Article du CRI des Travailleurs n°27

Campagne de solidarité pour l'arrêt de l'intervention judiciaire et policière contre les usines occupées

Depuis novembre 2002, les usines Cipla et Interfibra de Joinville, au Brésil, sont occupées, contrôlées et administrées par les travailleurs (cf. le précédent numéro du CRI des travailleurs). Ils se réunissent tous les mois en assemblée générale et élisent un comité d’usine pour diriger l’usine entre deux assemblées. Depuis le début, ils se battent pour la nationalisation de l’usine sous contrôle ouvrier. Le gouvernement Lula a toujours repoussé cette exigence. Entre-temps, les travailleurs ont réussi à redresser les deux usines, à maintenir les 1000 emplois, à payer les salaires, et même le 13e mois, à réduire le temps de travail… Aujourd’hui, après des années de lutte sur tous les fronts, une offensive brutale a été lancée contre les deux usines. 150 policiers ont envahi la Cipla, ont chassé la commission d’usine et ont installé un administrateur judiciaire, qui procède à une véritable épuration, allonge la journée de travail et engage une équipe de gardes-chiourme pour faire trimer les ouvriers. Cette intervention se fonde sur une décision de justice dans le cadre d’un procès entre la Cipla et l’INSS (Institut National de la Sécurité Sociale), qui dépend directement du Ministère de la Prévoyance Sociale. L’actuel titulaire de ce Ministère n’est autre que Luiz Marinho, l’ancien secrétaire général de la CUT (la principale et très puissante confédération du Brésil).

Le Groupe CRI dénonce la honteuse intervention judiciaire et policière contre la Cipla, qui a été suivie d’une intervention policière similaire contre Interfibra. Il affirme sa profonde solidarité aux travailleurs et à leurs Commissions d’Usine légitimement élues. Il appuie leur exigence de fin de l’intervention, de réintégration de tous les ouvriers licenciés et du retour de la commission d’usine, seule légitime pour diriger l’entreprise. C’est la place de tous les travailleurs, de leurs partis et de leurs syndicats que d’être du côté des ouvriers de la Cipla et d’Interfibra contre l’intervention décidée par la justice bourgeoise, avec l’appui, si ce n’est pas à l’instigation du gouvernement Lula.

C’est pourquoi nous publions ci-dessous de larges extraits de « Fabricas Ocupadas », le bulletin de la commission d’usine de la Cipla/Interfibra, devenu provisoirement celui du Comité pour la fin de l’intervention dans la Cipla/Interfibra, afin d’informer le plus largement possible sur cette lutte. Le Groupe CRI appelle toutes les organisations se revendiquant du mouvement ouvrier à participer à la campagne de solidarité avec la Cipla/Interfibra, notamment en envoyant des motions aux Ministres fédéraux brésiliens, au Ministre de l’État de Santa Catarina et aux autorités judiciaires concernés (1).

Antoni Mivani

La justice traite le travailleur comme un bandit et veut fermer la Cipla/Interfibra

Extraits de Fabricas Ocupadas, bulletin du Comité pour la fin de l’intervention à la Cipla/Interfibra, Joinville, Juin 2007 (2)

« Pour garantir l’ordre d’intervention judiciaire administrative à Cipla/Interfibra, 150 policiers fédéraux fortement armés ont envahi le 31 mai l’usine Cipla. Les membres des commissions élues par les travailleurs ont été jetés dehors et il y a déjà une liste de 70 licenciements. L’objectif de l’action demandée par le juge fédéral Oziel Francisco de Souza le 21 mai (deux jours avant la manifestation à l’INSS de Joinville) est la saisie sur la facturation pour payer la dette de plusieurs millions de réaux [monnaie brésilienne, NdT] auprès de l’INSS laissée par les anciens administrateurs, Luis et Anselmo Batschauer. Cette dette, qui remonte à 1998, n’avait pas conduit à l’époque à la fermeture de leurs entreprises. « Nous avons tant lutté pendant ces quatre ans pour survivre dans ces usines. Quand j’ai vu la police dans la cour, j’ai cru que c’était un cauchemar et que j’allais me réveiller », dit un opérateur de machine de la Cipla.

Selon le document reposant sur des mensonges et des calomnies faits par le syndicat des ouvriers du plastique de Joinville [ce syndicat, dirigé par agents du patronat, vient de se désaffilier de la CUT, NdT], « on peut remarquer que le coût social du maintien de ces mille postes de travail est excessivement élevé. À partir de là, on peut même affirmer que le coût pour la société est disproportionné par rapport au bénéfice social (…) Le maintien du groupe Cipla contribue-t-il, de fait, au bien de la société ? Son existence n’est-elle pas un mal plutôt qu’un bien pour la société ? » Comment comprendre que le coût social du maintien de l’usine puisse être plus grand que le bénéfice pour les mille familles qui dépendent de ces emplois ? Les dettes que le juge veut faire payer sont de la responsabilité des patrons et des gouvernements, et non des travailleurs qui ont occupé les usines pour garantir les emplois et les droits.

Le 5 juin, cela a été au tour d’Interfibra de subir une semblable intervention.

Vérités et mensonges sur l’intervention contre l’usine Cipla/Interfibra

Réponses aux mensonges du mandataire judiciaire

Mensonge. Le mandataire dit que, « aujourd’hui, après presque cinq ans [d’occupation de l’usine, NdT] (…) on constate que la situation n’a pas du tout ou très peu changé ».

Vérité. Quand la Commission d’Usine a pris la responsabilité de la direction de la Cipla/Interfibra, Interfibra ne vendait rien et Cipla vendait pour 950 000 réaux. Pour atteindre le point d’équilibre, elle devrait vendre pour 6 millions de réaux. Les salaires étaient de 50 réaux en moyenne par semaine, les vacances et le treizième mois n’étaient pas payés, les travailleurs licenciés ne touchaient rien ; cela faisait dix ans que le gouvernement ne percevait aucun impôt ; l’employeur ne cotisait pas au FGTS [Fonds de Garantie du Temps de Service, abondé par le versement par le patron de 8 % du salaire annuel pour tout employé en contrat fixe. Il sert entre autres à indemniser les travailleurs injustement licenciés. NdT.]

Aujourd’hui, les deux entreprises vendent pour 5 millions de réaux en moyenne et continuent donc d’avoir un déficit mensuel d’1 million de réaux. C’est pourquoi il faut choisir ce qui sera ou ne sera pas payé. Les salaires sont payés en temps et en heure, la majorité des licenciements et des demandes de licenciement ont fait l’objet d’indemnisations et le reste est en cours de paiement ; le passif sur les cotisations sociales est en train d’être réglé par le transfert de 3 % de la facturation mensuelle à la Justice du Travail ; plus de 2 millions de réaux ont déjà été payés ; les salaires, les congés et le 13e mois en retard, car ils n’avaient pas été payés par les patrons, sont presque réglés ; les 30 heures hebdomadaires ont été conquises et toutes les décisions sont prises en assemblée d’équipe [l’usine fonctionne en 3 x 6 h ; il y a donc 3 équipes : « matin », « après-midi », « nuit ». NdT] ou en assemblée générale.

Mensonge. Le mandataire affirme que « cela fait longtemps que l’on constate le non paiement des impôts fédéraux et des cotisations sociales, tant de la part patronale qu’ouvrière ». Il dit plus : « Pendant ces cinq ans, l’administration des travailleurs a eu plus de temps qu’il n’est nécessaire pour mettre à jour les déclarations fiscales et autres déclarations auxquelles elle est obligée par la loi. »

Vérité. La Cipla/Interfibra est à jour du paiement de la partie ouvrière de l’INSS [Sécurité sociale, NdT] et de l’IRF [impôt sur les bénéfices, retenu à la source, NdT]. Dire que les deux entreprises ont eu le temps suffisant pour mettre à jour le paiement de leurs impôts est une affirmation fausse et malveillante, car aussi bien la Justice Fédérale que l’INSS savent que les usines n’ont pas l’argent pour se capitaliser. Ils savent très bien que, tous les mois, la dette continue de croître parce que la facturation n’a pas encore été suffisante pour permettre de tout payer. L’ordre de priorité du paiement a toujours été : les salaires, les matières premières, le paiement de ce qui était possible pour les impôts, le paiement des salaires en retard, l’énergie électrique.

L’INSS et le Ministère de la Prévoyance Sociale n’engagent pas des actions militaires comme celles menée contre la Cipla/Interfibra contre les banques et les multinationales qui sont débitrices à leur égard. Mais ils le font dans les entreprises contrôlées par les travailleurs.

Le mandataire judiciaire installe un régime de terreur dans les usines

La terreur a déjà été installée à l’intérieur de la Cipla et d’Interfibra. Les membres de la Commission d’Usine et les employés qui soutenaient l’administration ouvrière sont empêchés d’entrer dans les entreprises. Une liste noire de 70 noms de travailleurs qui seront licenciés passe dans les mains des traîtres qui indiquent qui doit partir ou qui doit rester. Personne ne peut exprimer son désaccord avec l’intervention judiciaire et policière, ni avec les calomnies qui commencent à être proférées contre la commission d’usine. Un groupe de gardes-chiourme a été engagé pour surveiller les travailleurs. « Ils sont 20 », dit un travailleur. « Tu ne peux pas lever les yeux, sinon tu te retrouves à la rue. Tout le monde a peur », s’indigne-t-il.

Pendant ces presque cinq ans, les travailleurs ont réussi à augmenter les ventes de l’entreprise, à relever les salaires, à réduire la journée de travail à 30 heures par semaine, à permettre la participation démocratique de tous au travers de la Commission élue et des assemblées, pour ne citer que quelques-unes des améliorations. Toutes ces conquêtes sont piétinées par Uessler [le mandataire judiciaire, NdT], avec la collaboration des traîtres. En plus de la terreur et des licenciements, il a déjà annoncé le retour aux 8 h de travail, la fin du samedi libre et le licenciement d’environs 100 employés.

La calomnie, instrument des lâches

Il est évident que la calomnie est l’unique façon pour le mandataire judiciaire, le syndicat [des ouvriers du plastique, aux mains des alliés du patronat, récemment désaffilié de la CUT, NdT] et les traîtres, de dresser l’opinion publique contre la commission élue. Malgré toutes les difficultés, la commission a réussi à maintenir l’usine en marche jusqu’à l’intervention.

Les calomniateurs disent que la chirurgie de Serge [Goulart, coordonnateur des usines occupées, NdT] a été payée par la Cipla à hauteur de 100 000 réaux. La vérité est tout autre : la chirurgie de Serge a été payée à 100 % par le plan Unimed – Florianopolis, que Serge a depuis le 3 octobre 2002. Pour ceux qui veulent vérifier, le numéro de dossier est 0-025-0594-007654-00-6. Une autre calomnie est que Castro [un membre de la Commission d’Usine, NdT] aurait fait construire un immeuble de trois étages derrière le lieu où il vit. En vérité, l’immeuble appartient à Valmir Macieski.

Les notes fiscales distribuées dans l’usine se réfèrent à l’achat d’ordinateurs pour le bureau de la Cipla à Sao Paolo. Le système de sécurité pour la maison de Serge a été approuvé par le CAF [commission d’administration de l’usine, NdT] après l’attaque de la Cipla et les deux cambriolages la même semaine dans sa résidence. Les travailleurs doivent exiger des explications des calomniateurs. Quel sera leur prochain mensonge ? »

Modèle de lettre à adresser à :

• Dr. Tarso Genro, Ministro de Estado da Justiça do Brasil, Esplanada dos Ministérios – Bloco T – Edifício Sede, CEP 70064-900, Brasília DF. Fax : (61) 3322-6817 — E-Mail : gabinetemj@mj.gov.br

• Luiz Marinho, Ministro de Estado da Previdência do Brasil, Esplanada dos Ministérios, Bloco F, CEP 70059-900, Brasília DF — E-Mail : gm.mps@previdencia.gov.br

• Carlos Lupi, Ministro de Estado do Trabalho e Emprego, Esplanada dos Ministérios, Bloco F, CEP 70059-900, Brasília DF ­— E-Mail : gm@mte.gov.br

• Dr. Oziel Francisco de Souza, Juiz Federal da Vara de Execuções Fiscais de Joinville, Rua do Príncipe, 123 – Centro 89201-001, Joinville SC. — E-Mail : SCJOIEF01@jfsc.gov.br

• Rainoldo Uessler, Interventor da Cipla, Rua São Paulo, 1600 – Bucarein 89202-200 – Joinville – SC.

Objet : intervention judiciaire à la demande de l’INSS, exécutée par la Police Fédérale dans l’entreprise Cipla/Interfibra pour garantir sa fermeture et la suppression de mille postes de travail.

« Messieurs,

Nous voulons par le présent courrier faire part à vos Excellences de notre préoccupation au sujet de l’intervention judiciaire dans les entreprises Cipla et Interfibra, qui depuis le 1er novembre 2002 se trouvent sous le contrôle et l’administration de leurs propres travailleurs.

Cela est d’autant plus préoccupant que la mise en œuvre de la décision judiciaire est appuyée par une unité de la police fédérale comptant plus de 150 hommes et que l’intervention a été demandée dans le procès engagé par l’INSS (Institut National de la Sécurité Sociale).

Nous demandons des mesures immédiates de ces trois ministères pour que l’intervention judiciaire soit suspendue et que la direction légitime de l’entreprise élue par les travailleurs puisse reprendre sa place.

Nous espérons que le bon sens prévaudra.

Salutations respectueuses. »


1) Cf. déjà, dans notre précédent numéro, la motion de solidarité avec l’usine Cipla adoptée par le congrès académique du SNES-Crétail, sur proposition de notre camarade Stéphane. Depuis, cette motion a été reprise par le congrès national du SNES qui s’est tenu à Clermont-Ferrand en avril (cf. Supplément à L’Université syndicaliste n° 652 du 18 mai 2007, « Textes adoptés par le congrès national de Clermont-Ferrand, mars 2007 »). Cette prise de position du SNES est un point d’appui important pour les travailleurs de la CIPLA : elle peut être confirmée et imitée par le maximum d’organisations !

2) L’ensemble des informations relatives aux usines occupées et à cette campagne en particulier sont disponibles à l’adresse http://www.fabricasocupadas.org.br/. Nous nous excusons par avance auprès de nos lecteurs si quelques erreurs de traduction ont pu se glisser dans les détails du texte.