ce que sa physionomie annonçait déjà ? Dans un article de deux pages consacré à la situation politique au Brésil, Daniel Bensaïd, membre de la direction de la LCR et spécialiste des affaires latino-américaines, explique certes que «  la réforme des retraites (…) s’inscrit docilement dans le cadre exigés par la Banque Mondiale », que « le chômage grimpe » et que « la campagne ‘ faim zéro’ (…) faute de moyens (…) se réduit à une campagne de charité publique » (Rouge n°2033, 2 octobre 2003, pp. 8-9). Mais il n’a pas un mot de condamnation pour la direction de DS, qui continue de participer à un tel gouvernement soumis au FMI, payeur de la « dette » et briseur du sytème de retraites ! Pas un mot non plus pour condamner le fait qu’aucun député DS n’a voté contre le projet de réforme des retraites en première lecture, la plupart votant pour (deux se sont abstenus avant de se rallier lamentablement au projet lors du second vote, afin d’éviter les graves sanctions dont les menaçait la direction du PT) ! La seule chose que mentionne Daniel Bensaïd, c’est que « lors du vote final », « quatre [députés du PT] — dont notre camarade Walter Pinheiro  ont voté contre ». Autrement dit, Daniel Bensaïd ne parle que du seul député DS qui a fini par voter contre le projet (sans d’ailleurs l’avoir combattu jusqu’à ce deuxième vote), mais il passe sous silence le vote pour des douze autres députés qui s’étaient présentés sur la liste « Un autre monde est possible, un autre Brésil est urgent » montée par DS pour les élections internes au PT, dont six sont membres de DS au sens strict ! Quelle malhonnêteté intellectuelle et politique ! Quelle manipulation des lecteurs de Rouge et des militants de la LCR ! Il indique aussi que Heloïsa Helena risque l’exclusion, mais sans préciser qu’elle a été complètement lâchée par ses « camarades » de la direction de DS, qu’il couvre jusqu’au bout par sa complicité tacite...

Bensaïd va jusqu’à écrire, dans un encart sur la réforme agraire, un habile plaidoyer en faveur de... Miguel Rossetto. Il commence en affirmant curieusement que la réforme agraire « ne peut se réduire à la distribution des terres » (ibid.). Sans doute, mais ne doit-elle pas inévitablement commencer par là ? Il s’agit en vérité pour Bensaïd de passer sous silence la politique de Rossetto. Évoquant en passant l’arrêt de presque toute mesure de réforme agraire, il travestit les faits en affirmant qu’« il restait en caisse à peine de quoi installer une dizaine de milliers de familles ». En réalité, c’est le gouvernement Lula-Rossetto qui a coupé dans tous les budgets pour avoir un excédent primaire de 4,5 % (au lieu des 3,75 % exigé par le FMI) ! Bensaïd finit en écrivant que « la droite mène une campagne permanente contre le ministre Miguel Rossetto, dénoncé comme le ministre des hors-la-loi ». Allons bon, si « la droite » mène une campagne, qui plus est « permanente », contre Rossetto, c’est qu’il doit faire bien des misères aux classes possédantes, non ? Mais, là encore, quels sont les faits ? Rossetto a limogé, à la demande expresse de Lula, le directeur de l’INCRA (Institut chargé de la réforme agraire), Marcelo Resende, pour le remplacer par Rolf Hackbart. Or, selon Raul Jungmann, ancien ministre du développement agraire de FHC, « le gouvernement [de Lula] a repris le contrôle de l’INCRA, qui était entre les mains des mouvements sociaux. (…) Celui qui sort venait du mouvement social, auquel il était loyal, tandis que celui qui entre vient de l’appareil du parti. Cela signifie que le PT va maintenant contrôler fermement cette administration. » (O Estado, 4 septembre 2003). Autre fait : le Tribunal suprême fédéral du Brésil a décidé de suspendre le décret d’expropriation de 13 200 hectares sur lesquels 520 familles devaient être installées dans le cadre du programme gouvernemental. Suite à cette décision, les paysans sans-terre ont immédiatement occupé ces terres. Or, selon un journal brésilien auquel la quasi-totalité des militants de la LCR n’ont évidemment pas accès, cette décision du Tribunal fédéral « a été reçue avec surprise par le ministre du développement agraire, Miguel Rossetto, qui a cependant affirmé que dans un État de Droit démocratique, les décisions de la Cour suprême doivent être respectées » (Folha Online, 15 août 2003). En voilà un beau « ministre des hors-la-loi » ! Les propriétaires doivent ne plus dormir de la nuit en pensant à ce dangereux rouge infiltré au sein du gouvernement Lula ! Quant aux principaux dirigeants combatifs du MST qui croupissent dans les geôles du gouvernement Lula avec la complicité de Rossetto, que pensent-ils de ce ministre et de DS ?

Tous les militants, tous les travailleurs doivent savoir quelle est la politique de Rossetto et de DS, entièrement couverte par la direction de la LCR. Nul doute que des centaines de militants de DS et de la LCR sauront en tirer les conséquences en comprenant par l’exemple brésilien où mène le renoncement au programme de la IVe Internationale.

Que valait l’orientation politique proposée par le Groupe CRI ?

Bien évidemment, personne ne croyait que le gouvernement Lula s’engagerait sur la voie du socialisme ; mais beaucoup pensaient qu’il mènerait une « autre » politique, permettant au moins d’alléger les souffrances des plus pauvres. On l’a vu : il n’en est rien, et c’est même le contraire qui est vrai et qui apparaît à des milliers de travailleurs brésiliens et de militants du PT.

Pour notre part, nous expliquions dès le premier numéro du CRI des travailleurs en février dernier : « Dans ce cadre [celui du respect des accords avec le FMI et des exigences des capitalistes brésiliens], une réelle amélioration de la situation des masses n’est pas possible. En effet, le gouvernement Lula ne pourra respecter ses engagements vis-à-vis du capital sans poursuivre la politique de FHC, sans se retourner contre les masses qui l’ont porté au pouvoir. C’est cette contradiction qui est au centre de la situation pré-révolutionnaire actuelle. » On nous avait alors reproché notre « dogmatisme ». On nous disait : vous avez tort de dire que Lula ne fera que poursuivre la politique de FHC ; ouvrez un peu les yeux sur la réalité, tout n’est pas noir ou blanc ! La réalité a parlé : Lula a poursuivi la politique de FHC.

Dans le même numéro, nous proposions également une orientation politique : « D’une part, il ne saurait être question, pour les militants et les groupes communistes révolutionnaires internationalistes, de soutenir, même de façon critique, le gouvernement Lula. Malgré la pression gigantesque, il faut être capable, contre le courant, de prévenir les masses contre leurs illusions, de s’engager dans un travail patient et persévérant de propagande et d’agitation, avec l’objectif de montrer aux masses que le gouvernement Lula, parce qu’il est un gouvernement au service de la bourgeoisie (un gouvernement de type « front populaire »), ne peut réaliser leurs aspirations, et que seul un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs, pour les travailleurs sera en mesure de le faire réellement. Mais, d'autre part, il faut aider les masses à faire leur propre expérience, et non se poser en donneurs de leçons extérieurs à leur mouvement autonome. Il faut donc appuyer les mobilisations spontanées des travailleurs, et les aider à aller le plus loin possible sur la voie de la satisfaction de leurs revendications par leur propre action autonome et organisée ». Un parti révolutionnaire doit dire la vérité aux masses, même lorsqu’elle est amère, pour les préparer aux tâches qu’elles vont devoir résoudre, et il doit postuler à la direction de leurs luttes. Manifestement, le développement des antagonismes de classe jusqu’à la puissante grève des fonctionnaires, qui se sont finalement retournés contre la direction traître du PT et ceux des courants dits « de gauche » qui ont capitulé, a confirmé notre analyse et notre pronostic.

Aujourd’hui, la rupture de milliers de travailleurs et de militants avec la direction du PT est en cours. Après le vote de la réforme des retraites par le Parlement, on a vu fleurir des banderoles comme « Lula = Collor = FHC », « le PT est pire que FHC », ou encore « PT = Parti de la Trahison ! » Des milliers de militants s’engagent ouvertement dans la voie d’un nouveau parti. C’est ce que proposent notamment le PST-U (qui a lui-même rompu avec le PT depuis des années), des courants de gauche du PT comme le MES (Mouvement de la gauche Socialiste) ou le CST (Courant Socialiste des Travailleurs) et des centaines de militants combatifs du PT et des syndicats. Quelle doit être l’attitude des trotskystes authentiques dans cette situation ? Nous y reviendrons dans notre prochain numéro.


1) Pour enlever aux masses tout point d’appui dans leur résistance aux réformes de Lula et du FMI, la direction du PT a décidé d’engager très tôt une procédure visant à l’exclusion du parti des parlementaires qui s’opposeraient sérieusement à sa politique, notamment en votant contre au Parlement. Suite au vote de trois députés et d’une sénatrice contre la réforme des retraites, elle a annoncé que ceux-ci seraient exclus du parti, et que les huit députés qui se sont abstenus seraient suspendus (en fait, ces derniers ne l’ont pas été finalement car, pour garder leur poste, ils ont ensuite capitulé en votant le texte séparé sur la contribution des retraités au financement des retraites...). En pratique, être suspendu signifie perdre la possibilité de se présenter aux élections non seulement sous les couleurs du PT, mais tout court en raison de la loi électorale brésilienne. La direction a notamment convoqué les récalcitrants devant une « commission d’éthique ». Elle a reproché par exemple à João Fontes (député PT sans courant) d’avoir montré une cassette où l’on voit « Lula en train de faire un discours très dur. Il y traite son actuel allié, Sarney, de voleur. [NDR : Sarney est l’actuel président du Sénat. Il a été élu dans le cadre d’un accord avec le PT. La sénatrice Heloïsa Helena avait refusé de voter pour lui, s’attirant les foudres de la direction du PT]. Il y dit que l’augmentation de l’âge minimum pour le départ en retraite (c’est l’une des mesures qu’il propose aujourd’hui dans le cadre de sa réforme) est une façon d’empêcher les gens de partir en retraite avant de mourir ; et que le gouvernement Sarney préfère remplir les poches des banquiers plutôt que de répondre aux besoins du peuple » (Rapport de la députée Luciana Genro sur sa suspension et celle de João Fontes du groupe parlementaire du PT). La direction du PT, avec le soutien de Démocratie Socialiste, a eu recours aux méthodes suivantes : « Il faut souligner que notre séparation a été votée après une heure de réunion, sans que nous ayons eu aucun droit de nous défendre (…). Pour que je ne sois pas suspendue, le groupe parlementaire a exigé que je condamne par écrit l’attitude de João Fontes, ce à quoi je me suis refusée, parce que la méthode stalinienne consistant à exiger des condamnations est inacceptable. (…). Le résultat a été un vote du groupe parlementaire dans lequel le camp majoritaire, la DS et Articulation de Gauche [un autre courant soi-disant « de gauche » du PT] se sont unis pour nous sanctionner tous les deux. » (Ibid.)