Article du CRI des Travailleurs n°25

Sur la campagne de la LCR : La LCR dénonce le capitalisme, mais paie ses ambiguïtés « anti-libérales »

La direction LCR porte une responsabilité égale à celle de LO dans l’absence d’une campagne anti-capitaliste commune. Elle a en effet fait le choix de chercher à s’allier avec le PCF et les « anti-libéraux », même si elle a fini par se rendre à l’évidence, en constatant que ceux-ci refuseraient de rompre avec le PS. Mais, au lieu d’en tirer la conclusion qu’il fallait rouvrir les discussions avec LO, pour tenter de parvenir à un accord comme lors des élections régionales et européennes de 2004, la direction LCR n’a pas plus que celle de LO essayé de le faire, préférant annoncer la candidature de Besancenot, tout en précisant qu’elle serait prête à la retirer en cas d’accord avec le PCF et les antilibéraux. Cependant, une forte minorité de la LCR (plates-formes 3 et 4 au dernier congrès, rassemblant à elles deux 34 % des voix) a refusé de soutenir la candidature d’O. Besancenot, fustigeant le « sectarisme » de la direction (alliance des plates-formes 1 et 2) parce que celle-ci, malgré ses graves ambiguïtés, refusait de cautionner la ligne de vassalisation au PS imposée par le PCF et les autres forces politiques animant les collectifs anti-libéraux. Piétinant toute discipline d’organisation, cette minorité a continué de s’investir pleinement dans les collectifs anti-libéraux, aggravant encore la confusion de la ligne défendue par la LCR en tant qu’organisation…

Le sabotage des droitiers petits-bourgeois menace l’existence même de la LCR

La faillite des « collectifs unitaires anti-libéraux » frappe donc naturellement de plein fouet la LCR. Aujourd’hui, certains minoritaires, à l’image de Michel Husson, économiste en titre de la LCR et naguère d’ATTAC, ou Rémi Jean, militant en vue des Bouches-du-Rhône, claquent la porte de l’organisation avec fracas, manifestant un comportement typique de petits-bourgeois frustrés que toute une organisation (soit 2 800 militants) ne se soit pas pliée à leur stratégie minoritaire, voire personnelle. De leur côté, les responsables nationaux des tendances minoritaires — tendance Picquet-Sitel, d’une part, anciens de SPEB, d’autre part — décident de renforcer leurs liens et leur structuration pour poursuivre leur combat. Les premiers vont jusqu’à continuer de refuser à s’engager dans la campagne décidée par leur organisation, préférant continuer à participer à ce qui reste des collectifs anti-libéraux, certains s’engageant même dans la campagne d’une partie des « anti-libéraux » visant à revitaliser une candidature de José Bové contre celles de Buffet et de Besancenot. Les seconds, soucieux de convaincre des militants de la LCR, acceptent de participer à la récolte des parrainages pour Besancenot, mais non réellement à la campagne électorale elle-même — tout en fourbissant leurs armes pour poursuivre leur combat « anti-libéral unitaire » en vue des législatives ; certains n’excluent d’ailleurs pas, au moment où nous écrivons ces lignes, de se rallier eux aussi à la campagne pour la candidature de Bové…

Dans cette crise et dans tout ce conflit (et comme dans le cas du PT, quoique pour d’autres raisons) c’est l’existence même de la LCR en tant qu’organisation ouvrière se réclamant de l’anti-capitalisme qui est en cause : sous prétexte d’une « unité » artificiellement drapée de toutes les vertus, les « droitiers » essaient de saboter toute orientation anti-capitaliste (fût-elle partielle et inconséquente), et même la candidature du porte-parole de leur propre parti, Olivier Besancenot, au profit de l’« anti-libéralisme » et du petit bourgeois José Bové. Les militants authentiquement révolutionnaires ne peuvent que condamner avec la plus grande fermeté les actes de sabotage de ces droitiers liquidateurs, d’autant qu’ils persistent dans leur démarche même après son échec cinglant. Cependant, ce n’en est pas moins la direction de la LCR (intégrant son aile gauche, le courant Démocratie révolutionnaire — DR, plate-forme 2) qui porte la principale responsabilité politique dans la crise actuelle de l’organisation.

Tout d’abord, les effets de l’abandon, depuis des années, du centralisme démocratique, se sont révélés dans toute leur nocivité : les minoritaires ont pu à loisir s’agiter pour discréditer leur propre organisation au sein des collectifs et beaucoup, pris dans une logique de micro-appareil, ont refusé de s’engager pour réaliser l’objectif, décidé par la majorité de la LCR, d’une candidature Besancenot (c’est une des raisons pour lesquelles le nombre de parrainages de maires recueilli par celui-ci risque d’être insuffisant, les ordres anti-démocratiques du PS à l’égard de « ses » maires n’expliquant pas tout). Or, si la LCR était une véritable organisation communiste révolutionnaire, tous ces petits bourgeois auraient été mis en demeure de respecter la démocratie en se soumettant à la décision majoritaire et de l’appliquer ; si, en effet, la discussion et la critique, même virulentes, doivent être entièrement libres dans l’organisation et dans les publications des tendances, il est inadmissible de ne pas se soumettre, dans l’action, à la décision de la majorité, voire de lui mettre des bâtons dans les roues. Or ces mœurs de la décomposition petite-bourgeoise ont été introduites depuis des années dans la LCR par la direction elle-même ou avec son accord (et sans que DR s’y oppose depuis son intégration).

En outre, la direction de la LCR paie son refus complice de combattre politiquement, depuis des années, l’orientation ouvertement révisionniste des « droitiers ». Or la logique de cette orientation est la même que celle qui a conduit le courant brésilien Démocratie socialiste (courant du PT) à soutenir et à participer au gouvernement bourgeois de Lula-Alencar depuis 2002 et encore aujourd’hui. Si ce courant a explosé suite à cette politique de trahison et à l’exclusion d’une partie de ses militants oppositionnels par le PT de Lula (création du PSOL), il n’en est pas moins toujours membre de la « Quatrième Internationale » (Secrétariat unifié) dont la LCR est la section française. En effet, ni la direction internationale, ni celle de la Ligue n’ont réellement combattu et condamné la participation de Démocratie socialiste au gouvernement Lula, pourtant entièrement au service des impérialistes, du FMI, des capitalistes brésiliens et des propriétaires fonciers. Or le cas brésilien n’est pas isolé puisque la section italienne de la « Quatrième Internationale », Sinistra Critica, soutient elle aussi le gouvernement bourgeois de Romano Prodi, votant au Parlement pour sa politique, y compris les crédits de guerre servant à financer les interventions militaires de l’impérialisme italien, notamment en Afghanistan. En n’engageant pas une campagne internationale contre cette politique de sa section-sœur transalpine, la direction de la LCR la cautionne objectivement (même s’il lui arrive de la critiquer timidement) et aide ses propres droitiers à avancer dans leur projet de mener la LCR sur la même voie que leurs homologues brésiliens et italiens.

Enfin, la crise actuelle s’explique aussi par l’ambiguïté de l’orientation défendue par la direction de la LCR : si elle a certes préservé jusqu’à présent l’indépendance de la LCR en refusant d’en faire une vassale du PS, elle n’en est pas moins réformiste, comme nous allons le voir. C’est pourquoi les militants révolutionnaires de la LCR ne peuvent compter sur leur direction pour surmonter la crise qui frappe leur organisation : eux seuls sont en capacité d’intervenir pour redresser la barre s’ils veulent éviter le naufrage.

O. Besancenot et la direction de la LCR dénoncent le capitalisme, le gouvernement, le PS et le PCF…

Certes, dans sa déclaration de candidature (« Pourquoi je suis candidat ? », texte du 15 octobre 2006, http://besnacenot2007.org/spip.php?article29), Olivier Besancenot se réclame des « jeunes, travailleurs ou chômeurs, qui savent comme moi ce qu’est l’exploitation » et affirme qu’il se « propose simplement d’être le porte voix de toutes celles et de tous ceux qui subissent l’exploitation et l’oppression sous quelque forme qu’elle soit et qui en ont assez que leurs vies soient sacrifiées sur l’autel des profits d’une toute petite minorité aussi égoïste que cynique. Je veux être le porte voix de leurs colères ». En outre, il s’appuie à juste titre (contrairement à LO) sur « la victoire retentissante du "non" de gauche contre le TCE, un grand vent de révolte de la jeunesse des quartiers, puis des millions de manifestants contre le CPE », ainsi qu’aux luttes des sans-papiers et contre les rafles. De plus, le candidat de la LCR justifie sa candidature en disant que « la contestation anticapitaliste qui s’est manifestée avec force dans la rue doit s’exprimer à nouveau dans les urnes ». Et il dénonce correctement les « politiques libérales-capitalistes menées depuis un quart de siècle », même si (comme LO) il insiste surtout sur celle des gouvernements de droite depuis 2002 : les licenciements, les profits exorbitants, les privatisations des « gouvernements qui se succèdent », les coupes budgétaires dans les services publics, les « attaques contre le code du travail, (…) la sécu et le droit à la retraite », la pauvreté, l’insuffisance des salaires, « les expéditions militaires en Afrique ou au Moyen-Orient pour y défendre les intérêts de la bourgeoisie française et de ses alliés, les gouvernements des États-Unis et d’Israël, dans une continuité néocoloniale et impérialiste séculaire », « le retour en force de l’ordre moral avec des discriminations dans tous les domaines : sexuelles, sexistes et racistes », les provocations policières contre les jeunes des quartiers, etc.

D’autre part, Besancenot appelle à ne se faire « aucune illusion sur la politique de la direction du PS », car elle « incarne une gauche qui s’aplatit dès que le Medef fronce les sourcils, une gauche dont la politique est génétiquement modifiée en politique de droite dès qu’elle arrive au pouvoir ». Et il dénonce aussi, à juste titre, « la politique passée et actuelle de la direction du PCF, sa participation sans sourciller à un gouvernement qui, de 1997 à 2002, a privatisé plus que ses prédécesseurs de droite, sa prétention à vouloir poursuivre aujourd’hui encore la discussion avec une direction socialiste qui a renoncé à transformer la société ».

Enfin, O. Besancenot appelle les travailleurs à participer à sa campagne, avec un objectif clair de lutte et de légitime construction organisationnelle : « La LCR est entrée en campagne. Une campagne ouverte qui veut rassembler celles et ceux qui sont en accord avec les idées que je développe. Je les appelle à prendre contact avec les sections de la LCR » et à « retrouver le chemin de luttes massives et unitaires ».

… mais le programme révolutionnaire, « c’est pour quand ? »

Cependant, Besancenot et la LCR se rallient au slogan « chasser la droite », même si cela revient à aider cette gauche à revenir au pouvoir : « De Sarkozy comme de Chirac et de Villepin, ces zélés serviteurs du Medef, on en a soupé. Alors il faut tous ensemble s’en débarrasser, c’est une mesure de salubrité publique. Il faut shooter la droite sans l’ombre d’une hésitation. » Cette orientation est celle de la direction de la LCR même après la désignation de Ségolène Royal comme candidate du PS (cf. par exemple l’éditorial d’Alain Krivine dans Rouge du 5 janvier). Avec encore moins d’hésitation que LO, la LCR persiste donc à cultiver le mythe d’un PS « moins pire » que la droite.

De plus, s’il était correct d’intervenir tactiquement dans les « collectifs anti-libéraux » sur une orientation de front unique en se battant pour un programme anti-capitaliste et en aidant les militants, notamment ceux du PCF, à rompre avec leur direction qui n’en voulait pas, cette démarche devait être abandonnée à partir du moment où l’orientation de ces collectifs, notamment leur refus de rompre avec le PS, avait été décidée — disons lors de son adoption définitive à Nanterre en septembre 2006. Or non seulement la LCR n’est pas intervenue dans ces collectifs en défendant un programme anti-capitaliste cohérent et conséquent (comme nous allons le voir), mais en outre elle a continué d’entretenir la confusion en faisant croire, même après septembre, qu’il n’était pas encore impossible de faire rompre les collectifs et le PCF d’avec le PS. C’est ainsi que, dans sa déclaration de candidature datée d’octobre, Olivier Besancenot se prononce encore pour « des candidatures unitaires de la gauche anticapitaliste et antilibérale aux élections de 2007 » et pour « poursuivre la discussion avec tous ceux qui ont mené ensemble la bataille victorieuse du 29 mai, avec tous les partis qui ont appelé à voter "non", du PCF à LO », à condition que l’« accord politique » intègre « la garantie absolue que cette candidature unitaire n’aille pas à terme servir de caution à la direction du PS par souci "d’efficacité" ».

En réalité, tout le problème est que le programme de la LCR elle-même se limite fondamentalement, comme celui de LO, à une orientation réformiste, d’autant plus qu’il cultive quant à lui une ambiguïté sur la question de l’« antilibéralisme » : au lieu de mettre en avant une orientation clairement anti-capitaliste, la LCR laisse croire qu’« antilibéralisme » et « anticapitalisme » seraient au fond la même chose. Et, dans une lettre datée du 7 novembre 2006 adressée au Collectif national pour des candidatures unitaires (1), la direction de la LCR adresse des critiques secondaires au programme des antilibéraux, en demandant des mesures un peu plus radicales : pour le SMIC à 1500 € nets (au lieu de 1500 € bruts), pour une position claire sur le nucléaire, pour que l’attribution des droits soit liée au seul critère de résidence et pour mettre en avant la nécessité de la lutte pour appliquer le programme. Ces désaccords ne portent donc pas sur l’essentiel, à savoir la différence entre un programme anticapitaliste et un programme « antilibéral » dans le cadre du système capitaliste. Dès lors, les tendances « unitaires » de la LCR, qui approuvent le programme des antilibéraux, ont beau jeu de demander : « Reste maintenant une question lancinante : qu’est-ce qu’une candidature isolée de la LCR défendrait de fondamentalement différent ? » (2) De son côté, Avanti !, petit courant de gauche de la LCR (plate-forme 5), critique à juste titre la position de la direction de la LCR concernant le programme des antilibéraux : celle-ci a « considéré que le texte présenté ne posait pas de problème essentiel » (3).

De fait, O. Besancenot ne défend ni un véritable programme révolutionnaire axé sur la perspective d’un gouvernement des travailleurs, ni même un programme réformiste avancé, qui proposerait de rompre progressivement avec le capitalisme en tant que tel, avec l’Union européenne et avec l’État actuel. Certes, il cite une formule de Louise Michel prônant le « partage du pouvoir », mais il s’agit d’un clin d’œil purement rhétorique, qui n’a rien à voir avec l’objectif clair de la prise du pouvoir par et pour les travailleurs. Et, s’il se propose de porter l’« espoir (…) de voir un jour naître une nouvelle société qui permette à la fois l’émancipation collective et l’épanouissement individuel », il n’en dit pas plus sur ce point qu’A. Laguiller, refusant d’évoquer en termes propres le socialisme et le communisme. En fait, il limite lui-même son objectif de la manière suivante : « La politique que nous voulons passe par le partage des richesses pour en finir avec les inégalités, le chômage et la précarité généralisée. Elle exige d’avoir la volonté de faire en sorte que le mot "égalité" placardé sur le fronton de toutes nos écoles ne soit plus un slogan creux mais devienne une réalité de la vie quotidienne entre les hommes et les femmes, entre les générations, entre les choix d’orientation sexuelle, entre les cultures et quelles que soient nos origines. Elle nécessite de sortir de l’ère du profit qui engendre les guerres, détruit nos vies et la planète. Tout ceci passe bien sûr par des mesures d’urgences concrètes que j’aurai l’occasion de défendre dans cette campagne. » Or le « partage des richesses » n’est pas un objectif réellement anti-capitaliste, encore moins révolutionnaire, puisqu’il cantonne la lutte des classes à une distribution moins inégalitaire, sans remettre en cause fondamentalement le système capitaliste.

Quant aux « mesures d’urgence » préconisées par la LCR, par exemple celles proposées par ses cinq affiches de campagne (« Un emploi stable et un logement décent pour tous/Des moyens pour les services publics » ; « Interdiction des licenciements/32 h sans perte de salaire avec embauches » ; « 300 euros nets de plus par mois/Pas un revenu inférieur à 1 500 euros nets » ; « Rattrapage immédiat des salaires [des femmes par rapport à ceux des hommes]/Loi-cadre contre les violences faites aux femmes » ; « Réquisition des logements vides/Blocage des prix des loyers »), elles sont très justes en elles-mêmes, mais rien n’est dit sur la façon de les imposer. Certes, O. Besancenot et la LCR en appellent de façon générale à la lutte ; mais la direction de la LCR fait croire qu’il serait possible, avec une bonne mobilisation, d’« imposer au futur gouvernement une politique de rupture avec les lois du capitalisme, qu’elles soient défendues par la droite ou par la gauche respectueuse » (éditorial d’Alain Krivine dans Rouge du 5 janvier). Or, dire cela, donner cet objectif aux travailleurs, c’est renoncer à tracer la perspective du gouvernement des travailleurs par et pour eux-mêmes. Idéologiquement, c’est une orientation typiquement réformiste consistant à limiter l’objectif des luttes à une pression sur l’État bourgeois et ses gouvernements, au lieu de remettre en cause leur existence. Pratiquement, c’est en outre tout à fait irréaliste aujourd’hui, au moment où les travailleurs subissent défaite sur défaite (comme le note A. Krivine lui-même dans l’article cité). De fait, les seules fois dans l’Histoire où des luttes ont permis d’imposer à des gouvernements bourgeois des mesures anti-capitalistes (de grandes réformes significativement attentatoires aux intérêts de la bourgeoisie) sont des moments de lutte révolutionnaire, comme en 1936 ou à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Or nous n’en sommes pas là et, tout particulièrement dans une campagne électorale, il s’agit donc de faire progresser la conscience de classe en popularisant un véritable programme de transition révolutionnaire — qui est de toute façon le meilleur ferment possible pour toutes les luttes.


1) Cf. le site Internet http://www.lcr-rouge.org/article.php3?id_article=4940

2) Cf. le site Internet http://www.lcr-rouge.org/articleMV.php3?id_article=4925

3) http://avanti-lcr.org/bulletin/Avanti38.pdf — Cependant, malgré sa critique pertinente du programme des anti-libéraux, Avanti ! n’en a pas tiré les conséquences pratiques, en se disant prêt (encore en novembre 2006), comme la direction de la LCR, à soutenir un candidat antilibéral armé d’un tel programme à la condition qu’il soit clair sur le refus d’une alliance parlementaire et gouvernementale avec le PS.