Article du CRI des Travailleurs n°23

Bilan d'activité du Comité pour un Courant Intersyndical Lutte de classe et Antibureaucratique

Nous publions ici, comme document susceptible d’intéresser nos lecteurs, le Bilan d’activité du Comité pour Courant Intersyndical Lutte de classe Antibureaucratique, adopté lors de sa réunion de juin. Les militants du Groupe CRI participent activement à ce Comité avec des militants des différents syndicats ouvriers et étudiants (surtout CGT, FSU et FSE, mais aussi FO, SUD et UNEF…) et de différentes sensibilités. Des documents de ce Comité, qui a été fondé entre décembre 2005 et février 2006, ont déjà été publiés dans les précédents numéros de notre journal.

La rédaction

La pause que la lutte de classe a connu entre fin novembre 2005 et mi-février 2006 a été mise à profit par un certain nombre de militants syndicaux combatifs de différentes sensibilités pour constituer le Comité pour un courant intersyndical lutte de classe antibureaucratique. Sur la base d’un pré-projet d’Appel constitutif, une première réunion s’est tenue le 10 décembre 2005 à Paris, suivie d’une large discussion écrite entre différents militants syndicaux et politiques, qui a permis d’aboutir à un Appel sensiblement enrichi. Une seconde réunion a eu lieu le 4 février, rassemblant 22 militants des différents syndicats (CGT, FO, FSU, SUD, FSE et UNEF) et, pour certains, de diverses sensibilités politiques (CRI, LCR, NGC-Prométhée, FTQI, marxistes-léninistes, ainsi que deux militants de la Fraction de Lutte ouvrière présents à titre d’observateurs). Cette réunion a débouché sur la constitution formelle du Comité, après quelques ultimes modifications de l’Appel à la demande des participants et par consensus. Depuis lors, une quarantaine de militants syndicaux ont signé l’Appel, le Comité se construit et intervient concrètement dans la lutte de classe comme dans les débats qui agitent le syndicalisme. Son activité s’est concentrée sur quatre axes principaux :

I. Ouverture d’un site Internet (http://courantintersyndical.free.fr)

Régulièrement actualisé, il publie les tracts, analyses et propositions élaborés par le Comité, mais aussi des documents reçus de syndicats, de militants syndicaux et d’Assemblées générales d’étudiants ou de travailleurs en lutte. Il s’agit d’en faire un instrument d’information, d’analyse et d’élaboration pour les militants syndicaux.

II. Intervention dans le mouvement de février-avril

Le Comité est intervenu tout au long du mouvement au moyen de tracts réguliers (7 février, 23 février, 7 mars, 16 mars, 4 avril et 11 avril), diffusés massivement dans les manifestations de Paris, Auxerre, Nancy, Tours et Valence, dans les syndicats respectifs des militants du Comité et par courrier électronique auprès de 2000 syndicats et militants syndicaux. Ces tracts, lisibles sur le site Internet du Comité, ont proposé une orientation claire et concrète : pour la grève tous ensemble jusqu’au retrait des CPE-CNE, pour que les directions syndicales y appellent, pour la construction effective de la grève et l’auto-organisation des travailleurs, étudiants et lycéens, pour une manifestation nationale à l’Assemblée nationale, à Matignon ou à l’Élysée.

Cette orientation défendue par les militants étudiants et enseignants du Comité dans les AG a été adoptée par plusieurs d’entre elles (Universités de Tolbiac, Sorbonne, Rouen, ENS) et même par les Coordinations nationales étudiantes de Dijon le 19 mars et de Lyon le 9 avril. L’AG de la faculté de Tolbiac a même adopté la proposition, défendue par les membres du Comité, d’une délégation massive au siège de la CGT pour que la confédération appelle à la grève générale et s’engage enfin réellement dans sa construction ; une délégation de vingt étudiants mandatés par l’AG a été reçue immédiatement le 3 avril à Montreuil par Maïté Lassalle, membre du Bureau confédéral, qui a tenté de justifier l’orientation de son organisation en prétendant qu’elle correspondait à l’état d’esprit des travailleurs, mais qui s’est montrée manifestement préoccupée par l’exigence des étudiants radicalisés qui l’interpellaient. Il est indéniable que, si cette orientation du Comité était adoptée par des dizaines d’AG et de syndicats partout dans le pays, la pression sur les directions syndicales, aurait pu devenir décisive.

Né à la veille de la puissante mobilisation de février-avril, notre Comité a donc su prouver, dès ce baptême du feu imprévisible, et malgré sa faiblesse numérique, sa capacité à intervenir concrètement dans la lutte de classe, dans les AG et les syndicats, selon une orientation claire et plus d’une fois efficace.

III. Intervention dans la discussion préparatoire au 48e congrès de la CGT

Lors de ses réunions des 11 février et 4 mars, le Comité a décidé, pour combattre l’orientation de la direction confédérale collaboratrice et le syndicalisme d’accompagnement, d’élaborer un contre-rapport d’activité, une contre-proposition d’orientation et une contre-proposition relative à la réforme des structures, du fonctionnement et du financement de la CGT. Le premier de ces documents a été rédigé et se trouve sur le site ; les deux suivants ne l’ont pas été, car les militants ont été accaparés par le mouvement ; ce travail reste donc à faire.

Les militants CGT du Comité sont intervenus dans leur syndicat pour combattre l’orientation de la direction. Par exemple, notre camarade de Valence est intervenu dans trois réunions préparatoires au 48e congrès sur l’orientation oppositionnelle dont témoigne son texte publié sur le site du Comité. De même, lors de la « réunion des comités de chômeurs CGT de la région parisienne pour le 48e congrès » réunissant des militants de tous les départements d’Ile de France, et à laquelle participait un militant de notre Comité, une motion a été votée à l’unanimité des participants, motion dans laquelle il est expliqué notamment : « Les comités de la région parisienne ont fait part de leur avis sur le projet de document d’orientation. Il ressort à l’unanimité que les organisations de chômeurs ne trouvent pas leur place dans ce document (…). Les comités estiment que l’orientation générale va plus dans le sens de l’accompagnement de la crise que d’un syndicat de lutte de classe. (…) Les chômeurs doivent aussi pouvoir être représentés dans l’organisation et dans toutes les institutions qui décident de leur sort. » C’est un premier résultat dans un secteur où nous étions absents et où se trouvent des militants combatifs que la direction confédérale veut écarter de toute responsabilité.

Enfin, le Comité a combattu pour parvenir à un accord avec d’autres regroupements de militants syndicaux lutte de classe en vue d’une intervention commune pour le congrès de la CGT. Infructueuse lors des premières rencontres avec le Collectif unitaire pour un front syndical de lutte de classe, cette démarche a finalement abouti le 15 avril à la décision de distribuer devant la salle même du 48e congrès un tract commun de notre Comité, du « Collectif unitaire », de « Continuer la CGT » et du CGT-E de Dalkia. Le tract a été rédigé sous la forme d’une « adresse aux délégués » à partir de la discussion collective par un camarade de notre Comité, très légèrement amendé par les autres regroupements et effectivement distribué le 25 avril à Lille aux congressistes (ainsi que le 26 aux participants du meeting d’oppositionnels convoqué notamment par le collectif des métallurgistes du Nord). Quatre militants de notre Comité ont participé toute la journée du 25 à la distribution du tract et ont pu discuter avec un certain nombre de délégués. Trois membres du Collectif unitaire ont contribué brièvement à la distribution. En revanche, les militants de Continuer la CGT n’ont pas participé à la diffusion du tract pourtant cosigné par leur association, préférant distribuer exclusivement leur propre matériel aux délégués. Quant aux militants du CGT-E de Dalkia, ils ont malheureusement subi un panne automobile qui les a empêchés d’arriver à Lille.

L’intervention concrète de notre Comité dans la CGT n’en est qu’à ses débuts. Elle doit maintenant se développer, avec notamment un travail de terrain qui demande notamment une élaboration particulière pour les différents secteurs où nous avons des militants et des sympathisants (chômeurs, RATP, Services publics, PTT, éducation…). Il serait utile que, pour chacun de ces secteurs, soit rédigée régulièrement une note qui à la fois rende compte de la résistance des travailleurs classe et critique, à l’usage des militants syndicaux, l’orientation de la fédération CGT concernée. Bien évidemment, cette démarche serait tout aussi utile dans les autres syndicats où nous avons des militants (FSU, FO, FSE).

IV. Proposition de discussions et d’actions communes avec d’autres regroupements de militants syndicaux lutte de classe

Plus généralement, notre Comité s’est défini d’emblée comme une structure large qui n’entendait faire concurrence à aucun des courants syndicaux déjà existants, tout en proposant le rassemblement des militants lutte de classe au-delà de leurs différentes sensibilités politiques et idéologiques ; il s’est donc efforcé de nouer un certain nombre de contacts avec ces courants :

1) Dès la réunion du 10 décembre, la présence d’un représentant d’Émancipation, tendance intersyndicale regroupant environ 150 travailleurs de l’enseignement syndiqués principalement à la FSU (mais aussi à SUD, à la CGT et à la CNT), avait permis d’entamer une discussion en vue d’une participation de ces militants au Comité. Malheureusement, la direction d’Émancipation a finalement refusé de s’y associer en mettant comme préalable la reconnaissance des principes anarcho-syndicalistes de la Charte d’Amiens dont cette tendance se réclame pour sa part. Or le Comité pour un courant intersyndical lutte de classe antibureaucratique est conçu précisément pour regrouper aussi bien des militants anarcho-syndicalistes que des militants marxistes-léninistes ou trotskystes, par exemple, qui se réclament quant à eux des vingt-et-une conditions d’adhésion à l’Internationale Communiste, contradictoires avec la Charte d’Amiens. Dès lors, le Comité ne peut reposer ni sur des principes anarcho-syndicalistes, ni sur des principes bolcheviks, ni sur les principes spécifiques de tel ou tel courant politique partisan de la lutte de classe, mais il doit au contraire reposer sur un Appel large qui permette le regroupement effectif des militants de différentes tendances : il s’agit d’unir ces militants non pour l’éternité, mais pour le combat pratique immédiat contre les bureaucraties syndicales collaboratrices, dans la conjoncture historique présente. Cependant, lors de sa réunion du 4 février, le Comité a amendé son Appel fondateur pour insister clairement, en réponse à l’inquiétude exprimée par Émancipation, sur son attachement à « l’indépendance organisationnelle des partis et des syndicats ». Ce principe signifie en effet l’attachement à la démocratie imprescriptible à l’intérieur des syndicats : si certains militants du Comité estiment avoir le droit d’exprimer et de défendre leurs opinions politiques à l’intérieur des syndicats (considérant qu’il n’y a pas de frontière étanche entre le « politique » et le « syndical »), tous s’accordent évidemment pour dire que seuls les syndiqués réunis en assemblée (ou leurs délégués dûment mandatés dans chaque instance) peuvent prendre des décisions engageant leur syndicat (ou leur instance). Pourtant, malgré cet amendement parfaitement clair, les camarades d’Émancipation n’ont malheureusement pas répondu à la lettre du Comité leur proposant de revoir leur position et de rejoindre le Comité pour travailler en commun à la construction d’un front organisé des militants lutte de classe antibureaucratique. L’espoir de convaincre ces camarades n’en demeure pas moins, car il se fonde sur le constat de leur combativité dans la lutte de classe, d’une part, et sur le vif sentiment de l’urgence à combattre ensemble les bureaucrates collaborateurs, d’autre part.

2) Un contact furtif a été pris avec les militants de l’organisation Voix prolétarienne-Partisan, qui animent le blog « Où va la CGT ? ». Ces militants offrent des analyses et des propositions souvent très pertinentes pour combattre l’orientation de la direction et accomplissent un réel travail de regroupement d’oppositionnels au sein de la CGT, notamment avec des métallurgistes du Nord. Cependant, ils refusent malheureusement, à ce stade, de mener ce combat en s’organisant avec d’autres militants dans un cadre qui dépassé leur organisation politique et ses sympathisants.

3) Surtout, des relations, difficiles mais réelles, ont été nouées avec le Collectif Unitaire pour un Front Syndical de Lutte de Classe (initié par le Pôle pour la renaissance communiste en France). Dès le 7 janvier, un représentant du Comité a participé à une réunion de ce Collectif ; les responsables de celui-ci ont cependant refusé la proposition d’une structure commune, dans la mesure où ils se donnent comme « modèle » la « CGT de Frachon et de Séguy » ; or, pour un certain nombre de militants du Comité, ces dirigeants historiques de la CGT ont avant tout trahi les grèves générales de 1936 et 1968 respectivement, en allant négocier des miettes avec le gouvernement bourgeois au lieu de combattre pour le renversement de l’État et du capitalisme. Autant les militants lutte de classe de toute tendance doivent avoir leur place dans un regroupement commun large contre les Thibault, Mailly, Aschieri et Cie, autant il ne saurait être question d’imposer comme préalable à ce regroupement la soumission à un quelconque « modèle » historique du syndicalisme. Mais les responsables du Collectif Unitaire pour un Front Syndical de Lutte de Classe ont préféré constituer une structure clairement identifiée comme partisane de « Frachon et Séguy » plutôt qu’un regroupement commun avec les militants qui ont donc finalement dû fonder, le 4 février, le Comité pour un courant intersyndical lutte de classe antibureaucratique.

Cependant, notre Comité a décidé de poursuivre ces efforts en vue d’agir en commun avec le « Collectif Unitaire ». Il a notamment participé à la réunion convoquée par celui-ci le 11 février. Après une discussion très intéressante, cette réunion a débouché sur un accord prometteur, à l’initiative de notre Comité : il a été convenu de rédiger et diffuser ensemble un tract commun contre le CPE-CNE et d’organiser une réunion en vue d’envisager une intervention commune dans le cadre de la préparation du prochain congrès de la CGT. Les grandes lignes du projet de tract ayant été définies en commun, un projet a été rédigé par un militant le Comité. Malheureusement, le « Collectif Unitaire » a finalement reculé à la dernière minute, sans pourtant exprimé le moindre désaccord de fond avec l’orientation du tract ! Mais, une fois encore, les responsables du « Collectif Unitaire » ont voulu mettre comme préalable la reconnaissance par le tract de l’œuvre du « Front populaire » et du « Conseil National de la Résistance », alors qu’ils savaient pertinemment que ce n’était pas acceptable par une partie des membres du Comité. Cette volonté d’imposer coûte que coûte la marque d’une identité historique particulière était d’autant plus absurde qu’elle n’avait évidemment aucun intérêt pour le combat immédiat contre le gouvernement et par conséquent contre les bureaucrates syndicaux qui le protègent en refusant de combattre pour la grève générale. Le fait qu’il s’agissait bien, de la part des responsables du « Collectif Unitaire », d’un prétexte pour saboter le projet d’un tract commun a été ensuite confirmé par leur refus d’organiser ne serait-ce que la réunion commune concernant le congrès de la CGT qui avait été pourtant été décidée d’un commun accord le 11 février. Le lecteur pourra se faire sa propre opinion en consultant le projet de tract commun et l’échange épistolaire entre le Comité et le « Collectif Unitaire » sur le site du Comité.

Enfin, après la participation d’un militant du Comité à la réunion convoquée le 8 avril par le Collectif unitaire, une réunion commune a eu lieu la semaine suivante, avec la participation également de Continuer la CGT et du CGT-E, qui a enfin abouti à un tract commun : celui distribué aux délégués du 48e congrès de la CGT, dont il a déjà été question. Lors de la réunion commune du 15, il avait également été décidé de distribuer un autre tract commun dans les manifestations du 1er mai et de se rencontrer le 27 avril, à la fois pour rédiger ce tract et pour tirer ensemble un premier bilan du congrès. Malheureusement, le jour dit, les militants du Comité se sont retrouvés tout seuls devant la salle de réunion ! Si le représentant de Continuer la CGT a téléphoné pour s’excuser de son absence due à des raisons professionnelles imprévues, et si la représentante du CGT-E a fait savoir plus tard qu’elle n’avait pas réussi à trouver le lieu et était arrivée avec une heure de retard (après le départ des camarades de notre Comité), en revanche les militants du Collectif Unitaire n’ont donné aucune explication de leur absence, ne s’excusant même pas pour le « lapin », bien qu’un militant de notre Comité ait demandé des explications à un militant du Collectif rencontré par hasard dans une manifestation. Au moment où ces lignes sont rédigées, sept semaines plus tard, le Collectif Unitaire ne s’est toujours pas manifesté, montrant une nouvelle fois son refus de travailler sérieusement en commun avec notre Comité. Il nous reste à espérer que les exigences de la lutte de classe conduiront ces camarades à adopter à l’avenir une démarche plus constructive et à répondre à nos sollicitations, qui doivent se poursuivre avec autant de détermination que de lucidité.

Le Comité a l’objectif d’ouvrir la discussion avec les autres regroupements qu’il n’a pas encore eu l’occasion de rencontrer, tels que le courant Continuer la CGT, le Comité syndicaliste-révolutionnaire, la tendance Front unique dans la FSU, le regroupement « Pour un syndicalisme lutte de classe » dans le SNASUB-FSU, etc. Cette démarche réellement unitaire est rendue indispensable par l’ampleur du combat à mener contre les bureaucrates ; elle doit se réaliser à travers des discussions les plus larges et des accords pour l’action commune chaque fois que c’est possible.

Le travail de construction du Comité n’en est donc qu’à ses débuts, mais il a d’ores et déjà réussi à se faire reconnaître et souvent apprécier par plusieurs dizaines de militants syndicaux, voire par d’autres regroupements de militants lutte de classe. Ses principales faiblesses sont dues à un manque évident de militants, alors que l’objectif affiché rend nécessaire de travailler au plus près du terrain syndical. Or il ne suffit pas de proposer des analyses et une orientation justes, il faut aussi le faire d’une manière qui rende notre démarche crédible. Le principal objectif que nous devons nous fixer maintenant est que les militants, voire les syndicats avec qui nous sommes en contact, puissent se saisir du Comité comme d’un instrument qui leur soit immédiatement et directement utile pour leur activité syndicale quotidienne et leur combat anti-bureaucratique. Il faut convaincre les militants syndicaux, syndicats et regroupements syndicaux lutte de classe qu’ils ont intérêt à prendre contact avec le Comité, à s’approprier son Appel et à participer activement à sa construction !