Article du CRI des Travailleurs n°24

Venezuela : Pour avancer vers le socialisme, il faut rompre avec Chavez

Le 4 décembre, des élections présidentielles et législatives auront lieu au Venezuela. C’est l’occasion de revenir sur la situation du pays et l’orientation à mettre en œuvre pour permettre aux travailleurs d’avancer vers la réalisation de leurs objectifs. Chavez a été élu président pour la première fois il y a neuf ans, en 1998, et la coalition qui le soutient dispose de la majorité absolue au Parlement depuis 1999 (1). Dans ces conditions, il semble utile d’ouvrir la discussion avec les travailleurs et les militants sur le bilan de neuf ans de « révolution bolivarienne ».

Bilan de 9 ans de présidence Chavez

Un certain nombre de réformes progressistes et de positions anti-impérialistes…

La nouvelle Constitution dite « bolivarienne » comprend un certain nombre d’éléments progressistes : elle prévoit que les entreprises s’occupant des matières premières ne peuvent pas être privatisées, notamment la gigantesque société d’État PDVSA (Pétrole Du Venezuela SA) ; elle donne accès à la sécurité sociale aux travailleurs employés au noir et aux mères de famille célibataires ; elle reconnaît un certain nombre de droits aux peuples indigènes longtemps opprimés ; elle prévoit la possibilité de convoquer un référendum de révocation contre n’importe quel élu, à partir de la mi-mandat, à condition de réunir les signatures de 20 % du corps électoral concerné.

Pour faire face à la fuite des capitaux, Chavez a instauré en 2003 un contrôle des changes. Il a doublé le budget de l’éducation, l’école publique est devenue gratuite et des « écoles et garderies bolivariennes » ont été ouvertes, qui permettent à tous les enfants d’avoir à manger matin, midi et soir et d’apprendre les notions élémentaires. Des locaux de l’armée ont d’abord été utilisés avant que 3 000 écoles ne soient construites. Ces mesures ont permis d’éradiquer l’analphabétisme. Trois nouvelles universités ont été ouvertes, réservées en priorité à des enfants issus des milieux populaires. Un réseau d’épiceries d’État, qui vendent les denrées de base à prix coûtant, a été mis en place. L’accès à la médecine est devenu gratuit pour 60 % de la population ; avec l’aide de médecins cubains, des campagnes de vaccinations dans les quartiers pauvres ont été réalisées et des charters sont organisés vers la Havane pour réaliser des opérations chirurgicales. La mortalité infantile a régressé.

Chavez a en outre accordé aux habitants des favelas la propriété du sol où ils avaient construit leur maison de fortune, engagé des mesures d’accession à la propriété agricole sur des terres appartenant à l’État sur une vaste échelle (130 000 familles concernées en 2003) et 150 000 logements sociaux ont été construits. Il a fait passer une loi pour permettre aux petits pêcheurs de survivre en interdisant aux grandes compagnies de siéger à moins de 10 km des côtes. En 2001, il a fait voter une loi engageant une réforme agraire limitée : après un vaste inventaire, la loi prévoyait de donner à cultiver à des paysans sans terres les sols laissés en jachère par les grands propriétaires et les terres appartenant à l’État, en leur proposant des micro-crédits, en leur louant des machines agricoles, en leur accordant une assistance technique et en les aidant à commercialiser leur production.

Le pouvoir a pris un décret dit de « Solvencia Laboral » qui oblige toute entreprise voulant obtenir une aide de l’État, sous quelque forme que ce soit (prêt, assistance technique, etc.), à prouver qu’elle respecte le droit du travail et les droits syndicaux. Il a instauré un impôt sur les profits des sociétés vénézuéliennes (alors qu’elles avaient l’habitude d’être seulement arrosées de toutes sortes de subventions) et relevé de 17 % à 30 % les taxes sur les sociétés étrangères. Enfin, sous la pression des travailleurs, Chavez a accepté de nationaliser deux entreprises qui avaient été occupées par leurs ouvriers, Venepal et CNV, devenues Invepal et Inveval.

Sur le plan international, Chavez a pris position contre l’occupation impérialiste de l’Irak, contre l’occupation d’Haïti et contre la nouvelle guerre de l’État d’Israël contre le Liban (rappelant son ambassadeur). Il s’oppose à l’ALCA (Accord de Libre Commerce des Amériques, projet de l’impérialisme américain visant à s’ouvrir encore plus les marchés latino-américain) et fait la promotion d’un projet présenté comme alternatif, l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour les Amériques), rejoint par Cuba et la Bolivie. L’ALBA comprend d’une part des accords de coopération : le Venezuela fournit du pétrole à prix préférentiel, Cuba apporte son savoir-faire et ses personnels pour aider au développement dans le domaine de la santé et de l’éducation, la Bolivie garantit les approvisionnements en gaz ; l’accord prévoit d’autre part des avantages douaniers et des investissements libres d’impôts sur les bénéfices. — Enfin, dans ses discours, Chavez parle de la nécessité d’établir un « socialisme du XXIe siècle »...

… mais le capitalisme est maintenu, avec de hauts profits pour les patrons et la bureaucratie d’État, des souffrances et la misère pour les masses exploitées

Mais la coalition de Chavez n’a jamais remis en cause la propriété privée des moyens de production et la libre entreprise, qui sont inscrits dans la « Constitution bolivarienne ». Les 31 familles qui dominent le Venezuela continuent de faire de juteux profits sur le dos de travailleurs surexploités. La politique d’émission des bons du trésor pour couvrir la dette de l’État est la source d’un négoce très lucratif pour les principales banques du pays : les bons sont émis en dollars mais payables en bolivars (la monnaie vénézuélienne) ; les banquiers empochent la différence entre le taux de change officiel et le taux de change réel (2150 bolivars contre 2500 bolivars pour 1 dollar) ; l’État paye la différence.

Le taux de chômage n’a pas régressé, s’établissant autour de 14 % officiellement et près de 20 % selon la C-CURA (Courant de Classe Unitaire Révolutionnaire et Autonome, l’un des deux principaux courants de l’UNT, Union Nationale des Travailleurs, centrale syndicale combative née en 2003). Le pouvoir d’achat moyen a légèrement augmenté, puisque le PIB par habitant en dollars-PPA (à parité de pouvoir d’achat) est passé de 6000 à 6400 entre 2001 et 2006. Mais les travailleurs du Venezuela restent surexploités par les grandes entreprises capitalistes. Ce n’est pas simplement le cas dans les grandes entreprises privées comme les aciéries Sidor, dont la majorité des parts a été vendue par l’État au groupe Techint, mais aussi de la plus grande entreprise capitaliste du pays, la PDVSA, qui appartient à l’État dirigé par Chavez depuis neuf ans. Bien que PDVSA accumule de gigantesques bénéfices, les travailleurs n’ont reçu qu’une augmentation de 3,6 % en mars 2006 (avec effet rétroactif à partir de décembre 2005), mais depuis l’inflation est de 15 % en rythme annuel et de 27 % pour les produits alimentaires (2).

La réforme agraire est d’une ampleur très limitée : si un certain nombre de familles ont pu être installées sur des terres, les grands propriétaires fonciers, s’appuyant sur l’institut chargé des inventaires et sur leurs bandes armées, continuent de bénéficier d’un quasi-monopole : 1 % des propriétaires agricoles continuent de détenir environ 90 % des terres arables.

La nationalisation de Venepal et de CNV a été présentée par Chavez comme des exceptions et non comme un modèle à généraliser, et le système de « cogestion révolutionnaire » n’a pas signifié pour les ouvriers une amélioration, mais une dégradation de leurs conditions d’existence (nous reviendrons ci-dessous sur cette question de la plus haute importance).

Les progrès démocratiques sont limités. Les patrons et leurs agents continuent de réprimer les luttes ouvrières par les licenciements comme par les assassinats, souvent protégés par la bureaucratie de l’État (administration, justice, police), comme c’est encore le cas avec l’assassinat d’un syndicaliste lutte de classe de la construction de l’UNT-Aragua. Plus de 150 paysans sans-terre ont été assassinés par les bandes armées des propriétaires terriens. Si Chavez déclare qu’il faut retrouver et punir les coupables, l’impunité est la règle. C’est même de plus en plus souvent la Garde Nationale, rattachée directement à la présidence, qui réprime les mobilisations ouvrières, comme récemment celle des 8 000 ouvriers grévistes de Sidor. À l’opposé, les auteurs du coup d’État de 2002, parfaitement identifiés, comme Pedro Carmona, dirigeant de Fedecamaras (le Medef vénézuélien), n’ont même pas été inquiétés au nom de la « réconciliation » ; bien évidemment, leurs biens n’ont pas été confisqués au profit de l’État, ce qui aurait été la moindre des choses. Bref, par delà les rodomontades sur la « démocratie participative » (inscrite dans la Constitution), la structure de l’État bourgeois, malgré certaines turbulences, n’a pas été modifiée : il existe toujours une armée, une police, une justice et une administration, distinctes du peuple, qui n’a pas été armé par le gouvernement.

En outre, Chavez continue de payer la dette rubis sur l’ongle à ses créanciers. Elle est passée de 28 milliards de dollars en 1998 à 35 milliards en 2006, soit environ 30 % du PIB ; le paiement des intérêts de la dette coûte chaque année environ 6 milliards de dollars au pays, soit 5 % du PIB — de quoi construire au moins 400 000 logements sociaux (3). Tout en maintenant son projet d’ALBA, Chavez a décidé courant 2005 de rejoindre le Mercosur, accord de libre-échange latino-américain mis en place en 1991 sous la pression des grandes multinationales qui ont des intérêts dans la région (comme Ford, General Motors, Techint, Repsol-YPF, Fiat, les grandes entreprises de l’industrie agroalimentaire, etc.) pour faciliter les déplacements de capitaux, la pénétration des marchés et la concurrence entre les travailleurs des différents pays. Il prétend qu’il s’agirait de transformer de l’intérieur le Mercosur, ce qui est impossible : un accord qui exacerbe la concurrence, laminant les entreprises les plus faibles et exerçant une pression accrue sur les salaires des travailleurs, ne peut être avantageux qu’aux capitalistes les plus puissants et non au prolétariat et aux masses pauvres.

Chavez ne se contente pas de signer des accords techniques avec des firmes impérialistes (ce que l’on ne peut en soi lui reprocher, car même un État ouvrier isolé n’aurait d’autre choix que conclure de tels accords partiels), mais il soutient la politique des dirigeants impérialistes contre les exploités et les opprimés, comme il l’a fait en appuyant la répression par le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy du soulèvement des banlieues de novembre 2005. Selon une dépêche d’AP (Caracas) du 11 novembre 205, Chavez, après s’être entretenu avec de Villepin, « a condamné les violences urbaines des 15 dernières nuits en France et s'est dit solidaire avec le gouvernement français (…) "qui est un gouvernement frère, un ami" ». Les travailleurs et les peuples victimes de l’impérialisme dans le monde entier apprécieront, tout comme les jeunes et les travailleurs de France qui subissent la politique de casse sociale du gouvernement. Plus généralement, Chavez n’hésite pas à soutenir la politique de gouvernements bourgeois contre le prolétariat, si cela lui semble correspondre aux intérêts de l’État vénézuélien : il a par exemple livré du pétrole à l’Équateur en pleine grève des ouvriers de l’industrie pétrolière de ce pays pour une hausse des salaires.

Enfin, le « socialisme du XXIe » dont parle Chavez n’a de socialisme que le nom. Son gouvernement poursuit devant la justice les travailleurs qui occupent des logements vacants sous prétexte que c’est illégal. Chavez lui-même a expliqué que « le gouvernement national ne partage pas la décision adoptée par le maire du district métropolitain de Caraxas [d’exproprier avec indemnité deux terrains de golf dans la ville pour y construire des logements] car il considère qu’elle pourrait affecter les normes constitutionnelles et légales de la République Bolivarienne du Venezuela », bref la propriété privée garantie par la Constitution (communiqué du 30 août 2006).

Analyse de la situation : marxisme ou « théorie des camps » ?

S’il est important d’établir le bilan précis des mesures prises par Chavez (mais aussi de toutes celles qu’il n’a pas prises), on ne peut saisir correctement une situation sans analyser la dynamique des rapports sociaux et politiques entre les classes, dans le contexte de ce pays semi-colonial qu’est le Venezuela.

Continuité de l’État bourgeois et changement de régime

Il faut d’abord dire clairement qu’il n’y a pas eu de révolution au Venezuela : avant Chavez, l’État vénézuélien était le défenseur de la propriété privée ; avec Chavez, il l’est encore : la nature de classe de l’État n’a pas changé, il reste un État bourgeois. Cela ne signifie pas que rien n’ait changé : le passage de la IVe à la Ve République constitue un changement de régime, c’est-à-dire de la forme de domination de la bourgeoisie. Le prolétariat n’est pas indifférent à ce changement, mais il faut l’analyser en termes de classes : il trouve ses origines dans une modification des rapports de force entre les classes sociales, qu’il cristallise en même temps. Le mouvement des prolétaires et semi-prolétaires contre le régime de la IVe République, le Caracazo, soulèvement contre les mesures d’austérité du président Perez (membre de l’Action Démocratique, parti de l’Internationale « socialiste ») avait été écrasé dans le sang et la puissante lutte de classes des années suivantes n’avait pu déboucher sur une révolution prolétarienne. Dans une conjoncture mondiale de reflux pour le mouvement ouvrier et en l’absence de parti révolutionnaire, ce mouvement n’a pas trouvé d’autre expression politique que celle d’un leader tribunicien dénonçant le régime de la IVe République, Chavez.

La soumission du capital vénézuélien au capital financier était telle que le régime corrompu s’était révélé incapable non seulement de satisfaire les aspirations les plus élémentaires des masses, mais aussi de maintenir un minimum de souveraineté nationale du Venezuela face à l’impérialisme. Il ne s’était pas seulement aliéné les travailleurs et les paysans pauvres, mais aussi les couches inférieures de l’appareil d’État bourgeois, les soldats du rang et les officiers subalternes de l’armée en particulier, ainsi qu’une fraction de ses couches supérieures. Pour sa campagne de 1998, Chavez a reçu l’appui de patrons de toutes sortes (assureurs, promoteurs, entreprise de communication, banques espagnoles, etc.). Il n’a pas conquis le pouvoir d’un coup. S’il est devenu président de la République dès 1998, il lui aura fallu environ 5 ans pour stabiliser (relativement) son pouvoir. Il n’a pu le faire qu’en s’appuyant sur la mobilisation des travailleurs contre l’impérialisme et la bourgeoisie vénézuélienne : cela a supposé d’accorder certaines concessions matérielles aux travailleurs et de les encourager à s’organiser.

Mais peu à peu les rapports se sont inversés. C’est l’initiative spontanée des masses qui a mis en échec, le 13 avril 2002, le coup d’État pro-impérialiste et pro-patronal (organisé conjointement par la CIA, Fedecamaras et la direction de la CTV, qui était à l’époque la centrale syndicale du Venezuela) et redonné à Chavez son siège de président. Or ce dernier, au lieu de s’appuyer sur ce mouvement pour affaiblir la bourgeoisie, par exemple en faisant juger les auteurs du coup d’État et en les expropriant, a prôné la « réconciliation nationale ». De même, face au lock-out organisé par l’opposition pour faire tomber Chavez en bloquant PDVSA et les grandes entreprises du pays (les patrons payaient les travailleurs pour qu’ils restent chez eux) en décembre 2002-janvier 2003, c’est le prolétariat qui a infligé une nouvelle défaite à la bourgeoisie, les ouvriers de PDVSA remettant l’entreprise en marche. D’un côté, Chavez a licencié à juste titre 18 000 jaunes de PDVSA qui avaient participé au lock-out patronal, affermissant ainsi du même coup son emprise sur l’entreprise; de l’autre, il a organisé la normalisation en faisant peu à peu disparaître le contrôle ouvrier à PDVSA pour revenir au fonctionnement normal d’une entreprise capitaliste, en expliquant qu’une entreprise d’intérêt stratégique pour la nation ne pouvait être gérée par ses ouvriers : il est ainsi parvenu à transformer une victoire ouvrière en instrument du renforcement de son propre pouvoir..

Ces deux succès (mises en échec du coup d’État et du lock-out patronal) renforçaient considérablement le prolétariat et menaçaient donc de rompre l’équilibre relativement fragile sur lequel reposait le pouvoir de Chavez. Ces premières interventions du prolétariat depuis 1998 dans la lutte politique avec ses propres méthodes ont donné naissance à une nouvelle centrale ouvrière, l’UNT, qui regroupe environ un million de travailleurs dans de multiples syndicats d’entreprises, avec un courant de classe a une forte influence (la C-CURA, Courant de Classe Unitaire Révolutionnaire et Autonome). Cependant le mouvement ouvrier, tout en se forgeant une nouvelle organisation, reste encore politiquement subordonné à Chavez.

Le bonapartisme chaviste

D’un point de vue marxiste, l’actuel régime vénézuélien est une forme de bonapartisme. Sous la pression de la lutte de classe du prolétariat et des masses opprimées, la bourgeoisie vénézuélienne doit tolérer au-dessus d’elle le commandement d’un « sauveur », Chavez, qui arbitre les conflits de classes, tantôt accordant des concessions au prolétariat et aux masses opprimés, ce qui suppose une lutte partielle contre l’impérialisme et la bourgeoisie, tantôt faisant des concessions à la bourgeoisie, ce qui suppose de freiner la lutte prolétarienne et des masses. La Constitution « bolivarienne » reflète le caractère bonapartiste du régime en donnant des pouvoirs considérables au président, qui peut, après accord du Parlement, légiférer dans tous les domaines. Chavez a d’ailleurs annoncé son intention d’organiser un référendum à mi-mandat pour une révision de la Constitution qui renforcerait encore son caractère bonapartiste : il souhaite supprimer la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels pour une même personne, afin de pouvoir à nouveau briguer lui-même la magistrature suprême en 2013, 2019, etc.

Cependant, il n’en reste pas moins que l’apparition même de ce type de gouvernement bonapartiste et toutes les mobilisations depuis plusieurs années montrent que la situation est pré-révolutionnaire. Que manque-t-il pour qu’elle devienne réellement révolutionnaire ?

Le prolétariat entre renforcement et subordination à Chavez

L’UNT, une centrale syndicale ouvrière sans tête

Le mouvement ouvrier a fait un pas important en constituant, dans son mouvement de lutte contre le lock-out patronal et dans l’expérience du contrôle ouvrier à PDVSA, une nouvelle centrale syndicale fondée sur des bases combatives, l’UNT (Union Nationale des Travailleurs). Lors de la réunion nationale de fondation qui a eu lieu en août 2003, un programme avancé a été adopté, incluant les points suivants : nationalisation des banques, prise en main des entreprises qui ont participé à l’interruption de la production de décembre 2002, refus du paiement de la dette extérieure et utilisation de ces fonds pour créer des emplois, réduction de la semaine de travail à 36 heures, création de nouvelles entreprises contrôlées par les travailleurs, opposition aux privatisations, création de comités de chômeurs, réforme de la loi sur le travail avec des punitions plus importantes dans les cas de licenciement abusif, accélération du processus de réembauche des employés injustement licenciés, etc. Aujourd’hui, l’UNT regroupe plus d’un million de travailleurs dans des syndicats de base. Mais ce processus de constitution n’a pu malheureusement être achevé. Formée d’abord comme une coordination par divers courants combatifs, l’UNT devait élire l’année suivante une direction. Mais cette élection n’a jamais pu avoir lieu. Par delà les péripéties, quelles en sont les raisons politiques de fond ? C’est non seulement la bourgeoisie qui avait intérêt à ce que l’UNT soit un corps sans tête, mais bien évidemment Chavez lui-même, dont le pouvoir repose sur l’équilibre relatif entre les classes et est donc terriblement menacé par la constitution de l’UNT comme une authentique centrale syndicale de classe, permettant au prolétariat de se dresser comme un acteur indépendant. En effet, comme l’écrit Trotsky, « à l'époque actuelle, les syndicats ne peuvent pas être de simples organes de la démocratie comme à l'époque du capitalisme libre-échangiste, et ils ne peuvent pas rester plus longtemps politiquement neutres, c'est-à-dire se limiter à la défense des intérêts quotidiens de la classe ouvrière. (…). Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat. » (Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste.)

Le courant politique « bolivarien », « chaviste », a donc combattu contre l’élection d’une direction nationale de l’UNT qui aurait dressé face à la bourgeoisie et à l’État le colosse prolétarien. Force est de constater qu’ils ont provisoirement gagné : le congrès réuni d’abord en mars 2005, puis re-convoqué en mai de la même année, n’a pas pu parvenir à élire une direction. Les partisans du courant chaviste, dirigé par Marcela Maspero, ont combattu pour que le congrès prenne comme première décision de soutenir la réélection de Chavez, autrement dit pour subordonner le prolétariat au bonaparte. Certes, ils ont été mis en minorité sur ce point par l’autre principal courant, la C-CURA, courant lutte de classe dirigé par le Parti Révolution et Socialisme, PRS (4). Mais ils ont réussi à briser le congrès : ils l’ont quitté, en dénonçant des manœuvres bureaucratiques, etc., et, dans ces conditions, de nombreux délégués de base qui n’appartenaient à aucun des deux principaux courants organisés et qui y ont vu une querelle d’appareils, ont eux aussi quitté le congrès.

De son côté, sous la pression du régime bonapartiste et de ses relais dans le mouvement ouvrier, la C-CURA s’est montrée incapable de donner une orientation réellement indépendante à l’UNT, malgré ses principes d’indépendance de classe. Certes, ce courant avait compris l’enjeu de doter l’UNT d’une direction nationale, centralisant la classe. Mais, d’une part, tout en donnant formellement la priorité à l’élaboration d’un programme de revendications ouvrières, la C-CURA a finalement pris position pour le vote Chavez, subordonnant le prolétariat à ce prétendu « sauveur ». De l’autre, elle tend à se cantonner sur un terrain simplement revendicatif, tout à fait insuffisant dans les conditions actuelles.

Chavez a donc remporté une bataille : non seulement l’UNT reste sans direction, mais en outre elle lui est pour le moment politiquement subordonnée. En fait, l’encouragement relatif de Chavez au mouvement ouvrier et son soutien matériel est à la fois le reflet de ses propres besoins dans la lutte contre l’impérialisme et la grande bourgeoisie et la forme que prend actuellement sa façon de domestiquer le prolétariat. Mais, face à une centrale syndicale révolutionnaire, il ne fait pas de doute que l’attitude de Chavez changerait, car le problème du pouvoir serait clairement posé. Un des nœuds de la situation se trouve précisément dans la constitution effective d’une telle centrale syndicale constituant le prolétariat en un acteur autonome de la lutte de classe.

La tendance au contrôle ouvrier, les occupations d’usine et la « cogestion révolutionnaire »

Un autre aspect essentiel de la lutte de classe prolétarienne est la tendance au contrôle ouvrier, même si elle est partielle et atomisée. Nous avons vu que, pendant la lutte contre le lock-out patronal fin 2002, le contrôle ouvrier a été établi à PDVSA, mais le pouvoir a pu ensuite y rétablir peu à peu le fonctionnement normal d’une entreprise capitaliste. Depuis, face aux fermetures d’entreprises, deux usines ont été occupées par les travailleurs, Venepal et CNV, à l’initiative de militants de la TMI (5). La production y a été relancée par les travailleurs. Puis, par leur lutte, ils ont obtenu de Chavez la nationalisation des deux entreprises. Mais le gouvernement a imposé de le faire sous la forme de la « cogestion révolutionnaire » (l’expression est de Chavez) : 51 % du capital à l’État, 49 % aux travailleurs — division en fait purement formelle, car concrètement l’État a avancé l’argent que les travailleurs étaient supposés investir. L’entreprise a donc, juridiquement parlant, la forme d’une coopérative entre l’État et les travailleurs. Elle est gérée par cinq administrateurs, trois nommés par l’État et deux par les ouvriers ; Chavez a personnellement insisté pour que le directeur soit un des deux délégués ouvriers. Le système de la « cogestion révolutionnaire » est en voie d’extension à d’autres usines, comme Sideroca, Prombasa et la Tomatera Caigua ; il a été mis en place à ALCASA, une entreprise de 2000 travailleurs dont le capital appartient entièrement à l’État, et à Invetex, où le capital est détenu à 51 % par l’État et à 49 % par le groupe capitaliste Mishikin.

La tendance, encore très limitée, des ouvriers à occuper les usines, à les remettre en marche et à exiger leur nationalisation est en elle-même progressiste, parce qu’elle porte atteinte à la propriété capitaliste, pose la question de savoir qui doit diriger l’usine et plus profondément qui gouverne dans le pays. Comme l’écrit Trotsky dans le Programme de transition, « les grèves avec occupation des usines, une des plus récentes manifestations de cette initiative, sortent des limites du régime capitaliste "normal". Indépendamment des revendications des grévistes, l'occupation temporaire des entreprises porte un coup à l'idole de la propriété capitaliste. Toute grève avec occupation pose dans la pratique la question de savoir qui est le maître dans l'usine : le capitalisme ou les ouvriers (…) Dès que le comité fait son apparition, il s'établit en fait une dualité de pouvoir dans l'usine. Par son essence même, cette dualité de pouvoir est quelque chose de transitoire, car elle renferme en elle-même deux régimes inconciliables : le régime capitaliste et le régime prolétarien. L'importance principale des comités d'usine consiste précisément en ce qu'ils ouvrent, sinon une période directement révolutionnaire, du moins une période pré-révolutionnaire, entre le régime bourgeois et le régime prolétarien. »

Or la « cogestion » imposée par Chavez s’oppose à la tendance révolutionnaire du prolétariat : alors que le mouvement des ouvriers cherche la voie du socialisme, Chavez les conduit sur le chemin de la coopérative au milieu du marché capitaliste, qui ne peut conduire à terme qu’au rétablissement des rapports « normaux » de production dans l’usine. C’est pourquoi l’occupation des usines, le contrôle ouvrier et les coopératives posent directement la question de la conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Marx expliquait dès 1864, à propos des coopératives ouvrières : « La valeur de ces grandes expériences sociales ne saurait être surfaite. Elles ont montré par des faits, non plus par de simples arguments, que la production sur une grande échelle et au niveau des exigences de la science moderne pouvait se passer d'une classe de patrons employant une classe de salariés; elles ont montré qu'il n'était pas nécessaire pour le succès de la production que l'instrument de travail fût monopolisé et servît d'instrument de domination et d'extorsion contre le travailleur lui-même ; elles ont montré que comme le travail esclave, comme le travail serf, le travail salarié n'était qu'une forme transitoire et inférieure, destinée à disparaître devant le travail associé exécuté avec entrain, dans la joie et le bon vouloir. (…) En même temps, l'expérience de cette période (1848-1864) a prouvé jusqu'à l'évidence que, si excellent qu'il fût en principe, si utile qu'il se montrât dans l'application, le travail coopératif, limité étroitement aux efforts accidentels et particuliers des ouvriers, ne pourra jamais arrêter le développement, en proportion géométrique, du monopole, ni affranchir les masses, ni même alléger un tant soit peu le fardeau de leurs misères. (…) Pour affranchir les masses travailleuses, la coopération doit atteindre un développement national et, par conséquent, être soutenue et propagée par des moyens nationaux. Mais les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs privilèges économiques. (…) La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière » (Adresse inaugurale de l’Association Internationale des Travailleurs, Ière Internationale).

Les élections et la politique des trotskystes

Mettre en avant un programme transitoire vers le gouvernement ouvrier et paysan

Au cours des dernières années, les masses exploitées et opprimées du Venezuela ont fait preuve d’une énergie révolutionnaire et d’une activité remarquables. L’incapacité même de Chavez à satisfaire les demandes des exploités et des opprimés, parce qu’il refuse de rompre avec l’impérialisme et la bourgeoisie, est un puissant facteur de radicalisation des masses, tout comme la menace du retour des politiciens honnis de l’ancien régime. Ce qui manque au prolétariat et aux opprimés, ce n’est donc pas la spontanéité révolutionnaire, c’est un programme sérieux de revendications transitoires partant de leur conscience actuelle pour les aider à s’orienter vers la prise du pouvoir, seule capable de satisfaire réellement leurs revendications et aspirations. Cela revient à dire qu’il leur manque d’abord et avant tout un parti authentiquement marxiste.

Les grandes lignes d’un programme transitoire pour le Venezuela pourraient être :

a) Non au paiement de la dette ! Les 6 milliards de dollars payés chaque année au capital financier doivent enfin être utilisés pour construire des usines, investir dans l’agriculture, construire des logements, des hôpitaux, des écoles, etc.

b) Rétablissement du contrôle ouvrier à PDVSA ! Les profits de PDVSA doivent servir à développer l’économie pour satisfaire les besoins des travailleurs, non à engraisser quelques centaines de parasites !

c) Agitation massive pour l’occupation des usines. Il faut inciter et aider les ouvriers, chaque fois que la situation le permet, à occuper leurs usines (entreprises abandonnées par son patron, grèves massives, etc.). Contre le piège de la « cogestion révolutionnaire », il faut exiger la nationalisation sans indemnités ni rachat sous contrôle ouvrier ;

d) Assez des profits faits par les banques sur le dos des travailleurs ! Nationalisation sans indemnité ni rachat, sous contrôle des travailleurs, de toutes les banques du pays et unification en une seule banque !

e) Expropriation et nationalisation des grands propriétés terriennes ! Culture des grands domaines sous contrôle des paysans avec du matériel moderne et mise en culture des terres encore laissées en jachère ! Les prolétaires doivent proposer aux paysans de travailler sur ces grands domaines nationalisés sous leur propre contrôle, en faisant tout leur possible pour les convaincre que c’est la solution la plus rationnelle pour nourrir le peuple, grâce aux instruments agricoles modernes ; en même temps, pour réaliser l’union indéfectible des paysans avec le prolétariat, ils reconnaissent le droit pour les petits paysans et les paysans sans-terre spoliés, pillés et exploités par les grands propriétaires depuis plusieurs générations, d’obtenir s’ils le souhaitent une terre à titre privé, pour nourrir leur famille. Il faut mettre un terme au scandale du fait que de très nombreuses familles n’aient toujours pas à manger à leur faim après neuf ans de gouvernement Chavez !

f) Contrôle ouvrier et populaire sur les prix pour lutter efficacement contre l’érosion du pouvoir d’achat ! L’État chaviste a prouvé son incapacité à accomplir cette tâche, les travailleurs doivent l’imposer eux-mêmes.

g) Plan public de construction de 3 millions de logements, sous le contrôle des travailleurs de la construction et des associations de quartiers, pour loger décemment tous les travailleurs ! Pour réaliser cet objectif, on ne peut pas compter sur Chavez, dont le gouvernement n’a construit que 170 000 logements entre 1999 et 2006 ; c’est aux masses de l’imposer par leur mobilisation et leur organisation.

h) Formation d’organisations d’autodéfense ouvrières et paysannes contre les bandes armées des patrons et des grands propriétaires. Corrélativement, les marxistes doivent s’efforcer de développer leur propagande et agitation dans l’armée, d’organiser des comités de soldats, de les lier aux organes d’auto-organisation des masses.

i) Assez du pouvoir des 31 familles ! Assez de l’État bureaucratique ! Pour un gouvernement des ouvriers et des paysans, seul à même de rompre réellement avec le capitalisme ! Ce ne sont pas seulement les lourdeurs de la bureaucratie qui expliquent tous les problèmes non résolus, mais c’est le maintien même de cette bureaucratie constitutive de l’État bourgeois, et c’est le programme politique de Chavez, expression des intérêts sociaux de cette caste de privilégiés qui refuse de rompre réellement avec l’impérialisme et la propriété privée !

Dans l’agitation pour ces revendications et perspectives, les communistes révolutionnaires internationalistes doivent s’appuyer sur l’expérience de neuf ans de pouvoir chaviste afin d’aider les masses à comprendre qu’elles ne sauraient en aucun cas compter sur Chavez pour réaliser ce programme. Il faut aussi mener un combat acharné pour que ce programme de transition devienne celui de l’UNT, de même que les trotskystes boliviens avaient justement bataillé pour faire adopter les thèses de Pulacayo par la fédération des mineurs en 1947. Et il faut se battre pour le soutien et la collaboration des prolétaires et des peuples des autres pays, dans la perspective des États-Unis socialistes d’Amérique Latine.

La nécessité de candidatures ouvrières indépendantes et le piège du « Chavez ou Bush »

Pour les élections présidentielle et législative du 4 décembre, les communistes révolutionnaires internationalistes auraient dû lutter, à partir d’une bataille dans l’UNT pour le programme transitoire, pour des candidats ouvriers indépendants défendant ouvertement ce programme. Il devrait être hors de question de céder à la pression exercée par Chavez et ses relais dans le mouvement ouvrier selon le leitmotiv « qui n’est pas pour Chavez est pour Bush », slogan typiquement anti-démocratique dont la fonction politique est en l’occurrence d’étouffer toute expression indépendante du mouvement ouvrier. C’est en son fond le même argument que celui resservi d’élections en élections par les PC du monde entier : ne pas voter pour la « gauche » bourgeoise, c’est soutenir la droite. C’est aussi l’argument tout récemment utilisé par les députés et sénateurs de l’organisation-sœur de la LCR en Italie pour voter les crédits de guerre : ils prétendent se justifier en affirmant qu’ils auraient fait tomber le gouvernement bourgeois de Prodi s’ils avaient refusé et donc favorisé le retour de Berlusconi (6). Cette question n’est pas vénézuélienne : c’est la question, vitale entre toutes, de l’indépendance politique du prolétariat partout dans le monde.

Au Venezuela, en l’absence de candidats de partis ouvriers aux élections du 4 décembre, le prolétariat et les paysans sont pris au piège électoral. De fait, la majorité des opprimés voteront Chavez à la présidentielle et, aux législatives, pour les partis qui le soutiennent. Mais ils ne le feront pas nécessairement avec enthousiasme. Lors des élections de 2004, d’où l’opposition s’était retirée pour éviter une cuisante défaite, le taux de participation avait chuté pour n’atteindre que 25 %. S’ils soutiennent encore Chavez lui-même, les travailleurs et le peuple se méfient des partis de la coalition « bolivarienne ». Les communistes révolutionnaires doivent avant tout appuyer leur défiance, profiter de la campagne pour populariser leur programme, expliquer aux travailleurs et aux paysans pauvres qu’ils sont les seuls à pouvoir réaliser leur propre programme par la lutte de classe directe.

Pour les élections législatives, les communistes révolutionnaires doivent appeler à voter de façon critique pour les candidats présentés par la coalition électorale de la C-CURA et de l’UPV (Union Populaire Vénézuélienne, qui est un parti chaviste), pour essayer de faire élire au Parlement des représentants ouvriers, même centristes. Le choix de la C-CURA de former une alliance électorale avec l’UPV, dont les perspectives propres ne dépassent pas le cadre du capitalisme, est cependant une entorse à la ligne d’indépendance de classe. Si le texte de l’accord, quant à lui, contient des positions de classe sur les problèmes généraux (propriété collective des moyens de production, expropriation des grands propriétaires terriens, plan de construction de logements, hausse de salaire, dans la perspective de construire un nouvel État, prise de position pour un « Venezuela socialiste, sans patrons ni corrompus »), il est ambigu sur des questions concrètes importantes (par exemple, il se borne à mentionner le paiement de la dette comme une question devant être débattue publiquement, sans se prononcer pour son non-paiement, mesure anti-impérialiste essentielle). En ce sens, la C-CURA commet la grave erreur de faire croire aux travailleurs que l’UPV serait authentiquement socialiste et révolutionnaire, alors que ce n’est pas le cas. Le slogan favori de l’UPV est : « Avec Chavez tout ! Sans Chavez rien ! », et sa principale dirigeante, Lina Ron, est connue pour protéger le palais présidentiel de Miraflores de toute manifestation, même ouvrière. Le but des communistes révolutionnaires dans les élections n’est pas avant tout de faire un maximum de voix ou d’obtenir des élus, mais de populariser leur programme en toute indépendance.

Pour l’élections présidentielle (qui comporte un seul tour, le candidat élu étant celui qui obtient le majorité, même si elle est relative), les communistes révolutionnaires ne peuvent pas participer à l’opération plébiscitaire organisée par Chavez et l’appareil d’État. Même si lui-même et ses partisans essaient de faire croire le contraire, répandant à nouveau des rumeurs sur un possible coup d’État et la menace du retour de l’ancien régime, Chavez est en réalité assuré de sa réélection, car les masses ne veulent pas revenir en arrière, comme le leur propose le candidat de l’opposition et de l’impérialisme, Rosales, gouverneur de l’État de Zulia, principale région pétrolière. Il s’agit en fait, pour Chavez et les siens, de maintenir la subordination du mouvement ouvrier à l’État bolivarien et d’obtenir une relégitimation de la figure providentielle. Dans ces conditions, il est du devoir des marxistes de dire ouvertement aux ouvriers que Chavez n’est pas leur candidat : il a prouvé en neuf ans de pouvoir que sa politique ne permet pas de changer radicalement la vie des millions de travailleurs et de paysans pauvres, parce qu’il refuse de rompre avec l’impérialisme et la grande bourgeoisie.

En même temps, les communistes révolutionnaires expliquent qu’ils pourraient, dans une autre situation, intervenir avec une tactique différente. Par exemple, si Chavez était menacé d’être battu par le candidat bourgeois pro-impérialiste, sans pour autant que l’existence d’un mouvement ouvrier puissant et révolutionnaire mette à l’ordre jour le combat immédiat pour les soviets, les communistes révolutionnaires pourraient décider, après avoir mené campagne sur leur propre programme, de retirer sous certaines conditions leur propre candidat pour faire battre le candidat de la grande bourgeoisie et de l’impérialisme. Mais il s’agirait d’une simple décision pratique dans le cadre de la tactique de front unique anti-impérialiste, destinée à maintenir la situation la plus favorable au prolétariat pour mener sa lutte : les communistes révolutionnaires ne cesseraient nullement de défendre leur programme, de critiquer Chavez et d’expliquer qu’on ne peut aller au socialisme sans rompre avec lui et sans détruire l’État bourgeois vénézuélien avec ses troupes de choc et sa bureaucratie anti-ouvrière corrompue, camouflée actuellement sous un masque « bolivarien ».

Du reste, le prolétariat a été à l’avant-garde de la lutte contre les tentatives de coup d’État provenant de l’impérialisme et de la grande bourgeoisie, comme en avril 2002, décembre-janvier 2003 et août 2004. Rappelons d’ailleurs que, loin de tout gauchisme, le Groupe CRI s’est clairement prononcé pour le NON au référendum révocatoire contre Chavez organisé en août 2004 sous la pression de l’impérialisme et de la grande bourgeoisie. Aujourd’hui, en revanche, Chavez n’est pas immédiatement menacé d’être renversé à l’occasion de ces élections, organisées selon le calendrier électoral normal et à l’occasion desquelles le président sortant veut faire plébisciter sa politique. Mais les expériences de 2002, 2003 et 2004 ont justement prouvé que seul le mouvement ouvrier est vraiment en mesure de barrer la route au retour à la IVe République. Seuls son renforcement, son indépendance et l’acquisition d’un véritable programme communiste révolutionnaire peuvent assurer la victoire sur l’impérialisme et la bourgeoisie, c’est-à-dire permettre d’en finir avec le chômage, la pauvreté et l’oppression, en balayant la vieille machine bureaucratique de l’État bourgeois vénézuélien et en construisant un État des ouvriers et des paysans, s’appuyant sur le soutien des exploités et des opprimés de l’Amérique latine et du monde entier.


1) Cf. notre article dans Le CRI des travailleurs n° 14 (septembre-octobre 2004).

2) Source : entretien de José Bodas, secrétaire général de FEDEPETROL-Anzoategui, syndicat affilié à l’UNT, dans Opcion Socialista, mensuel du PRS.

3) Cf. http://www.awex.be/awex/FR/Principal/2InfosMarches/1FichesPays/VE/ et un article de Nacho Silva - Cesar Neto publié sur ARGENPRESS.info le 10/09/2006 : http://www.argenpress.info/nota.asp?num=034220.

4) Ce petit parti regroupe le meilleur des militants de classe vénézuéliens. Il comprend plusieurs tendances et est dirigé par un courant d’origine « moréniste », qui n’est pas formellement rattaché à une Internationale, malgré des liens étroits avec l’une des branches issues de l’explosion du MST argentin (le MST-Unité).

5) Cf. sur ce point, l’intéressant document de la TMI, Les entreprises en cogestion et occupées au Venezuela, la lutte pour le contrôle ouvrier et le socialisme, en espagnol, par Yonie Moreno et William Sanabria, publié le 1er mai 2006.

6) Nous reviendrons sur cette trahison dans un prochain numéro.