Article du CRI des Travailleurs n°2

Comment arrêter la guerre contre l'Irak ?
Les travailleurs ne peuvent compter que sur leur mobilisation indépendante contre l'impérialisme : ni sur l'ONU, ni sur Chirac

Hypocrisie des médias bourgeois

Les médias bourgeois de ce pays n’ont décidément pas peur du ridicule. Il y avait déjà longtemps que, sur les questions internationales en particulier, ils étaient devenus parmi les médias les plus ostensiblement serviles des pays « démocratiques » à l’égard de leur propre gouvernement. De fait, depuis la première guerre du Golfe en 1991 jusqu’à l’intervention contre le peuple afghan à l’automne 2001, en passant notamment par les bombardements contre les Yougoslaves en 1999 et toute une série d’opérations plus ou moins permanentes en Afrique, les grands médias officiels de ce pays nous avaient toujours habitués à une unanimité sans faille pour soutenir toutes les guerres menées par l’impérialisme français (que le gouvernement soit de droite ou de gauche), rivalisant alors d’arguties « juridiques » et « humanitaires » pour justifier les interventions les plus iniques contre les droits des peuples et les massacres les plus barbares de civils innocents.

Or les voilà soudain métamorphosés depuis quelques semaines (mais pour combien de jours encore ?) en partisans de la « paix », en « opposants » aux méchants Américains qui veulent bombarder l’Irak sans la caution de l’O.N.U. ! La valetaille médiatique serait-elle devenue indépendante à l’égard des puissants de ce monde et de la « pensée unique » de l’impérialisme, aurait-elle acquis du moins un esprit critique qu’on ne lui connaissait pas ? Hélas ! Nos soi-disant blanches colombes restent avant tout les vulgaires poulets clônés qui se contentent de suivre de leurs caquets monocordes et autres cocoricos l’orientation théâtralement affichée par Chirac au nom des intérêts propres de l’impérialisme français (et il est à parier qu’une orientation opposée du président n’eût guère diminué la taille de son poulailler) ; ce même Chirac que ces mêmes médias nous avaient présenté en mai dernier comme le sauveur de la démocratie, et dont ils font aujourd’hui, sans rire, le chef de file international des partisans de la paix, voire… l’organisateur en chef des manifestations gigantesques qui ont déferlé dans le monde entier le 15 février ! On comprend l’indignation bruyante de nos médias de basse-cour lorsque leur glorieux coq gaulois s’est fait traiter de ver de terre par un méchant journal britannique qui, quant à lui, a au moins le mérite de rester cohérent et fidèle à la position violemment va-t-en guerre qui a toujours été la sienne…

Nous ne pouvons pas compter sur le gouvernement français

Mais il ne faudrait pas nous prendre pour des pigeons. Les travailleurs et les jeunes ne doivent pas s’y tromper : ni le gouvernement français, ni les médias bourgeois à son service ne cessent d’être des fauteurs de guerre, de compter parmi les principaux ennemis du peuple irakien, et d’être les principaux ennemis que le prolétariat et la jeunesse ont à combattre en France. Non seulement ils restent ouvertement impérialistes et partisans des opérations militaires dès qu’il s’agit de la Côte d’Ivoire et des anciennes colonies africaines occupées depuis 120 ans par les troupes françaises meurtrières, pour mieux assurer le pillage des peuples-martyrs de ce continent  ; mais en outre, tous sont d’accord, dans le cadre de la tout aussi sanguinaire O.N.U., pour exiger le « désarmement de l’Irak », pour menacer ce pays de représeailles militaires s’il n’accepte pas le viol incessant de sa souveraineté nationale par les voyous de l’O.N.U., pour empêcher ce pays de vendre les richesses qu’il produit, pour resserrer l’embargo renouvelé chaque année par l’O.N.U. (dont la France), cette arme de destruction massive qui a fait depuis près de douze ans plus de morts, en particulier parmi les enfants, que n’en a faits, par exemple, la Seconde Guerre mondiale en France ou la totalité des guerres auxquelles les États-Unis ont participé depuis qu’ils existent. Gouvernement et médias français sont d’accord aussi pour mettre en place à court terme un protectorat sur l’Irak et un plan de partition de ce pays, au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, du droit des peuples à faire leur propre expérience de la lutte politique, et à chasser eux-mêmes les dictateurs qui, tels Saddam Hussein, ont été mis en place et armés par les mêmes puissances impérialistes, et avec le soutien de la même O.N.U., qui veulent aujourd’hui s’en débarrasser.

Il est donc évident que le prolétariat et la jeunesse ne peuvent pas compter sur le gouvernement français, ni pour empêcher Bush de déclencher la guerre (la décision américaine est de toute façon déjà prise), ni pour mettre en place un véritable droit international (le prétendu « droit international » n’est qu’une mascarade hypocrite pour justifier les opérations impérialistes, l’institution d’un véritable droit international suppose une rupture radicale avec l’impérialisme, la construction d’un société socialiste à l’échelle mondiale), ni pour organiser une quelconque résistance à la guerre contre l’Irak.

Le dilemme impérialiste de Chirac : veto ou pas veto ?

D’ailleurs, nul ne sait, à l’heure où ces lignes sont écrites, si Chirac utilisera ou non son droit de veto impérialiste au Conseil d’insécurité de la prétendue O.N.U. (repère mal famé où certains gros brigands ont plus de droits que les autres, sous prétexte qu’ils ont gagné une guerre il y a près de soixante ans, de Gaulle ayant réussi alors à s’imposer dans la cour des grands grâce aux Britanniques soucieux d’aider l’État français à se relever pour assurer ses responsabilités impérialistes en Europe et dans les pays coloniaux). Le dilemme de l’impérialisme français est le suivant :

• Ou bien Chirac met son veto, ce qui présente manifestement pour lui deux avantages importants à long terme, mais un inconvénient énorme dans l’immédiat : d’une part, la France en retirerait de probables bénéfices diplomatiques et impérialistes (relations avec les pays arabes et musulmans ou certaines de leurs couches dirigeantes, renforcement de l’axe Paris-Berlin indispensable à la mise en place de la future constitution européenne destinée à rendre l’Union européenne plus puissante malgré ses divisions, c’est-à-dire à rendre les entreprises européennes plus compétitives sur le marché mondial, ce qui suppose de nouveaux instruments politiques et juridiques, voire policiers et militaires, pour des actions communes en interne et à l’extérieur) ; d’autre part, Chirac en sortirait renforcé sur le plan national, car cela lui permettrait de manipuler l’opinion publique massivement anti-guerre, et de relancer en particulier l’union sacrée lamentable scellée depuis le printemps 2002 avec la gauche plurielle (voire une partie de « l’extême-gauche »), pour mener à bien l’ensemble des contre-réformes réactionnaires — donc socialement dangereuses — prévues par le gouvernement Raffarin contre les travailleurs et la jeunesse. Mais dans ce cas, l’inconvénient serait énorme et immédiat : malgré un veto français, l’intervention contre l’Irak aurait lieu, et les Américains, diplomatiquement affaiblis faute d’une caution de l’O.N.U.,, se vengeraient en excluant complètement la France du partage du gateau irakien, qui est extrêmement appétissant aussi bien sur le court terme que, surtout, pour les années à venir (pétrole, contrats pour la reconstruction, occupation de l’Irak, emplacement géo-stratégique décisif) ;

• Ou bien Chirac ne met pas son veto, et alors il aurait le droit de participer au partage du butin irakien : même s’il ne peut de toute façon espérer qu’une petite part, elle ne serait nullement négligeable, notamment pour le long terme, car les Américains ont besoin de forces militaires et politiques supplétives pour exercer leur propre protectorat sur un nombre croissant de régions stratégiques du monde. Mais dans ce cas, non seulement Chirac se discréditerait sur la scène internationale (car toute une partie de l’opinion publique se fait des illusions sur sa détermination actuelle à prôner la « paix »), mais encore il décrédibiliserait la constitution d’une Europe politique fondée sur l’axe Paris-Berlin, aux dépens des besoins généraux et à long terme de l’impérialisme français ; par ailleurs, sur le plan national, il prendrait alors le risque de susciter un mécontentement d’autant plus grand que le battage médiatique actuel présente « le Chi » comme un partisan de la paix, faisant croire à une certaine importance de la France au niveau international : la douche froide qu’une volte-face trop pitoyable de Chirac représenterait pour une partie de l’opinion qui se fait aujourd’hui des illusions ferait voler en éclats l’union sacrée (malgré les efforts du PS, du PCF et des dirigeants syndicaux pour la maintenir comme ils l’ont fait depuis le mois de mai), ce qui rendrait la situation sociale extrêmement périlleuse pour mettre en place les contre-réformes de Raffarin.

Pour l’indépendance de classe

Quelle doit être la position des communistes révolutionnaires internationalistes ? Il est bien évidemment hors de question d’entrer dans ce dilemme impérialiste du veto. Quelle que soit la décision de Chirac, nous ne sommes pas pour un quelconque renforcement de l’impérialisme français, qu’il passe par des opérations militaires ou par des opérations diplomatiques. Au contraire, nous devons dénoncer toutes ces opérations pour ce qu’elles sont : qu’elles soient diplomatiques, stratégiques ou militaires, les opérations de l’impérialisme français partout dans le monde n’ont jamais pour but la paix et le bien-être des peuples, mais toujours la préservation de l’ordre néo-colonial, l’exploitation et le pillage des peuples, le soutien aux pires dictateurs et aux multinationales néo-esclavagistes. Le prolétariat et la jeunesse doivent donc se mobiliser pour saper, par leur lutte de classe, l’ensemble de la politique de Chirac, aussi bien sa politique internationale impérialiste que sa politique intérieure réactionnaire. Concrètement, cela signifie que, pour lutter contre la guerre aujourd’hui, les communistes révolutionnaires internationalistes doivent aider le prolétariat et la jeunesse à combiner leurs luttes dans les trois directions suivantes :

1) Contre la guerre, pour la défense de l’Irak, ouvrons la perspective de la grève générale

Aujourd’hui, lutter contre la guerre, c’est défendre l’Irak face à l’agression impérialiste US et face à l’O.N.U., c’est défendre le droit de l’Irak à l’indépendance et à la souveraineté nationale pleine et entière (incluant le droit du peuple kurde opprimé à l’auto-détermination), c’est clamer haut et fort le droit de l’Irak à se défendre par tous les moyens. Nous approuvons et soutenons toutes les opérations militaires défensives de l’armée irakienne, qui lui sont imposées par l’agression impérialiste ; par principe, nous sommes pour l’enlisement et la défaite de l’intervention militaire US en Irak, et pour saper l’effort de guerre de tous les pays qui participent à l’opération ou qui soutiennent ses objectifs. Nous soutenons toutes les actions pouvant entraver l’effort de guerre impérialiste. Comme nous l’écrivions dans ces colonnes le mois dernier, nous nous battons pour que, partout où c’est possible, le combat unitaire contre la guerre pose la question de la grève générale, seule à même d’arrêter réellement l’agression impérialiste. Cette question est posée avant tout dans les pays qui interviennent militairement contre l’Irak, directement ou indirectement (rappelons d’ailleurs que, en ce qui concerne la France, elle a voté la résolution 1441 de l’O.N.U. qui permet de déclencher la guerre au moindre prétexte, elle mis sa base militaire de Djibouti à la disposition des États-Unis et elle contribue déjà, chaque jour, à espionner l’Irak, notamment avec ses avions, sous couvert d’inspection) ; mais elle l’est également dans ceux qui, sans intervenir militairement, soutiennent de toute façon, politiquement, en particulier à l’O.N.U., l’objectif même de la guerre, c’est-à-dire l’embargo et les sanctions contre l’Irak, le plan de partition et de protectorat, etc.

Partout, dans les usines, les quartiers, les universités, les lycées, les communistes révolutionnaires internationalistes doivent aider concrètement à réaliser l’unité contre la guerre, tout en essayant d’aller le plus loin possible dans la formulation des revendications anti-impérialistes, sans ultimatisme, sans sectarisme, mais sans le moindre opportunisme à l’égard de Chirac et de l’O.N.U. Sur cette ligne, partout, pour réaliser l’unité, pour aider à l’organisation des travailleurs et des jeunes inorganisés qui sont massivement opposés à la guerre, il est nécessaire de participer à la constitution de comités de mobilisation unitaires, intégrant les organisations syndicales et politiques qui le souhaitent et qui combattent réellement contre la guerre.

2) Tous ensemble, menons la guerre sociale contre Chirac-Raffarin

La lutte contre la guerre doit être impérativement combinée avec le combat pour l’exacerbation de la lutte de classe en France même. Car il ne s’agit pas uniquement de s’opposer au massacre d’un peuple. Il s’agit également de nous défendre nous-mêmes, ici, en France, de défendre nos revendications et nos intérêts, que le gouvernement voudrait fouler aux pieds en utilisant le contexte de crise économique, de guerre et d’union sacrée. Nous devons contribuer au combat unitaire pour défendre le système des retraites par répartition et exiger le retour aux 37,5 annuités de cotisation pour tous et pour mettre en échec la régionalisation de Raffarin (cf. notre dernier numéro), pour empêcher les licenciements de plus en plus massifs (cf. notre article p. ), pour défendre les revendications des enseignants, des lycéens et des étudiants (cf. notre article pour la grève du 18 mars, p. 16), pour lutter contre les lois liberticides et anti-immigrés de Sarkozy (cf. notre article p. ), etc. Là encore, la multiplicité des fronts du combat de classe n’exige-t-elle pas d’ouvrir enfin la perspective de la grève générale, seule à même de faire reculer ce gouvernement ?

3) Tous ensemble, soutenons la résistance nationale et le combat de classe des travailleurs irakiens

On sait que, pour préparer la guerre, le gouvernement irakien est en train de distribuer à la population toutes les armes dont il dispose ; de leur côté, les Américains aident les nationalistes bourgeois kurdes à armer les Kurde irakiens, manipulant les aspirations nationales de celui-ci pour préparer une nouvelle guerre ethnique à la yougoslave et « justifier » ainsi leur plan de partition de l’Irak. Face à cela, nous devons soutenir et encourager la résistance unitaire des travailleurs irakiens et kurdes en armes contre l’invasion impérialiste, mais en les appelant à ne compter que sur leur propre organisation et sur leur indépendance à l’égard de Saddam Hussein et de tous leurs dirigeants milliardaires, bourgeois et propriétaires fonciers. Ces derniers, qui exploitent et oppriment le peuple, préféreront renoncer à toute indépendance nationale plutôt que de perdre leurs positions sociales ; dès que les impérialistes occuperont le pays, ils entreront massivement dans la collaboration ouverte ; seul le prolétariat en armes, allié aux paysans pauvres et à l’ensemble des partisans de la résistance nationale, pourra mener jusqu’au bout le combat contre l’intervention impérialiste, rétablir l’indépendance nationale et la souveraineté de l’Irak, et respecter le droit du peuple kurde l’auto-détermination. Les travailleurs d’Irak vont devoir mener une longue et opiniâtre nouvelle guerre de libération nationale ; ils vont devoir constituer leurs propres organisations leurs propres milices, leur propre armée, en toute indépendance, y compris à l’égard des fractions de la bourgeoisie qui entreront peut-être en résistance ; ils vont devoir combiner à la réalisation de ces tâches leur combat de classe pour la réforme agraire et pour le contrôle ouvrier sur l’industrie nationale ; en même temps, la convocation d’une Assemblée nationale constituante rassemblant leurs représentants élus, mandatés et révocables, sera à l’ordre du jour, pour décider la forme démocratique et le contenu social de la République d’Irak, de la République du Kurdistan (indépendante ou fédérée, selon le souhait du peuple kurde), posant par là même la question d’une fédération socialiste des États du Moyen-Orient.