Article du CRI des Travailleurs n°26

Syndicalisme enseignant : Bilan du congrès national de la FSU et de deux congrès académiques du SNES

Bilan du Congrès de la FSU

Le congrès de la FSU s’est déroulé du 29 janvier au 2 février dernier à Marseille, dans un contexte dominé par la lutte naissante des enseignants contre les nouvelles attaques du gouvernement (décrets De Robien, dotation horaire globale, projet de décret sur les Établissements Publics d’Enseignement Primaire — EPEP). Malheureusement, ce congrès n’aura pas été un point d’appui pour ces luttes, la direction de la FSU préférant s’en remettre principalement à l’interpellation des candidats aux prochaines échéances électorales. Pour contrer l’évolution imposée par la direction de la FSU vers un syndicalisme d’accompagnement, il est urgent de mettre à l’ordre du jour l’union des militants et des tendances oppositionnels pour défendre un syndicalisme lutte de classe et antibureaucratique.

Résultats des votes préalables

Fin 2006 se sont déroulés les votes d’orientation préalables, qui doivent se prononcer sur le rapport d’activité et fixer la répartition des postes entre les tendances dans les instances de la FSU. La participation à ce vote reste très faible, avec 43 000 votants sur 165 000 syndiqués, soit 26 %.

Bien que la période 2004-2007 ait été riche en renoncements et trahisons de la direction de la FSU, le rapport d’activité a été approuvé à 74 % des voix (avec 4 % de contre, 20 % d’abstention et 2 % de refus de vote). Ce rapport comprenait aussi trois « fenêtres » soumises à un vote contradictoire, concernant les jugements plus ou moins durs sur les « insuffisances » que la FSU ne pouvait cacher : mouvement des lycéens contre la loi Fillon en 2005, engagement dans la campagne contre la Constitution Européenne, rôle de la fédération vis-à-vis des syndicats nationaux et départementaux. Ce sont les formulations les moins dures qui ont été votées dans les trois cas. Toutefois, ces différentes formulations, qui ne modifiaient qu’à la marge le rapport d’activité, n’ont pas été l’objet d’un combat de la part des tendances oppositionnelles.

En ce qui concerne le vote sur les plates-formes des « courants de pensée », la direction bicéphale, assurée par Unité et Action (U&A, la tendance majoritaire, liée au PCF, du secrétaire général Gérard Aschieri) et École Émancipée (animée par les militants de la LCR), a légèrement reculé par rapport au dernier congrès de 2004. Plus précisément, U&A renforce sa position hégémonique, avec 73,4 % des voix (en progression de 1,9 %), mais la tendance École Émancipée perd 2,2 %, avec 15,6 % des votes. Elle paie là le prix d’une orientation qu’il est de plus en plus difficile de distinguer de celle d’Unité et Action (cf. à ce sujet l’Adresse du CILCA aux adhérents de la FSU pour la préparation du Ve Congrès, publiée dans notre précédent numéro). Mais cette perte d’influence à la base reste compensée par des arrangements bureaucratiques au sommet, avec la participation renouvelée d’École Émancipée à l’exécutif de la FSU.

Parmi les tendances oppositionnelles (à plus ou moins grand degré), Émancipation (d’orientation anarcho-syndicaliste) est la seule qui progresse (4,5 % des votes, soit une progression de 1,5 %) et devient la première tendance oppositionnelle. Elle récolte visiblement les fruits d’une politique de lutte de classe claire et nette et d’une volonté de rapprochement avec d’autres tendances (non fédérales, mais présentes dans les syndicats nationaux), en particulier avec Pour un Syndicalisme de Lutte (PSL), tendance du SNASUB (le syndicat des personnels de l’administration scolaire, universitaire et de bibliothèques), et Ensemble, tendance du SNUipp (le syndicat des enseignants du primaire). Ce rapprochement s’est notamment traduit par la présentation de listes communes au niveau départemental, dans le 93 et le 75 (avec d’ailleurs la participation d’un militant CRI).

Les autres tendances fédérales d’opposition reculent légèrement : Pour la Reconquête d’un Syndicalisme Indépendant (PRSI), la tendance animée par des militants du PT et de son courant CCI, obtient 4,4 % des voix (soit une baisse de 0,5 %) ; Front Unique, la tendance dirigée par une coalition de groupes qui se réclament du trotskysme, issus du Comité CPS de Stéphane Just, obtient 2,1 % (en baisse de 0,6 %).

Texte Action

Alors que les autres textes issus du congrès sont censés donner des analyses et des orientations à long terme pour la FSU, le texte Action est censé être au plus proche de la réalité du moment, aider les syndiqués et plus généralement les travailleurs dans leurs luttes actuelles et donner une orientation efficace pour parvenir à une victoire.

Malheureusement, le texte Action adopté au congrès de 2007 ne fait que confirmer ce que l’on peut observer constamment, c’est-à-dire que la direction de la FSU refuse de mener un travail efficace pour la satisfaction des revendications. Sur le mouvement actuel contre les décrets De Robien et la dotation horaire globale, c’est encore une fois « une action dans la durée », rythmée « d’étape[s] importante[s] », comme la journée d’action du 8 février, qui a été préconisée. Alors que l’expérience du printemps 2003 avait cruellement montré aux enseignants que la tactique des journées d’action dispersée est inefficace pour arriver à la victoire et alors que cette grave défaite pèse encore lourdement sur l’état d’esprit des enseignants, la direction de la FSU refuse de mettre à l’ordre du jour le seul moyen efficace pour gagner, celui de la grève générale dans l’Éducation jusqu’à satisfaction des revendications.

D’ailleurs, on peut douter pour le moins que ce soit là l’objectif poursuivi par la direction de la FSU. Certes, le texte Action réclame le retrait des projets de décrets, mais il donne rapidement un autre objectif : développer un « grand mouvement pour l’éducation » et... s’en remettre aux échéances électorales en « pes[ant] sur les débats en cours et à venir, interpell[ant] les responsables politiques, les candidats ». C’est un exemple édifiant du rôle que jouent les directions réformistes des organisations syndicales, et en particulier la FSU : celui de démobiliser les travailleurs en lutte, pour les aiguiller dans la voie sans issue des élections.

Syndicalisme de lutte ou syndicalisme de proposition ?

Les autres textes adoptés par le congrès sont réunis par thèmes. En particulier, les orientations de la FSU sont données dans trois textes, portant respectivement sur l’éducation-formation (thème 1), les services publics (thème 2) et les alternatives économiques et sociales (thème 3).

Ces textes dénoncent certes correctement, dans l’ensemble, les dernières attaques du gouvernement, en reprenant les analyses faites par les syndicats nationaux pour chaque catégorie de syndiqués. Mais les conclusions tirées de ces critiques sont pour le moins insuffisantes.

Par exemple, si la FSU critique la réforme LMD (sous l’angle de la disparition du cadre national des diplômes), elle se contente ici d’exiger... un bilan de la réforme. Et pour cause : son syndicat dans l’enseignement supérieur, le SNESup, est l’un des principaux artisans de sa mise en œuvre dans les Conseils d’administration des Universités !

De même, alors que le statut des fonctionnaires est l’objet d’attaques constantes de la part du gouvernement, la direction de la FSU affirme sa disponibilité pour négocier ces attaques : « L’évolution du statut de la fonction publique ne saurait se faire sans véritables négociations. »

Ou encore, le congrès de la FSU prétend dans ces déclarations donner à la lutte contre la précarité une place importante et se prononce « pour une titularisation rapide suivant des modalités et un calendrier négociés et adaptés à chaque secteur ». Mais la motion présentée par la coalition des tendances Émancipation/Ensemble/Pour un Syndicalisme de Lutte pour le « lancement d’une grande campagne nationale d’action pour obtenir la titularisation sans condition de tout-e-s les précaires déjà embauché-e-s » a été rejetée.

On peut aussi noter que, même quand les revendications paraissent radicales, il ne s’agit que de déclarations d’intention, non suivies d’une véritable campagne pour les imposer. Ainsi, comme à chaque congrès, la revendication d’« unification laïque du système éducatif » a-t-elle été réaffirmée (même si une motion réclamant « la nationalisation laïque de l’enseignement privé sans indemnité ni rachat » a été repoussée, recevant tout de même 54 %, mais sans atteindre majorité qualifiée de 70 %). Cependant, dans la pratique, la FSU n’impulse aucune lutte concrète ne serait-ce que pour l’abrogation des lois qui permettent aujourd’hui l’octroi de plusieurs milliards d’euros chaque année à l’enseignement privé (à 90 % confessionnel), au détriment de l’enseignement public qui aurait tant besoin de cet argent !

Mais surtout, la FSU entend se présenter de plus en plus comme un « syndicat de proposition ». Le congrès a donc adopté une sorte de programme pour une éducation de qualité et ouverte à tous. Ce programme paraît certes très intéressant, mais nulle part ne sont indiqués les moyens pour l’imposer. Du moins jusqu’à la phrase de conclusion, où le texte rappelle la proximité des élections présidentielles et lance « un appel fédéral offensif » pour une éducation de qualité, qui doit déboucher sur des rencontres avec les candidats pour débattre de ces propositions… En bref, l’issue est dans les urnes. Une organisation syndicale n’a certes pas à s’interdire de jouer un rôle politique : par exemple, on ne peut que condamner le refus de la direction de la FSU d’appeler clairement à voter NON au référendum sur le Traité constitutionnel européen du 29 mai 2005. Mais, au lieu de faire croire que les candidats bourgeois seraient prêts à mener une politique de développement de l’éducation et des services publics (c’est-à-dire l’exact opposé de la politique conduite depuis des années), il faut éclairer les travailleurs sur les projets d’attaque de ces candidats (pas seulement ceux du « libéral » Sarkozy, mais aussi ceux de la tout aussi libérale Royal, dont les propos ont marqué les enseignants), et préparer dès maintenant la résistance contre ces attaques (1).

À en oublier la lutte des classes, les textes de la FSU utilisent des termes qui lui sont totalement étrangers. Ainsi en appellent-ils en permanence à « l’intérêt général », dont seraient garants les « élus ». Et le congrès de la FSU de se demander à quel niveau serait le mieux défendu cet intérêt général : régional, national, européen ? Apparaissent alors les ambiguïtés concernant la décentralisation : la FSU réaffirme certes son opposition à la décentralisation-privatisation, mais, dans le même temps, elle en appelle à une reconnaissance des associations qui prennent en charge les missions de service public délaissées par l’État. Et elle introduit la notion de « déconcentration », qui serait censée permettre « une administration au plus près des usagers », tout en reconnaissant que cette déconcentration a surtout été pour le gouvernement un prétexte pour réduire ses dépenses.

Quel avenir pour la FSU ?

Enfin, le texte du thème 4 porte sur l’avenir de la FSU et des pratiques syndicales. Le rapport d’activité proposé par la direction de la FSU, devant bien constater l’accumulation des défaites pour les travailleurs, avance une explication : malgré ses bonnes positions, la FSU souffre de son isolement et ne parvient pas à entraîner derrière elle les autres organisations syndicales. C’est sur cette base que la direction justifie sa volonté d’élargir l’organisation, selon les deux axes de la confédéralisation et de l’adhésion aux organisations « syndicales » internationales.

L’extension du champ de syndicalisation avait déjà été décidée lors du congrès de Perpignan en 2004. Il s’agit pour la direction de ne pas « cantonner la FSU sur l’éducation, voire la fonction publique d’Etat » ; l’enjeu est en fait celui de la représentativité de la FSU dans les instances de concertation, dont les portes lui sont pour l’instant fermées. Le congrès a constaté que, depuis trois ans, l’élargissement a été passif : la FSU a accueilli les syndicats qui voulaient s’y affilier dans « l’ensemble des secteurs des fonctions publiques » (y compris donc territoriale et hospitalière), tout en refusant tout de même l’affiliation de deux syndicats de l’enseignement privé. Le mandat pour la prochaine période est d’accélérer cette extension.

L’horizon est bien sûr la constitution d’une nouvelle confédération, même si le texte rappelle son objectif lointain d’« unification du mouvement syndical », en prônant un rapprochement intersyndical (avec comme modèle « l’unité sans faille réalisée contre le CPE », c’est-à-dire l’alignement commun sur des revendications minimales). Quelques motions déposées par des syndicats départementaux contre la confédéralisation de la FSU ont été repoussées.

Quant à la question de l’adhésion à la CES (Confédération Européenne des Syndicats) et à la CSI (Confédération Syndicale Internationale), la direction a voulu prendre prétexte de l’isolement international de la FSU pour agir dans l’urgence. D’ailleurs, elle n’a pas attendu le congrès pour commencer à travailler avec la CES en particulier. Les textes du congrès affirment qu’il ne faut pas « rejeter le niveau européen » et en appellent à une « Europe politique », dont l’objectif serait de développer les services publics au niveau européen ; ils prétendent même que l’Union Européenne pourrait jouer ce rôle ! La FSU « oublie » ainsi que l’Union Européenne est un instrument des bourgeoisies européennes pour mener des attaques concertées contre les travailleurs, évoquant même une prétendue tradition d’« harmonisation » de l’UE, seulement rompue ces dernières années avec la directive Bolkestein... En harmonie avec la CES, la FSU revendique une place de colégislateur pour une définition européenne des services publics. C’est ainsi qu’elle mène campagne pour une pétition lancée par la CES, qui réclame une directive-cadre sur les services publics en entretenant sciemment la confusion entre les véritables services publics, qui sont financés à 100 % par l’argent public, et les prétendus « Services d’Intérêt (Économique) Général » (SIEG ou SIG), qui peuvent être privés ou semi-privés ! (2) Une motion condamnant la reprise de la pétition de la CES par la FSU a reçu 40 % des votes du congrès.

Toutefois, au moment de faire avaliser par le congrès cette orientation d’intégration à la CES et à la CSI, il y a eu un recul de la direction. Ceci est à mettre à l’actif des différentes tendances oppositionnelles (Émancipation, Pour la Reconquête d’un Syndicalisme Indépendant, Front Unique) et de certains syndicats départementaux ou syndicats nationaux (SNUEP, SNETAP) où sont influents notamment des militants du PRCF (Pôle de Renaissance Communiste en France) au sein d’U&A. Ensemble, ces différents militants ont dénoncé le caractère complètement intégré de la CES à l’UE (avec en particulier l’appel à voter pour le Traité constitutionnel européen) et l’accompagnement des contre-réformes que prône ouvertement la CSI.

Malgré tout, la question de l’adhésion de la FSU à la CES et à la CSI reste à l’ordre du jour immédiat. Les amendements proposant que seul un prochain congrès puisse en décider ont été repoussés et mandat a été donné aux instances d’organiser la consultation des syndiqués par vote individuel (sans aucune garantie sur la loyauté de la discussion, puisqu’une motion pour que celle-ci soit menée dans les publications internes a été repoussée). Ainsi le texte final issu du congrès croit-il bon de préciser que 55 % des délégués se sont prononcé pour l’adhésion immédiate à la CSI, mais c’est en dessous de la « majorité qualifiée » de 70 % nécessaire à l’adoption de toute décision, et donc caduc.

Pour une alternative de lutte de classe à la direction de la FSU

Pour les militants lutte de classe dans la FSU, qui refusent de voir leur organisation se transformer purement et simplement en un rouage de l’État bourgeois et de ses avatars supranationaux, il faut donc plus que jamais continuer le combat contre la direction. Sur les grandes questions qui se posent aux travailleurs, en particulier dans l’Éducation, les différentes tendances qui se réclament de l’opposition à la direction de la FSU (ainsi que les militants oppositionnels à l’intérieur même de la tendance majoritaire Unité et Action, qui doivent cesser d’être inconséquents en rompant avec celle-ci) peuvent se retrouver sur les points suivants :

• Pour l’abrogation des contre-réformes des gouvernements successifs ;

• Contre le « syndicalisme d’accompagnement », la « concertation » sur les contre-réformes et le prétendu « dialogue social » ;

• Contre les restricitons budgétaires ;

• Pour la défense des statuts des personnels, contre le transfert des fonctionnaires d’État aux collectivités territoriales, pour la titularisation immédiate des précaires ;

• Pour la solidarité internationale avec les travailleurs et les peuples opprimés, contre l’union sacrée derrière le gouvernement, en particulier dans ses interventions impérialistes (Liban, Afghanistan, Afrique) ;

• Contre l’extension du champ de syndicalisation de la FSU, pour l’ouverture de discussions en vue de la refondation d’une grande confédération unifiée, de lutte et démocratique (préservant le droit de tendance) ;

Contre l’intégration de la FSU à la CES et à la CSI ;

Pour l’utilisation des méthodes les plus efficaces de lutte et en premier lieu la grève et la constitution d’un fonds spécial pour les grèves, avec l’objectif de la grève générale face aux attaques globales du gouvernement quel qu’il soit.

Ce n’est qu’en s’unissant sur cette base que les tendances et militants oppositionnels pourront constituer une alternative crédible à la direction de la FSU et mener un combat efficace pour son éviction, afin que cette fédération devienne un outil efficace pour la lutte de classe des travailleurs de l’Éducation.

Frédéric Traille

Bilan du congrès académique du SNES-Créteil

Le congrès académique du SNES-Créteil (syndicat qui regroupe les adhérents des départements 93, 94 et 77) s’est réuni du 13 au 15 mars. Il s’agissait principalement de débattre des textes soumis à la discussion par l’actuelle direction nationale dans le cadre de la préparation du congrès national du SNES (fin mars-début avril).

Composition du congrès

80 délégués étaient présents lors des séances les plus suivies. C’est un chiffre qui est bien inférieur au nombre de délégués théoriquement possible. En effet, chaque section d’établissement (S1) a droit à un délégué, à quoi s’ajoute un second délégué pour les sections ayant plus de 20 adhérents (et ainsi de suite). Comme le SNES-Créteil compte environ 4 500 adhérents à jour de cotisation, il y aurait pu y avoir au minimum 200 délégués — en fait bien davantage, car beaucoup de S1 ont moins de 20 adhérents. Même si la réunion du congrès de la FSU en janvier a sans doute encore accentué ce phénomène, c’est un signe de l’implication relativement faible des adhérents de base dans la vie du syndicat et de la gravité de l’hémorragie militante, qui semble bien supérieure au recul du nombre d’adhérents.

Sur les 80 délégués, il y avait environ 65 membres du courant Unité et Action (U&A), qui dirige le SNES au niveau national, une dizaine de membres de la tendance École Émancipée (EE), qui co-dirige le SNES au niveau national, trois membres de la tendance Pour la Reconquête du Syndicalisme Indépendant (PRSI), deux représentants d’Émancipation et un militant de la tendance Front Unique (FU, tendance de la FSU qui est cependant trop faible pour exister comme tendance à l’intérieur du SNES). Chaque tendance est relativement homogène sur les grandes orientations. Toutefois, U&A, longtemps tenue d’une main de fer par le PC, est devenue aujourd’hui, en raison de la crise du PC, la tendance plus hétérogène, comme l’a montré la diversité de ses votes sur toute une série d’amendements.

Un exemple de démocratie syndicale

Si le congrès s’est déroulé dans des conditions matérielles parfois difficiles en raison d’un certain manque de préparation, il a été marqué par une remarquable démocratie syndicale. Tout militant présent au congrès, délégué ou non, a pu prendre la parole, toutes les personnes s’inscrivant dans la discussion pouvait s’exprimer avec un temps égal, quelle que soit leur orientation, et tous les textes et amendements proposés (par une tendance ou par un militant à titre individuel) ont été distribués aux congressistes, débattus et soumis au vote. C’est là un exemple de démocratie syndicale, sur lequel les militants de lutte de classe doivent s’appuyer pour l’imposer aussi au niveau national dans le SNES et la FSU et plus largement dans tous les autres syndicats, même si les conditions de la « démission » de Goulven Kerien, secrétaire départemental du SNES 93, doivent conduire à nuancer cette appréciation (cf. plus bas).

Sur l’analyse de la situation (3)

Le congrès a largement amendé le projet de la direction nationale sur l’analyse de la situation. Au lieu de se borner à la dénonciation superficielle du « libéralisme » ou de dénoncer simplement le gouvernement de droite, comme si la « gauche » au pouvoir avait fait une politique substantiellement différente, le texte adopté indique que « le gouvernement, comme tous ceux qui depuis des années ont refusé de contester le système capitaliste, mène une politique de classe de plus en plus agressive ». Dans le même esprit, le congrès a rejeté, à l’unanimité moins une voix, une motion proposant d’appeler à voter au second tour pour le candidat de « gauche » le mieux placé. Le texte adopté dénonce correctement dans l’ensemble les politiques des dernières années et qualifie en particulier à juste titre de « révolte des jeunes des banlieues » ce que la direction nationale du SNES appelle pour sa part « la crise de novembre 2005 avec les jeunes de banlieue »…

Mais cela n’empêche nullement le texte de se situer pour l’essentiel sur le plan d’un réformisme classique. Il se prononce pour « un mode de développement qui permette de satisfaire les besoins de tous », en précisant que « cela implique de revoir les modes de production et de consommation actuels ». Dans le même esprit, le texte explique que « la baisse du chômage résultant aujourd’hui essentiellement des radiations de l’ANPE du développement des emplois précaires doit être obtenue par la mise en œuvre de politique macro-économique favorable au plein emploi », comme s’il était possible de combattre le chômage sans s’attaquer directement à la propriété privée des moyens de production. C’est pourquoi il reprend logiquement l’idée de « sécurité sociale professionnelle », particulièrement dangereuse pour les travailleurs (cf. la déclaration du CILCA publiée dans Le CRI des travailleurs n° 25) : il se prononce pour « un nouveau statut du salarié affectant à chacun des droits transférables en matière de rémunération, de droit à la formation et à la retraite ». De plus, par delà la rhétorique anti-capitaliste du premier paragraphe, il parle de « partenaires sociaux » pour désigner les organisations ouvrières et les organisations patronales et prend position pour davantage de « dialogue social ». Enfin, le congrès a repoussé, conformément à la position de la direction U&A et à une majorité relativement courte, une motion présentée par le délégué de FU (et appuyée par Émancipation et PRSI) pour le droit de vote des étrangers à toutes les élections (et non aux seules élections locales). Toutes les tendances oppositionnelles ont à juste titre voté contre le texte final.

Droits, libertés et solidarité internationale

Le congrès a ensuite examiné une longue série de motions concernant la défense des droits et libertés ainsi que la solidarité avec les luttes de travailleurs dans le monde. Tous les textes faisant intervenir des questions politiques générales restent fortement marqués par l’empreinte de la politique et de l’idéologie du PCF rallié au capitalisme. Par exemple, le texte concernant la question palestinienne, malgré des amendements qui l’ont rendu moins odieux, continue de s’inscrire dans le cadre de la politique dictée par les brigands impérialistes à travers l’ONU, qui revient à appuyer l’État colonial israélien contre le peuple palestinien. De même, le congrès a rejeté une motion condamnant l’intervention de l’impérialisme français en Afrique et exigeant le retrait de ses troupes. Cette motion, proposée par FU, et soutenue par Émancipation, n’a d’ailleurs pas été appuyée par PRSI : c’est là une preuve de plus que le PT et son courant CCI ont sur cette question (comme sur bien d’autres) rompu avec le marxisme, qui fait un devoir et même une priorité aux militants ouvriers de combattre leur propre impérialisme.

Le congrès a approuvé une motion concernant le soulèvement de la jeunesse des banlieues, qui pose la question de l’amnistie pour tous les révoltés, sans pour autant l’exiger formellement : cette résolution, très en retrait par rapport au nécessaire soutien à cette révolte légitime des plus exploités et des plus opprimés, constitue néanmoins une évolution vers la gauche des positions du SNES sur le sujet.

Enfin, à mon initiative, une motion d’appui aux travailleurs de l’usine Cipla de Joinville au Brésil (cf. les documents ci-dessous) a été adoptée à une très large majorité.

Malgré leurs limites politiques, toutes ces motions ont l’intérêt d’aider les militants syndicaux à ouvrir leur conscience au-delà des questions strictement corporatives, contribuant à donner une réalité concrète à l’idée, affirmée dans les statuts du SNES, selon laquelle la lutte des enseignants est inséparable de celle du reste de la classe ouvrière. De ce point de vue, l’intervention de la dirigeante de l’École Émancipée contre le principe même de ces motions est véritablement affligeante pour une tendance dirigée par la LCR, qui se revendique du combat révolutionnaire : elle a affirmé que le congrès perdait son temps avec ses motions et devait se consacrer aux questions spécifiquement enseignantes, bref qu’il fallait renforcer au maximum l’étroitesse corporative du syndicat, pourtant déjà importante, notamment en raison de son existence séparée des confédérations depuis plus de cinquante ans.

Quel combat pour quelle école ?

Le congrès a, sur ce thème aussi, largement amendé le texte de la direction nationale. Les amendements adoptés ajoutent ou améliorent également un certain nombre des points qui faisaient défaut dans le texte initial. Le congrès s’est ainsi prononcé pour une ferme défense du baccalauréat comme examen national et anonyme qui soit le premier grade universitaire, contre le contrôle en cours de formation (CCF), c’est-à-dire l’introduction du contrôle continu au bac, qui en ferait un diplôme local, portant gravement atteinte au principe d’égalité des droits. Il s’est également prononcé contre la volonté du gouvernement d’introduire de façon détournée la sélection à l’entrée de l’Université, en soulignant que le bac devait rester la seule condition d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur.

Le congrès a exigé la fin des collèges et lycées « ambition réussite » instaurés par Robien, qui non seulement pompent les moyens déjà insuffisants alloués au ZEP, mais en outre constituent un véritable laboratoire de la déréglementation (mise en place de « professeurs-référents », recrutement de personnels précaires, etc.). Il a revendiqué la hausse des moyens à attribuer aux ZEP, en soulignant que, selon une étude de Thomas Piketty, limiter l’effectif d’une classe à 18 élèves en ZEP diminue de 40 % l’écart des résultats avec les élèves « hors ZEP ».

Tout en l’assortissant de graves concessions idéologiques, le congrès a maintenu l’opposition du SNES-Créteil à l’option « découverte professionnelle » en troisième, ouvrant grand les portes de l’école aux patrons pour qu’ils puissent formater et sélectionner une main-d’œuvre bon marché. En revanche, tout en critiquant le recours croissant à l’apprentissage et en réaffirmant la défense de l’enseignement professionnel public, il ne s’y oppose pas par principe, ce qui est inacceptable, car l’apprentissage en alternance, c’est l’exploitation pour des centaines de milliers de jeunes encore en âge scolaire. Cependant, le congrès a adopté, malgré l’avis défavorable du rapporteur, l’amendement que j’ai proposé pour l’abrogation de la Loi sur l’Egalité des Chances (LEC) qui autorise l’apprentissage en alternance dès 14 ans.

Les représentants de PRSI, d’Émancipation et de FU ont voté contre l’ensemble du texte. Émancipation, tout en ayant bataillé en commission pour intégrer le maximum d’amendements progressistes au texte de la direction, a proposé à juste titre un texte alternatif dont l’esprit général est résumé par les deux extraits suivants : « Face à ces attaques multiples, le SNES (…) prend l’engagement de travailler dans l’unité intersyndicale à la construction de la lutte centralisée indispensable pour obtenir l’abrogation de toutes les lois, le retrait de tous les projets qui organisent le démantèlement du service public d’éducation. (…) La création d’un système éducatif réellement démocratique et progressiste ne pourra se faire sans la mobilisation et la lutte déterminée de tous les travailleurs et des travailleuses. Nous n’avons pas pour objectif d’optimiser le système éducatif de la société capitaliste libérale d’aujourd’hui et tel n’est pas le rôle d’un syndicat. C’est par la lutte sociale et la rupture avec le capitalisme que nous pourrons bâtir les fondements d’une autre école dans une autre société. »

Quelles revendications corporatives ?

Pour ce thème, le texte proposé par la commission intégrait un certain nombre d’amendements justes par rapport au texte national : revendication d’une retraite à taux plein à 60 ans avec 75 % du dernier traitement et après 37,5 annuités ; opposition à la suppression du système actuel de notation (note administrative, note pédagogique), car, malgré tous ses défauts, il constitue encore un rempart contre l’instauration de l’arbitraire pur et simple, qui est l’objectif du patronat et des gouvernements pour discipliner les personnels ; opposition explicite au projet du Ministère d’instaurer des CAPES bivalents ; opposition aux contrats de droit privé (fussent-ils des CDI) dans la fonction publique, puisqu’ils sont inférieurs aux garanties statutaires ; enfin, opposition au recrutement de personnels précaires.

Mais le texte de la commission ne se prononçait pas pour la titularisation immédiate et sans condition de tous les précaires, comme le revendique le collectif des non-titulaires d’Île-de-France, dont une représentante a pu s’adresser au congrès : l’amendement en ce sens présenté par Émancipation a été rejeté. PRSI n’a pas voté pour, sans doute en vertu du principe selon lequel les personnels doivent être recrutés sur concours. Le principe est juste, mais la conséquence fausse. En effet, non seulement les enseignants non-titulaires sont dans l’immense majorité les premiers recalés des concours, victimes de la baisse massive du nombre de postes dans les dernières années, malgré les besoins importants ; mais en outre l’État leur reconnaît de fait la qualification pour enseigner, puisqu’il leur fait donner des cours dans les établissements placés sous sa responsabilité. Ne pas exiger leur titularisation sans conditions, c’est cautionner la politique des gouvernements qui ont ainsi artificiellement créé des précaires pour faire des économies, miner le statut et diviser les personnels.

Le congrès s’est prononcé pour « un véritable service public de l’accompagnement scolaire dans les établissements par des personnels qualifiés, volontaires (enseignants dont cet accompagnement sera pris en compte dans le service par une diminution de temps de présence devant les élèves ; étudiants surveillants) ». C’est une position correcte : un tel dispositif contribuerait à diminuer les inégalités entre les élèves dont les parents ont la formation nécessaire pour aider leurs enfants dans leurs devoirs et/ou les moyens matériels de payer des professeurs particuliers, et les élèves issus de milieux défavorisés. En précisant que seuls les enseignants volontaires pourraient se voir confier ses missions, la position adoptée rejette la transformation de collègues en simples répétiteurs, comme c’est le cas pour ceux dont le service est quasi-exclusivement composé d’AI (heures d’Aide Individualisée).

Plusieurs amendements progressistes ont été approuvés par le congrès contre l’avis de la rapporteuse. À mon initiative, le congrès s’est prononcé pour que le SNES maintienne son exigence d’abrogation de la loi Fillon sur l’école de 2005. Il a également approuvé l’exigence du rétablissement de l’ancien statut de MI-SE (maîtres d’internat-surveillants d’externat) amélioré et d’un recrutement à hauteur des besoins — alors que le projet de texte de la direction nationale revendique « un » statut de MI-SE, très en retrait par rapport à l’ancien statut, puisqu’il s’agirait d’une amélioration du statut d’Assistant d’Éducation (AED) avec un contrat renouvelable automatiquement chaque année pendant huit ans, et non d’un statut de fonctionnaire-stagiaire, avec un temps de travail de 35 h, au lieu des 28 h des MI-SE à temps plein. Le congrès a également adopté, toujours contre l’avis de la rapporteuse, un amendement, défendu par PRSI et appuyé par Emancipation et moi-même, qui clarifie et précise les positions sur la défense des statuts contenus dans le texte de la commission : « Le SNES demande l’abrogation du décret Robien du 13 février 2007 et se prononce pour le maintien de l’ensemble des garanties statutaires actuellement contenues dans les décrets du 25 mai 1950 (et du décret du 6 novembre 1992 pour les PLP), ainsi que leur extension à tous les personnels précaire, et tout particulièrement : • le maintien du droit à un poste entier dans un seul établissement (l’éventualité d’un complément de service devant rester limité à la même commune) ; • le maintien de la définition exclusive des obligations de service en maxima hebdomadaires d’heures de cours dans la discipline de recrutement, dans le type d’établissement correspondant aux corps (agrégés et certifiés en lycée et collège, PLP en LP) et ce aussi pour les TZR ; • le maintien sans aucune restriction de toutes les heures de décharges statutaires (1ère chaire, laboratoire,…) et le maintien des conditions actuelles d’attribution ; • le maintien du forfait UNSS. »

Syndicalisme lutte de classe ou syndicalisme d’accompagnement ?

Sur ce point, abordé en fin de congrès, le débat s’est presque réduit, faute de temps, à la discussion autour du projet de la direction nationale de la FSU d’adhérer à la CSI (Confédération Syndicale Internationale). Malgré plusieurs interventions contre l’adhésion à la CSI et à la CES (y compris de plusieurs militants d’U&A, notamment de l’ancien secrétaire académique), le congrès s’est rallié, par une majorité d’environ deux tiers, à une motion préconisant que le congrès ne prenne pas position et se borne à ouvrir le débat parmi les syndiqués en publiant toutes les contributions. Si l’on peut se réjouir que le congrès ne se soit donc pas prononcé pour l’adhésion à la CSI et à la CES (contrairement à d’autres congrès académiques), la motion adoptée n’en est pas moins une défaite pour le syndicalisme de classe, car cela a empêché qu’un vote soit organisé sur la motion qui se prononçait contre l’adhésion à la CSI et à la CES. Cela est d’autant plus vrai qu’il était tout à fait envisageable que, en cas de vote sur le fond, une majorité se dégage contre cette adhésion. En effet, non seulement la tonalité générale du congrès était combative, mais en outre plusieurs congressistes ayant voté la motion pour l’organisation du débat sur l’adhésion à la CES dans le syndicat, ont expliqué en séance qu’ils étaient sur le fond contre l’adhésion. De plus, une motion de PRSI condamnant la pétition de la CES pour des SIEG (Services d’Intérêt Économique Général), qui peuvent être assurés aussi bien par des entreprises privées que publiques (cf. ci-dessus l’article de Frédéric Traille) a été adoptée.

Quelle tactique pour obtenir l’abrogation du décret Robien ?

La motion Action adoptée par le congrès comporte certes toute une série d’éléments progressistes par rapport à la position de la direction nationale, qui se borne à encourager les actions locales sans perspectives, ce qui constitue l’obstacle principal à une lutte victorieuse contre le décret Robien. En effet, elle pose la perspective d’une manifestation nationale à Paris, avec appel à la grève, elle appelle les enseignants à se réunir en AG au lendemain du 20 mars pour « mettre en débat la reconduction de la grève » et décide de convoquer des AG de militants dans chaque département de l’académie. Mais le congrès a rejeté à une écrasante majorité ma proposition de demander à la direction nationale du SNES d’appeler à la grève jusqu’au retrait à partir du 21 mars, seul moyen pour relancer une dynamique de lutte capable de relancer la mobilisation en masse des collègues. En ce sens, la radicalité du ton de la motion ne doit pas tromper : elle ne mangeait pas de pain à un moment où la construction d’un mouvement puissant par en bas semblait déjà bien compromise par les mois d’atermoiements et d’inaction de la direction nationale des principaux syndicats enseignants au niveau national. De fait, la direction du SNES-Créteil ne défendait nullement cette position au moment où, à la rentrée de janvier, dans la dynamique du 18 décembre, elle aurait pu être un ferment décisif pour ouvrir la voie à un combat victorieux contre le décret Robien.

Cette appréciation de la motion Action adoptée est pleinement confirmée par un fait survenu peu avant le congrès : la majorité de la direction académique avait acculé le secrétaire départemental du SNES-93, Goulven Kerien, à la démission. Ce dernier tombait victime d’une offensive bureaucratique pour avoir été trop proche de ceux qui cherchaient à engager une lutte résolue en janvier. Il avait notamment soutenu l’appel intersyndical à la grève du 25 janvier en Seine-Saint-Denis (publié dans notre précédent numéro), ainsi que plusieurs appels à des AG d’après manifestation. Il s’était aussi tout récemment mis en grève de la faim en solidarité avec Roland Veuillet, Conseiller Principal d’Éducation (CPE) réprimé pour son activité syndicale depuis 2003. Les motifs de l’attaque scandaleuse contre ce militant sont d’autant plus clairs que le bilan de Goulven Kerien à la tête du SNES-93 était excellent en termes de recrutement (point signalé par le rapport financier académique qui indique d’ailleurs que 43 % des adhérents du SNES-Créteil enseignent dans le 93) et de résultats aux élections professionnelles. L’intervention d’Émancipation pour que le congrès invite Goulven Kerien à revenir sur sa démission n’a malheureusement pas été suivie d’effet, puisque le responsable de cette tendance n’a pas soumis la question au vote et a fini par quitter le congrès le dernier jour au milieu de l’après-midi, en signe de protestation.

Conclusion

Le congrès du SNES-Créteil a confirmé que la direction académique U&A, si elle fait toute une série de pas en avant progressistes par rapport aux positions et au comportement de la direction nationale d’U&A, n’a toujours pas rompu avec son courant national sur des points décisifs : elle n’a pas pris position contre l’adhésion à la CSI et à la CES, condition de l’affirmation claire d’un syndicalisme de classe contre le syndicalisme d’accompagnement ; elle n’a pas mis en cause la tactique suicidaire de la direction nationale qui multiplie les journées d’action sans perspectives et qui pousse les enseignants dans les actions locales vouées à l’échec, elle a voté contre la demande d’un appel national à la grève jusqu’au retrait ; elle a avalisé l’éviction de son plus actif et plus combatif secrétaire départemental ; enfin, elle n’a pas pour objectif de se battre pour une école réellement démocratique et progressiste, parce qu’elle ne fait pas de la lutte contre le capital un élément constitutif de son orientation. C’est pourquoi il est nécessaire, pour les militants lutte de classe de l’enseignement, de continuer à œuvrer à la construction d’un puissant regroupement de lutte de classe dans le SNES, avec l’ensemble des militants de classe, quelle que soit actuellement leur tendance, dans l’académie de Créteil comme au niveau national.

Stéphane

Bilan du congrès académique du SNES-Versailles

Le congrès académique du SNES-Versailles (départements 91, 92, 95 et 78) s’est tenu les 8, 15 et 16 mars. Il a rassemblé environ 90 délégués, porteurs d’à peu près 110 mandats, et une poignée d’adhérents participant au congrès en tant qu’observateurs. Le syndicat comptant 4 874 adhérents (répartis dans 373 établissements sur les 534 que compte l’académie), on constate l’absence de 75 % des délégués potentiels, révélant l’ampleur de la crise du militantisme qui frappe le SNES (nous y reviendrons).

La direction U&A du SNES-Versailles est plus droitière que celle du SNES-Créteil (cf. l’article précédent). En conséquence, la tendance École Émancipée se démarque plus nettement de la direction sur un certain nombre de points, tout en co-élaborant avec elle, comme ailleurs, les principaux textes d’orientation et en participant aux exécutifs départementaux et académique. La tendance Émancipation n’était pas présente au congrès. PRSI était représenté par trois militants (dont Jack Lefebvre, principal dirigeant de cette tendance au niveau national) et FU par deux (dont Olivier Lestang, tête de liste FU pour les élections internes à la FSU).

Pour ma part, membre à ce stade d’aucune tendance et participant pour la première fois à un congrès du SNES, j’ai choisi d’intervenir en priorité sur la question de l’action et sur le thème 3 concernant l’avenir du syndicalisme, tout en votant pour tous les amendements proposés qui me semblaient améliorer les différents textes soumis au congrès.

La discussion s’est déroulée de manière globalement assez démocratique, mais certains amendements n’ont pas été soumis au vote (sous prétexte d’avoir été présentés trop tard) et le temps de parole était parfois inégal (certains délégués ont été interrompus alors que d’autres, notamment à la tribune, parlaient très longtemps). De plus, la distribution tardive des textes et des amendements rendait souvent difficile leur analyse attentive, conduisant à se déterminer de façon trop précipitée. Enfin, des tensions sont apparues le deuxième jour, non entre les tendances, mais entre les dirigeants et un certain nombre de jeunes délégués, comme nous allons le voir.

Affrontement sur les perspectives de l’action immédiate

Malgré la réticence de la direction académique, il a été possible de soulever la question de l’action en cours des enseignants dès les réunions de commission le 8 mars, alors qu’elle n’était pas prévue à l’ordre du jour. Pendant le congrès lui-même, la semaine suivante, cette question a vu s’affronter des positions contradictoires. La motion présentée par la direction académique et adoptée par le congrès est un condensé de l’orientation générale du SNES : après un rappel correct des revendications immédiates des enseignants, elle propose une « mobilisation » dans la durée, « avant les élections présidentielles et après », dont l’objectif principal soit la communication avec « l’opinion publique » et surtout « l’interpellation » des « responsables politiques actuels et futurs », en un mot les candidats à la présidentielle… En conséquence, la motion se réjouit tout particulièrement des pitoyables « opérations tam-tam » décidées par les syndicats nationaux appelant à la grève et à la manifestation du 20 mars (et qui ont d’ailleurs subi un échec cinglant, les collègues refusant d’être prise pour des crétins). Et elle propose un calendrier d’« initiatives régionales »… jusqu’au mois de mai ! Bref, la direction et la majorité U&A des congressistes du SNES-Versailles (83 voix pour la motion U&A, 14 contre, 7 abstentions) persistent dans leur refus d’engager le combat pour la grève jusqu’au retrait du décret de Robien et la restitution des heures et des postes supprimés.

À l’opposé, j’avais rédigé une proposition de motion qui, après discussion et amendements, a permis d’obtenir un accord avec les militants d’École Émancipée. J’ai donc pu la présenter au congrès comme « motion pour l’action d’École Émancipée et de militants hors tendance » (quelques délégués et moi-même). Cette motion, qui s’appuie sur l’Appel de l’AG des grévistes du 92 Nord (cf. ci-dessus), et que l’on peut lire ci-après, aurait constitué un point d’appui important pour aider à mobilisation des collègues et faire pression sur le SNES national comme sur les autres syndicats ; mais la plupart des délégués U&A ont évidemment fait bloc contre elle : elle a obtenu 15 mandats contre 82 et 7 abstentions. Les délégués de PRSI et de FU n’ont pas voté pour, mais se sont abstenus, assumant ainsi leur refus d’une orientation de construction de la grève comme seul moyen de gagner.

Pour ma part, j’ai voté pour les textes respectifs de ces deux tendances, se prononçant l’un et l’autre pour une manifestation nationale centrale à Paris : même s’ils commettaient la grave faute politique de ne pas énoncer l’objectif de la grève pour gagner, ils proposaient la perspective d’une centralisation de la mobilisation qui serait en elle-même utile dans cette voie. La motion de FU a obtenu 6 suffrages (78 contre, 10 abstentions, 10 NPPV). Le texte de PRSI a rassemblé 19 voix (73 contre, 9 abstentions, 2 NPPV), mais ce n’était pas une motion : c’était un amendement au texte de la direction, les militants du PT montrant ainsi une fois de plus qu’ils ne s’opposent pas frontalement à celle-ci, mais s’inscrivent dans le cadre qu’elle définit, tout en concevant leur propre intervention comme une sorte de pression de gauche sur cette ligne.

Enfin, j’ai proposé une motion pour que le congrès appelle à une Assemblée générale des grévistes d’Île-de-France après la manifestation du 20 mars, afin de discuter collectivement et de décider des suites. Cette fois, une poignée d’adhérents hors tendance, voire d’U&A, et les deux délégués FU ont voté pour. PRSI, en revanche, a voté contre, confirmant sa couverture de la direction du SNES, qui refuse de toutes ses forces tout ce qui pourrait permettre l’auto-organisation des personnels. Cette motion a été rejetée par 70 voix contre, 21 pour, 9 abstentions et 4 NPPV.

Suppression du thème « droits et libertés »

La direction du SNES-Versailles a supprimé le thème « droits et libertés », traditionnel dans les congrès du SNES, pour le remplacer par un thème « femmes », d’ailleurs reporté en fin de congrès. C’est le produit d’un accord entre une partie d’U&A et École Émancipée, qui voit là une grande victoire à son actif. Mais, sans faire avancer particulièrement la question de la défense des droits des femmes au-delà de constats bien banals, cela a surtout conduit à empêcher toute discussion sur les questions de solidarité, notamment internationale. Ainsi n’ai-je pas eu le droit de présenter la motion que j’avais préparée en solidarité avec les ouvriers de l’usine Cipla au Brésil. De même, le représentant de FU n’a pas pu présenter sa motion très juste contre le pillage de l’Afrique par l’impérialisme français et pour le retrait immédiat et inconditionnel des troupes françaises. Quand on compare cette situation avec les échanges qui ont pu avoir lieu au congrès du SNES-Créteil, on ne peut que se rendre à l’évidence : la suppression du thème « droits et libertés » aggrave la dépolitisation des militants et le repli sur les questions corporatives.

Éléments positifs et points à combattre dans le texte sur la fonction de l’école

En ce qui concerne le « thème 1 » (« Un second degré ambitieux pour l’accès de tous aux savoirs et aux qualifications »), n’ayant pu assister qu’à une partie de la discussion et faute d’avoir pu prendre connaissance à temps de l’ensemble du texte proposé, j’ai dû m’abstenir sur le vote global. Cependant, la lecture de celui-ci justifie le vote contre émis par 11 mandats (dont PRSI et FU), alors que 93 l’approuvaient et que 12 s’abstenaient.

Certes, le texte révèle toute une série d’analyses et de revendications très justes, permettant de considérer que le SNES-Versailles reste un vrai syndicat malgré ses dérives et l’orientation impulsée par sa direction. Mentionnons notamment les passages suivants :

• Contre « l’idéologie de "l’égalité des chances" » qui en réalité consiste en une vaste mise en concurrence des élèves et une « logique de contractualisation » individualisée ;

• Défense du « caractère national des diplômes du second degré et du supérieur » et des « qualifications » reconnues dans les « conventions collectives », contre « l’adoption d’un cadre européen de certification professionnelle qui substitue la notion de compétence à celle de qualification » ;

• Dénonciation d’une « orientation » qui « subit les effets d’une conception étroite et gestionnaire », au détriment en particulier des élèves les moins favorisés ;

• Demande d’« abandon » du dispositif de la loi dite sur l’« égalité des chances » qui instaure l’apprentissage dès 14 ans (le texte ne demande cependant pas l’abrogation de toute cette loi) ;

• Refus du renforcement de l’autonomie des établissements et notamment des « conseils pédagogiques » visant à « renvoyer la responsabilité des échecs au niveau local et à créer un système éducatif à plusieurs vitesses » ;

• Demande d’« abrogation de la loi Fillon » contre l’école (2005) ;

• Pour « porter la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans » ;

• Pour le maintien d’« horaires disciplinaires nationaux » ;

• Pour la défense des classes, contre les « groupes de compétence », cache-sexe des groupes de niveaux ;

• Contre l’idéologie gouvernementale de la « mixité des élites », opposée à l’objectif de la « réussite de tous les élèves » ;

• Contre la diminution du nombre d’établissements jugés prioritaires, pour l’abandon du dispositif « ambition réussite » par lequel de Robien brise les anciennes ZEP en enlevant les moyens de la plupart d’entre elles ;

• Contre la suppression ou l’« assouplissement » de la carte scolaire…

Mais le texte contient également un ensemble d’orientations qu’il faut combattre avec la plus grande fermeté : le congrès du SNES-Versailles

• Reprend à son compte la « revendication » de « sécurisation des parcours professionnels », qui n’est qu’un leurre contre les acquis sociaux (cf. à ce sujet la déclaration du CILCA contre la prétendue « sécurité sociale professionnelle » publiée dans notre précédent numéro) ;

• Ne remet pas en cause le principe des stages en entreprise pour les lycéens, ni l’« intervention des entreprises dans les formations », se contentant d’en appeler à la vigilance… des Conseils d’administration !

• Sous prétexte de critiquer la « sélectivité des CFA » (Centres de formation d’apprentis) privés et de « difficultés à trouver une entreprise », il se prononce pour des « CFA publics », au lieu d’exiger uniquement la défense et le développement de l’enseignement professionnel public totalement indépendant des patrons (un amendement en ce sens d’École Émancipée a recueilli 19 voix) ;

• Il se prononce pour un « accompagnement scolaire pratiqué dans un cadre associatif », au lieu de se prononcer (comme notamment le congrès du SNES-Créteil), pour un service public de l’accompagnement scolaire ;

• Tout en soulignant évidemment que « la police ne peut se substituer aux personnels » éducatifs, il n’en ajoute pas moins que celle-ci peut « intervenir dans l’École (…) dans le cadre des actions de prévention organisées en accord avec les personnels », reprenant ainsi à son compte le mythe d’une police utile à la population ;

• Il revendique, sous prétexte de « dialogue social », que les « partenaires puissent intervenir dans la phase d’élaboration des projets », c’est-à-dire que les syndicats deviennent co-législateurs de mesures dont on sait pourtant très bien qu’elles sont systématiquement, depuis des années, régressives pour les personnels comme pour les élèves ;

• Enfin, le congrès a rejeté (par 79 mandats contre, 23 pour, 16 abstentions, 4 NPPV) l’amendement juste, proposé par PRSI, qui se prononçait pour l’abrogation de la Loi Organique sur les Lois de Finance (LOLF), qui contribue à démanteler les statuts des personnels et à faire des économies sur leur dos.

Éléments positifs et points à combattre dans le texte sur les personnels

Le texte adopté par le congrès pour thème 2 (« Des personnels respectés dans leurs métiers, leurs qualifications et leurs droits ») est sans doute celui qui contient le moins de points scandaleux, sans doute parce que les militants d’École Émancipée ont fortement contribué à sa rédaction ; mais il est loin d’en être dépourvu, et c’est pour cela que j’ai voté contre, comme quatre autres délégués (il y a eu 87 mandats pour et 8 abstentions).

Le texte contient un certain nombre de points positifs dont certains se trouvent déjà dans celui adopté pour le thème 1, et dont les autres sont les suivants :

• Opposition à la réduction du nombre des corps de fonctionnaires ;

• Défense des qualifications ;

• Défense de la définition du service en heures d’enseignement ;

• Exigence d’une « diminution du temps de présence devant élèves et d’un abattement forfaitaire pour le travail collectif, géré par les équipes » ;

• Pour le « pré-recrutement d’élèves-professeurs » sur le modèle des anciens IPES étendus et améliorés, les fonctionnaires-stagiaires concernés s’engageant à « exercer plusieurs années après la réussite au concours » ;

• Contre les « mentions complémentaires qui portent une grave atteinte à nos qualifications » et les « CAPES bivalents » ;

• Pour l’abrogation du « cahier des charges de la formation des maîtres » ;

• Pour la « progressivité de l’entrée dans le métier » et notamment pour que « les stagiaires en situation (…) bénéficient d’une décharge de service pour leur permettre de suivre une formation hebdomadaire » ;

• Pour un « temps de formation inclus dans le service » ;

• Contre la « gestion individualisée » des personnels, qui s’oppose à l’égalité de traitements ;

• Pour un droit à mutation reposant sur un « mouvement national unifié, amélioré et nourri par l’implantation des postes nécessaires » ;

• Pour « revenir à un statut d’étudiants surveillants de type MI-SE » et l’intégration des assistants pédagogiques « sous le statut le plus favorable (MISE) » ;

• Pour le droit à la « santé au travail dans l’éducation », la prévention et la reconnaissance et la prise en charge par l’État-employeur des maladies professionnelles des enseignants.

Mais le texte contient également des points inacceptables :

• Non seulement il ne dit rien contre la scandaleuse contre-réforme LMD qui démantèle les diplômes universitaires, notamment en en faisant des diplômes locaux, mais il va jusqu’à appeler à « tirer parti de l’évolution des cursus universitaires », ce qui revient à soutenir implicitement cette réforme ;

• En revanche, il se prononce pour l’« élévation du niveau de recrutement au master » (bac + 5), alors que, aujourd’hui, les étudiants peuvent passer à bac + 3 la plupart des concours de recrutement (CAPES, le CAPET, le CAPLP2) et que l’agrégation elle-même ne requiert que bac + 4. Or, imposer une élévation du niveau de diplôme requis pour préparer les concours ne garantirait nullement une élévation du niveau des professeurs (les concours sont déjà très sélectifs avec la très forte baisse des postes offerts depuis plusieurs années), mais excluerait des étudiants dont la condition sociale requiert souvent qu’ils puissent tenter le plus tôt possible leur chance pour devenir professeur (je suis intervenu en vain sur ce point et sur le précédent pendant la réunion de la commission) ;

• Le texte se prononce pour la « prise en compte de la préprofessionnalisation dans les épreuves des concours », ce qui constituerait pourtant une porte ouverte à l’arbitraire et une atteinte à l’équité entre les candidats ;

• Il ne prononce pas pour la titularisation sans conditions des précaires, mais pour leur « titularisation par l’inspection dans le cadre d’un stage » ou par « concours interne », allant jusqu’à demander dans ce dernier cas une « entrée en 2e année d’IUFM avec dispense des épreuves théoriques de concours » — ce qui revient à rétrograder des professeurs au rang d’étudiants !

• Pour l’immédiat, il émet des réticences sur le droit à mutation des contractuels en CDI ;

• De plus, le congrès a refusé d’intégrer un amendement, proposé par trois jeunes collègues et soutenu par d’autres, pour la revendication d’une augmentation des traitements, notamment à l’entrée dans le métier, qui soit bien plus substantielle que les « 6 % de revalorisation pour combler le retard depuis 2000 » proposés par le texte du rapporteur ; cet amendement a été rejeté par 63 mandats contre, 17 pour, 15 abstentions, 10 NPPV ; intervenu après une discussion très vive, ce résultat du vote montre un fort décalage entre les dirigeants et cadres du syndicat, d’une part, les jeunes collègues, d’autre part : les premiers, pour la plupart bien avancés dans leur carrière et donc bien rémunérés, sous-estiment la gravité de la situation financière des seconds, surtout dans cette académie de région parisienne où les loyers sont particulièrement élevés ; ce n’est en tout cas pas sans ironie (ou sans hypocrisie ?) que les dirigeants, dans le texte adopté pour le thème 3, se demandent gravement, quand ils s’interrogent sur les causes de la baisse du nombre d’adhérents, si le SNES « prête suffisamment attention aux demandes des jeunes collègues »…

• Enfin, le congrès a également rejeté une motion se prononçant pour que le SNES-Versailles impulse et aide la constitution d’un collectif de collègues TZR (Titulaires sur Zone de Remplacement, dont les conditions de travail sont particulièrement pénibles), afin de tenir compte de leur situation d’itinérants, du fait qu’ils sont souvent victimes de l’arbitraire administratif et affectés dans bien des cas sur plusieurs établissements ; or tout cela « rend la défense de leurs droits difficile pour les sections d’établissement », disait la motion à juste titre, pour justifier la création de ce collectif qui, dans les académies où il existe à l’initiative du SNES et en relation étroite avec sa direction, « constitue le premier contact avec le syndicat » et « joue un important rôle de formation » ; là encore, le rejet de cette motion (par 60 mandats contre — dont PRSI —, 22 pour, 16 abstentions et 2 NPPV) montre que la direction du SNES-Versailles est particulièrement timorée, avec sa peur bureaucratique de toute autonomie des structures ; et, là encore, cela permet de ne pas chercher très loin la raison pour laquelle, comme elle constate elle-même, « comme l’ensemble des syndicats, nous rencontrons des difficultés à syndiquer les personnels en situation précaire ou d’instabilité (contractuels, AED, EVS, mais aussi TZR) » (texte du thème 3, nous soulignons)…

Presque rien de bon dans le texte sur le syndicalisme

En ce qui concerne le thème 3 (« Quel syndicalisme pour aller de l’avant ? »), le texte adopté par le congrès (par 84 mandats pour, 12 contre, 1 abstention et 2 NPPV) est de loin le pire de tous : il ne comprend presque rien de bon, hormis quelques propositions visant à faire mieux fonctionner le syndicat. C’est ici que la direction et la majorité des congressistes U&A du SNES-Versailles, révèlent la vraie nature de leur orientation générale. Et que se manifeste également celle d’une bonne partie des délégués d’École Émancipée, qui ont voté pour le texte, après avoir soumis deux ou trois amendements corrects, mais mineurs (notamment pour la féminisation des instances et des listes, pour la rotation des mandats).

Le texte commence par constater lucidement le net recul du syndicalisme enseignant ces dernières années. Certes, « les personnels de second degré ont renouvelé leur confiance dans le SNES lors des dernières élections professionnelles de décembre 2005 », où le syndicat a « conforté encore quelque peu sa majorité absolue ». Mais il n’en reste pas moins que, d’une part, la participation à ces élections est en baisse constante depuis vingt ans, avec près de 40 % d’abstentions en 2005, de sorte que, « en 1987, le SNES représentait 37 % des inscrits », mais « en 2005 à peine plus de 30 % ». Et, d’autre part, la « baisse de syndicalisation » est tout aussi constante : le rapport financier du SNES-Versailles, soumis au congrès, révèle que le nombre d’adhérents dans l’académie est en baisse quasi-continue depuis dix ans (7 012 en 1996-1997, 5 720 en 1999-2000, 5261 en 2003-2004) ; le texte adopté pour le thème 3 tire la sonnette d’alarme en annonçant que « nous n’avons pas assez de militants » et que cette situation va s’empirer dans la toute prochaine période, puisqu’« un tiers des militants partiront en retraite d’ici 5 ans ».

Mais comment la direction du SNES explique-t-elle ce recul ? Au-delà de causes socio-politiques générales sur lesquelles nous ne pouvons revenir ici (relevant de ce la crise générale du mouvement ouvrier), force est de constater qu’elle est incapable de remettre en cause son orientation, qui est pourtant clairement l’une des raisons de la baisse du nombre de militants. De fait, le texte adopté constate lui-même des « reculs plus ou moins importants selon les années, en particulier en 1998-2000 (réformes Allègre) et 2003-2004 (après le mouvement social de 2003) », mais au lieu d’en conclure que des centaines de militants ont rompu avec le SNES à cause de sa politique attentiste et notamment son refus d’appeler à la grève générale des enseignants, le texte en conclut : « Moins qu’une rupture avec le SNES, on a assisté dans ces périodes à une démobilisation des militants qui forment le tissu syndical. » Bref, la direction n’a rien à se reprocher, elle n’est pour rien dans ce qu’elle considère apparemment comme une simple démotivation psychologique des militants !

Quant aux remèdes qu’elle propose pour enrayer la chute du militantisme, il est pire que le mal ! Il affiche l’objectif d’« être une force de proposition plus affirmée », car « c’est (…) en étant perçu comme une véritable force de proposition avec un projet lisible par tous que le SNES surmontera les difficultés actuelles. Mais, à tort ou à raison, il est aujourd’hui pour beaucoup de collègues, le syndicat qui dit non. » Autrement dit, la direction académique, comme la direction nationale, entend continuer à saper ce qu’il reste dans le SNES de la tradition revendicative, de contestation et de lutte, en poursuivant sa transformation en syndicat de « dialogue social » et de concertation avec le gouvernement. C’est ainsi que, au sujet du retrait du CPE non seulement la direction du SNES-Versailles réalise le tour de force de ne pas dire un mot de la grève générale des étudiants bloquant leurs facultés, prétendant que ce recul du gouvernement aurait été imposé par « l’unité entre jeunes, étudiants et salariés et l’unité syndicale constituée par "l’intersyndicale des 12" » (sur ce point, mon intervention n’a évidemment rien changé au texte…) ; mais en outre, elle voit dans cette affaire une autre victoire, en se réjouissant que ce mouvement ait selon elle « provoqué l’ouverture de discussions sur le dialogue social et la représentativité » avec le gouvernement !

Dans ce but d’accroître l’intégration du SNES et de la FSU dans les structures de concertation institutionnelle, le congrès du SNES-Versailles soutient de toutes ses forces la décision la décision fédérale d’« extension [du champ de syndicalisation de la FSU] à l’ensemble des trois fonctions publiques ». Or cette décision revient à faire de la FSU, aujourd’hui présente avant tout dans l’Éducation nationale, une organisation directement concurrente de celles des confédérations, alors qu’il faudrait au contraire combattre pour la réunification du syndicalisme ouvrier (notamment de la CGT, de la FSU, des secteurs combatifs de FO et de Solidaires).

Enfin, le congrès du SNES-Versailles a franchi un pas de plus vers l’intégration du syndicat « dans la perspective d’une Europe sociale de l’Éducation », c’est-à-dire en fait dans sa transformation en « partenaire social » de l’Union européenne. Le prétexte de cette orientation est le constat d’un « rôle accru de la Commission Européenne en matière de préconisations, de processus qui touchent directement les évolutions des systèmes éducatifs ». Mais, loin de vouloir combattre frontalement cette politique européenne fondamentalement régressive (contre-réforme LMD, exigence européenne de privatisations et d’une diminution du nombre d’heures de cours en France, etc.), le texte adopté par le congrès va jusqu’à prétendre que « des dossiers avancent. C’est le cas du cadre européen des certifications professionnelles, des compétences-clés pour les élèves et de la formation tout au long de la vie, etc. » Dès lors, l’objectif ne serait même pas seulement de « contrer certaines orientations et formuler d’autres proposition », mais de « peser de manière plus efficace sur les orientations de la Commission en matière d’éducation et de formation » et même d’aider « l’Europe » à « jouer un grand rôle dans le monde » ! Là encore, il s’agit donc en réalité de faire du SNES un syndicat d’accompagnement de l’Union européenne capitaliste et libérale.

C’est dans ce cadre que le débat du congrès s’est cristallisé sur la question de l’adhésion de la FSU à la CES (Confédération Européenne des Syndicats) et à la CSI (Confédération Syndicale Internationale). Face à la vivacité des interventions contre cette perspective, la direction académique a décidé de soumettre au vote de manière séparée ce passage du texte qu’elle proposait. Sur ce point, elle n’en a pas moins recueilli 76 voix pour, 18 contre, 4 abstentions et 1 NPPV.

Pour ma part, j’ai proposé une motion « contre l’adhésion immédiate de la FSU à la CSI et à la CES, pour le libre débat le plus large dans le cadre de la démocratie syndicale », que l’on peut lire ci-dessous ; elle a recueilli 20 mandats. Les délégués de PRSI et de FU n’ont pas voté pour, sous prétexte (m’ont-ils dit ensuite) qu’elle se prononçait contre « l’adhésion immédiate »… Mais, d’une part, j’avais envoyé le projet de motion avant le congrès, par courriel, à Jack Lefebvre, responsable de PRSI, et étais allé lui parler à ce sujet, sans qu’il prenne la peine de m’indiquer son désaccord sur ce point, pour ne pas parler d’une proposition de motion commune, à laquelle j’étais disposé. D’autre part et surtout, la formulation que j’avais choisie, tout en se prononçant très clairement contre la CES et la CSI, visait à exiger l’organisation d’une véritable discussion à tous les niveaux du syndicat, contre la précipitation de la direction fédérale qui veut contourner les règles de la démocratie syndicale en consultant les adhérents par référendum, précisément pour faire passer au forceps l’adhésion immédiate (au printemps) à la CES et à la CSI ! Or les militants lutte de classe à l’intérieur du syndicat ne doivent pas s’affronter à la direction avec une logique de conflit d’appareils, mais promouvoir avant tout la libre discussion organisée dans le cadre la démocratie syndicale (réunions des structures à tous les niveaux, mandatement et souveraineté du congrès) : cette méthode est la seule qui permette aux adhérents de se saisir et de se prononcer en toute conscience sur les questions en débat.

Cette attitude de PRSI relève donc d’un sectarisme ridicule, consistant à ne s’opposer sur certains points particuliers (tout en couvrant la direction sur bien des points !) que pour tirer la couverture à soi dans une logique d’appareil, au lieu d’essayer de regrouper sur des questions essentielles les militants lutte de classe de différentes sensibilités. Pour ma part, je n’en ai pas moins voté pour les deux amendements proposés PRSI (sans prendre prétexte, par exemple, de l’étrange absence de la CES dans le premier…) : l’un se prononçait « contre l’adhésion de la FSU à la CSI » (24 pour, 65 contre, 10 abstentions), l’autre « contre le soutien à la pétition de la CES sur SIEG (Services d’Intérêt Économique Général) » (16 pour, 69 contre, 12 abstentions, 2 NPPV).

Quant aux délégués de FU, s’ils ne soutiennent certes jamais, quant à eux, la direction, ils limitent leurs interventions à deux ou trois motions, identiques à chaque congrès depuis 20 ans, et qui ne recueillent jamais que leurs propres voix ! L’une se prononce pour que le SNES appelle à voter (sous prétexte de battre la droite) indifféremment pour le PS, le PCF, LO, la LCR ou le PT (mis sur un pied d’égalité !). L’autre exige l’appel à une « manifestation nationale au ministère », tout en refusant de poser la question de la grève jusqu’à la victoire (Olivier Lestang, responsable de FU, a même expliqué, contre mon intervention, que le retrait du CPE n’avait pas été obtenu par la grève des étudiants, mais uniquement par le refus des directions syndicales d’aller négocier avec Villepin sur le CPE !). Ce mécanisme routinier et ce sectarisme incroyable conduisent FU à l’impuissance totale : les délégués n’écoutent pas ses interventions parce qu’ils les connaissent par cœur à l’avance, FU est incapable de regrouper d’autres congressistes autour de ses propositions et, de manière générale, stagne depuis des années.

Cela rend d’autant plus urgent le combat pour rassembler les militants lutte de classe (ceux des tendances oppositionnelles, une partie des militants d’École Émancipée, voire quelques-uns d’U&A, sans oublier des militants hors tendance, notamment des jeunes…) à l’intérieur du SNES et de la FSU comme des autres syndicats. L’objectif ultime est la constitution d’une tendance oppositionnelle de lutte de classe unifiée. Le but immédiat est de combattre ensemble sur les questions les plus urgentes (dans le cadre du mouvement en cours, contre l’adhésion à la CES-CSI, contre la politique de « concertation »…).

Ludovic

Annexe 1 : motion pour l’action proposée au Congrès du SNES-Versailles par École émancipée et des militants hors tendance

Le Ministre De Robien a lancé une attaque d’ensemble contre l’enseignement public, ses élèves et ses personnels :

• Décret du 12 février commençant à démanteler le statut des enseignants du secondaire ;

• Cahier des charges de la formation des maîtres aggravant encore la remise en cause du statut ;

• Projet de décret des EPEP (Établissement Public d’Enseignement Primaire) visant à faire des économies et à placer les écoles sous la tutelle administrative et pédagogique d’un conseil d’administration dominé par les élus locaux ;

• Baisse et insuffisance croissante des Dotations Horaires Globales…

Dans le premier comme dans le second degré, les organisations syndicales se prononcent unanimement contre ces mesures, comme la grande majorité des enseignants, qui ont fait grève massivement les 18/12, 20/01 et 08/02 et qui multiplient aujourd’hui les actions locales (grèves, délégations aux IA, boycott du bac blanc, rétention des notes, etc.).

Malgré cette forte mobilisation, De Robien persiste et signe. En même temps, il lâche quelques miettes pour une minorité d’enseignants, dans le but de semer la division et de désamorcer la colère. Car il sait que cette colère et l’approfondissement de la mobilisation sont extrêmement dangereux pour son gouvernement à la veille des élections présidentielle et législative.

Contrairement à mai-juin 2003, le gouvernement et la majorité parlementaire actuels ne prendraient sans doute pas le risque de continuer à passer en force s’ils étaient confrontés à une montée en puissance généralisée de la mobilisation des enseignants du primaire et du secondaire, soutenus par un nombre significatif de parents, qui sont eux-mêmes des électeurs.

Comme le dit l’Appel de l’AG des enseignants du 92 Nord en grève le 13 mars, « la seule riposte à la hauteur des attaques est la construction d’un mouvement social pour l’Éducation » et « la solution pour gagner, ce n’est pas la dispersion primaire/secondaire et les journées d’action sans perspective ».

C’est pourquoi le congrès académique du SNES-Versailles estime que la situation est particulièrement propice à l’extension et à l’intensification de la lutte. Soutenant l’ensemble des actions décidées localement, le congrès affirme que, pour gagner, l’unification des luttes et la convergence des personnels du primaire et du secondaire est nécessaire, avec la participation des parents et des élèves.

C’est pourquoi, en tant qu’organisation syndicale, le SNES-Versailles prend ses responsabilités en décidant de se battre pour la généralisation du recours à la grève, qui reste la voie la plus efficace pour gagner.

Il propose en conséquence aux collègues de s’engager, avec le soutien d’un maximum de parents et d’élèves, dans la construction d’une grève puissante. Cela passe par le succès de la journée du 20 mars et la convocation d’AG locales et départementales mettant à l’ordre du jour l’articulation de l’ensemble des actions en cours avec la généralisation de la grève.

Le congrès demande au SNES national, aux SNES académiques, départementaux et locaux, de reprendre à leur compte cette orientation et ces propositions. Il interpelle dans le même sens les autres syndicats de la FSU et les autres organisations syndicales de l’Éducation, à tous les niveaux.

15 mandats pour, 82 contre, 7 abstentions

Annexe 2 : motion proposée au Congrès du SNES-Versailles contre l’adhésion immédiate de la FSU à la CSI et à la CES, pour le libre débat le plus large dans le cadre de la démocratie syndicale

La direction de la FSU et notamment celle du SNES voudraient que notre fédération rejoigne la CSI (Confédération Syndicale Internationale) et par là même la CES (Confédération Européenne des Syndicats).

N’ayant pas obtenu la majorité qualifiée au récent congrès de la FSU, la direction veut que les syndiqués se prononcent individuellement sur cette question. Une telle méthode est pour le moins surprenante : la démocratie syndicale ne saurait reposer sur l’atomisation des syndiqués, d’autant moins s’ils ne disposent même pas des éléments d’un véritable débat, dont la direction de la FSU a refusé de fournir les garanties lors du congrès (rejet de la proposition de publier un bulletin de discussion spécial sur cette question). La démocratie syndicale repose au contraire sur le libre débat collectif à l’intérieur des syndicats à tous les niveaux, afin de dégager une majorité par la confrontation et la définition précise de mandats.

Sur le fond, l’adhésion à la CSI et à la CES constituerait un grave tournant dans l’histoire de notre fédération liée au mouvement ouvrier. En effet, au-delà même du débat entre réformisme et révolution, la CSI, née en novembre dernier de la fusion entre la CISL réformiste et la CMT vaticane, n’est pas un syndicat ouvrier indépendant, mais un rouage soi-disant « social » de la mondialisation capitaliste. C’est ainsi la résolution programmatique de la CSI, « approuvée par applaudissement » lors de son congrès fondateur, affirme, dans son 17e chapitre, que les entreprises multinationales « sont un moteur essentiel de la mondialisation, ce qui rend de plus en plus nécessaire et urgente la coopération intergouvernementale sur la réglementation internationale des entreprises ». En conséquence, la CSI sème des illusions en prétendant pouvoir « changer fondamentalement la mondialisation afin qu’elle fonctionne en faveur des travailleurs et des travailleuses, des sans emplois et des pauvres ». Concrètement, cela implique en fait, selon les propos de Guy Ryder, secrétaire général de la CSI, qu’il s’agit d’obtenir non pas le maximum de droits pour les travailleurs, mais seulement « un système minimal de protection pour garantir un système minimal de droits » car « on ne peut arrêter les délocalisations, mais on peut essayer de mettre en place des règles du jeu pour que ces changements soient acceptables ». Corrélativement, la CSI se prononce pour une simple « réforme » des instruments institutionnels de la mondialisation capitaliste : elle réclame « une gouvernance effective et démocratique de l’économie mondialisée, par la réforme du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC ». En un mot, les fondements mêmes de la CSI sont donc ceux d’un « syndicalisme d’accompagnement ». C’est ce que reconnaît Emilio Gabaglio, ancien secrétaire général de la CES et l’un des dirigeants de la CSI, quand il déclare : « Il faut faire du syndicalisme la première ONG de la planète ». Or, réduire le syndicalisme à une ONG, c’est dénaturer le syndicat, renoncer à défendre les intérêts spécifiques des travailleurs !

Quant à la CES, c’est un simple rouage de l’Union européenne : elle a appelé à voter Oui au Traité constitutionnel européen et elle est étroitement associée à la rédaction des directives européennes concernant le droit du travail ou les services publics. Après des années de politique maastrichtienne, on sait ce qu’il en est ! En particulier, la CES refuse de combattre contre les privatisations et de défendre les services publics en tant que monopoles nationalisés, en soutenant que les prétendus « services d’intérêt économique général » (SIEG) peuvent selon elle être aussi bien publics que privés ou semi-privés !

C’est pourquoi le congrès académique du SNES-Versailles se prononce : 

• Contre l’adhésion immédiate de la FSU à la CSI et à la CES ;

• Pour l’ouverture d’une discussion sur ce sujet à l’intérieur des tous les syndicats de la FSU, à tous les niveaux, avec publication de toutes les contributions dans la presse fédérale ;

• Pour que la décision finale soit prise par le prochain congrès de la FSU, conformément aux règles de la démocratie syndicale.

20 mandats pour, 64 contre, 10 abstentions, 5 NPPV


1) Notons que, sur cette question des élections, la tendance Front Unique a une position pire que la direction, ou en tout cas plus explicite : elle affirme dans une motion soumise au vote qu’il faut « tout faire pour battre les candidats de la bourgeoisie », à savoir Sarkozy, Le Pen, Bayrou et De Villiers (cherchez l’absent-e !) et donc appeler les travailleurs à voter pour « les candidats présentés par les partis issus du mouvement ouvrier » (c’est-à-dire indifféremment, selon FU, le PS, le PC, le PT, LO et la LCR !) ; certes, elle précise qu’« un tel vote ne signifie en aucun cas soutien au programme de ces partis », mais elle prétend qu’« ainsi seront réalisées les conditions les moins mauvaises pour les combats à venir »...

2) Dans la pétition de la CES utilisée par la FSU, une note prétend de manière mensongère que « les services publics sont appelés services d’intérêt général (SIG) et services d’intérêt économique général (SIEG) dans la terminologie européenne ».

3) La synthèse proposée ici pour chaque question débattue ne peut être que très partielle, étant donné la taille des textes adoptés et l’ampleur des débats.