Article du CRI des Travailleurs n°7

Pour préparer les luttes à venir, l'heure est à l'organisation politique des travailleurs

Il est peu probable que nous nous trompions en disant que, avec la présente rentrée scolaire, une nouvelle période s’ouvre, qui sera manifestement caractérisée par une pause relative dans l’affrontement de classe ouvert entre les travailleurs salariés et le gouvernement Chirac-Raffarin. Plus de deux mois après la trahison par les dirigeants syndicaux CGT, FO, FSU et UNSA (sans parler évidemment de la CFDT) de la puissante montée vers la grève générale de mai-juin 2003 (cf. notre numéro spécial de bilan de juin-juillet), les deux camps reprennent leurs souffle et font leurs comptes. Ainsi se referme la phase ascendante du cycle de la lutte de classe qui s’était ouverte en janvier avec le « non » des électriciens et gaziers lors du référendum organisé par la direction d’EDF-GDF et la direction de la CGT majoritaire dans l’entreprise pour cautionner la casse de leur système de retraites ; cette phase ascendante s’est développée ensuite avec la lutte contre la guerre en Irak, elle a culminé avec la mobilisation de millions de travailleurs au printemps et elle s’est refermée cet été avec la grève des intermittents du spectacle, dont la puissance s’est nourrie du mouvement général de mai-juin, mais qui est restée isolée après la retombée de celui-ci, le début des vacances scolaires et le refus des dirigeants confédéraux d’apporter et d’organiser un réel soutien à cette lutte exemplaire.

Les travailleurs en lutte de mai-juin font une pause... et s’interrogent

Aujourd’hui, du côté des travailleurs qui ont combattu au printemps, l’heure est à l’amertume, au désarroi, mais aussi à l’interrogation. Malgré la force de leur mobilisation par la grève et les manifestations, les travailleurs, emmenés par ceux du secteur public et les enseignants en particulier, ont perdu leur combat contre Chirac-Raffarin, parce que les bureaucrates syndicaux ont refusé d’exiger le retrait pur et simple du plan Fillon, d’appeler à la grève générale et de la mener jusqu’à la victoire, jusqu’à la capitulation du gouvernement qu’ils prétendent « légitime » depuis le soutien ouvert ou tacite qu’ils ont apporté à Chirac en avril-mai 2002. Le gouvernement, ravi d’avoir gagné cette bataille dont l’issue était pourtant si incertaine, a décidé de faire payer très cher aux personnels, en particulier à ceux de l’Éducation nationale, leurs longues semaines de grève, en utilisant toutes les ressources légales dont il dispose, avec la complicité des dirigeants syndicaux, à commencer par ceux de la FSU « revendiquant » (d’ailleurs en vain) le prélèvement des (seules) journées de grève effectivement accomplies, à l’exclusion des week-end et jours de congé...

Et ce ne sont pas les tentatives dérisoires de LO, de la LCR, de SUD et des soi-disant « coordinations » pour « relancer » le mouvement avec leurs seuls petits bras musclés qui y changera quelque chose : un mouvement de masse ne se décrète pas, et les « avant-gardes » auto-proclamées prétendant remettre au goût du jour l’idée « anarchisante » de l’étincelle, du coup d’éclat ou de l’ « exemple » pour « électriser » les travailleurs sans tenir compte de leur état d’esprit réel, ne font une fois de plus que couvrir en réalité les appareils bureaucratiques des organisations syndicales. En effet, ils sèment l’illusion qu’il serait possible de provoquer une contre-offensive d’ensemble du monde du travail en passant par dessus la tête de ceux qui, malgré leur trahison, malgré leurs capitulations constantes, gardent la confiance de la fraction majoritaire des travailleurs organisés, en particulier de ces centaines de milliers de salariés qui ont répondu présents en mai-juin en arborant leurs banderoles, pancartes et badges marqués « CGT » et « FSU ».

Les militants d’avant-garde politiquement organisés constatent tout au contraire que les travailleurs ont besoin de comprendre ce qui s’est passé au printemps avant et afin de repartir au combat. C’est pourquoi la principale tâche de l’heure est de les aider à faire le point, à aller jusqu’au bout de leurs interrogations sur les raisons de l’échec de leur mobilisation, sur le rôle traître décisif des dirigeants de leurs propres syndicats, et d’en tirer les conclusions politiques qui s’imposent : chasser les bureaucrates pour se réapproprier leurs syndicats et surtout s’organiser politiquement en construisant les noyaux politiques qui pourront former la base du parti communiste révolutionnaire internationaliste dont la classe ouvrière a besoin pour préparer ses luttes en cours et à venir contre le patronat et le gouvernement.

Le gouvernement savoure sa victoire, mais mesure son impopularité

Du côté du gouvernement, la discussion et l’adoption par le Parlement de la réforme contre les retraites se sont accompagnées, dans la foulée, à la faveur de cette victoire et de la période estivale, d’une série d’autres mesures régressives : décision du transfert de la gestion de 90 000 personnels non-enseignants de l’Éducation nationale aux collectivités locales à la rentrée 2004, déremboursement total de 84 médicaments et interdiction pour les médecins d’en prescrire plus de cinq sur les ordonnances des malades âgés de plus de 70 ans, agrément de l’accord MEDEF-CFDT contre le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle, baisse du taux de rémunération de l’épargne populaire (livret A), non-renouvellement du contrat des « emplois-jeunes » et organisation délibérée du manque de surveillants et d’enseignants titulaires pour la rentrée scolaire (absence de listes complémentaires aux concours de recrutement, réduction du nombre de titularisations des contractuels par concours réservé), etc…

Cependant, le gouvernement n’en a pas moins une très claire conscience des conditions qui lui ont permis de vaincre au printemps, et qui font que sa victoire sur ces différents points ne signifie en aucun cas pour lui un regain de puissance : il sait parfaitement qu’il n’a vaincu ni par sa propre force (il n’oublie pas les circonstances bien particulières qui avaient permis son « élection » en 2002), ni à cause d’une quelconque faiblesse intrinsèque de la mobilisation des travailleurs (ceux du privé n’attendant que l’appel syndical à la grève générale pour rejoindre leurs collègues du public), mais uniquement grâce à l’allégeance que lui ont manifestée les Thibault, Blondel et autres Aschieri. À cela s’ajoutent les événements de l’été, ces incendies gigantesques dans le midi et surtout la canicule meurtrière, qui ont mis en évidence, aux yeux de la population, la responsabilité politique majeure, la culpabilité flagrante de ce gouvernement et de ses prédécesseurs : tous ont organisé depuis des années et des années le manque de moyens et de personnels aussi bien pour lutter contre les incendies que pour venir en aide aux malades et aux personnes âgées, les assister à domicile et les hospitaliser dans de bonnes conditions (sur ce point, cf. l’article suivant de Nina Pradier). Il en résulte que ce gouvernement, qui sait combien ses bases ont déjà été sérieusement ébranlées par la puissance du mouvement du printemps, est plus impopulaire que jamais, comme en témoigne même la chute de la très officielle « cote de popularité » de Chirac et de Raffarin ; le fait que ce dernier ait été copieusement sifflé et hué par le public du Stade de France lors de son allocution d’ouverture du championnat du monde d’athlétisme, le 23 août, l’a d’ailleurs rappelé dans un contexte où nul ne s’y attendait particulièrement...

Pour Chirac-Raffarin, il s’agit désormais d’être extrêmement prudents avant les élections, de jeter du lest...

Dès lors, il s’agit pour ce gouvernement, dans les prochains mois, d’éviter tout risque d’un nouvel affrontement majeur qui, cette fois, pourrait lui être fatal, et de ne pas risquer non plus de perdre les prochaines élections régionales et européennes du printemps prochain, ce qui l’affaiblirait définitivement, en limitant sa capacité à mener jusqu’au bout les contre-réformes en cours et à venir (notamment celles de la régionalisation, de la Sécurité sociale, de l’école, de la formation professionnelle et la privatisation d’EDF-GDF), et pourrait même ouvrir une crise politique majeure dans le pays. Même s’il va bien évidemment continuer à donner des coups de griffes dans un certain nombre de domaines, le gouvernement a donc parfaitement compris qu’il était vital pour lui d’être très prudent jusqu’au printemps prochain, et en tout cas de lâcher un peu de lest, voire de faire quelques concessions en cette rentrée :

• L’annonce du maintien de la décision de baisser les impôts (à hauteur de 2,2 milliards d’euros en 2004 pour les ménages, et 1,8 milliards pour les entreprises) a pour but de conserver ou de gagner les voies d’une partie significative des contribuables les plus aisés (cela concerne 15 millions de ménages en France), notamment ceux qui constituent la base électorale de l’UMP. Or elle est d’autant plus significative que, en cette période de très fort ralentissement de la croissance économique française (+ 0,5% seulement sur l’année 2003, selon les prévisions, alors que le gouvernement avait tablé à l’origine sur 2,5%), cette mesure, censée aider à la reprise de la croissance par la consommation privée (qui stagne cette année), va en réalité favoriser en priorité l’épagne et l’investissement et, dans l’immédiat, va encore aggraver le déficit public de la France. Or celui-ci est déjà bien au-delà des plafonds fixés par le Traité de Maastricht (il atteint 4% du PIB, au lieu des 3% autorisés), Raffarin ayant dû aller demander à la Commission de Bruxelles de bien vouloir tenir compte des circonstances et du court terme, c’est-à-dire en clair de la nécessité de limiter la dégradation de la conjoncture économique et de ne pas prendre le risque de décevoir les électeurs avant le printemps prochain. Autrement dit, Raffarin a parfaitement compris que la priorité pour son gouvernement était de se maintenir au pouvoir pour mener à bien ses contre-réformes fondamentales, quitte à s’attirer dans l’immédiat les foudres de la Banque centrale européenne et les remontrances pré-électorales des secteurs les plus maastrichtiens de la bourgeoisie française (UDF, Giscard) ;

• Sans parler de son effet d’annonce démagogique et largement excessif, la revalorisation des minima salariaux le 1er juillet, certes différenciée, n’en est pas moins significative, garantissant un maintien, voire un gain de pouvoir d’achat salarial compte tenu de l’inflation : pour près d’un smicard sur deux (ceux qui travaillent 39 heures et ceux qui sont aux 35 heures payées 35, soit 1 100 000 salariés en tout), l’augmentation du taux horaire du salaire minimum atteint 5,3% pour l’année ; pour les autres, la revalorisation du SMIC s’échelonne entre 1,6% (soit le taux de l’inflation) et 3,2% selon la date du passage aux 35 heures dans leur entreprise. Le gouvernement entend ainsi ne pas entraver une éventuelle reprise de la croissance par une nouvelle baisse de la consommation ; en outre, continuant de jouer sur la division du public et du privé, il espère manifestement que ces quelques miettes concédées avant tout aux salariés du privé lui éviteront d’aggraver encore leur situation et d’en subir au printemps prochain les conséquences électorales ;

• L’annonce du renoncement à la décision de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux dès le budget 2004 (ce qui ne signifie pas qu’un certain nombre de postes ne seront pas supprimés), contrairement à ce qui avait été proclamé au printemps, est le signe d’une volonté manifeste de donner du grain à moudre aux chefs syndicaux soucieux de justifier qu’ils ne font rien en faisant croire qu’ils servent du moins à quelque chose ;

• L’annonce, à la veille de la rentrée scolaire, du déblocage de 80 millions d’euros de crédits supplémentaires pour l’Éducation nationale, consacrés essentiellement au recrutement de 4 000 postes d’ « assistants d’éducation », montre combien Raffarin craint une reprise de la mobilisation des enseignants — même si cette mesure, qui n’est d’ailleurs pas encore effective, ne suffira pas à compenser la très forte diminution du nombre global de personnes chargées d’encadrer les élèves par rapport à l’an passé : si, en effet, les 20 000 « aides éducateurs » en fin de contrat « emploi jeune » (c’est-à-dire licenciés) sont remplacés par 20 000 « assistants d’éducation », ce n’est pas le cas en revanche pour les 5600 postes supprimés de MI-SE (surveillants fonctionnaires) et pour les postes laissés vacants suite à la démission de ceux qui ont trouvé ailleurs un meilleur emploi (notamment par l’admission à des concours) ;

• L’annonce, suite à la canicule, d’une prime pour les personnels hospitaliers, vise à apaiser leur colère et à désamorcer les risques de mobilisation de ce secteur qui, après la catastrophe de cet été, pourrait bien être le prochain à montrer l’exemple à toute la classe ouvrière ;

• Le recul partiel du ministre de Robien, qui a suspendu sa décision de diminuer drastiquement l’allocation-logement pour les jeunes et les étudiants en particulier, quelques semaines après l’avoir décidée, témoigne de la crainte d’une mobilisation des étudiants, dont les conséquences sont toujours imprévisibles — tout en donnant du grain à moudre au « syndicat » étudiant officiel, à quelques semaines de la rentrée et d’un certain nombre d’élections universitaires importantes ;

• Enfin et surtout, l’annonce du report de la réforme sur la Sécurité sociale à l’an prochain, alors qu’elle avait été initialement prévue pour cet automne, traduit la crainte du gouvernement de s’engager dans une nouvelle épreuve de force avec l’ensemble des salariés ;

... et de mener de nouvelles « concertations » avec les syndicats

Mais le souci principal du gouvernement est de renouer le « dialogue social » avec les dirigeants syndicaux qui n’avaient pas signé l’accord Fillon-CFDT sur les retraites, afin de s’assurer non plus seulement de leur soutien tacite, comme en mai-juin, mais de leur participation encore plus directe à l’élaboration des prochaines contre-réformes. Or les dirigeants syndicaux ne peuvent pour le moment lui apporter un tel soutien de manière trop évidente car, après ce qui s’est passé en mai-juin, leur rôle traître risquerait de devenir trop flagrant aux yeux de centaines de milliers de syndiqués. Il s’agit donc pour le gouvernement et les bureaucrates syndicaux de ne pas se précipiter, mais d’ouvrir de vastes « concertations ».

Ainsi, le 24 juillet, clôturant la session parlementaire, Raffarin a-t-il déclaré expressément à la presse : « Je ne vois pas la réforme de la santé, je ne vois pas la réforme de l’énergie sans la CGT, sans Force ouvrière, sans toutes les organisations qui voudront participer autour de la table », avant d’annoncer de « grands débats qui vont être lancés sur la santé pour sauver l’avenir de la Sécurité sociale, le grand débat sur l’école (...) qui devra fonder une loi d’orientation, à partir d’un diagnostic partagé ». En ce qui concerne la Sécurité sociale, le grand battage médiatique sur le fameux « trou » a immédiatement recommencé pour préparer l’opinion à l’ouverture de « négociations » avec les syndicats en vue d’élaborer une « réforme » que tous ces gens-là (gouvernement, médias et bureaucrates syndicaux) vont nous présenter comme aussi « nécessaire » que celle des retraites. Pour EDF-GDF, dont les travailleurs ont montré leur détermination à résister en janvier et de nouveau en mai-juin, le Premier ministre a même ajouté sans détours, suite à la question d’un journaliste, qu’il attendait le congrès de la fédération CGT de l’énergie, prévu pour octobre, et les élections professionnelles, qui suivront en novembre, pour recommencer le « dialogue social avec les partenaires sociaux ainsi stabilisés », qui lui permettra de « maintenir le cap », c’est-à-dire de prendre toutes les mesures devant conduire à la privatisation... Quant à la formation professionnelle, Raffarin a recouru au chantage pour exiger des « partenaires sociaux » qu’ils accélèrent leurs négociations et parviennent à un accord avant « la fin du mois de septembre », menaçant, dans le cas contraire, de passer en force « par la voie législative ». Enfin, en ce qui concerne l’Éducation nationale, l’annonce d’un « grand débat national » sur l’école devant durer toute l’année scolaire, afin de préparer une nouvelle réforme « concertée » qui ne serait pas décidée avant le « deuxième semestre 2004 », (c’est-à-dire après les élections du printemps) a suffi, comme d’habitude, pour qu’Aschieri, secrétaire général de la FSU, réponde positivement à cette main tendue, allant jusqu’à y voir « le résultat de notre mobilisation » et le « début de la prise en compte de nos problèmes » (sic) ; de fait, les syndicats de la FSU, notamment le SNES (enseignants du secondaire) et le SNUIPP (instituteurs), tout en dénonçant les conditions souvent désastreuses de la rentrée scolaire et en faisant semblant d’appeler à des assemblées générales, ont prévenu clairement qu’ils n’avaient aucunement l’intention d’engager un réel combat contre Raffarin-Ferry.

La gauche plurielle essaie de se remettre sur les rails… électoraux

Du côté de la « gauche plurielle », après le succès du rassemblement « altermondialiste » du Larzac, qui a vu se réunir plus de 200 000 personnes en plein cœur du mois d’août, les Verts, le PS et le PCF, qui n’ont toujours pas réussi à sortir la tête de l’eau depuis le 21 avril 2002, ont décidé de se remettre à la pêche aux voix, en prévision des élections régionales et européennes de 2004.

Les Verts

Chez les Verts, dont l’université d’été a été dominée par la question du mouvement « altermondialiste » et les élections, les coutumières attaques personnelles et autres misérables empoignades petites-bourgeoises n’ont pas permis de trancher la seule question qui semblait les intéresser : faire alliance avec le PS, au risque de perdre encore un peu plus toute identité, ou aller seuls aux urnes, au risque de perdre tous leurs élus, étant donné les nouvelles modalités de scrutin décidées par la majorité UMP (il est désormais nécessaire d’obtenir 10% des voix exprimées pour avoir des élus).

Le PS

Deux axes semblent se dégager de l’université d’été que le PS a tenue fin août pour établir sa stratégie des prochains mois : d’une part, tenter de reconquérir les enseignants, car, selon Fabius, « nous avons perdu des dizaines de milliers d’électeurs dans les milieux éducatifs »(1), Mélenchon parlant même d’une « distance insupportable » entre le PS et les enseignants qui, de fait, avaient massivement voté en avril 2002 pour Chevènement, Mamère ou Besancenot ; d’autre part, se tourner vers le mouvement altermondialiste : Bernard Cassen et Jacques Mikonoff, respectivement ancien et actuel présidents d’ATTAC, étaient ainsi les principaux invités de l’université d’été du PS. Recevant le message 5 sur 5, Nikonoff avait d’ailleurs renvoyé l’ascenseur dès le 18 août en s’efforçant de dissiper dans Libération « une image ‘gauchiste’ qui semble marquer » le mouvement « altermondialiste », d’autant plus que celui-ci — « et particulièrement ATTAC — est devenu (la) bête noire [de] deux formations d’extrême gauche (PT et LO) ». En un mot, Nikonoff avait tenu à prévenir, avant même l’université d’été du PS, qu’il ne faudrait surtout pas croire que le mouvement « altermondialiste » serait si « radical » qu’il ne soit pas récupérable par le PS…

Certes, certains cadres du PS se souviennent de l’accueil plutôt glacial, et souvent violent, que leur réservent systématiquement les manifestants anti-mondialisation, comme en juin dernier à Évian ou même cet été au Larzac ; ainsi Jean Excoiffier a-t-il déclaré, à leur sujet : « Avec ses camarades-là, nous ne sommes pas dans le même monde. Ils nous haïssent »… Cependant, la direction du PS comprend le risque qu’il y aurait pour elle si elle ne parvenait pas à gagner les voix d’une partie significative des « altermondialistes », quitte à « gauchir » un peu son discours. Et elle s’inquiète tout particulièrement de la concurrence électorale que représentent désormais LO et la LCR pour les partis de l’ex-gauche plurielle.

Il fut donc décidé d’organiser tout un « atelier » de l’université d’été rien que pour « répondre à l’extrême gauche ». Et cette réponse est claire : il s’agit de dissocier le bon grain « altermondialiste » de l’ivraie d’extrême gauche qui le contamine… La « gauche » du PS, la tendance « Nouveau Parti socialiste » de Montebourg, a bien essayé de plaider contre « l’enfermement » dans une ligne « gauche plurielle » classique et pour le dialogue « sans exclusive » à gauche ; mais la direction du PS a tranché le débat de manière définitive, en affirmant que « l’extrême gauche conduit à l’impuissance », qu’ « il ne faut pas remplacer les chars soviétiques par la bicyclette de Besancenot » (dixit Emmanuelli) et qu’il faut même carrément « ne pas lui parler » (Bartolone).

Mais encore ? Le PS a-t-il un programme politique à proposer ? En fait, toute l’université d’été a été consacrée à quelques critiques formelles de la politique du gouvernement et surtout, une fois encore, à des questions électorales, nouveau bilan d’avril 2002 et préparation du printemps 2004. Il est donc clair que le PS se dispose pour essayer de garder le maximum de postes aux prochaines élections, mais il n’a absolument aucun projet politique alternatif à proposer : allant jusqu’au bout de son appel à voter Chirac en avril 2002 et de sa reconnaissance de la « légitimité » du gouvernement (qui ne fait que poursuivre, fût-ce en l’aggravant, la politique menée par la « gauche » pendant cinq ans), il n’a manifestement aucunement l’intention de se battre pour le pouvoir avant les élections présidentielles et législatives de 2007…

Le PCF

Le PCF, dont sont membres le président Jacques Nikonoff et une bonne partie des autres dirigeants et des cadres d’ATTAC, s’engage toujours davantage dans le mouvement « altermondialiste » et se prononce pour « une autre Europe, un autre monde ». Un tel slogan ne brille pas par la précision, mais au moins beaucoup peuvent s’y reconnaître ! De fait, dans son discours du 21 août à Dives-sur-Mer, la secrétaire nationale, Marie-Georges Buffet, a essayé de ratisser large : « J’étais, a-t-elle dit, dans les manifs pour la paix, avec les ouvriers de Métaleurop, pour les retraites, contre la décentralisation, avec les urgentistes, avec les sans-papiers, à Porto Alegre, à Florence, au Larzac, à Annemasse. J’ai participé à des dizaines de Forums organisés par les communistes où des hommes et des femmes de sensibilités différentes, socialistes, communistes, écologistes, d’extrême gauche débattent, confrontent leur point de vue pour battre la droite et pour construire une perspective, et à chaque fois, de chaque rassemblement, de chaque initiative, j’en ressors avec beaucoup de volonté d’en découdre avec tous les fauteurs des souffrances, des gâchis provoqués par la politique libérale et le système capitaliste. » Bien sûr, toute ressemblance avec l’accélération d’une tentative de récupération du mouvement « altermondialiste » ou d’un début de campagne électorale serait purement fortuite : « N’en déplaise à certains, a cependant tenu à préciser M.-G. Buffet à l’attention des sceptiques, les communistes en étant de tous ces mouvements ne courent après personne, ne flattent personne, ils sont tout simplement de ceux et celles, avec ceux et celles qui veulent changer leur vie, la vie, ils sont tout simplement communistes ». Ouf, pareils « communistes », cela nous rassure !

Mais alors, que veut le PCF ? « Je ne souhaite pas la division », a déclaré l’ancienne ministre « gauche plurielle » de Chirac, « je veux le rassemblement des énergies anti-libérales ». En fait, le PCF se prépare manifestement à refaire le coup de la « gauche plurielle », mais avec un piment « antilibéral » et « altermondialiste » ; or c’est justement là... l’objet de discussion centrale du PS en ce moment, comme nous l’avons vu : nul doute que toute la montagne du bavardage de Buffet accouchera de la souris d’une alliance électorale avec le PS, ce qui est précisément la seule solution pour que le PCF, laminé en 2002, à peine visible comme parti en mai-juin, puisse espérer conserver quelques sièges régionaux et européens. Si le PCF s’engage à corps perdu dans le mouvement altermondialiste, c’est donc non seulement pour essayer de continuer à exister comme parti, mais encore pour peser dans la balance des négociations électorales avec le PS, qui est évidemment en position de force (il avait réussi à limiter la casse aux législatives de 2002 et peut sans doute profiter le mieux, parmi les composantes de l’ex-gauche plurielle, du discrédit qui atteint le gouvernement Raffarin). C’est pourquoi le PCF tient en particulier une place désormais centrale dans ATTAC et dans la préparation du « forum social européen » prévu cet automne à Saint-Denis (ville dont le maire, Patrick Braouezec, est membre du PCF), sous les auspices de l’Union européenne et de l’Élysée, qui apportent à eux deux une partie essentielle du budget (nous y reviendrons dans notre prochain numéro)...

Enfin, M.-G. Buffet en appelle, toujours dans son discours de Dives-sur-Mer, à « un monde différent car chacun-ne s’en sent comptable lorsque l’organisation des Nations unies est frappée au cœur [allusion à l’attentat de Bagdad contre le quartier général de l’ONU, NDR], lorsque la violence prend le pas sur la volonté démocratique et de paix. » Ainsi, le « monde différent » dont rêve le PCF serait un monde où l’on s’agenouillerait devant ce repaire de voyous impérialistes qu’est l’ONU (cf. à ce sujet l’article de Paul Lanvin dans le présent numéro), cette ONU qui, rappelons-le, avec son ignoble embargo contre l’Irak à partir de 1991, a tué 1,5 millions de personnes de plus que l’attentat perpétré contre ses représentants le 19 août dernier par des résistants irakiens (quoi que l’on pense par ailleurs de l’idéologie et des méthodes de ces derniers) (2). En somme, un « monde différent » pas si différent de celui où nous vivons, et où les amis irakiens du PCF, les dirigeants du parti communiste irakien, participent en ce moment même — au nom de la paix et de la démocratie, évidemment — au « conseil de gouvernement » fantoche que l’impérialisme américain a mis en place en rassemblant à grand-peine la totalité de ses suppôts irakiens de toutes tendances, afin de disposer d’une caution « nationale » et d’un valet collaborationniste. Et il est indéniable que la participation de Hamid Majid Moussa, secrétaire général du PC irakien, est une pièce maîtresse du dispositif de l’impérialisme américain, soucieux de donner de donner une caution « de gauche » à son occupation de l’Irak (3).

L’extrême gauche n’a aucune perspective politique à proposer

Et l’extrême gauche ? Nous avons montré dans notre précédent numéro comment LO, la LCR et le PT avaient à la fois contribué à animer, à une échelle sans précédent pour eux, le mouvement de mai-juin, et couvert chacun à sa manière la politique des appareils syndicaux. Que font-ils depuis, que proposent-ils ?

LO

Depuis le printemps, LO a troqué son pessimisme coutumier contre un optimisme béat. Elle continue ainsi de croire et de clamer sur tous les tons que le mouvement de mai-juin n’est pas terminé, qu’il se poursuit au contraire. Les éditoriaux du journal de l’été nous ont annoncé chaque semaine que ça allait reprendre, ou que ça pourrait bien reprendre, et alors attention, Raffarin et Seillière allaient voir ce qu’il allaient voir. Dans l’enseignement, depuis la fin août, les militants de LO se sont dépensés sans compter pour continuer à faire vivre de manière artificielle les fameuses « coordinations », où il n’y a désormais plus personne qu’eux-mêmes et les militants de SUD et de la CNT — avec qui, évidemment, les tensions se multiplient. On y propose des dizaines d’ « actions » plus « spectaculaires » les unes que les autres, au cours desquelles on scande, des mots d’ordre de plus en plus rrrrrradicaux, dans l’espoir que les masses finiront bien par suivre… Bref, la dépolitisation de LO continue, et l’incapacité à tirer les leçons du mouvement de mai-juin, d’apprécier l’état d’esprit des masses et de faire quelque proposition politique concrète que ce soit est à son comble.

Reste une perspective : celle des prochaines élections régionales et européennes, qui deviendront à n’en pas douter dans les prochains mois la préoccupation principale de LO, et qui donnent lieu aujourd’hui à des négociations avec la LCR. Le résultat de celles-ci est largement prévisible, malgré les conditions que LO entend imposer : l’alliance avec la LCR est la seule solution non seulement pour que LO puisse espérer progresser en voix et garder des élus (avec les retombées financières importantes que cela représente), mais aussi pour ne pas se retrouver complètement perdante, en particulier face à une LCR qui bénéficiera de toute façon de la médiatisation très poussée de Besancenot et de son engagement « altermondialiste » tous azimuts.

La LCR

Du côté de la LCR, justement, on aurait bien voulu éviter de se retrouver tout seul avec LO, mais le problème est que personne d’autre ne veut fréquenter excessivement cette organisation encore trop « radicale ». En particulier, le refus du PS de discuter avec l’extrême gauche politique a provoqué un fort mécontentement de la LCR, qui aurait tant voulu organiser cet automne une grande manifestation commune de « toute la gauche », en particulier avec le PS. En effet, comme Besancenot l’a expliqué au cours de l’université d’été de la LCR, « le mouvement social a besoin d’une victoire contre la droite, mais aussi d’un nouveau débouché politique à gauche » (4) C’est pourquoi la direction de la LCR a adressé cet été à « l’ensemble de la gauche sociale et politique une proposition d’action unitaire ». Ainsi, pour la LCR, le PS (dont la politique a certes été sévèrement critiquée par ailleurs), ATTAC et la LCR ne sont finalement que les différentes branches d’une même famille, « la gauche », qui devrait dépasser ses petites querelles et travailler ensemble ! Bien sûr, pour ces grands « communistes révolutionnaires », il s’agit là d’une tactique subtile : la proposition d’alliance avec le PS et les autres n’est pas un but en soi, mais elle vise à « donner au mouvement social un débouché politique qui soit autre chose que la gauche plurielle, et plus large que l’extrême gauche » ; cela, parce que le but ultime est le suivant : « Il faut que les militants les plus politisés se mobilisent pour construire un grand parti anticapitaliste. » En somme, toute une « stratégie »... En attendant, l’un des leimotive préférés de la LCR est de faire des distinctions subtiles entre les « sociaux-libéraux » à la Strauss-Kahn et Fabius, d’une part, et les éléments plus fréquentables du PS, qu’il s’agirait en quelque sorte de ne pas abandonner à la droite de ce parti…

Or la fin de non-recevoir opposée par la direction du PS laisse la LCR désemparée. En effet, elle sait bien que, par ailleurs, « le PC est dans l’ultime phase de son agonie » et que les Verts sont « en train de pourrir sur pied » (dixit Christian Picquet). Et elle ne peut tout de même pas soutenir l’appel pour une « alternative à gauche », dit appel « Ramulaud », lancé et soutenu par des militants des Verts, du PC, de Nouveau Monde et des militants syndicalistes ou associatifs : manifestement contre la fraction la plus droitière de la LCR, Daniel Bensaïd a martelé que « Ramulaud risque de provoquer de nouvelles déceptions en donnant l’illusion de convergences » ; d’autant, a-t-il ajouté, peut-être non sans un certain regret, qu’ « il n’y aura pas de liste Ramulaud » aux élections…

Bref, aucune perspective ne s’offre réellement à la LCR pour constituer le fameux « bloc de radicalité » politique dont elle rêve, et au nom duquel elle essaie de justifier sa ligne opportuniste aux yeux de ses militants les plus dubitatifs… Comme l’a reconnu la députée européenne Roselyne Vachetta, « on ne voit pas aujourd’hui avec qui mener ce combat »... Reste donc LO, et elle seule. Bien sûr, la LCR en a critiqué le « splendide isolement » ; mais elle sait bien que LO ne peut réellement se permettre de rejeter les propositions d’alliance que la LCR lui a adressées en vue d’une liste commune aux prochaines élections… et qui seules permettront à la LCR de se présenter avec quelque chance de garder ses propres élus, et même de progresser en voix.

Le PT

Enfin, le PT s’engage toujours plus avant dans son combat pour « sauver » la République et la nation françaises qui seraient menacées de démantèlement par l’Union européenne, sur ordre de l’impérialisme américain. Au lieu de combattre d’un point de vue prolétarien, donc dans une perspective socialiste, la régionalisation et l’Europe de Maastricht en tant qu’instruments du capital pour détruire les droits ouvriers, le PT en arrive à des positions de plus en plus républicaines-bourgeoises et même nationalistes. Par exemple, dans son journal Informations ouvrières n°600 (30 juillet), il justifie la nécessité de combattre les licenciements non pas par les intérêts de la classe ouvrière (qui, faut-il le rappeler, n’a pas en tant que telle de patrie), mais sur la ligne suivante, qui n’a plus rien à envier au « produisons français » du PCF des années 1970 : « Un pays qui brade ses usines perd sa souveraineté. Notre combat pour l’unité contre les licenciements, le maintien de l’usine et des sites rejoint le combat pour l’unité et l’indivisibilité de la République. » Autrement dit, c’est d’abord pour la défense de la « souveraineté » de la nation française, en un mot contre la concurrence étrangère (notamment américaine), qu’il faudrait se battre contre les licenciements, et non pour aider la classe ouvrière à lutter avant tout contre « sa » bourgeoisie française et son État, en lien avec les travailleurs de tous les pays. Dès lors, que propose le PT ? Au lieu d’utiliser ses positions syndicales pour que les confédérations engagent le combat contre la régionalisation et la décentralisation, pour la défense de l’égalité des droits et pour empêcher les licenciements, le PT organise tout seul, dans son coin, avec une poignée de maires « républicains » ou chevénementistes « ceints de (leur) écharpe tricolore », sa petite manifestation annuelle le 20 septembre pour « défendre la République et la démocratie »...

À part cela, dans la vie de tous les jours, la direction du PT poursuit tranquillement sa ligne de couverture permanente des syndicalistes réformistes en général, et de la direction confédérale de Force ouvrière en particulier...

Construisons les noyaux politiques pour le parti communiste révolutionnaire ! Rejoignez le Groupe CRI !

Étant donné la situation de la lutte des classes deux mois et demi après la montée vers la grève générale de mai-juin, et face à l’incapacité des organisations du « trotskysme » national officiel (LO, LCR, CCI-PT) à avancer quelque perspective politique que ce soit, il est nécessaire de s’engager sur la voie de la construction d’un authentique parti communiste révolutionnaire internationaliste — dans un processus qui intégrera d’ailleurs certainement des centaines de militants qui se font encore actuellement des illusions sur la nature et la fonction des vieilles directions centristes sclérosées et bureaucratiques de LO, de la LCR et du CCI-PT. La tâche principale du moment est donc la constitution de noyaux politiques qui contribueront à poser les bases d’un tel parti.

C’est à cela que, à son échelle modeste, le Groupe CRI entend contribuer concrètement au cours des prochains mois. En ce qui le concerne plus particulièrement, l’heure est tout d’abord à l’organisation dans ses rangs, comme militants communistes révolutionnaires formés au marxisme, des sympathisants qu’il a acquis au cours du premier semestre 2003 grâce aux analyses et propositions de son journal, Le Cri des travailleurs (dont près de 2000 numéros ont été vendus depuis le premier paru en février), grâce à son intervention politique autonome dans les syndicats, dans les assemblés générales contre la guerre en Irak, puis dans la lutte contre la réforme des retraites, et enfin grâce à sa tenue de réunions pour la formation marxiste de travailleurs et d’étudiants conscients qu’il n’y a pas d’action politique révolutionnaire sans théorie révolutionnaire. D’autre part, se distinguant radicalement, sur ce point comme sur les autres, de LO, de la LCR et du CCI-PT, le Groupe CRI estime que la construction des noyaux politiques pour le parti communiste révolutionnaire international suppose tout à la fois une rupture définitive avec la gangrène du sectarisme et de l’autoproclamation, et une intervention pratique, organisée et centralisée dans la lutte de classe, qui mette en avant de véritables mots d’ordre révolutionnaires de transition, et non une orientation opportuniste ou crypto-réformiste.

C’est pourquoi, en particulier, il multiplie autant que possible les contacts, réunions et discussions avec un certain nombre de militants révolutionnaires plus ou moins isolés, notamment certains de ceux qui ont été exclus à un moment ou à un autre des « maisons-mères » du « trotskysme » national, et surtout avec d’autres groupes révolutionnaires, tout particulièrement des groupes étrangers ou rattachés à des centres de liaison internationaux ayant rompu, ou étant en train de rompre, avec les organisations centristes sclérosées qui se réclament du trotskysme.


1) Cette citation et les suivantes sont extraites de Libération du 31 août.

2) Voici l’ignoble communiqué d’allégeance onusienne pondu par M.-G. Buffet après l’attentat du 19 août : « Cet attentat contre la représentation de l’Onu à Bagdad, qui a fait de nombreuses victimes, dont, semble-t-il, le représentant du Secrétaire général, Sergio Vieira de Mello, doit être condamné avec la plus grande fermeté. S'en prendre dans les conditions présente aux Nations Unies est non seulement criminel mais insensé. Il s’agit tout au contraire de renforcer l'autorité, la responsabilité, la légitimité de l'ONU pour un règlement politique en Irak, et pour rendre au peuple irakien enfin la totale souveraineté sur son destin et ses ressources, conformément au droit international. Je tiens à réaffirmer auprès du Secrétaire général [de l’ONU, NDR] dans ce dramatique moment la solidarité du PCF avec les victimes et leur famille ainsi que notre soutien à l'organisation internationale. »

3) Cf. la déclaration de ce parti pour justifier sa participation sur son site http://www.iraqcp.org/french/

4) Cette citation et les suivantes sont extraites du journal Libération du 31 août, qui rend compte de cette réunion.