Article du CRI des Travailleurs n°1

Tous ensemble, défendons nos retraites !

À 57 ans, monsieur Juppé prend sa retraite. Tant mieux pour lui. Son ami Raffarin, et ceux qui l’ont précédé, Fabius, Jospin, voudraient faire travailler les salariés, qui n’ont pas la chance de monsieur Juppé, pendant des années et des années supplémentaires, s’ils veulent partir avec une retraite à taux plein. On nous dit qu’il y a péril en la demeure. On nous dit que le système des retraites doit être réformé, sous peine de sombrer sous le poids de retraités de plus en plus nombreux. Ce « on », ce sont les capitalistes qui se pourlèchent déjà les babines à l’idée de spéculer sur nos retraites ; ce sont aussi les gouvernants qui, comme Chirac et Jospin à Barcelone début 2002, signent de concert les plans de destruction des retraites ; ce sont enfin les médias officiels qui se relaient jour après jour pour un véritable matraquage des consciences.

37,5 annuités pour tous, public, privé !

Raffarin doit dévoiler le 3 février son plan contre nos retraites. S’il hésitera peut-être à annoncer la couleur pour les travailleurs du privé (une augmentation de la durée de cotisation à 42,5 ans, comme le préconise le Rapport Charpin, voire à 45, comme le veut le MEDEF), une des mesures qu’il ne manquera pas d’avancer est l’augmentation des annuités de cotisation pour les salariés du public. Depuis des mois et des mois, les médias officiels lui ont préparé le terrain, en dénonçant les « privilèges » des fonctionnaires et des personnels à statut, sommés de faire des « sacrifices » au nom de l’ « équité ».

Mais qui donc a créé cette inégalité ? Qui, sinon les gouvernements de droite comme « de gauche » qui se sont succédé depuis 1993, appliquant consciencieusement, année après année, la contre-réforme Balladur décidée en catimini au mois d’août 1993 ? Rappelons les trois mesures-chocs de cette contre-réforme, qui concerne les travailleurs du privé : passage de 37,5 années de cotisation à 40 ; calcul de la retraite non plus sur les 10 meilleures années, mais sur les 25 meilleures années ; aggravation de la désindexation des retraites par rapport aux salaires, amplifiant l’effet des mesures du gouvernement Miterrand-Delmors de 1983 (l’indexation des retraites sur l’inflation est beaucoup plus défavorable aux retraités que l’indexation sur les salaires, car ces derniers, globalement, progressent légèrement plus vite que les prix). Sans oublier la réforme de 1996 sur les caisses complémentaires, qui a vu augmenter la valeur du point de cotisations, mais diminuer la valeur du point pour le calcul de la retraite…

Résultat : alors que, au début des années 1990, les retraites dans le secteur privé  représentaient en moyenne une valeur de 87 % du dernier salaire perçu, cette proportion a d’ores et déjà commencé à diminuer depuis deux ans et les économistes prévoient que, d’ici une dizaine d’années, les retraites du privé ne vaudront plus que 47 % de ce même salaire. Et l’on voudrait imposer aux retraités du public une telle perte de revenus ? L’ « équité » n’exige-t-elle pas, au contraire, que l’on abroge les mesures Delors, Balladur et Juppé, que l’on revienne aux 37,5 pour tous, public, privé, au calcul de la retraite sur les dix meilleurs années dans le privé et à la réindexation des retraites sur les salaires ?

Oui, les travailleurs du public et du privé doivent être placés sur un pied d’égalité, dans leur droit à prendre une retraite décente et à profiter de leurs vieux jours. Oui, les travailleurs du public et du privé doivent être unis, mais pas dans un nivellement par le bas. Le progrès social, ce n’est pas de travailler de plus en plus longtemps, mais bien de moins en moins longtemps, d’autant que, toutes les études scientifiques le montrent, le stress, la souffrance au travail sont de plus en plus fréquents avec l’augmentation vertigineuse de la flexibilité, de la productivité et de l’intensité du travail.

Pour faire passer la pilule de l’augmentation du nombre d’annuités, certains, comme la C.F.D.T., nous parlent de « retraite à la carte ». Nous serions « libres » de « préférer » soit une retraite à taux plein, à condition de trimer jusqu’à 65 ans ou plus, soit de partir plus tôt, mais alors avec une retraite au rabais. En fait, prôner l’individualisation, c’est fomenter la division des travailleurs, qui ont arraché tous leurs acquis, notamment la Sécurité sociale, par leur luttes collectives ; c’est un moyen de participer activement à la casse de nos droits collectifs.

Défendons nos retraites par répartition : non aux fonds de pension !

Diviser pour mieux régner, telle est plus que jamais la devise des spéculateurs qui voudraient bien faire leur beurre de nos retraites, un trésor de plusieurs centaines de milliards, aujourd’hui à l’abri de la spéculation et du capital financier. Ces milliards sont à nous, aux travailleurs en activité et aux retraités, unis solidairement entre générations, car il est normal, aux yeux de tous les travailleurs, que ceux qui sont aujourd’hui en activité dans la force de l’âge financent les retraites de ceux qui, après toute une vie de travail, profitent d’un repos bien mérité et chèrement acquis par les générations précédentes, comme eux-mêmes profiteront de leur retraite en passant la main à leurs enfants.

Or le deuxième acte de la réforme que doit annoncer Raffarin est la mise en place, contre le principe de la retraite par répartition, de fonds de pension, ou plutôt leur généralisation, puisque la loi Jospin-Fabius de 2001, dite hypocritement « sur l’épargne salariale », a déjà instauré la possibilité pour les entreprises de créer des fonds de pension qui ne disent pas leur nom, soit disant « à la française », mais qui sont en réalité calqués sur les fonds de pension américains de la pire espèce, ceux des années 1990, qui ne garantissent même pas un revenu minimum aux futurs retraités, puisque ce sont des fonds de pension « à prestations non définies ». S’opposer par principe à la retraite par capitalisation, c’est refuser que notre salaire différé, fondé sur la solidarité entre les générations, dépende des aléas de la Bourse, c’est refuser qu’il soit utilisé par les spéculateurs pour empocher sur nos dos des profits considérables, avant de nous déclarer un jour leur faillite et la perte de toutes nos économies — les exemples de Maxwell en Grande-Bretagne et d’Enron aux États-Unis n’étant que les plus spectaculaires et les plus médiatiques. Au-delà même de ces risques permanents de tout perdre, nous ne pouvons pas accepter que le montant de nos retraites puisse être divisé par deux du jour au lendemain, comme c’est arrivé à la majorité des retraités d’outre-Atlantique qui, avec l’effondrement boursier des deux dernières années, ont vu fondre leurs retraites comme neige au soleil (perte de 50% de leurs économies). Alors, plus que jamais, disons non aux fonds de pension de Raffarin, exigeons l’abrogation de la loi Jospin-Fabius et défendons bec et ongles nos retraites par répartition, notre régime général comme nos régimes particuliers et le Code des pensions !

Notre lutte de classe peut nous permettre de sauver nos retraites

Depuis novembre-décembre 1995 et le recul de Juppé sur les régimes spéciaux de retraite, les gouvernements successifs, par peur de notre lutte de classe, ont hésité à attaquer de front nos retraites, même si des brèches ont été faites, comme la loi Fabius, contre laquelle les directions syndicales n’ont rien voulu faire, quand elles ne la soutenaient pas ouvertement. Par contre, dans les pays où les travailleurs n’ont pas réussi à faire une telle démonstration de force pour défendre leurs retraites, les gouvernements européens, qui ont affirmé à plusieurs reprises leurs objectifs communs, ont réussi, avec la complicité de bureaucrates syndicaux, à faire passer des contre-réformes majeures. En Suède, par exemple, il n’y a plus aucun âge légal pour le départ en retraite des salariés, contraints ainsi de travailler de plus en plus longtemps ou de partir avec une pension considérablement amputée, tout en ayant cotisé davantage qu’auparavant. En Allemagne, les fonds de pension ont été introduits par Schröder et les bureaucrates syndicaux, et l’âge de la retraite menace d’être reculé de 65 à 67 voire 70 ans ! En France, Fillon, ministre des Affaires sociales, s’appuie sur ces défaites de la classe ouvrière trahie par ceux qu’elle croyait être ses représentants pour y voir des modèles de « consensus » entre les « partenaires sociaux ».

Les organisations ouvrières sont à la croisée des chemins. Faut-il suivre la direction de la C.F.D.T., qui est favorable aux fonds de pension et à l’allongement de la durée de cotisation ? Ou faut-il, comme en novembre-décembre 1995, aider à l’unité des travailleurs et de leurs organisations syndicales et engager un bras de fer intransigeant avec le gouvernement ? Nul doute que l’appel des sept organisations à manifester le 1er février propose une ligne dont la confusion et le vide revendicatif ne peuvent faire le jeu que de la C.F.D.T. et du gouvernement. En même temps, de nombreux syndicats locaux, départementaux, nationaux des fédérations entières se sont à juste titre saisis de l’appel à manifester pour mettre en avant les revendications qui sont celles des travailleurs, pour exiger des directions syndicales qu’elles refusent fermement la ligne de la C.F.D.T. et réalisent l’unité contre les fonds de pension et pour les 37,5 annuités pour tous. En particulier, à l’heure où le MEDEF veut augmenter la durée de cotisations à 45 annuités, on aimerait tellement que, comme au début du siècle dernier, la direction de la C.G.T. fustige la « retraite pour les morts », plutôt que de faire des courbettes devant les syndicats jaunes amis du gouvernement et des spéculateurs !

Les travailleurs sont prêts au combat, comme l’a montré la mobilisations des gaziers et électriciens qui, en dépit du matraquage des médias et de la plupart des directions syndicales les appelant à voter « oui » au référendum pour cautionner la casse de leurs propres retraites et de leur statut, viennent d’infliger une défaite cuisante au gouvernement, à la C.F.D.T. et à la clique bureaucratique de Cohen qui dirige l’énorme fédération C.G.T. de l’énergie.

Les syndicalistes-lutte de classe, les militants, l’avant-garde, doivent aider les travailleurs à défaire les dispositifs des bureaucrates, en multipliant les diffusions, les prises de parole, les assemblées générales de personnel, en réalisant l’unité de leurs organisations de la base au sommet comme en novembre-décembre 1995, unité qui permettra seule de mobiliser la classe pour faire échec aux plans du gouvernement par tous les moyens dont elle dispose, jusqu’à la grève interprofessionnelle illimitée s’il le faut.