Article du CRI des Travailleurs n°1

Palestine : quelles propositions concrètes les communistes révolutionnaires internationalistes doivent-ils avancer?

Martyre du peuple palestinien

La Palestine, on ne le sait que trop, est à feu et à sang. Plongées dans la spirale monstrueuse engendrée par la politique de répression et de terreur menée par les gouvernements israéliens successifs, qu’ils soient « de gauche » ou « de droite », issus du parti travailliste, du Likoud ou d’une coalition des deux, les populations arabes et juives de la région subissent l’horreur de ce déchaînement de violence. Les escadrons de la mort israéliens lancent leurs raids meurtriers contre la population palestinienne des territoires occupés, les bombardent à coups de chasseurs F16 et les mitraillent du haut de leurs hélicoptères, détruisent les maisons, arrachent les plantations, pratiquent les arrestations sommaires et la torture, y compris sur les enfants. La malnutrition et la famine sévissent dans les camps. Entre septembre 2000, date de naissance de la deuxième Intifada, et septembre 2002, ces attaques barbares ont fait plus de 2.000 morts et 40.000 blessés, dont beaucoup, hommes, femmes, enfants, sont désormais handicapés à vie. Les humiliations et les assassinats aux check points, rebaptisés « points de la mort », les tirs sur les ambulances, les blessés qu’on laisse agoniser pendant des heures, sont le lot quotidien de la population palestinienne. À Gaza, la densité est de 2.285 habitants au kilomètre carré, la plus forte densité humaine au monde. La création de nouveaux points d’eau est interdite alors que cette ressource vitale est essentiellement utilisée par les colonies israéliennes. Baruch Kimmerling, l’un des plus grands sociologues israéliens, proclamait il y a peu : « J’accuse Ariel Sharon de créer un processus par lequel non seulement il va intensifier le bain de sang réciproque, mais qui est susceptible d’entraîner une guerre régionale et une épuration ethnique partielle ou totale des Arabes dans la “Terre d’Israël“ (1). » Dans les camps, les villages et les villes des territoires occupés et des pays arabes voisins, la situation de quelque cinq millions de réfugiés palestiniens est devenue insoutenable.

Souffrances des travailleurs juifs

Dans le même temps, les travailleurs juifs d’Israël souffrent de la politique menée par les gouvernements de gauche comme de droite (ou de coalition) : l’économie de guerre conduit à la crise économique et engendre une explosion de la misère. La croissance économique s’est effondrée, passant de 6% en 1990 à 4,7% en 2000 et environ 1,7% en 2002. Le chômage atteint 10% de la population, la misère touche 300.000 familles vivant officiellement sous le seuil de pauvreté. De grandes usines ferment leurs portes ; l’école manque de moyens élémentaires — la grève des enseignants l’a montré, à la rentrée de cette année. La population vit dans la terreur des attentats, nés du désespoir des Palestiniens. L’État israélien, colonialiste et raciste, encourage la population modeste du pays à s’installer dans des colonies nouvelles — le développement de ces colonies s’étant accentué à partir de 1993, en grande partie sous les gouvernements travaillistes, de Barak surtout, grignotant le peu de terres dont disposaient les Palestiniens et les spoliant ainsi de toutes ressources — au péril de leur vie, et pour mieux diviser les populations. Mais les travailleurs juifs et arabes subissent tous les maux causés par cette politique ; leurs intérêts, bien loin d’être contradictoires comme voudraient le leur faire croire leurs gouvernements respectifs, sont communs.

Responsabilité historique des États impérialistes

Comment expliquer la situation actuelle, sanglante et intolérable, sans la replacer dans le cadre global d’un système fonctionnant au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à vivre libres, à la faveur de quelques minorités privilégiées attisant les haines entre ces peuples ? Comment ne pas rappeler le rôle des puissances impérialistes occidentales, dépeçant la région à la suite de la Première Guerre mondiale, créant des protectorats à leur botte et réprimant dans le sang les soulèvements des populations opprimées et exploitées ? La Palestine a toujours constitué une zone stratégique pour l’impérialisme. Sous l’emprise britannique à l’issue du Traité de Versailles, elle subit notamment l’écrasement brutal par l’armée anglaise (plus de 3.000 morts) du soulèvement populaire contre le pouvoir colonial, en 1936. Aujourd’hui, le maintien des intérêts politiques et économiques américains dans la région, essentiels, passe par leur soutien actif, idéologique et financier, au gouvernement criminel israélien.

Complicité des États bourgeois arabes

Dans ce contexte, quel est le rôle tenu par les gouvernements arabes voisins ? Faudrait-il distinguer États arabes et État israélien, les bons et le méchant ? Faire ce partage de nature ethnique reviendrait à s’aveugler sur la nature de classe du conflit réel qui se joue. Les États arabes, leurs gouvernements, n’ont jamais soutenu la cause palestinienne. Les bourgeoisies jordanienne, syrienne, égyptienne, saoudienne, et même la bourgeoisie d’affaires palestinienne installée dans ces pays et faisant commerce du pétrole notamment, auraient trop peur de mettre le feu aux poudres dans leur propre pays. Défendant leurs intérêts de classe, elles répriment et massacrent les Palestiniens réfugiés, comme ce fut le cas en Jordanie, en 1970, lors du « Septembre noir » (l’armée jordanienne attaqua alors les militants et réfugiés palestiniens, faisant des dizaines de milliers de victimes). Elles écrasent leur propre peuple lorsqu’il se révolte contre sa situation ou se solidarise avec les travailleurs palestiniens : entre 1972 et 1974, les grèves générales au Liban sont liquidées dans le sang par les « Phalanges », milices d’extrême droite, avec le soutien logistique et politique du gouvernement syrien. Plus récemment, les manifestations populaires, en Égypte et en Jordanie, en soutien à la deuxième Intifada, ont été réprimées par les gouvernements de ces pays. Il n’y a rien à attendre des classes dirigeantes arabes, à la tête de dictatures militaires et policières qui pourchassent et laissent croupir dans leurs geôles les militants ouvriers. Les régimes arabes contribuent à fomenter la division des peuples dans la région. Arafat lui-même et ses séides de l’Autorité palestinienne font tout pour couper les Palestiniens des territoires des Palestiniens vivant dans l’État d’Israël comme « citoyens » de seconde zone, séparés aussi des travailleurs juifs ; pourtant, ils ont manifesté à maintes reprises, par la mobilisation et la grève, leur solidarité avec leurs frères des territoires. Tout comme la bourgeoisie israélienne brandit le drapeau du sionisme pour mieux opposer les Juifs aux non-juifs, les bourgeoisies de ces États utilisent un pseudo-« nationalisme arabe » pour mieux masquer l’intérêt commun des peuples. Ici comme ailleurs, la ligne de démarcation ne passe pas entre les peuples, mais entre les classes, et le rôle des militants ouvriers est de l’expliquer sans relâche, de combattre les idéologies de nature impérialiste fabriquées pour contrer la lutte de classes.

La prétendue « solution » impérialiste des deux États

Dans ces conditions, faut-il, lorsqu’on est membre d’une organisation ouvrière, mettre en avant la revendication de « deux États », comme le font à la fois, sous une forme ou sous une autre, les puissances impérialistes, relayées par leur O.N.U., et la plupart des partis « de gauche » , voire d’ « extrême-gauche » ? On nous parle de « réalisme », on invoque la haine ethnique — dont le développement n’est en réalité que le produit du sionisme idéologique d’hier et d’aujourd’hui et de l’impérialisme d’Israël. Mais le prétendu « processus de paix », impulsé par l’impérialisme contre les développements de la révolution palestinienne n’a-t-il pas lamentablement failli justement parce qu’il déniait au peuple palestinien le droit de se constituer en nation, le droit au retour, le droit de vivre où bon lui semble sur sa terre de Palestine ? N’a-t-il pas failli justement parce que la bourgeoisie palestinienne, sous la direction d’Arafat, a capitulé face à l’impérialisme en acceptant de renoncer à l’objectif historique des organisations palestiniennes : une seule République, laïque et démocratique, reconnaissant et respectant l’égalité des droits de tous les citoyens juifs et arabes qui vivent sur tout le territoire de la Palestine historique (intégrant la Jordanie) ? Revendiquer la constitution d’un pseudo-État bourgeois palestinien, aux côtés de l’État israélien sioniste et impérialiste, donc nécessairement sans réalité nationale et sans souveraineté, est-ce « réaliste » pour promouvoir la paix et l’union libre des peuples ? En réalité, une telle solution n’est « réaliste » que pour garantir les intérêts impérialistes et la « sécurité » de la bourgeoisie israélienne, comme le dit clairement Bush lorsqu’il déclare : « Les États-Unis et l’Union européenne partagent une vision commune de deux États, la Palestine et Israël, vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité » — c’est-à-dire dans la paix des cimetières et une pseudo-sécurité fondée sur les miradors, les barbelés, les camps et la terreur. On réserverait à « l’Autorité palestinienne » le « droit » de veiller à l’éducation, la culture, la santé et la protection sociale ? Mais dans quelles conditions ? Avec quels moyens ? Dans les territoires (Gaza et la Cisjordanie, soit seulement 22% de la Palestine historique), qui serviraient d’ « État » au peule palestinien, 6% seulement des terres arables sont irriguées, contre plus de 50% en Israël. Ce prétendu « État palestinien », fondé sur la discrimination raciale, avec des bouts de territoires dispersés, entre lesquels s’érigerait Israël, représenterait une Palestine dépecée, morcelée, privée des ressources essentielles pour que sa population vive et travaille dans des conditions décentes, inféodée aux autres États de la région. Une Palestine non-viable. Peut-on parler d’une nation et d’un peuple libres, lorsque ceux-ci seraient placés sous le contrôle — et dans la cible — de leur voisin et sous la dépendance des autres États bourgeois arabes ?

Une seule solution : le combat de classe des travailleurs arabes et juifs

La seule solution pour les deux peuples et, au-delà, pour l’ensemble des populations de la région, est bien une seule République palestinienne, mettant à bas les critères ethniques et religieux. Bien évidemment, cela ne sera pas possible sans la lutte contre les impérialismes et les féodalismes qui font barrage à l’unité des travailleurs pour leur émancipation commune. Cela ne sera pas possible sans la lutte de classe révolutionnaire des travailleurs juifs et arabes. Celle-ci est possible aujourd’hui, comme elle le fut naguère, comme par exemple en 1970, sur le territoire palestinien de Jordanie, plus de 150.000 travailleurs s’organisèrent de manière indépendante en conseils ouvriers, dans le « soviet d’Irbid », qui lutta héroïquement contre leur propre gouvernement de Jordanie, se substituant localement à l’État et à ses appareils. Pourquoi ce qui fut possible hier ne le serait-il plus aujourd’hui ou demain ? Il n’y a pas d’autre voie « réaliste » que celle de l’auto-mobilisation des travailleurs juifs et arabes pour leurs revendications communes, leurs revendications de classe. C’est dans cette perspective que les militants communistes révolutionnaires internationalistes doivent intervenir en Palestine, en proposant leur programme à la classe ouvrière juive et arabe, leur programme révolutionnaire de transition, avec le mot d’ordre central de la République palestinienne laïque et démocratique des travailleurs sur tout le territoire de la Palestine historique. Dans cette perspective, ils doivent appeler les organisations ouvrières arabes et juives non sionistes de Palestine à s’unir sur la base d’un programme de classe, un programme de sauvegarde du peuple palestinien, un programme d’urgence pour tous les travailleurs juifs et arabes. Les organisations ouvrières arabes et juives non sionistes doivent

se battre pour réaliser le front unique, dépassant les clivages ethniques et religieux, rompant avec la politique de la bourgeoisie israélienne de droite et de gauche (les travaillistes et les bureaucrates syndicaux sionistes), comme avec la bourgeoisie palestinienne d’Arafat (contre l’union sacrée avec l’O.L.P. collaborationniste). Tout en soutenant tout pas en avant concret, aussi minime soit-il, dans la direction d’un tel programme, les militants communistes révolutionnaires internationalistes doivent se battre pour que celui-ci dise et exige :

• Vive l’Intifada et la résistance palestinienne, à bas le sionisme et l’impérialisme d’Israël !

• Droit au retour inconditionnel pour tous les Palestiniens chassés de leurs terres !

Halte à la terreur militaire, lever du couvre-feu, démantèlement de tous les barrages, barbelés et miradors israéliens, retrait des chars, retour de tous les soldats dans leurs foyers !

• Amnistie de tous les prisonniers politiques palestiniens enfermés dans les geôles d’Israël et de l’Autorité palestinienne !

• Arrêt de la colonisation sioniste, démantèlement juridique de toutes les colonies, reconstruction des villages et des quartiers palestiniens détruits, réorganisation des municipalités sur la base de l’égalité des droits des tous les citoyens juifs et arabes de Palestine !

• Réforme agraire, redistribution des terres palestiniennes sur la base d’un partage équitable entre tous les paysans arabes et juifs de Palestine !

• Constitution de milices et de tribunaux ouvriers et populaires bi-ethniques chargés de lutter contre les bourreaux sionistes et de maintenir l’ordre et la sécurité de la population dans les quartiers, les villes et les villages !

Contrôle ouvrier sur les usines et les banques par des comités ouvriers bi-ethniques!

• Mesures d’urgence sociale et économiques : plan de résorption du chômage, plan de grands travaux publics, plan de construction de logements et d’hôpitaux pour tous les Palestiniens, plan de scolarisation, etc. !

Gouvernement d’unité des organisations ouvrières et populaires arabes et juives non sionistes, chargé de préparer et de convoquer une Assemblée constituante souveraine réunissant les délégués élus, mandatés et révocables des travailleurs juifs et arabes, qui décidera de la forme et du contenu de la République palestinienne !


1) Article du 1er février 2002 paru dans l’hebdomadaire israélien kol Ha’ir.