Article du CRI des Travailleurs n°7

Afrique : Comment le joug impérialiste empêche le développement économique et social

Quarante ans après l’essentiel du processus dit de décolonisation, le continent africain reste totalement soumis à la domination impérialiste. C’est la conséquence de la collaboration avec les puissances impérialistes, depuis l’issue des guerres de libération nationale, des classes dominantes « compradores » : bourgeoisies autochtones, essentiellement commerçantes, plus ou moins atrophiées par le colonialisme, et résidus de l’aristocratie pré-coloniale (propriétaires fonciers). En effet, elles ne pouvaient pas mener à bien les tâches d’émancipation nationale contre l’impérialisme sans risquer de voir remettre en cause leur propre domination sur les classes laborieuses. Effrayées par la poussée des masses qui avaient obligé les puissances coloniales à abandonner leur domination directe, elles ont donc préféré la collaboration avec l’impérialisme, tout en maintenant un discours appelant à l’union nationale, justifiant ainsi dans la majorité des pays des régimes de parti unique, voire de dictature militaire. Au besoin, quand la poussée révolutionnaire des masses avait été trop forte, ces nouveaux régimes, se prévalant du socialisme, avaient bénéficié du soutien des bureaucraties staliniennes (qu’elle soit de Moscou, appuyant le régime contre-révolutionnaire de Mengistu en Éthiopie après la mise à bas du régime impérial d’Hailé Sélassié en 1974, ou de Pékin, soutenant la dictature de Mobutu au Zaïre à partir de 1965) : le mot d’ordre mis avant par les partis staliniens de « révolution nationale démocratique et populaire », justifiant la collaboration de classes au nom de la révolution par étapes, ont désarmé la classe ouvrière et la paysannerie pauvre dans leur combat contre les classes dominantes pour la réalisation des tâches nationales-démocratiques de rupture avec les puissances coloniales et des tâches proprement socialistes. Les pays ayant acquis leur indépendance formelle sont donc restés dans les rapports de domination économique hérités du colonialisme : la mainmise des entreprises occidentales sur les ressources naturelles (principalement minières) de ces pays n’a pas été remise en cause, l’agriculture reste centrée autour de monocultures d’exportation en lieu et place de cultures vivrières, ce qui provoque régulièrement des famines dans des pays continuant à exporter (comme le montre l’exemple de l’Afrique australe récemment) et maintient le continent sous la dépendance du marché sinistré des produits agricoles.

Le non-paiement de la dette : revendication centrale pour la rupture avec l’impérialisme

Le problème aujourd’hui écrasant de la dette prend naissance également au lendemain de la création des « États indépendants », dans les années 1960 et 1970. Les banques occidentales ont proposé alors à ces États, au nom de « l’aide au développement », des prêts à taux faibles. Il s’agissait du moyen trouvé par l’impérialisme américain pour juguler l’inflation qu’aurait provoquée un retour massif sur le sol américain des dollars alors investis en Europe (suite au plan Marshall). À cette partie privée de la dette s’ajoute une partie publique (ou bilatérale) : là encore, loin de prétendues aides, il s’agissait pour les États impérialistes de trouver des débouchés pour leur production au moment de la crise de surproduction ouverte par le choc pétrolier de 1973 : des prêts à bas taux étaient accordés aux pays pauvres, qui en contrepartie devaient importer des marchandises provenant du pays créancier.

Le mécanisme infernal de la dette et le rôle du FMI

Jusqu’au début des années 1980, les prêts se multiplient et les pays pauvres accumulent les dettes, qu’ils peuvent alors encore rembourser. C’est alors que se produit le tournant, avec la décision de l’administration américaine de multiplier par quatre les taux d’intérêts, dans le but d’attirer des capitaux aptes à relancer l’économie américaine en crise. La dette, qui était liée à ces taux américains, s’en trouve ainsi mécaniquement augmentée. Les gouvernements africains, ne voulant pas rompre avec l’impérialisme, doivent donc exporter de plus en plus massivement pour emmagasiner les devises nécessaires aux services de la dette. C’est le cercle vicieux : les cours des matières premières exportées chutent sur le marché mondial, rendant la rentrée de devises étrangères de plus en plus difficiles. Ainsi, le coton, la ressource principale en Afrique de l’Ouest (sa culture emploie par exemple le quart de la population du Burkina Faso et représente 40% des revenus d'exportation de ce pays), a vu son cours diminuer de 2,6 $ à 1,1 $ par kilogramme entre 1980 et 2000. De même, dans beaucoup de pays d'Afrique de l’Est, où c’est le café qui tient ce rôle de monoculture d’exportation, son cours a chuté de 4,1 $ à 0,6 $ par kilogramme dans la même période.

C’est alors que se dissipe toute illusion sur l’indépendance formelle des pays victimes de la dette. Ne pouvant plus trouver de devises pour la rembourser, les États dominés par l’impérialisme se tournent vers le Fonds Monétaire International (FMI), seul bailleur de fonds qui accepte de prêter encore aux pays endettés. Mais c’est là le moyen d’une totale mise sous tutelle de ces économies par l’impérialisme à travers cette institution. Les conditions pour les prêts du FMI, connues sous le nom de Plans d’Ajustement Structurel (PAS), sont en effet drastiques et désastreuses pour les populations. L’espace alloué aux monocultures d’exportation gagne encore sur celui réservé aux cultures vivrières, condamnant l’Afrique au sous-développement économique et, dans de nombreux pays, à des vagues incessantes de famine qui ravage les populations. En outre, le budget des services publics non directement rentables (santé, éducation) est largement revu à la baisse, avec des licenciements à la clé ; ainsi, à la fin des années 1990, les services sociaux ne représentent plus que 10% du budget des États africains, contre 40% destinés au service de la dette. Quant au secteur public susceptible de dégager de la plus-value (énergie, transport, grands domaines agricoles nationalisés à l’indépendance...) il est largement privatisé, avec ouverture totale aux capitaux étrangers. Ainsi, 2700 entreprises publiques ont été privatisées en Afrique depuis la mise en œuvre des PAS ; dans des secteurs comme ceux de la distribution de l’eau et de l’électricité, les multinationales françaises Bouygues, Vivendi et Suez se partagent l’essentiel du marché. Les « missions de service public » ne sont souvent plus assurées : les tarifs augmentent, la population est peu desservie (en Guinée-Conakry, seuls 35% de la population urbaine et 1% de la population rurale ont accès au réseau électrique) ou par intermittence (ainsi, les coupures d’électricité se multiplient au Cameroun depuis la cession de cette activité à l’entreprise américaine AES en juillet 2001). Les prêts accordés en échange de ces mesures servilement appliquées par les gouvernements africains constituent la part multilatérale de la dette.

En même temps que les populations s’enfoncent dans le dénuement, la dette continue donc de se creuser, d’autant plus que son montant dépend toujours des décisions impérialistes (en 1993, les pays de la zone CFA ont ainsi vu le poids de leur dette multiplié par deux du fait de la décision conjointe du FMI et du gouvernement Balladur de dévaluer le franc CFA). La situation des pays africains étouffés par la dette est sans issue : alors que la dette extérieure de l’Afrique subsaharienne était de l’ordre de 50 milliards de dollars en 1980, elle s’élève aujourd'hui à 210 milliards de dollars, malgré le remboursement de 400 milliards de dollars durant cette période.

Aujourd’hui encore, comme depuis quarante ans, les pays créanciers jurent la main sur le cœur qu’ils se préoccupent de l’avenir des populations africaines avec la mise en place de l’initiative « Pays Pauvres Très Endettés » (les « PPTE » comprenant essentiellement des pays africains, dont le Sénégal, le Rwanda, le Mozambique, le Cameroun, le Bénin, le Ghana…). Il s’agit en fait d’un simple rééchelonnement de la part bilatérale et multilatérale de la dette (ce qui est du bon sens économique de la part des créanciers, qui permettent ainsi aux débiteurs d’être en mesure de les rembourser indéfiniment). Tout cela s’accompagne de nouveaux diktats du FMI tout en se révélant indolore pour les créanciers : l’essentiel de la dette des pays dominés est concentré non pas dans ces pays les plus pauvres, mais dans ce qu’on appelle les « géants du Tiers-Monde » (Brésil, Argentine, Indonésie…), et la diminution, entre 2000 et 2001, du coût du service de la dette des « PPTE » de 3,1 à 2,3 milliards de dollars est à comparer aux 157 milliards de dollars versés par l’Amérique du Sud en 2001 au titre de ce même service de la dette.

Loin donc des légendes impérialistes et médiatiques sur la prétendue « aide au développement », l’Afrique est aujourd'hui exportatrice nette de capitaux vers les pays impérialistes, tant la dette qu’ils lui font payer est importante. Et la croissance continue du Produit intérieur brut (PIB) africain, supérieure à 3% depuis plusieurs années, n’empêche pas que les « Indicateurs de Développement Humain » (reposant sur le revenu par habitant, l’espérance de vie, la scolarisation et l’alphabétisation) des pays africains restent parmi les plus bas du monde. Ainsi, sur une population totale de 750 millions d’habitants, 300 millions d'Africains vivent aujourd'hui dans l’extrême pauvreté officielle et 400 millions n’ont pas accès à de l’eau saine. Dans les 34 « Pays les Moins Avancés » du monde, 87% de la population vit avec moins de 2 $ par jour. Quant à l’espérance de vie, elle recule brutalement dans les pays d'Afrique australe, à cause du SIDA (qui tue 2,5 millions de personnes par an sur tout le continent), mais aussi du paludisme (900 000 morts par an), sans parler des guerres ; il est ainsi prévu que l’espérance de vie chute de 30 ans (de 65 à 35 ans environ) dans les cinq prochaines années au Zimbabwe et au Botswana, et elle est déjà passée sous la barre des 40 ans dans sept pays.

Les peuples d’Afrique n’ont rien à espérer des actions de leurs gouvernements auprès des pays impérialistes en vue d’alléger ou d’humaniser la dette. Toute lutte pour la rupture avec l’impérialisme et pour la prospérité en Afrique ne peut que passer par l’exigence du non-paiement de la dette.

L’Union Africaine, dernière née des institutions compradores

Les bourgeoisies africaines, qui ne peuvent définitivement pas satisfaire ces mots d’ordre, s’attachent à trouver de nouveaux moyens pour empêcher les masses d’accéder à leurs revendications démocratiques, économiques et sociales. Après l’Organisation de l’Unité Africaine, née en 1963 sur les concepts de panafricanisme et d’unions nationales (signifiant dans les faits partis uniques, voire dictatures militaires, le tout sous domination impérialiste), la nouvelle organisation continentale, l’Union Africaine (UA), a été proclamée à Durban (Afrique du Sud) en juillet 2002. Cette institution, qui prétend prendre pour modèle l’Union européenne, est et restera bien sûr absolument incapable de développer un réel marché commun et une quelconque intégration économique panafricaine. Aujourd’hui, il n’existe pas de marché entre pays africains : l’essentiel des échanges commerciaux extérieurs des pays africains se fait avec les puissances impérialistes (exportations de matières premières et importations de produits manufacturés) et non avec les autres pays du continent ; or cet état de fait est intrinsèquement lié au joug impérialiste. Outre les déclarations d’intentions, la seule initiative de l’UA dans le domaine économique se résume donc à la promotion du NEPAD (Nouveau Partenariat Pour le Développement de l’Afrique). Présenté comme une initiative africaine autonome (il a été porté devant le G 8 en 2001 par les présidents sud-africain, nigérian, algérien, égyptien et sénégalais), ce plan est en réalité une nouvelle réponse servile aux injonctions du FMI. Il s’agit en effet d’encourager les Investissements Directs Etrangers (IDE) dans quatre secteurs prioritaires : les infrastructures, l’agriculture, l’éducation et la santé. C’est donc une nouvelle accélération des privatisations dans ces secteurs (processus déjà bien entamé depuis le début des plans d’ajustement structurels, avec ses conséquences désastreuses pour les usagers et travailleurs de ces secteurs) qui est à l’ordre du jour, avec la part du lion offerte aux puissances impérialistes.

En fait, le point central des préoccupations de la nouvelle Union Africaine semble être celui de la sécurité et de la prévention des risques. Les classes dominantes en Afrique, contrairement aux populations, ont besoin des IDE, qui leur fournissent les fonds avec lesquels se nourrissent leurs régimes. Mais, en même temps qu’elles contribuent à les provoquer, les entreprises occidentales redoutent les guerres civiles qui font peser des risques quant à leur retour sur investissement. D’où le rôle de l’UA en tant que cartel des chefs d’États africains : on se dirige vers la création d’unités d’intervention destinées à protéger les États membres de tout risque d’instabilité, c’est-à-dire d’asseoir le pouvoir de la clique dirigeante, que ce soit face à une poussée des masses ou face à l’irruption d’une clique rivale. Toutefois, ces intérêts communs des chefs d’États en place se heurteront sans doute à la compétition de plus en plus forte entre impérialistes (principalement entre les États-Unis et les anciennes puissances coloniales comme la France) pour l’acquisition des ressources africaines. Les exemples de la récente intervention militaire française au Congo (dans la région minière des Grands Lacs), ou du positionnement des Américains en Afrique de l’Ouest par l’intermédiaire de bandes armées entre le Libéria et la Côte d’Ivoire, laissent présager que les populations africaines seront toujours davantage les victimes les rivalités inter-impérialistes à venir.

Il n’y a et il n’y aura aucune autre perspective, jusqu’à ce que, en relation étroite et organisée avec les classes ouvrières des métropoles impérialistes, elles prennent en main leur propre destin pour rompre avec le talon de fer de la dette, du FMI et de l’impérialisme, et avancent ainsi dans la voie du socialisme qui seule leur permettra de s’émanciper économiquement et socialement.