Article du CRI des Travailleurs n°26

Syndicalisme étudiant : Il faut lancer dans toutes les universités la lutte contre le rapport Hetzel

Le rapport Hetzel : le plan de bataille de la bourgeoisie contre les étudiants

Lancée par Villepin le 25 avril 2006 à la Sorbonne, la Commission Université-Emploi (Hetzel) a rendu son rapport le 24 octobre 2006 (1). Ce rapport, approuvé par Villepin, est un condensé d’attaques qu’on peut regrouper en trois thèmes : l’orientation active, la professionnalisation, et la restructuration de l’université. Alors que les deux premiers chantiers sont déjà bien entamés, le troisième sera à l’ordre du jour après la présidentielle.

Le principe de l’« orientation active » est de pousser les jeunes à « choisir » l’orientation voulue par le patronat. Pour ce faire, la commission propose que les représentants patronaux donnent directement leur avis dans les conseils de classes dans les lycées. En outre, les étudiants signeraient un contrat à leur inscription pour s’engager sur « un projet de formation et d’insertion » puis passeraient des entretiens qui déboucheraient sur une réorientation vers des filières courtes. Dès aujourd’hui, 62 universités sur 85 ont mis en place le dispositif Goulard de préinscription : les lycéens de terminale remplissent un questionnaire et/ou envoient leurs bulletins, et la fac leur donne un avis, dissuadant les plus faibles de s’inscrire dans certaines filières ou de s’inscrire tout court. Ce n’est pas encore la sélection, c’est l’auto-sélection. Mais d’ores et déjà, Goulard (ministre de l’enseignement supérieur) a indiqué (La Croix du 31 janvier) que les facs pourront refuser d’inscrire les lycéens qui n’auront pas effectué leur démarche de préinscription chez elles.

La professionnalisation vise à faire prendre en charge la formation professionnelle des futurs salariés par l’Université. L’Université n’aurait plus vocation à transmettre des savoirs et savoir-faire, dont l’acquisition définit une qualification reconnue dans les conventions collectives, complétée ensuite par l’employeur pour adapter le travailleur à son poste de travail. L’Université devrait prendre en charge cette formation professionnelle, se transformant en prestataire de services pour le patronat, afin de lui fournir une main-d’œuvre docile et immédiatement prête à l’emploi. Concrètement, la commission préconise de transformer l’ensemble des diplômes sur le modèle des licences professionnelles, avec un contrôle accru du patronat sur le contenu et l’organisation des diplômes : développement des modules professionnels (informatique, écriture de CV, création d’entreprise) au détriment des savoirs disciplinaires, intervention directe de « professionnels » dans les cursus, développement de « chaires » qui permettent au patronat de définir les priorités de formation et de recherche (et aussi d’en tirer un bénéfice direct : privatisation des résultats de la recherche, fourniture quasi-gratuite de stagiaires) en contrepartie d’un apport financier.

Dans la logique même de la réforme LMD (initiée par Lang), la grande masse des étudiants – notamment les enfants des classes populaires – sera invitée à quitter l’Université après la licence, conçue comme un diplôme « light », professionnalisé et terminal. Seule une minorité sélectionnée toujours plus restreinte accèdera aux études longues et de qualité.

Enfin, le rapport ressuscite le projet Ferry abandonné suite à la grève étudiante de 2003, en reprenant sa proposition phare : permettre à chaque université d’adopter le statut d’« université de technologie ». Les facs pourraient ainsi fixer elles-mêmes le montant des frais d’inscription (ce qui les ferait exploser, comme l’a montré l’« exemple » anglais) et sélectionner leurs étudiants à l’entrée. Il s’agirait aussi d’ouvrir encore davantage les conseils d’administration des universités aux représentants patronaux et de renforcer les pouvoirs du président d’université, transformé en super manager des ressources humaines.

L’atomisation du syndicalisme de lutte, le sectarisme et l’opportunisme font obstacle à une riposte unitaire d’ampleur contre le rapport Hetzel

La direction de l’UNEF partage entièrement les objectifs du rapport Hetzel, même si elle en discute certaines modalités. Dans sa contribution au « débat national université-emploi » (2), elle propose ainsi de « professionnaliser toutes les filières » afin de « faire l’université de tous les métiers ». Selon l’UNEF, qui cite notamment la « préparation au projet professionnel », « l’apprentissage à la rédaction de CV ou à la réalisation d’entretiens d’embauche », les modules professionnels doivent être intégrés dans les cursus dès la première année : « D’une façon générale, la professionnalisation doit être considérée comme un contenu d’enseignement à part entière et être développée de façon progressive de la première à la dernière année universitaire ».

En bon syndicat cogestionnaire, le principal grief de l’UNEF envers le gouvernement est de ne pas avoir été suffisamment associé à l’élaboration du rapport Hetzel. Depuis la sortie du rapport, l’UNEF n’a fait aucune campagne nationale pour dénoncer, ou même faire connaître, les propositions qui y sont contenues.

Alors que l’UNEF s’apprête à réintégrer ceux qu’elle avait exclus après le mouvement anti-CPE (essentiellement des militants des JCR), de nouveaux secteurs de l’UNEF ont rompu en dénonçant la politique collaborationniste de sa direction et/ou le fonctionnement bureaucratique de l’UNEF : directions locales ayant tout pouvoir entre deux congrès (soit pendant 2 ans), fausses cartes, trucages, pressions, violences physiques (3). Ainsi les militants les plus combatifs de Clermont-Ferrand ont-ils quitté l’UNEF en janvier 2007 pour refonder l’Association générale des étudiants de Clermont (AGEC) (4). De son côté, la majorité de l’AGEPS (Paris-IV) (5) a fait scission de l’UNEF en mars 2007 au moment des élections universitaires, privant l’UNEF de représentation dans les conseils pour les deux ans à venir. Et on voit apparaître ces derniers temps des sites Internet dénonçant le fonctionnement bureaucratique de l’UNEF (6).

La FSE a rapidement pris la mesure des attaques contenues dans le rapport Hetzel et a proposé une riposte unitaire à l’ensemble des syndicats et collectifs de lutte. Une réunion nationale a été organisée le 18 novembre 2006 à Paris avec la participation de la FSE, du collectif étudiant d’Aix-Marseille, de la CNT-Nancy, et d’un représentant du secrétariat fédéral de SUD-Étudiants. La décision a été prise de lancer une campagne nationale et de proposer à l’ensemble des organisations de lutte une pétition contre le rapport Hetzel (élargie à la question de l’aide sociale, pour prendre en compte les remarques du représentant de SUD).

L’ensemble de la FSE, certaines sections de SUD-Étudiants (Limoges, ENS-Paris, Rangueil-Toulouse), de la CNT (Nancy), de la CGT-Jeunes (Limoges), des collectifs (Aix-Marseille) font actuellement signer la pétition.

Toutefois, la fédération SUD-Étudiant a refusé de rejoindre la campagne unitaire. Laissant passer quelques mois, la direction de SUD-Étudiant a appelé l’ensemble des organisations étudiantes (y compris l’UNEF qui est explicitement pour la professionnalisation) à une intersyndicale en février contre le rapport Hetzel. Elle a justifié à cette occasion son refus de signer la pétition nationale en affirmant que ce n’était pas dans leur « culture », que cela les faisait « ch… ». En outre, le secrétariat fédéral de SUD étudiant maintient volontairement dans l’ignorance des sections de SUD des propositions de la FSE et constitue ainsi un obstacle bureaucratique à l’unité d’action du syndicalisme de lutte.

En outre, le vocabulaire gauchiste de la direction de SUD-Étudiants cache en fait une soumission à l’idéologie bourgeoise, qui pourrait également expliquer son peu d’entrain à lutter contre le rapport Hetzel. Ainsi, dans une brochure publique, SUD ne s’oppose pas clairement à la professionnalisation (qui n’est jamais clairement définie), mais rejette la « professionnalisation sauvage », « la professionnalisation telle qu’elle nous est proposée par le LMD, les PRES, le rapport Hetzel ». SUD plaide en fait pour une sorte de bonne professionnalisation qui se ferait selon les intérêts des étudiants : « Il est nécessaire de mettre en place des processus de rencontre, comme les stages, entre les étudiants et le monde du travail, cela doit se faire selon les intérêts des étudiants et non de ceux des entreprises. »

Le Collectif pour une UNEF unie et démocratique (CUUD), qui regroupe les militants exclus de l’UNEF (JCR) et leurs sympathisants, a mis en avant, dès la rentrée, la nécessité de lutter contre la professionnalisation des études. Toutefois, l’essentiel de leur énergie militante a été consacré à la lutte pour leur réintégration dans l’UNEF. Ils se sont ainsi mis en marge de la campagne nationale contre le rapport Hetzel, avec certainement également le souci de ne pas s’afficher aux côtés de la FSE pour ne pas braquer la direction nationale de l’UNEF.

Un accord entre la direction des JCR et la direction de l’UNEF a été passé peu avant le congrès national de l’UNEF ; ainsi, ce congrès (7), qui a eu lieu du 22 au 25 mars, a acté la réintégration des exclus pour juillet 2007. Si nous ignorons le contenu de l’accord qui a été passé, nous connaissons en revanche la motion de la nouvelle tendance (TUUD (8)) créée au sein de l’UNEF, regroupant les anciens de la TTE (animée par la LCR et les JCR) et un secteur en rupture avec la majorité nationale, et soutenue par le CUUD (qui a été associé à l’écriture de la motion).

Or la motion est pleine d’ambiguïtés sur la professionnalisation. Dénoncée comme un « piège à cons », elle n’est jamais définie. En définissant comme un des objectifs de l’enseignement supérieur « la formation à un emploi durable », la TUUD défend en réalité la professionnalisation et l’adjectif « durable » n’y change rien. Il est pourtant crucial de distinguer ce que la TUUD amalgame, à savoir l’obtention de qualifications (ce que l’étudiant obtient à l’Université) et la formation au poste de travail (qui doit être prise en charge par le patron hors de l’Université). Il est en outre dangereux de se prononcer pour des « enseignements d’insertion professionnelle » : même si l’exemple qui est pris (droit du travail) ne pose pas de problème, on ne voit pas très bien ce qui distingue en fait ces enseignements des modules professionnalisants.

La tendance TUUD n’est donc en fait pas en rupture avec le syndicalisme d’accompagnement de la direction de l’UNEF. Le LMD est dénoncé, mais son abrogation n’est pas exigée (alors que le texte foisonne de revendications très précises) : il s’agit simplement de « revenir sur le LMD ». La TUUD se prononce contre l’augmentation du volume horaire des enseignements, alors que les étudiants en université ont très peu d’heures de cours par rapport aux cursus sélectifs : comme la direction de l’UNEF, la TUUD se focalise sur le taux de réussite sans comprendre que la logique du LMD est d’augmenter le nombre de titulaires d’une licence – une licence professionnalisée et dévalorisée. En outre, la TUUD, suivant là aussi la direction de l’UNEF, reprend à son compte la thématique de la « révolution pédagogique », remède totalement illusoire aux inégalités scolaires qui ouvre un champ de tir à la bourgeoisie pour restructurer l’Université (évaluation des enseignants, substitution des savoirs professionnels aux savoirs théoriques jugés trop discriminants socialement, etc.) et la transformer en centre de formation patronal ouvert sur l’extérieur, c’est-à-dire sur l’économie capitaliste. Comme SUD-Étudiants, la TUUD agite la revendication d’une université « autogérée ». Proposer l’autogestion des universités dans le cadre du système capitaliste, c’est entériner l’autonomie des universités et demander une autre façon de les gérer. Or, il y a une contradiction flagrante entre la volonté de rétablir le cadre national des diplômes et le mot d’ordre d’autogestion des facs. Enfin, la TUUD évoque la participation de l’UNEF à l’ESIB (The National Unions of Students in Europe) (9) sans la remettre en cause. Pourtant, l’ESIB, regroupement de « corpos » et de syndicats d’accompagnements au niveau européen, est en fait une institution de l’Union européenne, approuvant et accompagnant en France le processus de Bologne qui est à l’origine du LMD.

Les syndicalistes de lutte doivent se battre pour construire l’unité contre le rapport Hetzel, et ainsi préparer la prochaine mobilisation

La réussite de la campagne nationale unitaire contre le rapport Hetzel est cruciale, car nous savons que les mesures les plus brutales seront à l’ordre du jour immédiatement après la présidentielle. Sur France 3, dimanche 18 mars, Sarkozy a affirmé que, s’il est élu, il fera voter une loi en juillet 2007 renforçant l’autonomie des universités, en leur permettant notamment de choisir leurs étudiants et leurs enseignants, c’est-à-dire de sélectionner à l’entrée et de détruire le statut des enseignants-chercheurs. Sans rentrer dans le détail, Royal s’est aussi prononcée pour le renforcement de l’autonomie des universités, des liens entre universités et entreprises et pour la promotion de l’esprit d’entreprise à l’école. Nous savons donc à quoi nous attendre.

Même si une grève nationale étudiante est peu probable avant la présidentielle, la colère monte dans certaines universités. À Paris-III, ce sont environ 450 étudiants et personnels qui se sont réunis en AG (mercredi 7 mars) contre le projet de fusion entre Paris-III et Paris-IV, avant que l’UNEF et le SNESUP s’entendent pour suspendre le mouvement. À Aix-en-Provence, environ 150 étudiants se sont réunis en AG (jeudi 8 mars) contre le rapport Hetzel et ont lancé un appel aux autres universités. La FSE a appelé mardi 27 mars à une journée nationale d’Assemblées générales dans les universités. Cette journée a permis de faire converger les initiatives dispersées, premier pas vers la construction de la grève nationale étudiante qui seule pourra repousser l’offensive de la bourgeoisie après la présidentielle.


1) Rapport consultable sur le site http://www.debat-universite-emploi.education.fr/fihciers_pdf/rapport_definitif.pdf — Cf. l’analyse détaillée d’Oxygène, section Paris-I/Paris-IV de la FSE (Fédération Syndicale Étudiante), publiée dans Le CRI des travailleurs n° 24 (novembre-décembre 2006).

2) http://www.unef.fr/uploadsdocs/r1148236075.pdf

3) Comme encore récemment lors du congrès local de l’UNEF à Jussieu : http://www.luttes-etudiantes.com/forum/viewtopic.php?t=1731&start=15

4) http://agec.militant.fr

5) http://www.ageps.free.fr

6) Dernier exemple en date : http://www.leclanunef.com

7) La direction de l’UNEF affirme que Bruno Julliard a été réélu à l’unanimité président de l’UNEF. Il semble donc que les délégués de la TUUD ont voté pour Bruno Julliard : http://unef.fr/delia-CMS/index/article_id-2010/topic_id-129/cloture-du-80eme-congres-l’unef-a-l’offensive-26.03.07.html

8) Tendance pour une UNEF unitaire et démocratique. Les deux autres tendances sont la majorité nationale (dirigée par le courant NPS du Parti socialiste) et la tendance TRS (proche de Dominique Strauss-Kahn). La motion de la TUUD pour le congrès national de l’UNEF est sur http://www.unef.usvq.fr/tuud.pdf. La TUUD a fait 13 % des voix alors que la TTE pesait 10 % en 2005. Le ralliement de secteurs de la majorité nationale, qui dirigeaient les AGE de Grenoble et Lille, laissait espérer mieux, mais ces AGE ont été reconquises par la majorité nationale fidèle à Julliard lors des congrès locaux de 2007.

9) http://www.esib.org