Article du CRI des Travailleurs n°27

Contre les putschistes de Ramallah
Soutien à la résistance du peuple palestinien

Article de Pierre-Yves Salingue, militant de la cause palestinienne en France

Nous publions ici un article de Pierre-Yves Salingue, militant pour la cause du peuple palestinien, adhérent notamment de l’association Nanterre Palestine, laquelle est membre, comme le Groupe CRI et d’autres, du Collectif pour la défense des peuples du Moyen-Orient contre le sionisme et l’impérialisme. Nous partageons pour l’essentiel l’analyse proposée dans cet article. Cf. aussi nos articles et propositions dans Le CRI des travailleurs, notamment n° 22 et 23.

« Les récents développements de la situation à Gaza et en Cisjordanie interpellent une nouvelle fois toutes les forces qui se revendiquent de la solidarité avec le Peuple palestinien.

Dénonçant une « tentative de coup d’état » par le Hamas à Gaza, Mahmoud Abbas a prononcé la dissolution du « gouvernement d’union nationale » constitué après l’accord de la Mecque, décrété l’état d’urgence et désigné Salam Fayyad comme nouveau Premier ministre à la place de Ismail Haniyeh. Compte tenu de l’état d’urgence décrété, le nouveau Premier ministre n’aura pas besoin de solliciter l’investiture du Conseil législatif, échappant ainsi à l’éventuelle sanction d’un parlement déjà affaibli par l’arrestation de plus de la moitié des élus Hamas de Cisjordanie, cependant que ceux élus à Gaza ne peuvent venir siéger à Ramallah !

Dans les heures qui ont suivi, le gouvernement des États-Unis, la Communauté européenne et le gouvernement israélien ont fait part de leur satisfaction et annoncé un renforcement de leur soutien à Abbas : un gouvernement sans le Hamas autorise la levée du blocus, le rétablissement des aides, la restitution des fonds illégalement confisqués, etc.

La Ligue arabe a suivi de près, après quelques hésitations témoignant des inquiétudes de certains dirigeants arabes à se compromettre chaque fois davantage en s’alignant trop explicitement sur leurs maîtres impérialistes.

Quelles que soient les apparences et quelles que soient les exactions réellement commises à Gaza, il faut rétablir la vérité : les putschistes ne sont pas ceux que les médias aux ordres ont accusé d’avoir « livré Gaza aux pillards » mais ceux qui ont, depuis la signature des accords d’Oslo, livré la Palestine toute entière à la colonisation sioniste.

Mahmoud Abbas, « grand architecte » de la trahison d’Oslo, était sans nul doute le plus qualifié pour être le grand chambellan de cette révolution de palais destinée à donner aux gouvernements impérialistes et à l’État sioniste le gouvernement palestinien qu’ils appelaient de leurs vœux.

Salam Fayyad, dont le passé de haut fonctionnaire du FMI et de la Banque Mondiale garantit le sens du respect des exigences économiques et financières de l’ordre impérialiste, n’a aucun poids politique en Palestine (2,4 % des suffrages lors des dernières élections du Conseil législatif), il ne bénéficie du support d’aucune organisation et ne représente donc aucun danger pour les petits barons du Fatah, supplétifs de l’État colonial et disposés à se contenter d’une place subalterne dans le projet impérialiste pour le Moyen-Orient.

Quant au nouveau ministre de l’intérieur, Abdel Razaq Yehiyeh, il s’était déjà rendu célèbre quand il occupait la même fonction dans le premier gouvernement d’Abbas, en déclarant en septembre 2002 que « tous les actes de résistance caractérisés par de la violence tels le recours à des armes et même à des pierres (...) sont nuisibles ».

Le putsch, dont le principe avait été décidé dès les lendemains de la victoire électorale du Hamas en janvier 2006, a été envisagé et repoussé à plusieurs reprises.

Faute de pouvoir passer à l’acte rapidement, compte tenu de la volatilité de la situation régionale, suite notamment à l’agression israélienne contre le peuple libanais, Abbas et la direction du Fatah ont systématiquement refusé au Hamas le droit d’exercer le mandat qu’il avait reçu des électeurs de Gaza et de Cisjordanie.

Le conflit en résultant avec le Hamas s’est progressivement focalisé sur la question du contrôle des forces de sécurité, Abbas et le Fatah refusant au Hamas d’exercer ses prérogatives de parti majoritaire dans ce domaine particulièrement sensible compte tenu du rôle protecteur des intérêts israéliens confiés à l’Autorité palestinienne.

Cette décision était aussi destinée à provoquer une réaction violente de la part du Hamas et à trouver ainsi l’alibi dont Abbas et la direction du Fatah étaient privés du fait de la trêve respectée par le Hamas dans les attaques contre Israël.

Du gouvernement fantôme mis en place par Abbas à sa menace de recourir à un référendum instrumentalisant le document des prisonniers en mai 2006, de la provocation à la grève contre le nouveau gouvernement, en refusant de payer les salaires des fonctionnaires de l’Autorité alors que les caisses de la Présidence étaient pleines, aux interminables négociations relatives à un gouvernement d’unité — d’abord refusé par le Fatah puis posé comme une condition de partage des pouvoirs —, les émules palestiniens de Pinochet ont cherché à gagner du temps pour augmenter leurs chances de succès dans une confrontation qui s’annonçait difficile, notamment à Gaza.

Depuis plus d’un an les informations ont filtré, confirmant la décision prise d’éliminer l’obstacle issu du vote démocratique de janvier 2006 : aide financière exceptionnelle de 75 millions de dollars du gouvernement des États-Unis et fournitures d’armes avec l’accord des Israéliens pour le renforcement de la garde présidentielle d’Abbas, entraînement de ces mêmes forces à Jéricho et en Egypte, etc.

Il faut bien entendu dénoncer la farce démocratique consistant à présenter comme légitime un Premier ministre ayant obtenu 2,4 % aux élections, quand celui choisi par le parti qui avait obtenu 43 % ne l’était pas !

À ceux qui parlent de « coup de force du Hamas » à Gaza, il faut rappeler ce que tout observateur impartial de la situation à Gaza sait et qui a été maintes fois expliqué par les journalistes et commentateurs qui ne prennent pas leurs informations auprès du Mossad ou de l’ambassade des USA en Israël : l’initiative du terrorisme interpalestinien et de la violence à Gaza appartient au fasciste maffieux Dahalan qui a tout fait pour créer une situation de chaos susceptible de justifier une intervention répressive brutale.

Or, malgré son échec à Gaza, c’est Dahalan que Mahmoud Abbas a choisi pour l’accompagner dans sa rencontre le 16 juin avec le Consul général des États-Unis, pour y prendre ses consignes et recevoir les félicitations du gouvernement des États-Unis et c’est ce même Dahalan qui déclarait dimanche 17 juin à des responsables jordaniens qu’un plan de reconquête de Gaza et d’élimination des forces du Hamas était à l’ordre du jour.

Dans le même temps Barak, nouveau ministre de la défense israélien et premier artisan avant Sharon de la répression de la deuxième Intifada, passait commande à l’état-major de l’armée israélienne de plans d’attaque massive contre Gaza.

Il faut donc refuser toute symétrie et tout renvoi dos-à-dos entre d’une part le camp de ceux qui ont depuis longtemps brisé l’unité du Peuple palestinien, notamment en signant la reddition d’Oslo, ceux qui ont vendu la Palestine pour quelques avantages financiers et de prestige, ceux qui sont toujours prêts à brader ce qui reste d’une Palestine colonisée, dépecée et martyrisée pendant qu’ils « négociaient » avec leurs comparses sionistes et ceux qui, quels que soient leurs défauts, leurs erreurs et leurs contradictions, ont reçu en janvier 2006 l’appui de la majorité de la population parce qu’ils incarnaient la poursuite de la résistance et le refus de la corruption et de la collaboration avec l’occupant israélien.

S’agissant du Hamas, les prochaines semaines seront décisives.

Soit ses dirigeants prennent conscience de l’erreur consistant à croire et à entretenir l’illusion qu’il est possible de gouverner dans l’intérêt de la population palestinienne dans le cadre du dispositif d’Oslo, créé pour briser l’unité de la cause palestinienne et liquider la question nationale et pour protéger les avantages et privilèges de ceux qui ont renoncé à incarner cette lutte et ses objectifs.

Soit ils s’obstinent à penser qu’ils peuvent utiliser ce dispositif et y faire la démonstration de leurs aptitudes à gouverner et à simultanément défendre les objectifs de libération.

Dans le premier cas, le Hamas fera le choix de quitter et de dénoncer l’Autorité et d’en revenir à l’action politique de résistance, avec l’objectif de contribuer à la reconstruction d’un mouvement de libération rendue nécessaire par la faillite de l’OLP dominée par le Fatah d’Arafat et d’Abbas.

Dans le deuxième cas, il sera à son tour victime des contradictions de cette stratégie calamiteuse pour le mouvement national palestinien et, à l’image de ce qui est arrivé au Fatah et à l’OLP, il abandonnera les objectifs de libération nationale et se retrouvera à quémander l’autorisation de s’asseoir à la table du maître, à l’encontre des intérêts véritables du Peuple palestinien.

Aujourd’hui la pièce n’est pas jouée, mais il faut bien constater l’existence de signes inquiétants.

Dans une récente interview au Figaro (15 juin 2007), Haniyeh a déclaré : « …Notre programme est clair. Nous souhaitons la création d’un État dans les frontières de 67, c’est-à-dire à Gaza et en Cisjordanie avec Jérusalem Est pour capitale. L’OLP reste en charge des négociations. Nous nous engageons à respecter tous les accords passés, signés par l’Autorité palestinienne… »

Dans le même temps Kahled Mechaal déclarait depuis Damas que Abbas était légitime, comme le Fatah et comme le Hamas, qu’il fallait reprendre le dialogue interpalestinien sous supervision arabe, qu’il n’y avait pas de crise réelle entre le Fatah et le Hamas, etc.

On saura rapidement s’il ne s’agit que de propos tactiques visant à surmonter les dangers d’isolement pesant aujourd’hui sur le Hamas, ou si on voit là s’affirmer la possible adaptation opportuniste d’une organisation qui se réfère en définitive d’abord à l’idéologie des Frères Musulmans et qui ferait le choix de prioriser sa survie, pour poursuivre un combat plus important pour elle que la libération de la Palestine, celui de son islamisation qui ne saurait se réaliser qu’à long terme et suivant des modalités bien différentes de celles d’une lutte de libération nationale.

De ce point de vue il est assez tragique de constater, une fois encore, l’absence totale d’une claire alternative permettant aux militants palestiniens de gauche de disputer aux courants islamiques l’expression populaire de la résistance à l’offensive impérialiste et aux plans sionistes.

Dans un communiqué daté du 14 juin, le FPLP en appelait à la fin des combats interpalestiniens, à « un dialogue national total » et pointait la responsabilité dans les événements de l’accord de La Mecque, au seul motif qu’il consolidait « le dualisme » Fatah/ Hamas sans donner leur place aux autres forces politiques palestiniennes…

On n’y trouve aucune dénonciation du rôle d’agent de l’impérialisme joué par Abbas, ni dénonciation des responsabilités particulières de la direction du Fatah dans « l’effondrement des valeurs et des principes », ni énoncé de la faillite inévitable de toute recherche d’une solution ne brisant pas le cadre des accords d’Oslo.

On y chercherait en vain l’affirmation de l’impossibilité d’une « unité nationale » entre forces qui veulent résister et forces qui veulent liquider toute résistance populaire, etc.

Pour autant, pour les forces qui veulent soutenir le Peuple palestinien, il convient de ne pas chercher d’alibi à l’inaction dans l’absence d’alternative claire au cours politique catastrophique suivi par les forces principales du mouvement national palestinien.

S’il faut bien entendu dénoncer les responsabilités premières de l’impérialisme et de l’État sioniste dans la situation actuelle du Peuple palestinien, s’il n’est pas faux de dire que les affrontements interpalestiniens sont une conséquence directe de l’occupation coloniale, on ne peut en rester là et encore moins se contenter de « condamner la violence suicidaire interpalestinienne » (!) comme le fait un communiqué de l’AFPS publié le 15 juin.

Le courant politique regroupé autour d’Abbas et de Dahalan et qui dirige le Fatah, n’est pas un courant avec lequel celles et ceux qui soutiennent la résistance du Peuple palestinien ont seulement « des divergences » : c’est un courant avec lequel nous devons rompre tout lien et que nous devons combattre sans concession.

On ne peut pas se mobiliser aux côtés d’un peuple qui lutte pour ses droits et, dans le même temps, aider à propager la parole de celles et ceux qui liquident ces droits.

Dans le coup de force d’hier comme dans ceux à venir prochainement, il faudra choisir son camp. »