Article du CRI des Travailleurs n°22

Palestine : Le peuple confirme sa détermination à lutter pour ses droits nationaux... mais le Hamas est incapable de le mener à la victoire

Le 25 janvier 2006, l’élection d’un nouveau Conseil Législatif Palestinien (CLP) a constitué une modification dans le rapport de force à la tête de l’Autorité Palestinienne, d’une ampleur inattendue. Le Fatah, parti nationaliste historique de Yasser Arafat et de l’actuel président Mahmoud Abbas, a perdu son hégémonie dans la direction politique du peuple palestinien, en ne recueillant que 45 sièges sur 132. Le Hamas, parti nationaliste islamiste dont la progression était prévisible depuis sa percée aux élections municipales de l’automne 2005, a obtenu un succès dépassant les attentes de ses dirigeants, avec une majorité absolue de 74 sièges. Un nouveau gouvernement a été constitué avec à sa tête un des dirigeants du Hamas, Ismaïl Haniyeh, dans le cadre d’une « cohabitation » avec le président Mahmoud Abbas.

La victoire du Hamas enterre le « processus de paix » moribond

Ces élections ont pris place dans un système institutionnel issu des accords d’Oslo de 1993. Ce système prétend jeter les bases d’un embryon d’État palestinien. Mais la majorité des Palestiniens reste exclue de ce cadre : la participation forte aux élections législatives (77% sur 1,5 million d’inscrits sur les listes électorales) ne peut pas faire oublier que la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est ne constituent pas à eux seuls la Palestine. Si 3,5 millions de Palestiniens vivant dans ces territoires, 1,2 million vivent sur le territoire de l’État d’Israël, 2,5 millions dans des camps de réfugiés des pays limitrophes et 2 millions en exil plus lointain. De plus, le déroulement même de ces élections montre qu’il est impossible pour les Palestiniens d’exercer leurs droits démocratiques nationaux sous le joug israélien : après avoir finalement consenti à ce que les Palestiniens de Jérusalem-Est puissent prendre part au vote, le gouvernement israélien a empêché toute véritable campagne électorale, allant jusqu’à arrêter les candidats, et pas seulement ceux de l’organisation « terroriste » Hamas. En outre, seuls 5700 des 120 000 Palestiniens de Jérusalem-Est ont pu voter dans la ville, les autres devant se rendre en Cisjordanie pour mettre leur bulletin dans l’urne, avec là encore de nombreux obstacles à surmonter (détours de nombreux kilomètres, points de contrôle...).

Malgré cela, les résultats de ces élections s’interprètent on ne peut plus clairement. Le peuple palestinien a choisi d’infliger une défaite à l’organisation qui, de capitulation en capitulation devant l’occupation sioniste, s’est dévoilée comme traître à la cause nationale palestinienne, le Fatah. Cette défaite a été infligée en utilisant le bulletin de vote du Hamas parce que celui-ci s’est construit pendant de longues années une réputation de résistance sans faille à la domination sioniste : refus des accords d’Oslo fossoyeurs des droits nationaux palestiniens, harcèlement contre les forces armées israéliennes (qui ont été un élément déterminant pour le retrait de Gaza, quelles que soient par ailleurs les motivations propres du gouvernement israélien). Le Hamas s’illustre de plus par une politique d’aide sociale aux habitants, au plus près des besoins de la population, ce qui contraste fortement avec le train de vie somptuaire des dirigeants corrompus du Fatah. C’est ainsi que le Hamas a pu regrouper sur son nom bien au-delà de son programme et de ses aspects les plus réactionnaires, y compris les suffrages de Palestiniens non musulmans et de femmes qui refusent le voile.

Toutefois, même si le résultat de ces élections montre une radicalisation du peuple palestinien qui exige toujours la satisfaction de ses revendications nationales et sociales, le cadre institutionnel dans lequel elles se sont déroulées reste une impasse. Les faits démontrent l’impossibilité du « processus de paix » fondé sur les accords d’Oslo et sur la « feuille de route », c’est-à-dire sur la création d’un État-batoustan soumis à la domination de l’État sioniste voisin et réduit aux territoires morcelés de Gaza, de la Cisjordanie (selon le tracé du mur de séparation) et éventuellement de Jérusalem-Est (selon le bon vouloir du gouvernement israélien). Or le Hamas se voit dans une situation (à laquelle il ne s’attendait pas lui-même) où il doit administrer cet État fantoche dans un cadre institutionnel et politique qu’il condamne officiellement. Cela signifie qu’il est désormais chargé de répartir lui-même les maigres fonds alloués par les puissances impérialistes pour l’éducation, la santé, la police, etc. Au demeurant, le pouvoir de négocier les concessions avec Israël restera dans les mains du président Mahmoud Abbas.

L’insoutenable pression impérialiste

Les réactions des différentes puissances impérialistes ont été particulièrement hypocrites : tout en se félicitant du fait que la « démocratie » se soit exprimée en Palestine, elles se sont insurgées contre le choix majoritaire de la population. Ainsi, les États-Unis et l’Union Européenne (comme les différents gouvernements nationaux de l’UE) ont rappelé qu’ils considéraient le Hamas comme une organisation terroriste et que le prétendu « processus de paix », pourtant déjà agonisant depuis des années, était en danger. Ces gouvernements ne se sont pas limités à quelques déclarations vides, mais ont tenu à montrer que l’expression du peuple palestinien ne changeait rien au fait qu’ils disposaient toujours des leviers pour contrôler la situation. Leur arme, en l’occurrence, est celle de l’aide que la prétendue « communauté internationale » apporte à l’Autorité palestinienne (1 milliard d’euros l’an dernier, dont la moitié de la part de l’UE) : ils n’ont pas hésité à suspendre ces aides. Car la situation du peuple palestinien leur importe peu : alors qu’il s’enfonce toujours plus dans la pauvreté, il était indifférent pour nos généreux impérialistes que les fonds versés servent largement à entretenir le train de vie d’une poignée de dirigeants corrompus ; en revanche, ces fonds ne seront versés au nouveau gouvernement palestinien que si le Hamas accepte de devenir fréquentable — c’est-à-dire de renoncer à la violence, de reconnaître l’État d’Israël et d’appliquer les accords d’Oslo. En acceptant de participer à la gestion d’une Autorité palestinienne soumise à la domination impérialiste, le Hamas a fait une première concession ; mais les puissances impérialistes exigent qu’il aille plus loin, qu’il devienne un partenaire fiable : elles lui demandent de devenir, aux côtés du Fatah, trop discrédité pour tenir ce rôle seul, une force capable de contenir les aspirations du peuple palestinien à réaliser ses droits nationaux et sociaux, contradictoires avec le maintien de l’existence d’un État d’apartheid. Quant aux dirigeants israéliens, ils saisissent l’occasion de montrer qu’il n’y a aucun dialogue possible avec les Palestiniens, ces indécrottables « terroristes », et qu’il est donc hors de question de négocier pour aboutir à une quelconque solution, et encore moins de vivre ensemble sur un même territoire. Il s’agit donc pour eux d’isoler le Hamas, voire l’Autorité palestinienne dans son ensemble (certains ministres israéliens déclarant Mahmoud Abbas lui-même hors jeu), afin de pouvoir poursuivre la politique de séparation unilatérale commencée avec le retrait de Gaza et la construction du mur.

Contre les dirigeants impérialistes (y compris « de gauche »), les militants révolutionnaires se doivent de continuer à affirmer qu’il n’y a pas de solution pour le peuple palestinien sans le démantèlement de l’État d’Israël, fondé sur la discrimination ethnique et religieuse, sur la spoliation des Palestiniens et sur le déni de leurs revendications légitimes, en premier lieu le droit au retour. Ce n’est pas un discours abstrait, contre la solution soi-disant « réaliste » d’un État palestinien vivant dans l’ombre de l’État sioniste ; c’est au contraire ce qui a été porté par le peuple palestinien rejetant le Fatah et sa collaboration avec le sionisme et l’impérialisme.

Il faut un parti communiste révolutionnaire en Palestine

De ce point de vue, la victoire du Hamas constitue une leçon pour les communistes révolutionnaires en Palestine. Elle est due en effet à son refus de la domination sioniste, à sa dénonciation incessante de la capitulation du Fatah — qui n’a rien apporté aux Palestiniens qu’une plus grande misère —, à son rôle dans la résistance armée face aux agressions israéliennes et à son travail quotidien au plus près de la population pour lui apporter une aide sociale indispensable. C’est la responsabilité des organisations laïques qui ont abandonné la défense des droits nationaux palestiniens, si cette résistance est aujourd’hui portée par une organisation islamiste et si celle-ci tente demain de mettre en application les aspects les plus réactionnaires de son programme, comme l’application de la charia contre les Palestiniens.

Ce n’est que sous la bannière du communisme révolutionnaire qu’une solution pourra être trouvée. L’orientation nationaliste, populiste et islamiste du Hamas va se heurter, avec sa gestion de l’Autorité palestinienne, à ses limites. En raison de sa nature fondamentalement petite-bourgeoise, le Hamas refuse l’embrasement révolutionnaire de la région pour vaincre l’impérialisme. Dès lors, il n’a pas d’autres choix que d’entrer dans le jeu institutionnel prévu par les accords d’Oslo qu’il dénonçait pourtant jusqu’à présent, et donc de devenir un nouveau rouage de l’État palestinien fantoche. Il ne peut compter que sur des alliances avec les bourgeoisies des pays arabes voisins, qui sont aujourd’hui soit totalement soumises à l’impérialisme, soit dans sa ligne de mire ; et l’histoire a de plus montré qu’une coalition entre les bourgeoisies arabes ne pouvait rien contre la puissance militaire d’Israël soutenu par les plus grandes puissances impérialistes. En revanche, la situation irakienne aujourd’hui montre que même l’impérialisme américain n’est pas capable de contrôler une situation d’insurrection populaire, a fortiori à l’échelle de toute une région.

La seule solution pour les Palestiniens, c’est la satisfaction de leurs revendications nationales et sociales dans et par une République laïque et socialiste sur tout le territoire de la Palestine historique, dans le cadre des États-Unis laïques et socialistes du Proche-Orient. Seul un parti communiste internationaliste peut porter cette perspective. Pour se constituer en force de résistance crédible, en alternative au Hamas, un tel parti doit à la fois combattre politiquement ce parti petit-bourgeois islamiste et passer avec lui des accords ponctuels contre les agressions et la politique de l’État sioniste, contre le prétendu « processus de paix » imposé par l’impérialisme, contre la corruption des caciques du Fatah et de leurs amis, contre les collaborateurs de tout poil. Le Hamas a pu compter pour sa politique d’aide sociale sur l’appui financier des organisations sœurs de l’Islam politique ; un parti communiste révolutionnaire en Palestine doit aussi pouvoir mener une telle politique, grâce à la solidarité ouvrière internationale. Les agressions israéliennes nécessitent une réponse armée de toutes les forces de résistance ; les milices ouvrières doivent pouvoir se battre aux côtés de celles du Hamas, sans pour autant concéder quoi que ce soit à cette organisation dans la critique de son programme politique et social. Le Hamas a su utiliser les élections pour asseoir son audience ; un parti communiste révolutionnaire doit y présenter tactiquement ses propres candidats, à condition de dénoncer leur cadre imposé par les accords d’Oslo et, s’il a des élus, d’utiliser le Conseil Législatif Palestinien comme une tribune révolutionnaire contre l’impérialisme et le sionisme. En même temps, par ses mots d’ordre indissociablement laïques et socialistes, par son objectif d’une seule République sur tout le territoire de la Palestine historique, regroupant les travailleurs arabes et juifs, un tel parti doit permettre aux travailleurs juifs de rompre avec le sionisme et combattre pour l’unité des prolétaires et de tous les exploités juifs et arabes.