Article du CRI des Travailleurs n°18

Irak : Pas d’issue sans défaite de l’impérialisme,
Pas de démocratie politique sans constituante librement élue,
Pas de progrès social sans révolution socialiste

Retour de la démocratie ?

On se rappelle comment, après les élections organisées en Irak par l’occupant impérialiste, toute la « communauté internationale », relayée par la presse bourgeoise, avait fait chorus pour chanter le « premier vote libre » en Irak. Joseph Biden, le n° 1 démocrate de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, avait déclaré, la veille de sa rencontre avec Chirac : « Je vais lui dire poliment qu’il est temps pour les Français de s’engager. Nous avons fait maintenant tout ce qu’il demandait. Il y a une réelle légitimité dans ces élections en Irak. » Cette appréciation fut reprise par tous les chefs d’État et de gouvernement : Le Monde écrivait, en date du 1er février que « la communauté internationale, unanime, a salué le courage des électeurs irakiens. » Et le quotidien du soir, toujours prompt à cirer les bottes américaines, allait jusqu’à prétendre que « Nadjaf respire un parfum de tranquillité »… omettant de préciser que cette « tranquillité » dans la grande ville du sud largement détruite par l’occupant américain quelques mois auparavant, sentait fort la paix des cimetières. Enfin, de son côté, avant que son chef ne s’effondre de son siège soi-disant « saint », le Vatican avait eu la condescendance de déceler dans les élections irakiennes un « signe de la maturité de ce peuple »…

Trois mois après, la réalité a tranché : les discours sur le prétendu « rétablissement de la démocratie » ont fait long feu, comme il fallait s’y attendre. Certes, un nouveau gouvernement, sous la direction du Chiite Ibrahim al-Jaafari, a été mis en place le 28 avril, malgré le boycott d’un tiers des députés qui ont refusé de participer au vote. Mais, contrairement à ce que promettait Bush pour l’après-30 janvier, sont annoncés chaque jour de nouvelles actions armées de la résistance et de nouveaux tués parmi les forces d’occupation… tandis que sont tues les conditions de vie de plus en plus intolérables imposées à la population, écrasée sous le talon de fer de l’impérialisme, avec la participation active de la bourgeoisie d’Irak, majoritairement collaboratrice, toutes composantes confondues (islamiste ou laïque, chiite, sunnite ou kurde). Chaque jour, il se vérifie ainsi que l’instauration de la paix et de la démocratie politique n’est pas possible dans un pays de 30 millions d’habitants occupé par 150 000 hommes de l’armée impérialiste la plus puissante du monde (et ses supplétifs) ; aucune « démocratie » n’est possible dans ces conditions, pas même une « démocratie » formelle, une « démocratie » bourgeoise classique, dont les premières conditions sont l’indépendance nationale et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Bref retour sur les conditions des élections du 30 janvier

De ce point de vue, il faut revenir ici sur la manière dont se sont déroulées les élections du 30 janvier, qui sont aux antipodes de ce que les médias bourgeois ont prétendu. D’ailleurs, dans la plupart des cas, ces médias n’étaient pas sur place (pour des raisons de sécurité), se contentant en fait de rapporter les « informations » soigneusement sélectionnées par les forces d’occupation. C’est ainsi que même la mission très officielle d’experts étrangers chargés de contrôler le bon déroulement des élections a assuré que celles-ci avaient été « conformes aux normes internationales »… alors que ces « observateurs internationaux » ont « observé » sans sortir d’Ammam, en Jordanie !...

En conséquence, les données annoncées sont plus que douteuses, certaines ayant d’ailleurs été modifiées : ainsi a-t-on d’abord annoncé 72 % de taux de participation, avant de le fixer à 58 %, tandis que la réalité est sans doute autour de 50 %… Mais on apprenait dès le lendemain des élections que, notamment, dans deux provinces du nord (dont la région de Mossoul), l’inscription sur les listes électorales n’avait été faite qu’au moment même du vote… ce qui permet évidemment d’annoncer un résultat de 100 % de participation !… (Voir Le Monde du 1er février 2005.)

Cependant, si les forces d’occupation et les forces bourgeoises irakiennes collaboratrices ont pu faire voter une bonne partie des gens malgré le rejet largement majoritaire de l’occupation, ce n’est pas parce que les travailleurs kurdes et irakiens nourrissaient des illusions dans cette farce électorale. En fait, ils ont bien souvent été contraints de voter : sans parler des cas où l’on a vu des maris mettre le bulletin dans l’urne à la place de leur femme, il faut souligner que l’enregistrement des électeurs s’est fait sur la base des cartes de rationnement établies à l’époque de l’embargo imposé par l’ONU (1). Or ils ont souvent été menacés de voir les rations alimentaires supprimées s’ils ne votaient pas ; ils devaient notamment signer des fiches d’électeur pour obtenir leurs rations.

De plus, tout un climat de violence a été entretenu par les troupes d’occupation, qui ont imposé le couvre-feu et l’état d’urgence pendant toute la durée du scrutin. Une quarantaine de personnes ont été tuées pendant le scrutin lui-même, selon le ministère de l’Intérieur irakien (ce qui signifie sans doute que le chiffre a été sous-évalué). Pour des « raisons de sécurité », les noms des candidats n’ont pas été publiés par la commission électorale avant le 25 janvier, une semaine seulement avant le scrutin. Le vote a été massif surtout dans les zones chiites particulièrement bien contrôlées par les troupes d’occupation (notamment à Nadjaf et à Bassora), et dans les provinces du Kurdistan. Ailleurs, au moins une soixantaine de bureaux électoraux n’ont même pas ouvert leurs portes.

Enfin, la propagande électorale a été relayée à la fois par les troupes d’occupation et leurs collaborateurs irakiens. Les soldats en armes ont distribué eux-mêmes les tracts électoraux et collé les affiches… Les occupants n’ont pas hésité à faire appel aux anciens du Baas (le parti de Saddam Hussein au pouvoir pendant plus de trente ans) et aux chefs de la théocratie islamiste, qui ont les uns et les autres participé activement à la mobilisation des électeurs… de gré ou de force. À Nadjaf, bastion chiite, les islamistes collaborateurs ont même pondu une fatwa ordonnant à tous les fidèles de se rendre aux urnes…

Pourquoi ces élections ont-elles été un succès relatif pour Bush ?

On est donc loin, très loin, d’un prétendu rétablissement de la démocratie en Irak. Cependant, les élections du 30 janvier, par leur déroulement même, dans ces conditions très difficiles, n’en représentent pas moins un succès pour Bush, dans la mesure où elles donnent formellement une caution populaire partielle au processus politique qu’il a engagé pour maquiller aux couleurs de la « communauté internationale » sa brutale occupation impérialiste. En ce sens, on comprend que Bush ait pu parler d’un « succès éclatant » : quelle que soit l’outrance du propos, le fait même que ces élections aient pu se tenir avec un taux de participation conséquent, renforce indéniablement la tutelle impérialiste sur l’Irak en lui donnant une « légitimité » officielle.

Face à cette victoire politique de Bush, le résultat des élections n’est lui-même sans doute pas tout à fait conforme à ce qu’aurait voulu l’occupant américain ; mais il n’en est pas moins globalement satisfaisant, car il garantit l’essentiel : c’est une sorte de compromis entre le maintien durable de l’occupation impérialiste et l’intégration nécessaire de la bourgeoisie irakienne et d’une partie des classes moyennes dans le processus politique impulsé par Bush.

Depuis le début, l’option stratégique américaine est de s’appuyer sur les Chiites (60 % de la population), afin de pouvoir compter sur une bourgeoisie et une petite bourgeoisie nombreuses et bien intégrées dans la population, grâce à leurs positions dans le commerce et à leurs fortes structures islamistes. Ce choix s’est fait évidemment au détriment des Sunnites (30 % de la population), censés constituer la base de l’ancien régime dirigé par Saddam Hussein, et qui sont en tout cas aujourd’hui les plus fortement opposés à l’occupation impérialiste. C’est pourquoi les principales forces politiques sunnites, y compris finalement la première d’entre elles, le Parti islamique irakien, avaient appelé à boycotter le scrutin. De fait, les Sunnites ne se sont guère rendus aux urnes : dans la province d’Anbar, par exemple, seuls 2 % des électeurs (3 803 personnes) sont allés voter ! Cependant, ce qui est vrai de la population sunnite en majorité ne l’est pas de la bourgeoisie sunnite : pilier du parti Baas de Saddam Hussein, donc de l’ancien appareil d’État et du secteur-clé du pétrole, celle-ci a souvent su se reconvertir sans états d’âme de serviteurs de Saddam en collaborateurs zélés de Bush. Elle a ainsi participé activement à l’organisation des élections dans les grandes villes sunnites, comme à Falloudja.

Ce sont donc les partis religieux chiites qui ont largement remporté les élections. Avec 48,1 % des voix, l’ « Alliance unifiée irakienne », force islamiste collaboratrice dirigée par le « grand ayatollah » Ali Sistani, est arrivée en tête, atteignant même la majorité absolue en sièges (elle dispose de 140 des 275 sièges à l’Assemblée nationale transitoire). Ce succès s’explique par la puissance religieuse de cette coalition et surtout par sa revendication officielle d’un prompt départ des troupes américaines (2).

En deuxième position, avec 25,7 %, il y a eu la liste kurde qui réunissait notamment le PDK (Parti démocratique du Kurdistan) de Massoud Barzani et l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) de Jalal Talabani. Ce fut donc un succès important pour ces partis qui ont commencé à collaborer avec les États-Unis bien avant la guerre de 2003, dès les années 1990, mais qui savent exploiter le sentiment national légitime du peuple kurde d’Irak, en lui promettant une « autonomie » censée mettre fin à la terrible oppression qu’il subit depuis toujours de la part de l’État central irakien.

Enfin, la liste du Premier ministre sortant, Iyad Allaoui, un chiite laïc, n’est arrivée qu’en troisième position, avec 13,8 % : ce fut un désaveu attendu pour celui que le peuple irakien considérait à juste titre comme un pantin au service des brigands impérialistes. Certes, Iyad Allaoui avait été mis en place par l’occupant car, homme de confiance, ancien agent de la CIA, il était l’un des seuls à pouvoir assumer ouvertement les fonctions impopulaires et risquées de marionnette américaine. Néanmoins, son échec personnel ne suffit nullement à voir dans les élections du 30 janvier un échec pour les Américains (3) : non seulement parce que, comme nous l’avons souligné, le déroulement même de ces élections est de toute façon une victoire politique très importante pour l’impérialisme, mais aussi parce que Allaoui n’était de toute façon pour eux qu’un fusible provisoire, destiné à accomplir le sale boulot pendant la période de transition : on savait bien que, privé de toute base sociale en Irak même, il ne pouvait passer avec succès le test du suffrage populaire. De plus, il garde encore aujourd’hui un rôle-clé dans la nouvelle Assemblée élue, car il est indispensable aux compromis entre les différentes forces en présence, notamment entre l’Alliance chiite majoritaire, réputée proche de l’Iran, les anciens baasistes reconvertis à la collaboration, qui sont minoritaires dans l’Assemblée, mais qui conservent des positions sociales décisives, et les partis kurdes, qui restent les meilleurs alliés des Américains.

Et maintenant ?

L’Assemblée nationale transitoire élue le 30 janvier a comme principale responsabilité de rédiger une nouvelle Constitution. Que faut-il en attendre ?

Démocratie…ou théocratie ?

L’Alliance islamiste chiite, majoritaire, prétend qu’elle n’envisage pas de créer en Irak une théocratie sur le modèle iranien. Mais Ibrahim Jaafari, l’un des candidats pour le poste de premier ministre, a déclaré que la Charia devrait être l’une des sources principales de la législation. Début 2004, déjà, le Conseil de gouvernement avait tenté d’instaurer la Charia dans le code de la famille. « Quand la Charia est appliquée de manière saine, vous verrez qu’elle est beaucoup plus juste que la démocratie elle-même », explique Saleem Naji Hasan Al-Zubaidi, un membre du Comité juridique constitutionnel. Il ajoute que « les Irakiens connaissent leur peuple mieux que les autres et ils savent où se trouvent leurs intérêts et comment appliquer la démocratie sans violer la Charia ». Il y a donc tout lieu de craindre, en fait de « démocratie », la mise en place d’un État islamiste particulièrement réactionnaire.

Démocratie… ou terreur américaine ?

Sur le plan de la sécurité intérieure, le nouveau régime ne saura mettre fin à une situation qui ne cesse d’empirer pour les forces d’occupation et leurs supplétifs irakiens : l’installation de la bourgeoisie irakienne, toutes composantes confondues (chiite, kurde et majorité des anciens Baasistes), dans la collaboration politique avec l’occupant, ne fera qu’accroître la volonté de résistance du peuple et notamment de la jeunesse. D’ores et déjà, les « forces spéciales d’Irak », recrutées parmi les membres de l’ex-police secrète de S. Hussein, commandées par le général Shahwani, ancien chef des services secrets sous Saddam, sont des bandes de tortionnaires qui font régner la terreur et qui concentrent la haine du peuple contre les collaborateurs.

Dans les fiefs de la résistance armée à l’envahisseur, à Nadjaf, à Falloudja, dans les quartiers populaires de Bagad et dans des dizaines d’autres villes, la résistance a subi de lourdes défaites militaires (4), mais celles-ci n’ont fait qu’attiser la colère toujours plus explosive de la population. À Falloudja et à Nadjaf, qui ont connu les sièges les plus sanglants, il ne resterait que ruines et décombres. Une sorte de napalm a même été employé (selon le Pentagone, il est moins dangereux que le vrai napalm utilisé au Vietnam... pour l’environnement !).

Reconstruction…ou misère et chaos ?

Dans tout le pays, tandis que les grandes entreprises américaines se partagent les dizaines de milliards de dollars de la « reconstruction », la vie de la population irakienne reste ponctuée par les coupures de courant électrique ou d’alimentation en eau potable, les débordements d’égouts (là où ils n’ont pas été détruits ou bouchés par les bombardements), les files d’attente pour le retrait des rations alimentaires mensuelles ou encore les pénuries périodiques de kérosène, seul combustible disponible pour faire la cuisine. Des centaines de milliers d’Irakiens en sont réduits à vivre dans des villages de toile, réfugiés dans leur propre pays du fait des bombardements qui se poursuivent quotidiennement, dans le silence assourdissant des médias occidentaux.

Or ces opérations militaires ne sont pas près de finir : pour la Grande-Bretagne : l’estimation du coût des opérations militaires a augmenté de 66 % (5 milliards de livres). Pour les États-Unis, les généraux veulent faire passer le nombre d’hommes présents de 150 000 à 200 000. En effet, sous les assauts de la résistance armée, le nombre de morts et de blessés parmi les troupes d’occupation ne cesse d’augmenter : alors que, pendant les treize premiers mois de la guerre, il y avait eu 229 soldats blessés par mois, on en a dénombré 782 par mois entre juillet et décembre 2004 (+ 240 %). En ce qui concerne les militaires tués le chiffre a doublé, passant de 46 à 81 par mois. Sans compter qu’un soldat sur dix meurt de ses blessures loin du champ de bataille, donc le chiffre total exact serait plutôt de 2350 morts que de 1350 (5).

Pas de démocratie et de progrès social sans révolution socialiste !

La bourgeoisie irakienne, en choisissant très majoritairement la voie de la collaboration avec l’occupant, fait preuve à sa façon d’une claire conscience historique : elle semble comprendre son incapacité à reconstruire par ses propres moyens un État indépendant à l’époque actuelle. La période des « révolutions nationales » dans les pays dominés, et notamment au Moyen-Orient, est révolue : contrairement aux années 1945-1975, les bourgeoisies nationales de ces pays ne peuvent plus s’appuyer sur le contexte de la guerre froide et sur leur rente pétrolière pour imposer l’indépendance nationale plus ou moins poussée de leur pays contre l’impérialisme. Mais, pour rester classes dominantes dans leur propre pays, elles sont condamnées aujourd’hui à accepter — bon gré, mal gré — la tutelle de l’impérialisme sur la rente pétrolière et sur leur État, voire l’occupation militaire, comme c’est le cas en Irak (et dans le Kurdistan « irakien »). En ce sens, l’attitude collaborationniste de la bourgeoisie irakienne dans toutes ses composantes, notamment celle des islamistes censés haïr le Satan américain ou des anciens baasistes reconvertis, est symptomatique d’une impuissance historique plus générale des bourgeoisies dans les pays sous-développés, y compris dans ceux qui, par la rente pétrolière, avaient pu bénéficier naguère, pendant plusieurs décennies, de conditions exceptionnellement favorables pour faire valoir leurs intérêts nationaux.

En fait, l’histoire de tous les pays nous enseigne que seul le peuple est capable, par son propre soulèvement, d’imposer l’indépendance nationale, la démocratie politique et le progrès social. C’est ce qu’a montré déjà, dans une large mesure, l’histoire de toutes les révolutions bourgeoises, en Angleterre au XVIIe, aux États-Unis au XVIIIe, et bien sûr en France, avec la grande révolution de 1789-1793, puis de nouveau en 1848 et 1870... Dans tous les cas, en effet, la bourgeoisie n’a pu conquérir le pouvoir (non sans compromis avec les forces féodales de l’aristocratie et de l’Église), qu’en s’appuyant sur le peuple et en étant poussée par lui à aller plus loin qu’elle ne le voulait elle-même dans la rupture avec l’ancien régime… Or, comme l’a montré Trotsky avec sa théorie dite de la « révolution permanente », cette vérité factuelle enseignée par l’histoire devient une véritable loi lorsque le capitalisme atteint son stade impérialiste : désormais dans les pays dominés, car économiquement sous-développés, les bourgeoisies nationales sont généralement trop faibles pour établir ne serait-ce que l’indépendance nationale. C’est pourquoi aujourd’hui, même dans des pays grands producteurs de pétrole, comme l’Irak ou le Venezuela, seul le peuple, c’est-à-dire en fait le prolétariat, allié aux masses pauvres des villes et des campagnes, est capable, par sa propre mobilisation, d’imposer l’indépendance nationale réelle, la démocratie et le progrès social. En effet, seul le prolétariat allié aux masses pauvres des villes et des campagnes a tout intérêt à s’émanciper du joug de l’impérialisme, et donc aussi de la bourgeoisie nationale elle-même : celle-ci, en effet, est toujours majoritairement complice de l’impérialisme, sans lequel elle n’existerait pas, car elle l’aide à piller, exploiter et opprimer son propre peuple. Autrement dit, l’indépendance nationale, la démocratie et le progrès social ne peuvent en fait être conquis que par une révolution prolétarienne qui, dans un seul et même mouvement, chasse les impérialistes étrangers et liquide la bourgeoisie nationale indigène. En Irak comme en Palestine et dans tout le Moyen-Orient, comme au Venezuela (quelles que soient les prétentions de Chavez à réaliser le socialisme en s’appuyant sur le peuple, mais sans liquider la bourgeoisie nationale (6)) l’indépendance nationale, la démocratie et le progrès social ne pourront être conquis que par une révolution prolétarienne socialiste.

C’est donc dans cette perspective historique que les communistes révolutionnaires doivent inscrire expressément leur intervention politique. En Irak en particulier, aucune illusion n’est possible envers la bourgeoisie, qui montre sa lâcheté face à l’impérialisme, en essayant de défendre ses intérêts par une collaboration éhontée avec l’impérialisme. Pour le prolétariat et les peuples irakien et kurde, la priorité est de mettre en échec l’occupation impérialiste et le nouvel État-croupion et réactionnaire que la bourgeoisie irakienne accepte de mettre en place.

À la mascarade électorale américaine du 30 janvier, il faut opposer le mot d’ordre d’élections réellement libres et démocratiques, qui supposent avant toutes choses le départ des troupes d’occupation et l’organisation du scrutin par le peuple lui-même. À la prétendue « Assemblée nationale transitoire » mise en place sous tutelle américaine pour rédiger une « Constitution » collaboratrice et réactionnaire, il faut opposer le mot d’ordre transitoire d’une véritable Assemblée nationale constituante en Irak et au Kurdistan, Assemblée nationale constituante qui ne saurait être qu’anti-impérialiste et qui rassemblerait les délégués du peuple prenant lui-même en mains son propre destin. Le droit du peuple kurde à l’indépendance nationale serait reconnu, et sa propre Assemblée constituante déciderait de la forme du type de relations qu’il souhaite nouer avec le peuple irakien (République kurde fédérée ou indépendante).

Tout en défendant ce programme politique pour la nation irakienne et le peuple kurde, les communistes révolutionnaires doivent construire leur propre parti, ainsi que des syndicats indépendants, des coopératives, des associations de femmes, de quartiers et de défense des droits démocratiques, etc. Pour construire ces organisations et aider à la mobilisation indépendante des masses ouvrières et populaires, il faut utiliser les armes de la grève, du sabotage et, dès que les circonstances le permettent, mener des actions militaires contre les forces impérialistes et leurs supplétifs.

Au-delà de ces activités fondamentales des communistes révolutionnaires, il faut soutenir toutes les actions militaires dirigées contre les forces d’occupation politiques et militaires ou contre leurs supplétifs irakiens, quelles que soient les forces politiques qui les mènent. En effet, ces actions, plus ou moins efficaces selon les cas, sont toutes légitimes, car elles participent objectivement de l’anti-impérialisme et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Par contre, les attentats contre la population, tels que ceux organisés par Al Qaida, et sans doute aussi parfois par les forces d’occupation elles-mêmes pour semer la terreur et justifier leur présence, doivent évidemment être condamnés avec la plus grande fermeté, parce qu’ils s’en prennent à des travailleurs innocents, divisent le peuple et aggravent inutilement la répression policière impérialiste.

C’est en ce sens que le « front unique anti-impérialiste » pour la défaite de l’occupation est une orientation juste, qu’il faut mettre en avant en Irak aujourd’hui, y compris à l’égard des groupes issus du parti Baas ou des forces islamistes, dès lors qu’ils combattent réellement pour la défaite de l’impérialisme. En effet, les forces prolétariennes doivent tenir compte de la réalité (la résistance est aujourd’hui dirigée par ces forces, qu’on le veuille ou non) et aider les masses qui voient en ces groupes des animateurs de la résistance nationale, à rompre avec leurs illusions. Elles montreront ainsi, dans la pratique même du combat, que ces groupes défendent non seulement une idéologie réactionnaire et des pratiques souvent barbares, mais qu’en outre leur « anti-impérialisme » est inconséquent (car purement nationaliste-bourgeois ou petit-bourgeois), et qu’ils ne vont donc jamais jusqu’au bout de leurs objectifs affichés (beaucoup sont prêts à capituler dès que l’occasion s’en présente).

Bien évidemment, ce « front unique anti-impérialiste » ne signifie pas le moindre soutien politique aux forces de la résistance, en particulier baasistes et islamistes : tout en « frappant ensemble » dès que c’est possible, les forces prolétariennes doivent « marcher séparément », c’est-à-dire rester indépendantes politiquement et d’un point de vue organisationnel, en défendant leur propre programme ouvertement socialiste et révolutionnaire, contre l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise, sous toutes ses formes et notamment contre l’islamisme réactionnaire. Et, bien évidemment, lorsque des groupes baasistes ou islamistes s’attaquent aux ouvriers, aux étudiants ou aux femmes, comme cela arrive régulièrement, ils doivent être combattus par tous les moyens, avec la plus grande énergie, sans la moindre hésitation.

Dans les pays impérialistes, et notamment aux États-Unis, c’est cette orientation qu’il faut défendre auprès du prolétariat. Il faut faire valoir que la défaite de l’impérialisme en Irak serait une victoire pour le prolétariat de tous les pays et pour tous les peuples opprimés. Dès que les circonstances objectives le permettent, il faut manifester et faire grève contre les gouvernements impérialistes, organiser des actions de sabotage contre les interventions armées (grève dans les usines qui construisent le matériel militaire et dans les transports qui l’acheminent, etc). Et il faut lutter politiquement contre les illusions onusiennes semées par les médias, mais aussi les syndicats, les PC et une bonne partie de l’extrême gauche ; il faut lutter énergiquement contre le moralisme impuissant de ceux qui combattent le front unique anti-impérialiste sous prétexte de ne pas « cautionner l’islamisme » ; il faut combattre sans hésitation le pacifisme en général : toutes ces idéologies petites-bourgeoises font en réalité le jeu de l’impérialisme, contre les intérêts du prolétariat et des peuples irakien et kurde.

Les mots d’ordre que doivent mettre en avant les communistes révolutionnaires de tous les pays sont donc les suivants :



• Vive la résistance du prolétariat et des peuples irakien et kurde ! Pour la défaite de l’impérialisme ! Pour le front unique anti-impérialiste !

• Pour l’auto-organisation inconditionnelle du prolétariat et du peuple (syndicats, associations, comités d’usine et de quartiers…) ! Pour l’autodéfense armée des ouvriers, des femmes, des étudiants et des quartiers populaires contre toutes les attaques (militaires, policières et islamistes réactionnaires) ! Pour l’armement du peuple et la constitution de milices ouvrières et de quartiers !

• Combat quotidien pour les droits démocratiques et les revendications sociales ! Pour une véritable Assemblée nationale constituante anti-impérialiste !

• Pour un parti défendant le programme du communisme révolutionnaire, pour les États-Unis socialistes du Moyen-Orient !


1) Rappelons que cet embargo a étranglé les peuples d’Irak entre 1991 et 2003, conduisant à la mort de 1,5 million de personnes (notamment des enfants). Rappelons aussi que son maintien a été voté chaque année par le « Conseil de Sécurité » de l’ONU, donc notamment par la France de Mitterrand, puis de Chirac.

2) Cf. l’article de Gilbert Achcar dans Rouge (hebdomadaire de la LCR) du 24 mars, qui explique notamment que « le programme électoral de la CIU appelait explicitement à des négociations avec les forces d’occupation afin d’établir un calendrier précis pour leur retrait. »

3) Notre analyse des élections s’oppose donc à celle proposée par Gilbert Achcar dans Rouge (loc. cit.), quand il y voit une « véritable défaite » pour Bush.

4) Voir notre article dans Le CRI des travailleurs n° 14 de septembre-octobre 2004 : « La résistance irakienne a perdu une bataille, elle n’a pas perdu la guerre de libération nationale. »

5) C’est pour cela que, aux États-Unis mêmes, la population est de plus en plus hostile à la guerre : selon les sondages, et contrairement aux débuts de l’intervention, une majorité d’Américains s’y oppose désormais.

6) Cf. Le CRI des travailleurs n° 14, septembre-octobre 2004.