Article du CRI des Travailleurs n°5

Côte d'Ivoire : Quatre mois après Marcoussis, où en est-on ?

Plus de quatre mois après les accords de Marcoussis, censés résoudre la crise ivoirienne ouverte par les événements de septembre 2002 (voir Le Cri des travailleurs n°1), nous revenons sur les tenants et aboutissants de cette prétendue « sortie de crise ».

Les accords de Marcoussis ont marqué un changement d’attitude important de la part de l’impérialisme français dans ce qu’il considère encore comme son pré carré. Les intérêts économiques français en Côte d’Ivoire sont énormes, aussi bien par la multitude de PME françaises qui y sont installées que par les grands groupes industriels (Bouygues, Bolloré...) qui ont raflé l’essentiel des marchés ivoiriens pendant les processus de privatisations (eau, électricité, transports ferroviaires...). Le climat de violences ouvert par les événements de septembre 2002, avec le soutien des voisins de la Côte d’Ivoire, principalement le Liberia, relais supposé de l’impérialisme concurrent américain, a donc eu un impact négatif important pour ces entreprises françaises et provoqué l’intervention militaire de la puissance coloniale pour sécuriser la « zone utile », c’est-à-dire le Sud du pays. Si, dans un premier temps, l’armée française a fourni un soutien, direct ou par bienveillance, aux troupes dites loyalistes du président Gbagbo pour réprimer les troupes rebelles du Nord et de l’Ouest, l’incapacité du gouvernement en place à obtenir un retour au calme nécessaire aux entreprises françaises pour continuer leur pillage des richesses du pays, a provoqué le tournant diplomatique exprimé par les accords de Marcoussis. Quitte à provoquer la colère du clan Gbagbo, la France mise dorénavant sur la constitution d’un gouvernement de réconciliation nationale pour préserver ses intérêts.

Un affrontement entre deux cliques

C’est ainsi qu’il a été demandé au nouveau Premier ministre ivoirien Seydou Diarra de constituer un gouvernement d’union nationale, regroupant les forces politiques jusque là ennemies, le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et le Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) de Guillaume Soro, le principal mouvement rebelle. Plus de quatre mois après, ce gouvernement n’est toujours pas définitivement constitué, les postes sensibles de ministre de l’intérieur et ministre de la défense, promis au MPCI lors des accords de Marcoussis, constituant toujours un point d’achoppement. Les grands gagnants de cette lutte de cliques sont tout de même les mouvements ex-rebelles, littéralement achetés grâce aux places dans les ministères et aux avantages matériels qui y sont associés. L’armée française, toujours présente sur place, ne cesse de rappeler à ces ministres de l’opposition qu’ils lui sont redevables : ce sont les troupes françaises qui assurent leur sécurité dans un climat toujours loin d’être apaisé. Le clan Gbagbo, en effet, n’a pas renoncé à retrouver l’ensemble du pouvoir, et se prépare en conséquence, avec l’appui du mouvement des « jeunes patriotes », instrumentalisé par Simone Gbagbo, femme du président et chef de file du FPI à l’assemblée, mais aussi de milices armées. L’opposition, espérant en obtenir plus encore par les mêmes méthodes de violences, fourbit également ses armes. Et ces accords de paix semblent signifier dans les faits une veille de guerre.

Quelles conséquences pour les travailleurs de Côte d’Ivoire ?

La crise économique exacerbée par les affrontements touche avant tout les travailleurs. Les entreprises présentes en Côte d’Ivoire leur ont fait payer le prix fort, en en jetant des milliers vers le chômage et en diminuant fortement les salaires de ceux qui ont pu conserver leur emploi. Non contentes de profiter de la crise pour justifier ces mesures, certaines entreprises (Sitarail par exemple, la compagnie ferroviaire, qui est dans le giron du groupe Bolloré) réclament à l’État ivoirien, déjà surendetté, une indemnisation pour le manque à gagner engendré par le conflit. Ceci ne fait que peser un peu plus dans le sens de l’abandon des missions de l’État envers la population : après avoir bradé les services publics aux multinationales, le gouvernement ivoirien délaisse le reste de ses prérogatives, dont le paiement de ses fonctionnaires, au profit de la course à l’armement (déjà plus de dix milliards de francs CFA dépensés), auquel s’ajoute bien sûr le paiement de la dette.

Le pouvoir tente de faire passer cette politique anti-ouvrière en divisant les travailleurs de Côte d’Ivoire. Les travailleurs étrangers (principalement burkinabé et maliens) sont désignés comme responsables de la misère qui s’installe, y compris par certaines directions syndicales comme celle de Dignité, la centrale syndicale proche du pouvoir. Dans la droite ligne de toute la politique de l’« ivoirité », il s’ensuit pour la population étrangère de la région d’Abidjan les pires vexations, avec les multiples contrôles et rackets dont elle est victime. Ce climat de violence envers la population s’accompagne également de restriction des libertés (interdiction de manifester), jusqu’au meurtre d’opposants par les escadrons de la mort. Cette politique de xénophobie, qui dure maintenant depuis des années, avait tout d’abord fait naître chez les populations originaires du Nord présentes à Abidjan un espoir envers le mouvement de rébellion, qui se présentait comme un recours contre le pouvoir dictatorial de Laurent Gbagbo. Mais dans les zones contrôlées par les forces rebelles se produisent les mêmes exactions et rackets qu’à Abidjan, perpétrés par des bandes armées utilisées par les chefs rebelles pour accéder aux portes du pouvoir avant que ceux-ci les laissent se payer sur le dos de la population.

Ce ne sont donc ni les forces loyalistes, ni les forces rebelles, qui permettront au peuple de Côte d’Ivoire de s’affranchir de l’exploitation qu’il subit de la part de l’impérialisme et de ses relais ivoiriens. Ce n’est qu’en imposant l’unité de la classe ouvrière, sans distinction d’origine, combattant pour cela au besoin leurs directions syndicales, que les travailleurs de Côte d’Ivoire pourront imposer leurs revendications, premier pas vers l’émancipation du joug impérialiste.