Article du CRI des Travailleurs n°23

Racisme d'État et discriminations communautaires redoublent les inégalités sociales. Rupture avec le sionisme et le capitalisme !

Pour les communistes révolutionnaires, la lutte déterminée contre tout État bourgeois, pour sa destruction et son remplacement par un État révolutionnaire des travailleurs eux-mêmes, est une évidence. Mais, dans le cas d’Israël, cette lutte prend une dimension et une urgence particulières, dans la mesure où il s’agit d’un État par nature colonial, fondé sur la déportation des Palestiniens arabes, l’apartheid institutionnel à l’intérieur même de la société israélienne et un véritable racisme d’État. Les bonnes âmes qui jettent les hauts cris devant l’exigence d’un démantèlement de cet État et qui hurlent à l’antisémitisme — auquel est assimilée toute forme d’antisionisme —, ne voient pas, ou refusent de voir, qu’il en va là tout au contraire d’un combat contre le racisme institutionnalisé, pour l’égalité des droits, pour une véritable démocratie.

Il ne s’agit pas dans cet article de revenir sur la situation imposée par Israël aux Palestiniens parqués dans les camps du Liban ou de Jordanie, ni de ceux qui vivent sous occupation à Gaza et en Cisjordanie. C’est de l’apartheid systématique et du racisme inhérents à tous les rouages de la société israélienne qu’il sera d’abord question ici, avant que ne soient avancées des propositions politiques communistes révolutionnaires.

Quelques éléments démographiques et l’économiques

Politique démographique

Israël compte aujourd’hui environ 6 millions d’habitants, dont 4,8 millions de Juifs. Autrement dit, un Israélien sur cinq est arabe (un sur trois à l’horizon 2020 d’après les projections démographiques). La démographie est un enjeu d’une importance politique majeure en Israël : par essence, le sionisme entend promouvoir à toute force la supériorité numérique des Juifs, pour préserver la « pureté » de l’État juif. L’immigration en est donc l’un des socles idéologiques : « Dans la mesure où le sionisme est fondé sur l’inéluctabilité de l’antisémitisme, lequel alimente l’immigration, une projection qui table sur une immigration faible ou nulle remet implicitement en cause les fondements de l’idéologie herzlienne. » (1) « Au point que, par un renversement dialectique fascinant en lui-même, affirmer la possibilité de la disparition de l’antisémitisme équivaut à un délit de trahison sioniste. » (2) Aussi l’État n’a-t-il cessé d’encourager, voire de forcer, les courants d’immigration juive. La première grande vague d’immigration après la Seconde Guerre mondiale fut évidemment celle qui emmena en Israël les rescapés du génocide perpétré par les nazis ; l’historien israélien Ilan Pappe parle à ce propos du « sérieux effort de persuasion — qui frôlait l’intimidation de la part des envoyés sionistes —, associé à une politique américaine d’immigration très stricte, pour créer ne fût-ce que l’impression que la majorité des survivants de l’Holocauste souhaitaient s’installer en Palestine (en réalité, 10 % seulement des 3 millions de Juifs qui quittèrent l’Europe choisirent cette destination) » (3). À la même période eut lieu la première vague de migrants juifs venus d’Afrique du Nord, du Yémen et d’Irak. L’indépendance du Maroc et de la Tunisie en 1956 contribua à une deuxième vague. La troisième se déroula à la fin des années 1960 et au début des années 1970 en provenance de l’URSS et de quelques pays de l’Est comme la Pologne. À partir de 1984-1985, environ 70 000 Éthiopiens de religion juive (les « falashas ») sont arrivés en Israël. Après la chute de l’URSS, près d’un million de Russes sont venus ; tous n’étaient d’ailleurs pas juifs : on estime les non-juifs à 30 % du nombre de Russes immigrés depuis le début des années 1990. Cela s’explique par la loi dite du « retour » (1950), qui permet à des non-Juifs, conjoints, enfants ou petits-enfants de personnes juives, d’obtenir la citoyenneté israélienne.

Pour un Juif (défini comme ayant une mère juive ou qui s’est converti au judaïsme et n’appartient pas à une autre religion), rien de plus facile que d’immigrer en Israël et de devenir israélien : la « loi du retour » permet à tout Juif de venir s’y installer avec sa famille et d’y acquérir la nationalité israélienne. Le mot « retour » est pour le moins impropre : les personnes concernées n’ont pour l’écrasante majorité jamais vécu en Israël ; le terme fait bibliquement allusion au retour du peuple juif dans la « Terre promise ». En revanche, de « retour » pour les Palestiniens chassés de leurs terres en 1948, il n’est pas question. Alors que tout Juif peut facilement faire venir sa famille en Israël, les membres de familles palestiniennes, dont les uns ont la nationalité israélienne et vivent en Israël et les autres sont confinés dans les territoires occupés (parfois des frères, des sœurs, et même des époux) subissent la séparation imposée par l’État juif, qui leur interdit le regroupement.

Une économie moderne dominée par les services et l’industrie de pointe

L’économie israélienne est de plus en plus basée sur le secteur des services (70 % de la population active). Le pays ne possède que très peu de ressources naturelles, hormis les phosphates, la potasse et le magnésium de la mer Morte ; il n’a en particulier aucune ressource pétrolière. Dès lors, le secteur industriel (27 % de la population active) est dominé par la haute technologie, notamment dans les domaines de l’informatique et des équipements bio-médicaux. L’industrie militaire de pointe est également fortement représentée et joue un rôle important dans les exportations israéliennes. D’autres secteurs encore sont relativement prospères, comme la chimie, l’industrie agroalimentaire, mais aussi l’industrie du diamant (Israël contrôle 80 % de la production mondiale des petites pierres utilisées en joaillerie). Certaines branches industrielles comme le textile et l’habillement connaissent en revanche une crise durable. L’économie israélienne repose pour une bonne part sur ses exportations, qui constituent un tiers du PIB (c’est davantage qu’en France ou aux États-Unis), ce qui contribue à rendre cette économie dépendante du commerce extérieur.

Quant à l’agriculture, elle n’occupe que 3 % de la population active. La plus grande partie des terres (93 %) est propriété nationale : l’écrasante majorité des agriculteurs sont des locataires bénéficiant d’un bail de 49 ans renouvelable ; ils ne versent à l’État, ou au Fonds national juif, qu’un loyer symbolique. Moins de 3 % des Israéliens vivent dans des kibboutzim, ces exploitations agricoles qui participent pour 40 % à la production agricole nationale. Enfin, 3 % des terres restent aux mains de citoyens israéliens arabes, sous la forme le plus souvent de parcelles minuscules qui leur permettent tout juste de survivre.

L’économie israélienne repose pour une grande part sur les investissements étrangers, de plus en plus importants d’une part, et sur les aides financières diverses qu’elle reçoit, notamment américaines, d’autre part. Rien qu’au premier semestre 2006, les investissements étrangers ont atteint 11,9 milliards de dollars, soit 20% de plus que l’ensemble des investissements étrangers enregistrés en 2005 (9,95 milliards de dollars). En 2004, ces investissements avaient atteint 7,2 milliards de dollars. Quant à l’aide américaine, elle s’élève en moyenne à près de 3 milliards de dollars annuels, sous forme de prêts et de subventions. L’ensemble de cette aide représente environ 8 % du budget national israélien. Israël est le plus gros bénéficiaire de l’aide américaine à l’étranger avec environ 25 % du total de cette aide.

Privatisations et paupérisation

Depuis plus de dix ans, le désengagement de l’État s’est amorcé et vient encore de s’accélérer : les services publics sont privatisés et en partie liquidés les uns après les autres. Les privatisations touchent tous les secteurs économiques : chimie, agroalimentaire, aéronautique, télécommunications, distribution, transport aérien, construction… Bien que les dépenses militaires représentent 29 % du budget, même l’armée, pourtant institution sacrée en Israël, subit les effets de la pénurie de fonds publics. Les témoignages de soldats ayant participé à la guerre contre le Liban ces dernières semaines se multiplient sont édifiants : certains disent avoir dû, pour boire, prendre des gourdes sur les cadavres de miliciens du Hezbollah qu’ils avaient abattus ; d’autres évoquent le manque de linge de corps et de casques (4) ; d’autres encore mentionnent le pillage des épiceries libanaises par des troupes démunies de rations alimentaires (5). Beaucoup disent que, si Israël relance sa guerre, ils refuseront de la faire. Ces soldats, pour la plupart très jeunes, sont particulièrement exposés aux souffrances psychiques que l’État leur impose dans ce type de conflits, et de manière générale et permanente en tant qu’armée d’occupation. D’après les chiffres dont on peut disposer, en 2003, si 33 soldats israéliens ont été tués au combat, 43 autres se sont suicidés.

Mais c’est l’appauvrissement d’une grande partie de la société israélienne qui est le trait le plus frappant de la situation depuis quelques années. Tout est fait pour diminuer le coût du travail. En 2004, l’âge de la retraite est passé de 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes à 67 ans pour tous. Dans le même temps, les gouvernements de « gauche » comme de droite ont entrepris de réduire toutes les allocations sociales, alors que parallèlement, le gouvernement vient d’accorder aux plus riches une baisse d’impôts. Aujourd’hui, pour éviter de leurs payer des allocations, le gouvernement cherche à obliger les chômeurs israéliens à occuper les emplois sous-payés des Palestiniens des territoires occupés qui travaillent quotidiennement en Israël (et qui gagnent 40 % de moins que le salaire minimum israélien). Globalement, on a assisté ces dernières années à une baisse des salaires, et l’on constate en Israël un appauvrissement des catégories les plus pauvres mais aussi des classes moyennes. Certains secteurs, comme l’éducation et la santé, sont nettement défavorisés : un professeur d’école ou un jeune médecin hospitalier gagne moins que le salaire moyen et beaucoup moins qu’un employé de banque ou un technicien informatique débutant (6).

Cette politique a abouti à une situation dramatique pour une partie des Israéliens : 1 600 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté (7). On estime qu’un enfant sur cinq vit dans la pauvreté. Mais celle-ci touche en particulier des catégories bien circonscrites, socialement et culturellement discriminées par l’État israélien. Parmi elles, en effet, on trouve les personnes de couleur (les falashas) ; les immigrés de fraîche date (d’origine russe en particulier) ; les Juifs séfarades, appelés mizrahim (« Orientaux ») originaires de pays arabes (Maghreb, Égypte, Syrie, Irak) ; enfin, les « Arabes israéliens », c’est-à-dire ceux des Palestiniens — et leurs descendants — qui n’ont pas été chassés hors des frontières de l’État d’Israël après la constitution de celui-ci et la guerre de 1948.

Ashkénazes et séfarades : une première discrimination de fait

Parmi les Juifs israéliens, la principale différence, sociale et culturelle, est celle qui oppose de fait les ashkénazes (Juifs d’origine européenne — en hébreu classique, le mot désigne l’Allemagne, mais vaut pour l’ensemble du continent européen) et les séfarades. Les premiers dominent tous les secteurs économiques, politiques et culturels du pays : presse, universités, grandes entreprises, armée, haute fonction publique, classe politique (le ministre travailliste Amir Peretz, séfarade, fait figure d’exception). Du point de vue économique, l’écart se révèle plus important entre séfarades et ashkénazes qu’entre Blancs et Noirs aux États-Unis, d’après des économistes israéliens (8) ; le revenu moyen d’un séfarade est estimé à moins de 70 % de celui d’un ashkénaze (9). La mobilité sociale est beaucoup plus difficile pour un séfarade, tout comme l’accès à l’enseignement supérieur. Par exemple, les chances pour un séfarade de parvenir à exercer une profession libérale sont d’environ 21 %, alors qu’elles s’élèvent à 50 % pour un ashkénaze (10).

Comment expliquer cette situation ? Elle est en grande partie le résultat de la politique sociale et économique de l’État, mais son origine remonte à la première moitié du XXe siècle. Dans les premières implantations sionistes, il était interdit d’employer des Palestiniens ; afin de contourner ce principe, on embaucha des Juifs orientaux, dont beaucoup vinrent d’abord du Yémen. « C’était une solution aussi ingénieuse que raciste, écrit Ilan Pappe ; les ouvriers étaient juifs mais c’étaient aussi des Arabes que l’on pouvait faire travailler à vil prix. » (11) Les ashkénazes se considèrent comme les vrais et seuls fondateurs de l’État d’Israël. Mais l’État avait besoin de main-d’œuvre : après 1948, on continua donc de faire venir en masse des Juifs en provenance du monde arabe. Certains furent chassés par les gouvernements en place, comme celui de l’Irak au début des années 1950 qui confisqua leurs biens ; mais, explique Ilan Pappe, « l’Agence juive chercha, quant à elle, à accroître encore les inquiétudes de la communauté juive et envoya des agents poser des bombes près des synagogues de Bagdad, afin d’aggraver le climat de terreur et d’insécurité » pour mieux inciter les Juifs irakiens immigrer en Israël (12). Les « réparations » que l’État allemand versa aux survivants du génocide contribuèrent aussi à creuser le fossé économique entre les ashkénazes, venus d’Europe, et les séfarades. Ce déséquilibre s’est aussitôt doublé d’un ensemble de préjugés culturels aboutissant à d’autres types de discriminations : « La similitude de certains composants de la culture orientale avec celle du monde arabe — qui ne manque pas d’être présentée comme celle de l’ennemi — a beaucoup contribué à cette image négative. » (13) La culture séfarade a pour cette raison été marginalisée, voire détruite par l’État israélien : à l’école, il était interdit de parler arabe, de respecter les coutumes et de porter le costume arabes.

Dès lors, on trouve une fraction importante de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté dans les quartiers pauvres des grandes villes que peuplent les Juifs israéliens d’origine orientale et dans les « villes de développement » comme Sderot, Dimona ou Ofakim. Ces « villes de développement » ont été créées ex nihilo par l’État israélien et instituées de fait en enclaves communautaires pour les séfarades. Selon certains observateurs israéliens, « il semble que la véritable raison de la création des villes de développement ait été la volonté d’assurer la séparation d’avec un groupe qui se considérait comme supérieur [les ashkénazes] » (14). Dans ces villes n’ont été implantées que des industries à faible niveau technologique (cuir, textile, alimentation…). Le salaire des ouvriers y représente en moyenne les deux tiers de ce que gagne un travailleur à emploi comparable dans les grandes villes du centre du pays. Les séfarades constituent une force de travail à bon marché sur laquelle s’enrichit la bourgeoisie israélienne. Dans les régions frontalières du pays, les employeurs exploitent la situation de concurrence entre Juifs séfarades et Palestiniens (Arabes non israéliens) pour obtenir une main-d’œuvre à plus bas coût. On voit ici clairement que les clivages de classe recoupent les clivages communautaires. « La conception stéréotypée du juif oriental “retardataire” et “nécessiteux” est au fondement de la politique menée par les instances sionistes vis-à-vis du judaïsme oriental. » (15)

Un système étatique de discriminations racistes

Le sionisme, tel que l’avait pensé Theodor Herzl (1860-1904), est une idéologie ethnocentriste et colonialiste par définition. Sur cette base, un « État juif et démocratique » en Palestine, fondé sur une immigration massive de colons, ne pouvait être qu’une contradiction dans les termes. Mais, à l’origine, le sionisme était un mouvement nationaliste laïc : dans son « État pour les Juifs », Herzl voulait que les Juifs soient majoritaires, mais les non-Juifs auraient été dotés d’un statut égal. Dans les faits, cependant, depuis la création d’Israël en 1948, la confusion s’est faite entre nation et religion, entre judéité (appartenance au peuple juif) et judaïsme (appartenance à la religion juive). Dès le début, la religion juive a été immédiatement constitutive de la « judéité » de l’État et l’institution rabbinique l’un de ses piliers.

De fait, les principaux symboles de l’État renvoient directement à la religion juive : le drapeau est l’étoile de David, le bleu et le blanc renvoyant au châle de la prière judaïques ; l’emblème de l’État est le candélabre à sept branches ; l’hymne national, la Hatikva, évoque « l’âme juive », « Sion » et « l’espoir juif de deux mille ans »… L’État fondé en 1948 se dit « juif et démocratique », mais pour ses principaux représentants son caractère démocratique est d’importance secondaire par rapport à sa judéité, comme en témoignent les propos tenus par Ariel Sharon en juin 1993 : « Nos ancêtres et nos parents ne sont pas venus pour établir la démocratie même si c’est une bonne chose qu’une telle démocratie ait vu le jour, mais ils sont venus pour créer un État juif. » (16)

Discriminations civiles et politiques

Il n’en va pas là que de symboles, mais aussi de la loi et de la citoyenneté. La judéité de l’État implique que les citoyens non juifs sont privés du plein exercice de la citoyenneté. La « nationalité » ou « ethnie » (leom) et la religion (dat) spécifient sur les cartes d’identité et sur les registres de la population l’origine juive ou arabe des personnes. Les Arabes israéliens ne bénéficient pas de l’un des fondements essentiels de la citoyenneté dont jouissent les Juifs : la possibilité du regroupement familial. Tout récemment encore, en 2004, la Knesset (le Parlement israélien), a adopté une loi interdisant à un citoyen arabe israélien de vivre en Israël avec son conjoint des territoires occupés.

D’autre part, le caractère « hébreu » de l’État signifie que le droit religieux est une composante majeure de la loi. Le statut des personnes, le mariage, le divorce, sont du ressort exclusif des tribunaux rabbiniques ; dans la mesure où ceux-ci appliquent la Halakha (le droit hébraïque composée de la Thora ou Loi écrite et du Talmud ou Loi orale), le mariage entre une personne juive et une personne non-juive est légalement impossible. Le pouvoir religieux a l’exclusivité quant à la juridiction en matière de droit civil. Certaines lois s’inspirent directement de fondements religieux, comme celle qui réglemente la distribution de nourriture cachère aux soldats ou celles qui interdisent l’élevage du porc dans la majeure partie du pays, l’exposition publique de pain pendant la Pâque, les vols de la compagnie aérienne El Al lors du shabbat et les jours de fête…

Quant au service militaire, qui dure trois ans pour les hommes et deux ans pour les femmes (auxquels s’ajoutent, pour les hommes, des réserves annuelles d’une trentaine de jours jusqu’à 54 ans), il constitue un pilier de la citoyenneté israélienne et se révèle absolument déterminant pour l’avenir immédiat et à long terme d’un jeune homme ou d’une jeune femme. Ceux qui l’ont accompli ont, seuls, droit à certains privilèges octroyés par l’État (bourses d’étudiants, prêts, crédits immobiliers…) : tel est le versant institutionnel. Sur un versant plus officieux, à l’université notamment, certains cours sont interdits à ceux qui n’ont pas fait leur service ; de nombreux emplois sont réservés à ceux qui ont servi dans l’armée ; le critère de l’unité et de l’arme dans laquelle on a servi devient alors essentiel. Or, les citoyens arabes israéliens, à l’exception des Druzes et des Bédouins, ne sont pas autorisés à accomplir leur service militaire, au nom de la sécurité de l’État juif.

L’école israélienne, cellule de base de la discrimination raciste d’État

La loi israélienne permet aux parents un choix entre une école publique laïque (où se rendent environ 66 % des enfants israéliens), une école publique religieuse (21,5 %) et un réseau « indépendant » grassement subventionné par l’État qui représente l’ultra-orthodoxie juive. Ce troisième secteur, raison notamment des investissements publics massifs qui y sont engagés, connaît un succès grandissant (en particulier les écoles contrôlées par le parti ultra-orthodoxe Shas, créé en 1984) : il accueille désormais 12,5 % de la population scolarisée, alors qu’elle n’en représentait que 5,7 % vers 1980.

Mais au sein même de l’école publique, une séparation existe de fait entre écoles juives et écoles arabes. Le prétexte officiel en est la préservation de la langue, de l’histoire et de la culture respectives des deux communautés, ce qui est on ne peut plus faux. Comme le montre Susan Nathan (voir l’article ci-dessous), ni la langue, ni la culture, ni l’histoire arabes ne sont réellement préservées dans les écoles arabes. Presque tous les grands écrivains arabes sont proscrits. Il y a quelques années, l’ancien ministre de l’Éducation, membre du Meretz, Yossi Sarid, a provoqué un véritable scandale en proposant d’introduire dans les programmes les œuvres du poète palestinien Mahmoud Darwish ; leur étude est aujourd’hui autorisée dans les cours de littérature pour Juifs, mais toujours interdite dans les écoles arabes. Quant à l’enseignement de l’histoire, il est centré sur le discours et les thèses sionistes ; il occulte totalement ce qui, pour les Arabes de Palestine, dont certains sont devenus citoyens israéliens, a constitué la Nakba (la catastrophe), c’est-à-dire les spoliations, destructions, assassinats et massacres perpétrés par l’État israélien et son armée en 1948 et dans les années qui suivirent. Les origines et les racines des enfants arabes sont inexorablement absentes des programmes scolaires. Ceux-ci sont d’ailleurs élaborés en partie par des fonctionnaires juifs chargés de les contrôler, tout comme sont aussi contrôlées la nomination et la promotion des enseignants arabes. Reuven Paz, ancien dirigeant du Shin Bet (le Service général de sécurité israélien), a ainsi reconnu dans Ha’aretz en 2004 : « Le Shin Bet est non seulement intervenu dans la nomination des proviseurs et des professeurs mais il a même désigné les concierges et les employés qui nettoient les toilettes des collèges arabes. » (17) Plus généralement, la loi sur l’éducation nationale (1953) toujours en vigueur indique que l’enseignement « doit être basé sur les valeurs de la culture juive et les réalisations scientifiques, sur l’amour de la patrie et la loyauté à l’État et au peuple juif ».

Du côté des écoles juives, il n’est pratiquement jamais question dans les manuels des Arabes vivant en Israël (ils sont pourtant plus d’un million), sauf à utiliser des stéréotypes racistes insensés : dans un manuel scolaire d’anglais présentant des histoires illustrées d’enfants juifs voulant devenir astronautes, acteurs, pompiers, etc., figure une seule histoire d’enfants arabes qui veulent, quant à eux, devenir… chameliers ! « À part quelques dizaines de milliers de Bédouins vivant dans la partie sud du désert du Néguev, explique Susan Nathan qui rapporte cet exemple, les enfants arabes d’Israël n’ont pas plus de contacts avec des chameaux que les enfants juifs. J’attends encore de voir mon premier chameau parmi les collines verdoyantes de Galilée. » (18)

L’État organise méticuleusement ce racisme institutionnel, notamment en imposant aux écoles arabes des normes éducatives plus basses et en privilégiant financièrement les écoles juives. D’après le Bureau central de la statistique israélien, en moyenne, pour un élève arabe 70 euros par an sont octroyés par l’État ; pour un élève juif fréquentant une école publique juive, 330 euros ; et pour un élève juif fréquentant les écoles religieuses juives, 900 euros, car ces dernières font plus que doubler la mise en obtenant des crédits de deux ministères : le ministère de l’Éducation et le ministère des Affaires religieuses. Le dénuement frappe donc au quotidien les écoles arabes. Par exemple, selon la loi, toutes les salles de classe doivent être équipées d’un climatiseur ; mais l’application de cette loi n’est véritablement constatée que dans les écoles juives. Les écoles arabes ne disposent en général même pas des fonds suffisants pour financer le matériel de chauffage et les livres, a fortiori le matériel informatique ; ce sont les parents qui doivent tenter d’y suppléer.

Les Arabes israéliens : citoyens de seconde zone, classe ouvrière discriminée

Les 1 200 000 Arabes israéliens sont les Palestiniens qui, pendant la guerre en 1948, sont parvenus à rester sur leurs terres ou dans les villages voisins, et leurs descendants. Si les quelque 700 000 Palestiniens qui ont été chassés de leurs terres et contraints à devenir des « réfugiés » ont alors tout perdu, les Arabes israéliens eux aussi, bien qu’ils aient pu rester, ont été spoliés, par toutes sortes de mesures décrétées par l’État israélien.

Spoliations au nom de la loi

Au nom des lois d’urgence en 1948, mais en fait jusqu’en 1966, un gouvernement militaire fut institué dans les régions à forte concentration arabe (en particulier la Galilée, le « Triangle », c’est-à-dire le centre du pays, et le Neguev). Seul le gouverneur militaire, nommé par le ministre de la Défense, pouvait octroyer ou refuser, de manière parfaitement arbitraire, des autorisations d’entrée et de sortie dans ces régions militairement délimitées et appelées « zones closes » (19). Par exemple, en 1952, un tribunal condamna des parents à payer une amende pour leurs enfants mineurs qui, désireux de voir la mer, avaient quitté leurs villages sans permis des autorités militaires (20) Plus généralement, cette situation s’accompagna d’humiliations et d’oppressions de toutes sortes : détentions administratives, assignations à résidence, etc. En outre, combiné à d’autres lois, ce dispositif permit à l’État de s’octroyer davantage de terres encore. En effet, l’ordonnance d’urgence sur la culture des terres en jachère donnait pouvoir au ministre de l’Agriculture de « prendre en charge la terre en jachère pour assurer son exploitation » au cas où le ministre « ne serait pas convaincu que le propriétaire [avait] commencé ou continué l’exploitation ». Dès lors, en n’autorisant pas, même durant quelques jours, l’accès d’un Arabe à sa terre dans la « zone close » de son ressort, le gouverneur militaire permettait de facto la spoliation et l’accaparement de sa terre par l’État !

Ces confiscations de terres arabes au nom de la loi sur les « propriétaires absents », absurdement cynique puisqu’ils n’étaient « absents » qu’en raison du gouvernorat militaire imposé par l’État, s’ajoutèrent à toutes celles qui avaient eu lieu pendant la guerre de 1948, lorsque quelque 400 villages palestiniens avaient été purement et simplement rayés de la carte. Quant aux Bédouins, ils furent sédentarisés de force par des mesures d’expropriation les privant eux aussi de vastes étendues de terres (21).

Stratégies de division de la minorité arabe

L’État d’Israël ne se contenta pas de spolier ses propres citoyens arabes : il s’efforça en outre de les diviser en communautés. C’est ainsi que le critère de l’appartenance religieuse est un facteur officiel pour entrer dans l’administration étatique (22). Parmi la population arabe, l’État a cherché à favoriser systématiquement les chrétiens et les druzes. Les chrétiens constituent 3,2 % de la population israélienne et sont arabes à plus de 95 %, représentant 14 % des Arabes israéliens. Or, parmi les Arabes, ils sont sciemment favorisés par l’État. Par exemple, les terres leur ont été laissées, contrairement aux biens (waqf) musulmans confisqués par la « loi sur les absents » : ces terres constituent pour les Églises chrétiennes une importante source de revenus. Ou bien encore, les chrétiens représentent 58 % des étudiants arabes à l’université de Haïfa, alors que les arabes non chrétiens constituent l’écrasante majorité de la population arabe.

Quant aux druzes, qui constituent 9 % des Arabes et 1,7 % de la population israélienne totale, l’État a transformé leur religion en « ethnie » : bien quel les druzes soient arabes, sur leur carte d’identité israélienne, c’est la mention « druze », et non « arabe », qui figure. Avec les Bédouins, qui sont indispensables à l’armée israélienne dans certaines régions désertiques, où ils peuvent servir de guides, les Druzes sont les seuls Arabes autorisés à accomplir leur service militaire, dont on a vu l’importance dans le dispositif socio-économique et politique d’Israël. La « communauté » druze a aussi obtenu une certaine autonomie pour la gestion de ses affaires internes, avec notamment un organe représentatif reconnu par le gouvernement israélien et un secteur éducatif distinct.

L’objectif d’une telle stratégie est clair : il s’agit de faire en sorte que les Arabes israéliens ne se reconnaissent pas comme une ensemble de sous-citoyens et ne luttent pas de concert pour obtenir les droits dont l’État juif les prive. C’est la règle classique du « diviser pour mieux régner » qui s’applique ici avec une virulence particulière, puisqu’elle est institutionnalisée. Un comité interministériel israélien l’affirma sans ambages en 1949 : « Puisque Israël ne peut leur imposer une assimilation culturelle, la meilleure manière de gérer les minorités est de les “diviser et subdiviser”. » (23) Il y a là un art consommé d’instrumentalisation des appartenances confessionnelles pour mieux affaiblir et contrôler la minorité arabe fondamentalement indésirable.

Apartheid socio-économique

Car les Arabes ne sont au mieux que tolérés par l’État israélien : ils sont considérés comme nuisibles, par leur présence même, à la pureté juive de l’État juif, et ils sont perçus comme un danger potentiel. Tout est en fait mis en œuvre pour les expulser, même si ce n’est pas par la force des armes : bien que la « communauté internationale », c’est-à-dire en fait les principales puissances impérialistes, continue de fermer les yeux sur le racisme d’État en Israël, il lui serait plus délicat de couvrir des crimes ouvertement perpétrés à l’intérieur même des frontières israéliennes — les crimes de guerre et les crimes d’occupation lui sont de toute évidence plus acceptables. Officiellement, rappelons-le, Israël est une démocratie. Les moyens utilisés à tous les niveaux sont donc pervers et souterrains, mais bel et bien quotidiens.

Le taux de chômage est environ deux fois supérieur parmi les Arabes que dans le reste de la population israélienne. Encore les chiffres sont-ils manipulés par l’État, qui ne tient compte que des bénéficiaires d’allocations pour établir ses calculs. Or, beaucoup d’Arabes en sont privés : les jeunes sans emploi de moins de vingt ans n’ont pas droit aux allocations et, entre 20 et 25 ans il faut, pour les toucher, prouver qu’on a travaillé pendant au moins un an et demi, ce qui est difficile pour de jeunes Arabes qui multiplient les « petits boulots ». De surcroît, l’État interdit toute allocation à ceux qui possèdent des terres ; or les Arabes qui sont dans ce cas ont souvent des lopins si petits que leur culture ne peut constituer un travail à temps plein et leur permettent à peine de survivre. En revanche, les jeunes Juifs sont peu concernés par le dénuement parce qu’ils touchent leur solde militaire ou une bourse dans le cas de l’enseignement religieux.

Mais c’est un véritable ostracisme qui s’exerce contre les Arabes israéliens dans le domaine de l’emploi. Ils constituent en grande partie le prolétariat d’Israël, travaillant dans le bâtiment et certaines usines ou comme ouvriers agricoles. Ils sont dans leur écrasante majorité exclus des services publics. On n’y en a aucun parmi les hauts fonctionnaires. Selon un ancien directeur adjoint du Shin Bet, il n’y a que six Arabes sur les… 13 000 employés de la compagnie d’électricité d’État. Les chiffres sont comparables pour Bezeq, la compagnie de téléphone qui emploie 10 000 personnes (24). À l’Université, moins de 1 % des maîtres de conférences sont arabes, et les Arabes ne constituent que 8 % des étudiants, alors qu’ils représentent 24 % de cette tranche d’âge dans la population israélienne. Globalement, hormis le secteur scolaire, où les Arabes travaillent dans les écoles arabes, ceux de la santé et des affaires religieuses, la Fonction publique bannit purement et simplement les Arabes, alors qu’elle est le premier employeur israélien. Il en va de même dans les principaux secteurs de production idéologique, comme la presse ; même le grand quotidien Ha’aretz, pourtant considéré comme « progressiste », ne compte parmi son personnel qu’un seul Arabe : un correspondant sportif. Mais bien d’autres secteurs économiques sont également interdits aux Arabes, en général sous le prétexte de la « sécurité » : industries militaires, industrie aéronautique, compagnie aérienne et aéroports, grandes sociétés nationalisées, Banque d’Israël, ingénierie…

Même de l’architecture les Arabes sont proscrits : ils risqueraient de ne pas cautionner des plans d’urbanisme dont les Arabes sont les victimes directes. En effet, Israël n’a lancé aucun programme de construction de logements pour la minorité arabe depuis 1948, bien que cette population ait été multipliée par sept (25). Villes et villages à majorité arabe, où parfois la totalité de la population est arabe, se retrouvent par conséquent dans des conditions terribles de surpeuplement. À ceci s’ajoutent les perpétuelles pressions de l’État qui refuse en général aux habitants arabes les permis de construire et considère donc comme illégales la plupart des constructions dans ces zones. Dès lors, des dizaines de milliers de maisons et d’immeubles sont menacés de démolition ; régulièrement, les bulldozers israéliens viennent en détruire quelques-uns, comme ils le font abondamment à Gaza et en Cisjordanie. Pour tenter d’éviter cela, les habitants paient de lourdes amendes, qui empêchent ou retardent les démolitions. Mais « chaque jour, quand ils quittent leur foyer, ils se demandent s’ils ne retrouveront pas à leur retour un tas de gravats » (26). Si l’on évoque souvent la barrière de sécurité qu’a édifiée Israël pour se protéger des territoires occupés, on passe sous silence les innombrables murs et clôtures que les localités juives (qui touchent des subventions spéciales de l’État à cet effet) ont construits pour être bien séparées des localités arabes à l’intérieur même d’Israël.

De plus, tout « citoyens » qu’ils soient officiellement, les Arabes sont en général dans l’impossibilité de lutter légalement et juridiquement contre les discriminations de toutes sortes qu’ils subissent, puisqu’elles celles-ci sont inhérentes à l’État sioniste. Par exemple, depuis un amendement de 1980 à la loi anti-terroriste, il est interdit de manifester en soutien à une « organisation ennemie ». C’est sous ce prétexte que treize arabes israéliens ont été abattus par la police en octobre 2000, lors de manifestations pacifiques de soutien à la deuxième Intifada. Même les quelques députés arabes qui siègent au Parlement sont régulièrement insultés, voire molestés par la police. Ils doivent de toute façon faire acte d’allégeance, en entrant en fonction, à « l’État juif et démocratique ».

Puissance du sionisme dans la population juive, nécessité de rompre avec lui

On ne saurait nier que les préjugés racistes imprègnent la société israélienne : comment pourrait-il en être autrement, dès lors que l’ensemble des institutions sont utilisées, par leur nature même, à distiller le racisme au quotidien ? Le génocide des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale a représenté pour les survivants et les descendants des victimes un effroyable traumatisme dont l’État israélien s’est servi et se sert constamment pour justifier son soubassement idéologique. Cependant, aujourd’hui des voix s’élèvent pour condamner et combattre l’instrumentalisation politique de la Shoah par un « État dépendant et éveillant la commisération par l’évocation constante du passé » (27). Par exemple, en 1995, au lycée Kedma de Tel-Aviv, on a commémoré non seulement le génocide des Juifs, mais aussi celui des Indiens d’Amérique, des esclaves noirs, des Arméniens, des Tsiganes, des homosexuels.

D’autre part d’après les estimations exposées par Ilan Greilsammer (28), 5 % des Juifs d’Israël s’affirment ultra-orthodoxes. Ils sont représentés en particulier par le parti Shas, dont la présence a été continue dans les gouvernements israéliens ces dernières années. Grâce aux subventions considérables qu’il obtient de l’État, ce parti peut entretenir jardins d’enfants, écoles, lycées, ou encore magasins d’alimentation. C’est le seul parti accordant gratuitement aux parents nécessiteux le transport de leurs enfants à l’école, la cantine ou les fournitures scolaires. 15 à 20 % des Juifs d’Israël se déclarent « sionistes religieux » ; ils se caractérisent par une observance stricte des commandements religieux et une vie sociale tournée vers la synagogue, et manifestent des options nationalistes et annexionnistes très affirmées. 30 à 35 % se définissent comme des « Juifs traditionalistes » ; leur attachement à la tradition juive est essentiellement rituel. Mais surtout, près de la moitié des Juifs israéliens se définissent comme hilonim, « laïques », c’est-à-dire qu’ils définissent leur identité comme non religieuse. « Ils souhaitent que le mariage et le divorce civils soient autorisés, que les restaurants soient libres de ne pas respecter les lois alimentaires de la cachrout, que l’État n’engouffre plus des sommes colossales dans les réseaux d’éducation religieuse, que les transports publics fonctionnent normalement le chabbat et les jours de fête. » (29)

Cependant, même au sujet de ces Juifs laïques, qui vivent dans de grandes villes telles Haïfa ou Tel-Aviv, Ilan Greilsammer écrit : « À part quelques intellectuels marginaux, ce public typiquement telavivien n’est pas “antisioniste” et ne conteste nullement le rôle que l’idéologie sioniste a joué, autrefois, pour la création de l’État-refuge du peuple juif. Au contraire, pour eux le sionisme a constitué une réussite, puisqu’il aspirait à la normalisation du peuple juif. » (30)

Toute réflexion sur une solution politique à la question israélo-palestinienne doit partir du fait incontournable que le sionisme est ultra-majoritaire en Israël, que le racisme anti-arabe y est largement partagé et que l’idée de « nettoyage ethnique » n’y est pas taboue. D’après un sondage réalisé en mars 2002, 31 % des Juifs israéliens se déclaraient favorables à un « transfert » autoritaire des Arabes israéliens hors d’Israël, tandis que 60 % approuveraient un transfert moins explicite, sous la forme d’incitation à quitter le pays (31). La méfiance que doit susciter tout sondage, et en particulier un sondage de ce type, cette situation idéologique désastreuse n’est pas contestable et s’éclaire par le statut même de l’État d’Israël et sa politique.

Il y a cent quarante ans, l’Association Internationale des Travailleurs, la Ière Internationale, animée notamment par Marx et Engels, avait pris fait et cause pour le combat du peuple irlandais contre l’occupant britannique. Elle proclamait qu’ « un peuple qui en opprime un autre n’est pas un peuple libre ». Et elle exigeait des ouvriers anglais qu’ils rompent avec leur propre gouvernement et avec leurs préjugés contre les Irlandais, qu’ils se solidarisent avec le peuple irlandais combattant pour son indépendance. Toutes choses égales par ailleurs, les travailleurs du monde entier, à commencer par ceux qui se réclament du communisme révolutionnaire et internationaliste, doivent exiger des travailleurs juifs israéliens qu’ils rompent avec le racisme et le sionisme, et qu’ils se solidarisent avec le combat du peuple palestinien pour ses droits nationaux. Tel est le point de départ de toute orientation politique communiste en Israël.

Absence d’un véritable syndicat ouvrier, nécessité de le construire

À l’heure actuelle, les travailleurs israéliens en général, qu’ils soient arabes ou juifs, disposent-ils au moins d’un syndicat qui leur permette de défendre collectivement leurs intérêts matériels et moraux ? Certes, la Histadrout, Fédération générale du travail, rassemble la majorité des travailleurs israéliens et, jusqu’aux années 1990, 80 % des travailleurs arabes y étaient affiliés. Mais est-ce un véritable syndicat, même réformiste, comparable à ce que nous connaissons par exemple en France avec la CGT, FO ou même la CFDT ?

La Histadrout n’est qu’un rouage de l’État sioniste

La Histadrout est l’un des principaux employeurs du pays. Elle est à la tête des grandes entreprises alimentaires et textiles ; elle détient le groupe Koor, géant industriel regroupant diverses branches (chimie, communications, électronique de défense…), Soleh Boneh, une importante entreprise de construction, Tnuva, une société de produits laitiers, Egged, la compagnie nationale d’autobus, Davar, un quotidien national ; elle possède également la plupart des coopératives agricoles du pays ; elle dirige enfin la banque Hapoalim, la première d’Israël… Ainsi produit-elle un cinquième du revenu national, en employant 250 000 personnes. De très nombreux Israéliens (20 % des salariés du pays) sont par conséquent des salariés de leur propre « syndicat ». Dès lors, « en tant que syndicat ouvrier, elle négocie des conventions salariales avec le patronat et le gouvernement qu’elle applique ensuite dans ses propres entreprises, ce qui l’incite à réduire ses exigences » (32)… Et, lorsque des ouvriers d’une ville de développement, par exemple, entreprennent une lutte, « la Histadrout est généralement le syndicat, mais aussi l’employeur de ces ouvriers. Le secrétaire local va donc être obligé de tenir compte d’intérêts contradictoires. En fait, il est toujours au service des intérêts généraux de la Histadrout, au détriment des intérêts locaux des ouvriers concernés. » (33)

En outre, la Histadrout a une idéologie et une politique ouvertement sionistes et racistes. Cela n’est pas nouveau. Dès 1920 (année même de sa fondation), lorsque, à Haïfa, des travailleurs juifs et arabes s’unirent pour mener une lutte de classe exemplaire sans considération des appartenances ethniques et religieuses, en fondant notamment les premiers syndicats dans les chantiers et les ateliers de chemin de fer, dans les services télégraphiques et postaux, « la Histadrout leur mit des bâtons dans les roues. Ses archives contiennent des déclarations de ses dirigeants dénonçant le danger de syndicats mixtes arabes et juifs. » (34) Après un travail acharné de promotion du sionisme, « en 1929, la Histadrout avait réussi à contraindre la majorité des ouvriers juifs syndiqués à faire passer l’intérêt national avant la solidarité de classe. Elle créa dans ces services un syndicat d’ouvriers exclusivement juifs et exigea de tous les ouvriers juifs qu’ils le reconnaissent comme leur seul organe légitime de représentation. Les ouvriers palestiniens réagirent en fondant leur propre syndicat, qui s’imposa rapidement comme le syndicat général des travailleurs palestiniens. » (35) Ce n’est qu’en 1959 que les travailleurs arabes ont pu devenir membres de la Histadrout ; mais le seul but de cette mesure était alors d’empêcher que se construisent des syndicats proprement palestiniens, qu’il s’agissait d’éradiquer…

Aujourd’hui, la Histadrout détient de nombreux clubs, centres éducatifs et centres de santé exclusivement juifs. Elle ne récuse pas la notion de « travail hébreu », c’est-à-dire d’emplois exclusivement réservés à des Juifs. Elle ne réagit pas lorsque des travailleurs arabes sont licenciés — en grand nombre dans les années 1990, au moment de l’arrivée massive de Russes naturalisés. Elle ne combat pas davantage contre les licenciements de salariés arabes, même quand le motif en est seulement qu’ils auraient parlé arabe entre eux, par exemple. Notons aussi qu’Amir Peretz, actuel ministre de la Guerre, qui a été l’un des principaux maître d’œuvre de la destruction du Liban cet été, n’est rien moins que l’ancien dirigeant de la Histadrout.

Si la majorité des travailleurs, y compris arabes, sont syndiqués à la Histadrout, c’est d’abord parce que, en tant qu’employeur, elle peut fournir du travail à ses adhérents. C’est ensuite parce qu’elle a géré jusqu’en 1994 le monopole de l’Assurance maladie (depuis, il existe d’autres caisses). Et c’est enfin parce que, en 1971, l’État en a fait le seul représentant légal des travailleurs du pays. En un mot, l’adhésion à ce syndicat unique a été pendant longtemps le seul moyen d’avoir un minimum de droits sociaux.

Une organisation qui est le plus gros patron du pays, qui constitue un rouage de l’État et qui a le racisme pour origine, pour base et pour pratique… ne saurait être considéré comme un syndicat ouvrier, fût-il réformiste, fût-il dirigé par des adeptes de la collaboration de classe. Dans ces conditions, il n’est pas possible de considérer la Histadrout comme la CGT ou FO en France, qui sont certes réformistes et dirigés par des partisans de la collaboration de classe, mais qui restent des syndicats ouvriers. Quelle que soient les modalités tactiques à mettre en œuvre à l’heure actuelle pour développer le syndicalisme de classe en Israël, il doit être clair que la Histadrout devra être détruite en tant qu’organisation, comme l’ensemble des rouages de l’État sioniste.

Il faut une confédération syndicale de classe, laïque et anti-raciste

La question-clé du syndicalisme dans l’État d’Israël est celle de la rupture des travailleurs juifs avec le sionisme. Les travailleurs juifs doivent combattre pour s’organiser avec leurs camarades arabes dans un syndicat indépendant du patronat et de l’État, laïque, anti-raciste et démocratique, qui regroupe sur une base de classe les travailleurs salariés, quelles que soient leur origine, leur culture et leur éventuelle religion. Dans cette perspective, il faut s’appuyer sur le mouvement de désaffiliation massive des travailleurs arabes israéliens de la Histadrout depuis le début des années 1990 et sur le processus, encore marginal mais non négligeable, de constitution de nouveaux syndicats. À l’heure actuelle, il est nécessaire de combiner ce travail de construction de nouveaux syndicats dans les entreprises (légaux si possible, clandestins quand il n’y a pas le choix) et un travail dans la Histadrout elle-même, avec l’objectif, dès que le rapport de force le permet (par exemple à l’occasion de trahisons ouvertes des responsables syndicaux), de provoquer la désaffiliation de syndicats existants, ou à défaut la scission. Dans la même optique, et compte tenu de l’appartenance massive des travailleurs juifs à la Histadrout, il est tactiquement juste d’adresser des exigences à la direction de cette organisation sur telle ou telle question particulière de défense des intérêts des travailleurs : cela permettra d’aider ses adhérents à prendre conscience de sa nature collaboratrice et de la nécessité de rompre avec elle.

La construction de cette nouvelle confédération en Israël et sur tout le territoire de la Palestine (selon une structuration à déterminer) est une tâche historique immense, mais incontournable. C’est l’intérêt immédiat non seulement des travailleurs arabes, mais également des travailleurs juifs qui, eux aussi, quoique souvent à un bien moindre degré, souffrent directement de la politique menée par les gouvernements successifs, comme cela a été montré précédemment. Or il est clair que, avec la mondialisation capitaliste en général et la situation de guerre permanente que l’impérialisme installe au Moyen-Orient, les travailleurs israéliens sont condamnés à souffrir de plus en plus, dans la prochaine période, d’une politique contraire à leurs intérêts matériels les plus immédiats.

Les travailleurs juifs ne peuvent pas compter sur la gauche israélienne, les travailleurs arabes ne peuvent pas compter sur le nationalisme islamique

En Israël, il n’existe pas davantage de partis politiques que de syndicats qui combattent la nature sioniste, intrinsèquement raciste, de l’État. Certes, une loi interdit de mettre en cause le caractère juif de l’État : un parti qui nierait l’existence de l’État d’Israël comme État du peuple juif ne pourrait participer aux élections (36). Mais cela ne suffit nullement à expliquer une telle situation : la question est en fait politique.

Impossibilité d’une réforme ou d’une démocratisation de l’État sioniste

Les Arabes israéliens votent certes de plus en plus nombreux pour des partis arabes (à 70 % environ). Ces partis (principalement le Mouvement progressiste et le Parti démocratique arabe) prônent ce qu’ils appellent la « dé-ethnicisation » de l’État afin qu’il devienne « l’État de tous ses citoyens ». Mais ils ne mettent pas en cause l’existence même de l’État d’Israël en tant que puissance coloniale de la Palestine historique : la solution qu’ils proposent pour les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie est la même que celle préconisée en paroles par la plupart des puissances impérialistes, l’ONU et la plupart des forces de gauche dans le monde, c’est-à-dire la constitution d’un mini-État qui existerait aux côtés de celui d’Israël, avec Jérusalem-Est comme capitale. Pourtant, parmi les Arabes israéliens, 70 % se considèrent comme Palestiniens, tandis que seuls 15 % se voient comme Israéliens (37).

De leur côté, les Juifs exploités et opprimés, en particulier des mizrahim, avaient mené des luttes sociales importantes dans les années 1970, notamment avec les « Panthères noires ». Mais le mouvement a rapidement été récupéré par l’État israélien selon un processus de cooptation de ses membres (38). Les mizrahim votent aujourd’hui majoritairement pour le parti de droite Likoud (à 70 % d’après certaines estimations (39)), par rejet du parti travailliste qui les a toujours déconsidérés et a créé depuis l’origine leur situation d’oppression sociale et culturelle. Cette situation s’explique par le fait que beaucoup travailleurs séfarades se sont réfugiés dans l’opium de la religion : les séfarades se montrent globalement plus religieux et plus orthodoxes que les ashkénazes.

Le parti communiste d’Israël, dans ses divers avatars (il a pris en 1965 le nom de Nouvelle liste communiste, puis il est devenu le Front démocratique pour la paix et l’égalité) est sur la même ligne : il prône un État palestinien sur 22 % de la Palestine historique. Bien que son électorat soit composé à 90 % d’Arabes israéliens et que ses militants eux-mêmes soient en grande majorité arabes (mais ses dirigeants sont pour la plupart des Israéliens d’origine juive), jamais il n’a engagé de véritable lutte contre le racisme institutionnalisé, et moins encore contre l’existence même d’Israël fondé, faut-il le rappeler, avec l’accord de l’URSS de Staline en 1947.

Quant au reste de la « gauche » israélienne (dont on exclut ici pour des raisons évidentes le Parti travailliste, fondateur et pilier majeur de l’État israélien), elle reste profondément et fondamentalement sioniste. Elle rejette notamment tout ce qui pourrait remettre en cause la supériorité numérique des Juifs, et tient comme les autres partis au discours sécuritaire, que ce soit le Meretz et sa branche La Paix maintenant ou le Gush Shalom. Pour ces organisations, l’État d’Israël a le doit à l’existence dans les limites des occupations de 1967 (pas même de 1947). Comme le démontre remarquablement Susan Nathan, qui les caractérise de « colombes sécuritaires », toutes parlent d’amour et de compréhension, mais jamais de droits. Par le fait même qu’ils acceptent le cadre de l’État sioniste, tous acceptent l’inégalité de droit et de fait imposée aux différentes catégories de citoyens.

Impossibilité d’une solution nationaliste islamique

Si les travailleurs doivent être en première ligne du combat pour la réalisation des droits nationaux des Palestiniens chassés, spoliés et colonisés par Israël, ils ne doivent cependant nourrir aucune illusion à l’égard du nationalisme petit-bourgeois. C’est ce que prouve historiquement la faillite du Fatah et de l’OLP dont les dirigeants ont mené pendant des années un combat courageux contre l’État sioniste, mais qui, parce qu’ils représentaient les intérêts de la petite bourgeoisie palestinienne, ont inévitablement fini par trahir les intérêts de leur propre peuple, capitulant en échange de mini-parcelles d’un pouvoir à moitié fantoche et au prix d’une corruption généralisée. Quant aux forces nationalistes islamiques, au premier chef le Hamas, qui se sont développées sur la base de la faillite du nationalisme laïque, ce sont elles qui ont pris le relais du combat anti-sioniste, pour les droits nationaux du peuple palestinien et pour le droit au retour. Et l’ensemble de leurs actes qui vont dans ce sens, y compris les actions militaires contre l’armée israélienne et les représentants de l’État sioniste, doivent être inconditionnellement soutenus par les communistes révolutionnaires. Cependant, la nature petite-bourgeoise de leurs dirigeants, leur soumission à la propriété privée des moyens de production et leur idéologie religieuse réactionnaire ne peuvent que conduire le peuple palestinien dans une nouvelle impasse.

En effet, même si l’on supposait que le Hamas parvienne à réaliser son programme, l’acceptation du capitalisme ne pourrait que laisser le pouvoir à la bourgeoisie, fût-elle arabe plutôt que juive ; or il suffit de jeter un œil sur l’ensemble des régimes arabes et musulmans formellement indépendants du Moyen-Orient pour constater que la masse de la bourgeoisie préfère toujours pactiser avec l’impérialisme pour garantir ses propres intérêts plutôt que de le combattre dans l’intérêt des peuples. D’autre part, une réalisation du programme du Hamas impliquerait certainement de nouvelles oppressions sur les femmes, sur les artistes, sur les syndicalistes et sur les communistes, comme le prouve l’ensemble des régimes où l’Islam est religion d’État, y compris l’Autorité palestinienne où le Hamas, au pouvoir depuis février, a d’ores et déjà…..

Mais de toute façon les méthodes du Hamas, parce qu’elles ne sont pas des méthodes de la lutte de classe prolétarienne, mais celles du nationalisme petit-bourgeois, n’ont guère de chances de mener le peuple palestinien à la victoire contre Israël. Le caractère ouvertement islamiste de son programme, s’il n’est pas par lui-même un obstacle au combat anti-impérialiste, rend en revanche quasi-impossible le ralliement des travailleurs juifs ; or la rupture de ces derniers avec le sionisme, leur union avec les travailleurs et opprimés arabes, est vitale pour parvenir à la liquidation de l’État d’Israël. C’est pourquoi le succès de la cause palestinienne est intimement lié au caractère laïque du programme et des méthodes mises en œuvre pour la réaliser.

D’autre part, le caractère capitaliste du programme du Hamas est contradictoire avec le déploiement de la lutte de classe en Palestine et dans l’État d’Israël lui-même ; or seul un combat de classe pourrait être réellement efficace, car les travailleurs ont la capacité non seulement de se battre les armes à la main (ce qui est souvent indispensable contre l’armée israélienne), mais aussi de bloquer l’économie par la grève et le boycott. En revanche, la tactique individualiste des attentats contre les civils israéliens n’est pas une méthode capable de faire réellement avancer la cause palestinienne : elle n’a pas d’efficacité sur l’État ou l’économie israéliens et elle contribue à renforcer l’union sacrée de la plupart des Israéliens avec leur propre gouvernement, alors que l’urgence est de les faire rompre avec le sionisme.

Enfin, l’impasse de l’orientation du Hamas semble bien s’annoncer dans l’acceptation par une majorité de ses dirigeants, en juin dernier, du plan dit « des prisonniers », qui prévoyait la reconnaissance de l’État d’Israël dans les frontières de 1967. La ratification d’un tel plan par le Hamas signifierait un début de renoncement aux droits du peuple palestinien et, à terme, conduirait ce parti dans la même voie que l’OLP.

Pour le démantèlement de l’État d’Israël !

Pour une République bi-ethnique, laïque et socialiste sur tout le territoire de la Palestine historique !

La seule solution politique réaliste à la question israélo-palestinienne repose sur le rejet inconditionnel du sionisme, l’objectif de démantèlement de l’État colonial, raciste et anti-démocratique d’Israël et la constitution d’une République laïque et socialiste regroupant l’ensemble des habitants de la Palestine historique sur un pied d’égalité, qu’ils soient arabes ou juifs. Une République laïque et intégralement démocratique est en effet la seule forme d’État qui puisse assurer les droits fondamentaux pour tous et toutes, l’égalité des droits entre les citoyens quelle que soit leur origine et la paix entre les communautés, notamment en garantissant le respect de la langue et de la culture de chacune.

Cependant, à l’ère de l’impérialisme, qui par définition repose sur la négation des droits des peuples opprimés, une telle République palestinienne unie et laïque, quelle que soit sa forme exacte, ne pourra être instituée que par une lutte de classe révolutionnaire du prolétariat, dans la mesure même où il combattra pour ses propres intérêts historiques, pour le renversement du capitalisme, pour le pouvoir socialiste des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs, avec l’objectif d’une fédération des Républiques laïques et socialistes du Moyen-Orient. C’est pourquoi rien n’est plus urgent que de construire un parti communiste révolutionnaire internationaliste au cœur même de cette forteresse de l’impérialisme mondial qu’est l’État sioniste : par son programme et ses méthodes, seul un tel parti sera à même de mener le peuple palestinien à la victoire, tout en aidant les travailleurs juifs et arabes à imposer leur auto-émancipation sociale.

Pour un parti communiste révolutionnaire en Palestine

Fondé sur le marxisme et la démocratie ouvrière la plus complète, un tel parti doit être construit sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique et dans les camps de réfugiés. Il doit regrouper sur un pied d’égalité des militants d’origine arabe et juive, même s’il est probable qu’il comptera dans un premier temps plus d’Arabes que de Juifs, y compris sur le territoire israélien.

Cependant, si les communistes révolutionnaires doivent impérativement combattre toute organisation statutairement juive qui, en Israël, ne saurait être qu’une officine sioniste ouverte ou masquée, ils doivent en revanche soutenir et encourager les combats civiques et politiques progressistes des Arabes israéliens pour l’égalité, même s’ils s’incarnent dans des partis ou associations purement arabes, ce qui est souvent inévitable dans un premier temps. Si les travailleurs juifs, en tant que membres du peuple oppresseur, ont le devoir de rompre immédiatement avec toute forme de sionisme, les travailleurs et les exploités arabes, en revanche, ont le droit inconditionnel, en tant qu’opprimés, de s’auto-organiser sous la forme qu’ils souhaitent. Le risque de communautarisme ethnique n’est pas négligeable et les organisations progressistes purement arabes ne peuvent être considérées que comme provisoires à l’échelle historique, mais c’est d’abord aux travailleurs juifs de prouver, par leur rupture effective avec le sionisme, qu’ils sont dignes de combattre à égalité avec les travailleurs arabes. Ce n’est que de cette façon qu’ils pourront acquérir la confiance de ces derniers et qu’il deviendra possible de construire ensemble des organisations politiques qui intègrent des Juifs et des Arabes sans reproduire les inégalités et discriminations inhérentes à la société israélienne.

Plus généralement, tout en défendant ouvertement et inconditionnellement son propre programme, le parti communiste révolutionnaire de Palestine ne doit pas hésiter à passer des accords avec les organisations palestiniennes contre Israël et l’impérialisme, mais aussi avec des organisations israéliennes pour des objectifs partiels et ponctuels, qu’il s’agisse de s’opposer à la politique belliqueuse du gouvernement, de mobiliser les travailleurs contre sa politique sociale, d’exiger l’égalité des droits et le respect de la culture arabe, etc. Car, ici comme ailleurs, le parti communiste révolutionnaire ne pourra se construire qu’en relation avec les combats réels des travailleurs et des jeunes, quelles que soient leurs limites immédiates.

Enfin, la construction d’un parti communiste révolutionnaire en Palestine et la popularisation de son programme dépendent en grande partie du comportement des organisations qui se réclament de la révolution, de la classe ouvrière et de l’anti-impérialisme dans les pays impérialistes eux-mêmes. Les organisations de ces pays ont une responsabilité immense : elles doivent afficher leur soutien total au peuple palestinien luttant pour ses droits nationaux, rompre totalement avec l’impérialisme comme avec l’ONU et se dresser contre le sionisme et l’existence même de l’État d’Israël. En France, en particulier, il faut que les syndicats et des organisations de gauche, mais aussi d’extrême gauche (LCR et LO) cessent de prôner comme elles le font chacune à sa manière la prétendue solution « des deux États » (40). Cette orientation, en effet, revient à défendre l’existence de l’État colonial d’Israël (qu’on prétend pouvoir démocratiser, à l’encontre de sa nature même), à renoncer au droit au retour (c’est-à-dire à proposer aux Palestiniens de continuer à croupir dans les camps) et à faire croire que les bantoustans d’un pseudo-État engoncé dans un territoire minuscule, surpeuplé et entouré de chars et de barbelés, pourraient constituer une solution acceptable et viable. Il revient aux militants ouvriers, à commencer par ceux qui se réclament du communisme révolutionnaire, d’exiger de leurs dirigeants qu’ils rompent avec cette orientation.


1) Claude Klein, Israël, État en quête d’identité, Florence, Casterman-Giunti, 1999, pp. 50-51.

2) Claude Klein, La Démocratie d’Israël, Paris, Seuil, 1997, p. 37.

3) Ilan Pappe, Une terre pour deux peuples. Histoire de la Palestine moderne, Paris, Fayard, 2004, p. 134.

4) Sylvain Cypel, « L’impuissance de la puissance », Le Monde, 20-21 août 2006.

5) Le Monde, 20-21 août 2006.

6) Ilan Greilsammer, La nouvelle histoire d’Israël. Essai sur une identité nationale, Paris, Gallimard, 1998, p. 514.

7) Alternatives internationales, mars-avril 2006.

8) Idem.

9) Claude Klein, Israël, État en quête d’identité, op. cit., p. 53.

10) Claude Klein, La Démocratie d’Israël, op. cit., p. 60.

11) Ilan Pappe, Une terre pour deux peuples. Histoire de la Palestine moderne, op. cit., p. 67.

12) Idem, p. 192.

13) Claude Klein, Israël, État en quête d’identité, op. cit., p. 54.

14) Nahum Menahem, Israël : Tensions et discriminations communautaires, éd. fr., Paris, L’Harmattan, 1986, p. 28.

15) Idem, p. 48.

16) Cité par Alain Dieckhoff, « Les avatars de l’ethno-démocratie israélienne », in Christophe Jaffrelot (dir.), Démocraties d’ailleurs. Démocraties et démocratisations hors d’Occident, Paris, Karthala, 2000, p. 257.

17) Cité par Susan Nathan, L’Autre côté d’Israël, Paris, Presses de la Cité, 2006, p. 108.

18) Idem, p. 111.

19) Voir Simon Haddad, Les Planteurs d’oliviers. Histoire des Palestiniens arabes, citoyens d’Israël, Paris, Éditions etc, 1989, p. 25-26.

20) Alain Dieckhoff, « La nation en Israël. Entre démocratie et ethnicité », article cité, p. 65.

21) Ilan Pappe, Une terre pour deux peuples, op. cit., p. 159.

22) Sur tout ceci, voir Laurence Louër, Les Citoyens arabes d’Israël, Paris, Balland, 2003.

23) Cité ibidem, p. 22.

24) Susan Nathan, L’Autre côté d’Israël, op. cit., p. 101.

25) Idem, p. 49.

26) Idem, p. 67.

27) Ilan Greilsammer, La nouvelle histoire d’Israël, op. cit., p. 507.

28) Idem, p. 494-495.

29) Idem.

30) Idem, p. 497.

31) Cité par Laurence Louër, Les Citoyens arabes d’Israël, op. cit., p. 14.

32) Denis Charbit, « Consensus politique, modernisation étatique et culture démocratique à l’épreuve des clivages et tensions de la société israélienne », article cité, p. 159.

33) Nahum Menahem, Israël : Tensions et discriminations communautaires, op. cit., p. 30.

34) Ilan Pappe, Une terre pour deux peuples, op. cit., p. 126.

35) Idem.

36) Alain Dieckhoff, « La nation en Israël. Entre démocratie et ethnicité », La Pensée politique, mai 1995, p. 61.

37) Cité par Laurence Louër, Les Citoyens arabes d’Israël, op. cit., p. 49.

38) Denis Charbit, « Consensus politique, modernisation étatique et culture démocratique à l’épreuve des clivages et tensions de la société israélienne », in Carol Iancu (dir.), Permanences et mutations dans la société israélienne, Paris, CREJH, 1996, p. 160.

39) Claude Klein, Israël, État en quête d’identité, op. cit., p. 55.

40) Quant au Parti des travailleurs, il se prononce à juste titre pour une seule République laïque et démocratique sur tout le territoire de la Palestine historique. Mais, d’une part, il s’en tient à ce mot d’ordre formel sans lui apporter le moindre contenu de classe, sans se prononcer sur le contenu nécessairement prolétarien et communiste-révolutionnaire de cette orientation, qu’il ramène ainsi, de manière petite-bourgeoise, à une question purement démocratique, à la façon de l’OLP des origines. D’autre part, le PT se prononce formellement pour le soutien à la résistance du peuple palestinien, mais il ne s’exprime jamais de manière précise sur cette question, sur les méthodes de la lutte armée, sur le Hamas, son programme et ses méthodes, etc. ; en fait, le PT n’a rien de concret à proposer aux travailleurs de Palestine. Enfin, le PT ne mène aucun combat dans les nombreux syndicats où ses militants interviennent — et qu’ils dirigent parfois — pour que ces organisations se prononcent contre l’impérialisme et le sionisme, contre la politique de l’État français au Moyen-Orient, contre l’ONU et pour la rupture des relations intimes de la CGT et de FO avec le pseudo-syndicat israélien Histadrout ; par leur inaction et leur silence, les syndicalistes du PT se font ainsi complices des bureaucrates réformistes et pro-impérialistes… sur cette question comme sur les autres.