Article du CRI des Travailleurs n°28

Que proposent les organisations d'« extrême gauche » ?

La situation ouverte au printemps par l’élection de Sarkozy, la nouvelle défaite électorale du PS bourgeois et l’approfondissement de la crise du PCF, donnent aux organisations politiques dites d’« extrême gauche » une responsabilité particulière. Plus que jamais sont réunies les conditions pour aider les militants d’avant-garde et les travailleurs avancés à faire vivre et développer une ligne radicale, clairement anticapitaliste, une ligne qui s’assumerait comme révolutionnaire et se concrétiserait par de véritables initiatives dans la lutte de classe. Mais, pour cela, il faudrait rompre de manière systématique et résolue avec toute subordination et toute pusillanimité à l’égard des directions traditionnelles du mouvement ouvrier. Or les principales organisations d’extrême gauche se refusent encore à une telle rupture.

LO : rien de nouveau sous le soleil

Dans le cas de LO, les choses sont très simples : rien ne justifie, aux yeux des dirigeants de cette organisation, de changer quoi que ce soit dans leur politique ! Ni la situation objective, ni la crise du PCF, ni même leur récent effondrement électoral (après une campagne pourtant très électoraliste !) ne sauraient perturber leur routine. Semaine après semaine, LO se contente de dire aux travailleurs que Sarkozy mène une politique anti-ouvrière et qu’il n’y a rien à attendre du PS… pour qui elle a cependant appelé à voter au second tour de la présidentielle ! Mais, semaine après semaine, on cherche en vain des propositions pour combattre : tout en répétant qu’« il faut se préparer à lui donner [à Sarkozy] la riposte que sa politique mérite », LO ne propose rien pour organiser cette « préparation », elle n’entend toujours pas prendre la moindre initiative dans la lutte de classe et n’avance aucun cadre qui permettrait aux travailleurs et aux jeunes de se réunir, d’analyser ensemble la situation et les potentialités de lutte, en un mot de se forger comme avant-garde consciente de la classe ouvrière. En un mot, malgré ses milliers de militants et sympathisants dans les entreprises, malgré notamment ses centaines de militants syndicaux, LO persiste à ne vouloir rien faire pour disputer sérieusement l’hégémonie politique aux directions réformistes du mouvement ouvrier. Dans cette situation complètement sclérosée, les militants de cette organisation ne peuvent que se préparer à vivre, un peu plus tôt, un peu plus tard, une crise interne.

PT : échec annoncé de son « nouveau parti ouvrier »

Pendant toute la campagne que le PT a menée pour la présidentielle, avec la « candidature de maires » de Gérard Schivardi, l’orientation politique de cette organisation a atteint des sommets sans précédent dans le chauvinisme, le républicanisme petit-bourgeois et l’opportunisme à l’égard de la petite bourgeoisie (cf. à ce sujet Le CRI des travailleurs n° 25 et 26). Mais cette campagne n’a pas seulement été un échec cuisant en termes électoraux (25 % de voix en moins qu’en 2002). Elle a en outre provoqué de nombreuses tensions internes, car bien des militants ont refusé, ouvertement ou en pratiquant la grève du zèle, de se transformer en auxiliaires d’un petit patron ouvertement réformiste et nationaliste, qui se déclarait prêt à retirer sa candidature au profit de celle d’un Fabius. C’est cette résistance passive qui explique tout particulièrement l’échec de la campagne du PT pour les législatives : alors que sa ligne était censée permettre de nouer des liens avec les élus locaux, notamment en zone rurale, le nombre de circonscriptions dans lesquelles le PT a été capable de se présenter a baissé de 25 % par rapport à 2002 (passant de 200 à 150 candidats) !

Tout en refusant évidemment la moindre autocritique, la direction a d’ailleurs bien compris que la cause fondamentale de cet échec était politique : depuis les élections, elle a réintroduit dans son discours un vocabulaire de « lutte de classe » qui avait été banni pour la campagne Schivardi. Corrélativement, les interviews et contributions de militants publiés cet été dans son journal, Informations ouvrières, émanent souvent de syndicalistes : les viticulteurs et les maires restent assez présents dans les colonnes du journal, mais moins que pendant la campagne présidentielle. Enfin, Daniel Gluckstein a même dû reconnaître implicitement, dans l’éditorial d’Informations ouvrières du 29 août, que l’Union européenne n’est pas la seule source de tous les maux : « Il y a une classe capitaliste — dont l’Union européenne et le gouvernement Sarkozy-Fillon sont les instruments. » Pourquoi alors ne l’avoir pas expliqué aux 40 millions d’électeurs pendant la campagne ?

Cependant, le recentrage sur une terminologie de classe ne signifie évidemment pas un redressement de la ligne politique. Au contraire, celle-ci, qui reste avant tout la dénonciation de l’Union européenne, et non du capitalisme, est marquée par la couverture des directions syndicales, notamment de la direction confédérale de FO. Au dernier congrès de cette centrale, en effet, les délégués membres du PT, pourtant nombreux et bien organisés, ont voté pour le rapport et la réélection de Jean-Claude Mailly, après trois ans d’une politique de collaboration de classe ouverte, et au moment même où ce bureaucrate allait déjeuner avec Sarkozy pour négocier les prochaines contre-réformes ! Les délégués membres du PT ont même capitulé sur la revendication des 37,5 annuités pour tous, moins d’un an avant la nouvelle étape de la contre-réforme Fillon des retraites : ils ont accepté la formulation de Mailly reléguant les 37,5 annuités dans les tiroirs, au profit d’un ralliement aux 40 annuités comme base revendicative ! D’ailleurs, le PT n’a même pas osé rendre compte de l’intervention de ses militants dans la préparation et le déroulement de ce congrès (contrairement à ce qu’il avait fait l’année passée pour le 48e congrès de la CGT) : il s’est contenté de livrer à ses lecteurs une insipide revue de presse (IO du 5 juillet) ! C’est ainsi que les adhérents de base et les sympathisants de ce parti n’ont pas le droit de savoir que leurs dirigeants ont globalement soutenu Mailly au congrès de la troisième centrale française !

En fait, les références à la classe ouvrière permettent à peine de se démarquer légèrement de la ligne prônée par Schivardi lui-même, qui se prononce seulement pour « un vrai parti de gauche, avec un vrai programme de gauche » — sans jamais parler de lutte de classe (cf. son interview dans IO du 23 au 29 août). En tout cas, elles n’ont pas suffi à convaincre les militants opposés à la ligne Schivardi : le nombre des abonnements d’été à IO, qui constituent une campagne annuelle fondamentale dans la vie de ce parti, a été au plus bas depuis des années, en ne dépassant pas 7 900, contre près de 9000 certains des étés précédents. La direction a beau appeler maintenant les militants à « regagner l’autofinancement d’IO », à « rétablir IO au niveau qui lui est reconnu par tous ceux qui le lisent » et à faire croire que la seule source de ce déficit sans précédent serait l’augmentation du coût du papier, c’est bien en réalité le manque de motivation des militants qui est la principale raison de cette situation !

De plus, la campagne pour la défense de la Sécurité sociale, placée sous l’égide du Comité préparatoire pour le nouveau parti, et non du PT, n’a rassemblé cet été que 8 000 signatures, ce qui est beaucoup moins que les capacités du PT quand il est réellement en ordre de bataille, même pendant les vacances.

Enfin et surtout, alors que le PT compte officiellement près de 6 000 adhérents, le nombre de cartes prises pour la « convention socialiste et ouvrière » des 24-25 novembre, censée fonder le nouveau parti ouvrier, n’était que de 3 000 mi-septembre ! Autrement dit, malgré son insistance et sa pression habituelles auprès des militants, la direction du PT n’a même pas réussi à les convaincre que sa ligne était juste ! C’est d’ailleurs un retour de bâton tout à fait normal pour une décision prise d’en haut par la clique de Lambert-Gluckstein, avec leurs complices ouvertement réformistes Sandri et Schivardi, sans la moindre discussion parmi les adhérents du PT (ceux-ci avaient vu Schivardi, non membre de leur parti, décréter pendant sa campagne qu’il fallait un nouveau parti !).

Dans cette situation, nul doute que de nombreux militants du PT s’interrogent et qu’un certain nombre iront jusqu’au bout en rompant avec cette organisation centriste dont l’orientation est de plus en plus clairement réformiste et petite-bourgeoise. Espérons que l’exemple du camarade L., qui vient de rompre avec le PT pour rejoindre le Groupe CRI (cf. sa lettre ouverte publiée ci-dessous), contribuera à nourrir leur réflexion !

Le dilemme de la LCR après sa proposition de « parti anticapitaliste »

Après avoir réalisé d’assez bons résultats aux élections du printemps et lancé son appel « pour un nouveau parti anticapitaliste », la LCR est confrontée aujourd’hui à un dilemme. Ce dilemme marque à la fois l’importance et les limites de sa proposition :

• Ou bien la construction de ce nouveau parti passe par en haut, par des accords entre appareils : c’est ce que préconise le courant « droitier » de la LCR, dirigé par Christian Piquet, qui a notamment lancé le 8 juillet l’appel Maintenant à gauche ! avec l’adjointe au maire de Paris apparentée PCF Clémentine Autain, l’altermondialiste Claude Debons et le communiste refondateur Roger Martelli — en un mot avec de purs réformistes assumés. Il s’agit, selon Clémentine Autain, de créer un « espace de réflexion entre traditions et cultures écolos, trotskistes, féministes, socialistes et communistes antilibéraux » (Libération du 14 août). Christian Piquet justifie sa ligne complètement opportuniste de la manière suivante : « Les nouvelles générations ne sont pas prêtes à rejoindre une seule composante de la gauche de la gauche. Une LCR même élargie et relookée n’est pas à l’échelle du défi : rassembler toutes les forces qui, issues des trotskistes, du PC et du PS, veulent une gauche de transformation sociale pour s’opposer à Sarkozy. » Il lorgne ainsi vers les « bovétistes » (qui sont eux-mêmes très divisés et règleront leur compte lors d’une réunion en octobre), les refondateurs du PCF et jusqu’aux troupes de Mélenchon (gauche du PS, ancien ministre de Jospin). Pour les « droitiers » de la LCR, il faudrait en somme que le nouveau parti se place d’emblée sous la houlette des réformistes, sous prétexte que les travailleurs et les jeunes ne seraient pas prêts à rejoindre une organisation radicale.

• Ou bien la construction du nouveau parti passe par en bas, justement avec ces travailleurs et ces jeunes qui ont lutté ces dernières années et se sont radicalisés : c’est ce que préconisent Besancenot et la direction de la LCR. Selon Libération du 14 août, Alain Krivine a déclaré (visant implicitement les droitiers) que ceux qui « rêvent de l’expérience Die Linke » (parti de « gauche » ouvertement réformiste, récemment créé en Allemagne) sont des « généraux sans troupes » et que « les composantes » de cette expérience « ne sont pas transposables en France ». Selon lui, « on est à un moment où il faut tourner la page et on mise sur une nouvelle génération. Il ne s’agit pas de rejeter tous les vieux camarades, mais la reconstruction ne viendra pas des ex, ex-LCR, ex-PC, ex-PSU…» Dans Libération du 24 août, on lit qu’Alain Krivine « veut s’"adresser à un mouvement social actif mais orphelin de débouchés politiques" » et que « la LCR espère faire venir dans le giron de sa formation des jeunes des quartiers populaires et des acteurs des récents mouvements sociaux (grèves de 2003, émeutes dans les banlieues, CPE…). Selon un militant de Saint-Denis, le futur parti répond aux attentes "de nouvelles couches de populations révoltées mais très peu politisées". » De la même façon, Besancenot a déclaré quant à lui : « Les choses étant bloquées par le haut, on essaie par la base. On ne va pas mettre Buffet, Laguillier et Bové autour d’une table mais parler aux anonymes des quartiers populaires et aux collectifs locaux. »

Or les deux possibilités ouvertes par cette alternative sont loin d’être réalisables pour le moment. Dans le premier cas, on assisterait à la constitution en France d’un parti effectivement semblable à Die Linke, un parti « antilibéral » et non anticapitaliste. La LCR y perdrait l’hégémonie sur le processus qu’elle affirme vouloir impulser et surtout elle dilapiderait son capital de sympathie. Cela se solderait par la décomposition organisationnelle comme idéologique, au bénéfice des réformistes. Pour le moment, la majorité de la direction de la LCR ne peut se résoudre à une telle orientation : les militants ne l’accepteraient pas. C’est pourquoi cette ligne des droitiers ne recueille pas plus de 20 % des voix à la Direction nationale.

Mais, pour que l’autre solution de l’alternative se réalise vraiment, pour construire réellement un parti anticapitaliste avec les travailleurs avancés et les jeunes révoltés, il faudrait que la LCR se montre capable à la fois de mener une lutte idéologique claire pour l’hégémonie du programme révolutionnaire et de prendre des initiatives concrètes dans la lutte de classe. Or ce n’est pas du tout ce qu’elle fait à ce stade, comme depuis des années. Son attitude à l’égard du PS le prouve : certes, la direction de la LCR définit la base du nouveau parti par « l’indépendance à l’égard des institutions et du PS » ; mais cela ne l’empêche pas d’inclure le PS dans les organisations qu’elle appelle à constituer des « comités de vigilance » contre Sarkozy, ce qui revient à semer des illusions énormes sur ce parti bourgeois. Plus généralement, dans la pratique, l’appel à la création d’un parti anticapitaliste n’a rien changé cet été à la ligne de la LCR : alors que le meilleur moyen pour commencer à concrétiser cet appel aurait été de prendre des initiatives dans la lutte de classe, elle n’a rien fait pour préparer sérieusement la résistance depuis l’élection de Sarkozy, même après les législatives. Certes, dans son tract du 23 juillet, elle critique les directions syndicales appelant à manifester le 31 sans appel à la grève et préconisant le « dialogue social » ; mais cette critique n’a rien eu de systématique et elle ne s’est pas accompagnée de la moindre initiative, alors que la LCR aurait pu prendre ses responsabilités chez les étudiants contre la loi Pécresse, dans les syndicats contre la loi mettant en cause le droit de grève ou encore pour le Forum de la résistance sociale…

Faute de vouloir résoudre le dilemme ouvert par son propre proposition, la LCR garde les deux fers au feu sans en choisir un clairement, persistant dès lors dans la confusion centriste. Celle-ci se manifeste tout particulièrement, même si Besancenot et la direction s’en défendent, par une tentation que dénonce Piquet avec lucidité, quoique dans son propre intérêt : la tentation de simplement « relooker » la LCR en gardant sa ligne centriste traditionnelle… mais en la rebaptisant, en allégeant encore plus sa structuration et en supprimant ce qu’il pouvait rester de références au trotskysme — c’est-à-dire en fait au communisme révolutionnaire. Ainsi, selon une dépêche de l’AFP du 24 août, Besancenot a déclaré que la nouvelle formation « doit être suffisamment vierge politiquement pour que d’autres horizons puissent s’agréger. L’idée est de ne pas construire un nouveau parti trotskiste, (…), mais un parti anticapitaliste pour tous ceux qui veulent construire autre chose que le capitalisme. » « Autre chose »… mais encore ?

Bien sûr, pour faire accepter cette rupture avec les derniers liens qui rattachaient formellement la LCR à son passé trotskyste, Besancenot use de formules pondérées et bien balancées : « La Ligue communiste révolutionnaire doit désormais être dépassée et tourner une page sans renier son héritage. » (Ibid.) Ou encore : il faut « un juste milieu entre le tout neuf et le tout vieux ». Mais, pour les militants trotskystes authentiques, le risque est bien que la direction de la LCR ne cristallise une évolution toujours plus droitière sous prétexte de s’« ouvrir ». Le danger est donc bien, à terme, la victoire de la ligne des vrais droitiers, qui ont au moins le mérite de savoir clairement ce qu’ils veulent (la dilution pure et simple de la LCR).

Tout le vice du raisonnement de Besancenot, de Krivine et de la direction majoritaire de la LCR, toute la source de leur centrisme et de leurs confusions, c’est qu’ils croient que leur vague référence formelle au trotskysme expliquerait la réticence des jeunes et des travailleurs combatifs à s’engager dans la LCR. Pourtant, cette référence n’apparaît jamais dans l’orientation de la LCR, ni en paroles, ni comme orientation réellement révolutionnaire ! Ce ne peut donc pas être elle qui explique les limites du recrutement à la LCR. Celui-ci est d’ailleurs, selon la direction elle-même, assez significatif depuis la campagne (passage de 3000 à 4000 adhérents) : ajouté au résultat électoral, cela tendrait à prouver au contraire que le relatif radicalisme verbal de Besancenot (par rapport aux autres candidats) a rencontré un écho chez une partie de ceux qui se radicalisent réellement dans les luttes. En fait, la volonté de renoncer aux références communistes révolutionnaires exprime son refus de rompre enfin avec le suivisme traditionnel de l’« extrême gauche » à l’égard des appareils du mouvement ouvrier, pourtant en crise profonde aujourd’hui. Fondamentalement, la direction de la LCR persiste dans son refus d’assumer les responsabilités que lui donnent ses bons résultats électoraux et son investissement sur le terrain, c’est-à-dire l’attente de milliers de travailleurs et de jeunes qui cherchent plus ou moins clairement la voie de l’alternative révolutionnaire au capitalisme. Elle affirme certes qu’il faut rompre avec la direction du PS (ce qui est tout de même la moindre des choses quand on vient du trotskysme !), mais elle ne veut toujours pas construire un véritable parti révolutionnaire disputant clairement l’hégémonie aux réformistes. D’ailleurs, elle vient de repousser (du printemps à l’automne 2007) la date qu’elle avait elle-même proposée en juillet pour fonder le nouveau parti anticapitaliste…

Cependant, tout le problème est maintenant de savoir si les travailleurs et les jeunes seront nombreux à se saisir de l’appel de la LCR, si leurs interventions permettront de faire avancer les idées révolutionnaires et si les militants de la LCR eux-mêmes sauront faire triompher ces idées des confusions centristes. Les militants du Groupe CRI ont adressé une lettre ouverte à la LCR (publiée ci-dessous) répondant positivement à sa proposition d’ouvrir la discussion « pour un nouveau parti anticapitaliste » : ils entendent prendre toute leur place dans les débats que la direction de la LCR a le mérite d’ouvrir.