Article du CRI des Travailleurs n°30

Bilan et perspectives du mouvement étudiant contre la loi LRU (loi Pécresse)

Le rôle décisif des organisations étudiantes de lutte dans le lancement du mouvement

Le déclenchement de la grève est le résultat de la détermination et de la coordination des syndicalistes de lutte. En amont, pendant l’année universitaire 2006-2007, ces derniers (certains – FSE ou les militants JCR de la tendance TUUD de l’UNEF – plus que d’autres – SUD) avaient informé les étudiants des propositions contenues dans le rapport Hetzel (1), rendu public en octobre 2006, et qui contenait l’ensemble des attaques qu’on retrouve aujourd’hui dans la loi LRU ou le « plan licence ».

Dès le mois de juin, la FSE a commencé à dénoncer le projet de loi LRU et, dès que celui-ci a été rendu public fin juin, elle a proposé aux organisations étudiantes et aux syndicats de personnels l’organisation d’une manifestation le jour de sa discussion à l’Assemblée nationale. Cette proposition s’est malheureusement heurtée à une fin de non-recevoir, les directions syndicales de l’enseignement supérieur se contentant d’une pétition (« appel des Cordeliers »), pendant que l’UNEF passait un accord avec le gouvernement, s’engageant à soutenir la loi LRU en échange de quelques promesses financières pour les étudiants. La FSE a également participé au Forum de la résistance sociale du 7 juillet pour commencer à inscrire le combat contre la LRU dans le cadre d’une analyse d’ensemble des projets de Sarkozy, l’appel de ce Forum se prononçant pour l’objectif de la grève interprofessionnelle (2).

Le Collectif national de la FSE des 8 et 9 septembre avait défini un plan de mobilisation à soumettre aux autres organisations, se prononçant pour l’appel à une journée nationale d’Assemblées générales en octobre, suivie le week-end d’après d’une Coordination nationale. Vu la faiblesse et la division du syndicalisme de lutte, mais aussi en raison de la nécessaire auto-organisation démocratique, il s’agissait de faire prendre en charge par les premières Coordinations nationales (avant-garde large du milieu étudiant) la montée en puissance vers la grève nationale. D’autre part, dès le 5 septembre, à l’initiative de la TUUD, une première réunion avait rassemblé les principales organisations étudiantes s’étant prononcées pour l’abrogation de la LRU. Rapidement, ces réunions ont débouché sur la création du Collectif étudiant contre l’autonomie des universités (CECAU), regroupant principalement FSE, SUD, TUUD, CNT, JCR, UEC, avec le soutien d’Émancipation tendance intersyndicale de l’Éducation et du Groupe CRI. Le CECAU (3) a décidé de mettre toutes ses forces pour appeler à des AG les 17 et 18 octobre, mais seule la FSE a défendu le projet d’organiser une première Coordination nationale le week-end suivant.

Les 17 et 18 octobre, les premières AG regroupaient déjà des centaines d’étudiants ; conformément à l’orientation du Collectif national de la FSE, la FSE Toulouse (AGET) a alors fait voter lors des AG dans les facs de Toulouse l’organisation d’une première Coordination nationale, avant même le début effectif de la grève sur quelques universités. Cette première Coordination nationale, initialement prévue les 20 et 21 octobre, a eu lieu les 27 et 28 octobre, le temps que le message circule de facs en facs. Malgré les obstacles (scepticisme de SUD ou des JCR, hostilité explicite des bureaucrates du SNESup, etc.), cette Coordination fut un succès, réunissant 36 délégués de 21 universités, soit un quart des universités représentées. Il n’y avait, à ce moment-là, qu’une université en grève avec piquets (Rouen depuis le 25 octobre, où une avant-garde forgée en 2006, dont une militante enseignante CRI, a eu un rôle décisif dans le déclenchement de la grève). Cette coordination a permis l’extension rapide de la grève.

Une grève massive et courageuse…

mais défaite et violemment réprimée

La grève avec piquets s’est ensuite rapidement étendue : 16 universités partiellement ou totalement bloquées le 9 novembre, 28 le 13, 37 le 16 et 47 le 21 novembre. Puis, avec la fin de la grève chez les cheminots, l’absence de grève de la plupart des personnels, car leurs syndicats refusaient de les y appeler et enfin une répression de plus en plus féroce, le mouvement a lentement reflué malgré le renfort des lycéens : 44 universités bloquées le 27 novembre, 43 le 29, 31 le 4 décembre, 20 le 7, 14 le 10, 8 le 12 décembre, et finalement seules les universités d’Amiens et de Lille-III sont restées bloquées jusqu’aux vacances de Noël.

Au niveau national, le mouvement a été entièrement dirigé par les Coordinations nationales (4) dont la légitimité (mais parfois pas assez l’utilité) a été reconnue par la quasi-totalité des AG. Si les étudiants mobilisés ont très majoritairement compris que les piquets de grève étaient une condition nécessaire pour une grève victorieuse (ce qui est un acquis considérable du mouvement de 2006 contre le CPE), ils n’ont pas assez compris l’importance d’agir en direction des organisations syndicales (des personnels et plus largement au niveau confédéral) pour forcer leurs dirigeants à appeler à la grève et à ne pas laisser les étudiants isolés. Ils n’ont pas su non plus concentrer leurs efforts sur l’extension de la grève, en allant massivement dans les lycées ou les universités non encore mobilisées, gaspillant leur énergie dans des actions gauchistes et symboliques inutiles et coûteuses (répression). Enfin, ils ne se sont pas saisis majoritairement de la proposition de manifestation centrale à Paris qui, à la fin de la grève des cheminots, aurait pu contribuer à sortir les étudiants de l’isolement en donnant une plus grande visibilité au mouvement et en servant de tremplin pour que les personnels rejoignent ensuite a grève. L’utilité de cette proposition, soutenue notamment par la FSE Paris à partir de la quatrième semaine de novembre, a d’autant moins été comprises que certains, notamment les jeunes du PT, l’avançaient uniquement pour l’opposer à la grève, en fustigeant les piquets de grève comme « anti-démocratiques » et en calomniant les Coordinations nationales, mises dans le même sac que l’UNEF, sur la base de mensonges éhontés.

Isolés, les étudiants ont dû faire face à une répression dont l’ampleur est inédite depuis de nombreuses années (5). Les présidents d’université (y compris ceux syndiqués au SNESup-FSU) n’ont pas hésité à appeler la police (avec pour conséquence des blessés et de nombreuses gardes à vue) pour mettre fin aux occupations nocturnes, mais aussi (fait sans précédent) pour casser par la force les piquets de grève en plein jour (Nanterre, Tolbiac, Sorbonne…). Ils ont aussi massivement fait appel à des milices privées, multiplier les fermetures administratives (pour empêcher l’auto-organisation des étudiants), organiser des référendums (physiques ou électroniques), qu’ils ont d’ailleurs perdu dans plusieurs endroits (aux université du Havre et de Lille III). Bref, ils ont utilisé tous les moyens pour casser la grève, prouvant par là même qu’ils étaient les chiens de garde du gouvernement bourgeois et du patronat, et non les représentants de la « communauté universitaire ». Des poursuites disciplinaires, des poursuites judiciaires sont d’ores et déjà en cours contre des étudiants particulièrement engagés dans le mouvement.

Les graves erreurs du syndicalisme de lutte pendant la grève

Si toutes les composantes du syndicalisme de lutte n’ont pas failli sur l’objectif principal (l’abrogation de la LRU), elles n’ont pas été à la hauteur de leurs responsabilités lors de l’animation du mouvement :

• Les militants JCR de la TUUD sont sans doute les plus blâmables. Ils ont minimisé l’importance décisive des piquets de grève et ont parfois pris position contre leur mise en place lorsqu’ils étaient en position dominante (comme à Paris-VII). Ils ont défendu le « mandat libre » (c’est-à-dire le droit de défendre leurs propres positions !) au lieu d’être les meilleurs avocats de l’auto-organisation démocratique (mandats dit semi-impératifs, articulant l’obligation pour les délégués de défendre les positions votées en AG et leur donnant liberté pour se prononcer sur les questions soulevées en Coordinations, mais non encore débattues dans leur propre AG). Ils ont parfois manœuvré pour empêcher l’élection des délégués à la Coordination nationale en AG, préférant les désigner dans des comités de mobilisation qu’ils étaient sûrs de contrôler. Toutes ces pratiques scandaleuses ont suscité bien souvent l’animosité justifiée des étudiants. Si bien que leur proposition (juste et nécessaire en elle-même) de comité national de grève a été interprétée par les étudiants comme une tentative de coup de force et une magouille de plus. En outre, ils n’ont pas clairement dénoncé les bureaucrates syndicaux de tout poil et ont même été jusqu’à ne pas voter contre la candidature du nouveau président de l’UNEF (J.-B. Prévost), anti-grève notoire et suppôt de la loi Pécresse !

• SUD-Étudiant a été dans l’ensemble beaucoup plus correct. Cependant, de façon traditionnelle, ses militants ont ignoré l’obstacle des directions syndicales et n’ont pas su concentrer les efforts des étudiants sur les moyens d’étendre la grève. Pire, à la fin du mouvement, par exemple à Lille-III et Nancy-II, ils ont négocié avec les présidences d’université et défendu la levée des piquets de grève sans aucune contrepartie. Dans ces deux universités, ils ont d’ailleurs été débordés lors d’AG massives par les étudiants qui ont revoté les piquets de grève. Bien entendu, il ne s’agit pas de dire qu’il fallait se battre pour le maintien des piquets de grève quand les conditions (participation aux AG, état d’esprit des étudiants, situation nationale…) n’en étaient plus réunies. Mais il fallait, quand les perspectives nationales étaient devenues nulles, conditionner la levée des piquets de grève à la satisfaction de revendications locales (sur les conditions d’examen, sur la disposition de locaux pour pérenniser les comités de mobilisation, etc.).

• La FSE a globalement défendu les positions les plus avancées, en phase avec les étudiants les plus combatifs et déterminés. Cependant, dans la plupart des universités où elle intervient, l’accent n’a pas été mis suffisamment non plus sur la dénonciation des directions syndicales et la FSE n’a pas su homogénéiser ses positions sur des questions décisives : la mise en place d’un comité national de grève, l’organisation d’une manifestation centrale à Paris fin novembre ou début décembre, etc. Par ailleurs, à Toulouse-III, la FSE a commis une faute en appelant les étudiants à accepter le 4 décembre un accord (6) négocié avec la présidence qui n’était pas acceptable, d’une part parce que les étudiants s’engageaient à ne plus bloquer la fac jusqu’aux vacances de Noël (alors qu’à ce moment-là une trentaine d’universités était encore en grève) ; d’autre part parce que cet accord pénalisait les étudiants grévistes en entérinant par exemple que les cours ayant eu lieu pendant les périodes de blocage seraient au programme des examens.

Quand le mouvement réel confirme notre analyse de la nature de l’UNEF : une coquille presque vide au service du gouvernement

Contrairement à 2003 ou 2006, où elle avait contribué à lancer la mobilisation tout en s’opposant généralement aux piquets de grève et en finissant par la trahir, la direction de l’UNEF a été cette fois totalement étrangère au déclenchement du mouvement. A la rentrée universitaire, l’UNEF a délibérément décidé de ne surtout pas parler de la loi, qu’elle soutenait dès le début et qu’elle considérait comme une affaire pliée (7). Elle n’a rien vu venir, a pris le train en marche en tentant, avec l’aide bienveillante des médias, de faire croire qu’elle pilotait la mobilisation, avant de théâtraliser sa sortie du mouvement sans avoir rien obtenu, si ce n’est la promesse de nouvelles attaques et 5 milliards supplémentaires issus de la privatisation de GDF pour mieux appliquer la réforme. De piètres acteurs qui ont pu semer la confusion parmi les étudiants non mobilisés, mais qui ont été facilement démasqués par l’ensemble des étudiants grévistes. Quand les constructions politico-médiatiques s’éloignent à ce point de la réalité vécue par les étudiants sur leurs facs, l’imposture prend fin dans les consciences, sauf chez certains militants enfermés dans leurs dogmes, s’accrochant à leur image d’Epinal de l’UNEF, « le grand syndicat de masse où il faut absolument être pour ne pas perdre le contact avec les masses » !

La preuve a donc été apportée qu’un mouvement puissant était possible sans l’UNEF, y compris dans des conditions terribles d’isolement, en réaction à une loi difficile à décrypter votée plusieurs mois auparavant. Une fois la mobilisation lancée, l’UNEF a fait mine d’en être partie prenante (8) sans rallier la revendication centrale, à savoir l’abrogation sans négociation de la LRU. Par l’envoi de délégués bidon, l’UNEF a réussi à prendre le contrôle de la 3e Coordination nationale (à Tours les 17 et 18 novembre). Succès éphémère puisqu’une semaine plus tard (à Lille les 24 et 25 novembre), un contrôle sérieux des mandats a permis de refouler les usurpateurs et de montrer que les délégués de la majorité de l’UNEF réellement mandatés par des AG étaient ultra-minoritaires. La direction nationale de l’UNEF a alors décidé de quitter la Coordination nationale et de la salir dans les médias. Deux jours plus tard, la direction de l’UNEF appelait à l’arrêt de la grève. En lui-même, ce retrait de l’UNEF a eu des conséquences mineures, puisque le mouvement se construisait le plus souvent sans elle : de fait, l’énorme majorité des universités a voté la poursuite de la grève avec piquets dans la semaine du 26 au 30 novembre (on comptait encore une quarantaine de facs bloquées à la fin de cette semaine-là). Le retrait de l’UNEF a eu essentiellement un effet indirect, via les médias, qui ont ensuite beaucoup moins parlé du mouvement. Cela a certes contribué à isoler les étudiants et à en démoraliser certains, mais la fin de la grève des cheminots, l’essoufflement rapide du mouvement lycéen, la très faible mobilisation des personnels ont été des facteurs bien plus décisifs. Si bien que, quelle que soit l’attitude de l’UNEF, le mouvement aurait de toute façon reflué. Les dirigeants de l’UNEF ont simplement profité de la fin de la grève cheminote pour annoncer leur « sortie » du mouvement, espérant ainsi accréditer l’idée que le mouvement cessait parce que l’UNEF l’avait décidé. Espoir déçu, puisque le mouvement étudiant a persévéré de façon surprenante compte tenu des obstacles…

De l’aveu même de ses dirigeants (9), l’UNEF ne compte au plus que 1000 militants, soit environ 700-800 militants de l’UNEF « majo » (dirigée par le PS). Ce chiffre n’est guère supérieur à l’ensemble des syndicalistes de lutte aujourd’hui dispersés dans la minorité (TUUD) de l’UNEF, SUD, la FSE, la CNT ou divers syndicats locaux. Ainsi l’UNEF n’est-elle pas l’équivalent de la CGT chez les cheminots ou de la FSU chez les enseignants. L’UNEF n’a ni base militante, ni la confiance des étudiants. Ce n’est qu’un appareil étranger aux intérêts étudiants, courroie de transmission du parti socialiste et de ses courants. Les révolutionnaires n’ont donc aucune raison d’investir une telle structure.

La responsabilité écrasante des directions syndicales des personnels dans la défaite du mouvement

Contrairement à la direction de l’UNEF, les principales directions des syndicats de personnels s’étaient prononcées dès juillet pour l’abrogation de la LRU. Elles ont pourtant renoncé d’emblée à élaborer le moindre plan de mobilisation, se contenant de faire signer des pétitions par internet. Pire, dans le cadre des intersyndicales de l’enseignement supérieur, elles se sont constamment alignées sur les positions de l’UNEF en signant des communiqués qui n’exigeaient pas l’abrogation de la LRU.

Les directions nationales des syndicats de personnels ont une responsabilité écrasante dans l’échec du mouvement. Pendant toute sa durée, y compris quand une majorité des universités étaient en grève avec piquets bloquants, elles ont refusé d’appeler à la grève jusqu’à l’abrogation. Alors que les étudiants subissaient une répression sans précédent, elles ont fermé les yeux ou se sont contentées de misérables communiqués, voire cautionnant cette répression comme à Tours par la voix de la section SNESup dirigée par le secrétaire général national du SNESup lui-même, Jean Fabbri. Alors que les étudiants étaient encore en grève et unanimes pour l’abrogation, que la majorité des AG de personnels s’était prononcée pour l’abrogation de la LRU, elles ont mis en avant des appels démobilisateurs, sans perspective et qui ne mentionnaient même pas l’abrogation de la LRU ! Enfin, dans la majorité des universités qui ont soumis aux votes les nouveaux statuts, ces derniers ont été adoptés alors que bien souvent les élus syndicaux opposés en parole à la loi sont majoritaires. Seules quelques universités, comme Nancy-II, ont rejeté les nouveaux statuts. Aujourd’hui, le secrétaire national du SNESup–FSU (syndicat majoritaire chez les enseignants-chercheurs) a clairement ouvert la voie à un vote positif des nouveaux statuts, parlant d’« investir les enjeux locaux des statuts d’universités en portant nos revendications (comités de sélection via un processus électoral, maintien du rôle des trois conseils, refus du droit de veto, refus des emplois précaires sur CDD ou hors statut…) » (Lettre Flash du SNESup du 11 janvier 2008).

Pourtant, dans quelques universités (Lille-I, Toulouse-II, Paris-III Censier…), sous l’impulsion de militants combatifs, une proportion importante de personnels se sont mis en grève reconductible (reconduite d’AG en AG), certains allant jusqu’à participer physiquement aux piquets de grève aux côtés des étudiants. Dans d’autres universités, les personnels n’étaient pas en grève reconductible, mais ont apporté un soutien clair aux piquets de grève des étudiants. Cette jonction entre les étudiants et les personnels a été l’élément clé pour massifier et consolider la grève étudiante, y compris dans des universités qui ne sont pourtant pas des bastions traditionnels de la mobilisation (Reims, Nancy-II).

A contrario, là où les syndicats de personnels se sont démarqués des piquets de grève, ont magouillé avec les présidences d’université pour faire pression sur les étudiants afin qu’ils lèvent les piquets, la grève étudiante a été très fragile, tendue, y compris dans des bastions traditionnels de la lutte (Rennes-II). C’est malheureusement ce scénario qui a prévalu dans la majorité des universités et les étudiants mobilisés ont d’autant plus de mérite d’avoir tenu les piquets de grève dans de telles conditions.

Les fédérations et confédérations syndicales contre les étudiants en lutte

Les positions des petits bureaucrates des syndicats de personnels reflètent les positions de leurs chefs, les Thibault, Mailly, Aschiéri, etc. Durant tout le mouvement étudiant, ces derniers n’ont jamais repris à leur compte la revendication centrale (l’abrogation de la LRU) et n’ont rien fait pour faire converger les grèves sectorielles des cheminots et étudiants, entre elles et avec l’ensemble des travailleurs. Ils ont même fait exactement le contraire, en veillant scrupuleusement à cloisonner les mobilisations, à empêcher la jonction entre les cheminots et les étudiants là où elle était tentée (10) et veillant à ce que les fonctionnaires en grève le 20 novembre rentrent chez eux le soir sans suite… Alors que le gouvernement et les médias bourgeois ont essayé de faire passer les étudiants en grève pour une minorité gauchiste contestant une loi consensuelle, cette attitude des bureaucrates a permis au gouvernement de réprimer de façon féroce les étudiants dans l’indifférence générale.

Le silence des bureaucrates cache en fait une vérité plus crue : ils sont d’accord avec la logique qui sous-tend la LRU, à savoir le renforcement des liens entre les institutions d’éducation ou de formation et les entreprises, c’est-à-dire la soumission accrue de l’École aux intérêts capitalistes. C’est ce que confirme l’accord du 11 janvier sur la « modernisation du marché du travail » signé par FO, CFDT, CFTC et CGC avec le MEDEF, puisqu’il prévoit l’introduction du patronat à l’école (11).

Après la défaite, organisons-nous pour préparer les prochaines luttes

Fort de sa première victoire, le gouvernement poursuit son offensive. La LRU est le socle sur lequel il bâtit ses nouvelles attaques contre les étudiants et les personnels universitaires :

• Professionnalisation de la licence préparée par le rapport Hetzel et acceptée par les bureaucrates syndicaux qui se contentent de pleurnicher en demandant des moyens pour bien appliquer cette réforme (cf. l’article d’Anne Brassac).

• Modification du statut des enseignants-chercheurs (décret de 1984) : la LRU permet aux conseils d’administration de moduler leurs obligations de service (12) sous réserve bien sûr de changer leur statut. Pour cela, le gouvernement a mis sur pied en décembre une commission (13) afin que la LRU s’applique pleinement et soumette les enseignants-chercheurs aux présidents d’universités (qui contrôleront encore plus parfaitement les Conseils d’administration).

Cependant, à la rentrée des vacances de Noël, la grève s’est totalement terminée (14). S’est ouverte une période de révisions et de partiels avant la rentrée du second semestre en février. Néanmoins, dans beaucoup d’universités, AG et comités de mobilisation se poursuivent pour faire le bilan du mouvement, mener des actions ponctuelles et discuter des suites. La Coordination nationale étudiante des 12 et 13 janvier à Saint-Denis (15) a réuni des délégués de 18 universités (un peu plus que lors de la dernière coordination d’avant les vacances, même si la plupart des délégués ont été élus cette fois par des comités de lutte restreints) ; elle a fait la synthèse des revendications mises en avant par les Coordinations précédentes, affirmé sa volonté de poursuivre la mobilisation malgré l’arrêt de la grève, appelé aux manifestations de la Fonction publique du 24 janvier et surtout à « s’opposer par tous les moyens nécessaires (blocage des commissions d’application de la loi, CA, CEVU…) » à l’application de la loi LRU ; enfin, elle a décidé l’organisation d’une nouvelle Coordination à Amiens les 26 et 27 janvier.

D’autre part, la Coordination nationale des personnels des 12 et 13 janvier a été très positive (16) : réunissant une quarantaine de délégués de 17 universités, elle a adopté après un débat contradictoire où est intervenue notamment une militante CRI, des positions fortes (tranchant avec les positions des bureaucrates syndicaux ou celles du collectif « Sauvons l’université » qui n’exige même pas l’abrogation de la LRU) : abrogation de la LRU, appel à une manifestation centrale à Paris samedi 9 février, opposition « par tous les moyens nécessaires » à l’application de la loi. C’est donc un point d’appui pour la suite et notamment pour les étudiants.

Les militants CRI interviennent pour défendre deux types d’orientation dans les AG et comités de lutte :

1. Œuvrer à la création d’une nouvelle organisation étudiante de lutte

Sur proposition d’un militant CRI, l’AG de Paris-VII a voté dès le 5 décembre une motion se prononçant pour la création d’une « nouvelle organisation étudiante de lutte, regroupant tous les étudiants qui participent au mouvement en cours, qu’ils soient déjà organisés ou non » (17). De façon indépendante, l’AG de Marseille Saint-Charles a voté le 14 décembre une motion se prononçant pour une pérennisation organisationnelle des comités de lutte. Lors de la Coordination nationale des 15 et 16 décembre à Toulouse, les délégués de Toulouse-III ont voté pour la motion de l’AG de Paris-VII et plusieurs autres délégations ont montré leur intérêt pour cette motion, sans pouvoir prendre part au vote faute de mandat.

Aujourd’hui, la faiblesse organisationnelle du syndicalisme de lutte (divisé en multiples groupuscules : SUD-Étudiant, FSE, CNT, tendance TUUD de l’UNEF, syndicats locaux comme l’AGEC à Clermont, l’AGEN à Nanterre, etc.) décourage bon nombre d’étudiants de se syndiquer dans l’une de ces chapelles, alors qu’ils ne comprennent pas ces divisions et qu’ils se sont organisés, pendant la lutte, dans des structures unitaires.

En 2005-2006, la FSE (après débat impulsé par des militants CRI) avait eu l’immense mérite de s’adresser aux autres syndicalistes de lutte pour fusionner, mais elle s’était heurtée aux routines syndicales, aux calculs d’appareils, au sectarisme. Mais aujourd’hui, le mouvement de novembre–décembre 2007 ne met pas seulement à l’ordre du jour un rapprochement ou une fusion des syndicats de lutte existant, comme le préconisent des militants de SUD et de la FSE (ce qui est en soi déjà positif). Mais, de façon plus ambitieuse, il s’agit de créer une nouvelle organisation allant bien au-delà du petit noyau de syndiqués : une organisation qui enverrait l’UNEF dans les poubelles de l’histoire, alors que celle-ci survit aujourd’hui grâce aux perfusions médiatiques et au désert organisationnel qui l’entoure.

L’expérience du passé montre qu’une nouvelle organisation étudiante de lutte ne peut voir le jour que si elle est prise en charge par tous les étudiants syndiqués et non syndiqués qui ont participé au mouvement, ce qui implique qu’elle soit discutée dans les Assemblées générales et à la Coordination nationale, conçue comme un prolongement organisationnel nécessaire aux comités de lutte (car ceux-ci ne peuvent tenir... que le temps de la lutte !). Il ne s’agit évidemment pas de créer une organisation « de plus », mais de dépasser les organisations existantes dans une unité organisationnelle supérieure, en les intégrant et en ouvrant la discussion sur les liens avec le syndicalisme salarié, sur le rattachement des militants de la nouvelle organisation à telle ou telle fédération ou confédération, sur le droit de tendance, etc.). Ce serait le meilleur débouché possible du mouvement, quelles que soient les prochaines luttes et pour aider à préparer celles-ci. Faire comme si rien ne s’était passé, c’est perdre sur tous les tableaux, alors que cette défaite sur le plan revendicatif peut être contrebalancée par un renforcement organisationnel préparant de futures victoires.

Enfin, il s’agit d’expliquer aux étudiants non syndiqués qu’organisation ne rime pas avec autoritarisme, carcan, bureaucratisme, et que s’organiser, ce n’est pas perdre sa liberté, mais au contraire la gagner en se donnant les moyens de ses ambitions et en profitant chacun de l’apport de tous.

2. Faire le bilan, poursuivre la mobilisation contre la LRU et clarifier les conditions de la victoire

Nous proposons aux étudiants de :

• Continuer à se réunir en Assemblées générales, comités de mobilisation et Coordinations nationales, avec notamment une journée nationale d’Assemblées générales au début du second semestre (fin février/début mars), pour tirer le bilan du mouvement, discuter des perspectives, lancer la création d’une nouvelle organisation étudiante de lutte rassemblant tous les grévistes et les actuels syndicats de lutte, participer aux diverses luttes contre la politique de Sarkozy et préparer les conditions d’une reprise de la mobilisation des étudiants au second semestre ;

• Soutenir et appliquer les appels des Coordinations étudiants et des personnels des 12 et 13 janvier à bloquer les Conseils d’administration qui doivent voter l’application de la LRU, via le changement de leurs statuts. Comme on pouvait s’y attendre, les dirigeants des syndicats cogestionnaires, y compris ceux qui se sont prononcés formellement pour l’abrogation de la LRU, refusent de lancer un appel à empêcher le vote des nouveaux statuts, quand ils ne votent pas pour ceux-ci !

• Réaliser l’unité des étudiants et des personnels et interpeller publiquement les dirigeants syndicaux de l’enseignement supérieur qui se disent opposés à la loi LRU pour qu’ils cessent toute concertation avec le gouvernement, qu’ils participent au blocage des CA et qu’ils appellent à la grève reconductible au début du second semestre.

• Assurer le succès de la manifestation nationale du 9 février à Paris pour l’abrogation de la loi LRU, et exiger que les directions syndicales y appellent dans l’unité.

• Convaincre les AG et Coordinations nationales que, pour gagner contre Sarkozy, il faut aller vers un mouvement d’ensemble des travailleurs et des jeunes contre ses attaques globales cohérentes, c’est-à-dire une grève générale interprofessionnelle, qui doit se préparer politiquement et organisationnellement dès maintenant.

C’est seulement si cette orientation est couronnée de succès, notamment si la grève reconductible démarre chez les personnels de l’Université et/ou dans un secteur significatif de la classe ouvrière, que la grève nationale avec piquets de grève sera remise à l’ordre du jour.


1) Cf. l’article de la FSE Paris-I/IV repris dans Le CRI des travailleurs n° 24 (http://groupecri.free.fr/article.php?id=283)pour une analyse détaillée du rapport Hetzel. On ne peut que déplorer que les syndicats de lutte n’aient pas été capables de mener une campagne commune, ce qui aurait permis de gagner en visibilité auprès du milieu étudiant. Une fois de plus, SUD et TUUD ont refusé la proposition de la FSE qui allait dans ce sens, sans se justifier.

2) Cf. cet appel repris dans Le CRI des travailleurs n° 28 de sept.-oct. 2007.

3) Si le CECAU a été très utile pour lancer le mouvement, celui-ci a ensuite été représenté par les Coordinations nationales. Alors que le CECAU n’avait plus d’existence réelle (même s’il conservait une « existence » médiatique) et d’ailleurs plus de raison d’être, les bureaucrates de l’UEC ont utilisé l’étiquette du CECAU pour cracher leur venin contre la Coordination nationale. Alors que le CECAU était pour nous un instrument pour lancer la mobilisation, il était conçu par ces bureaucrates comme un instrument de valorisation de leur mini-appareil.

4) Coordinations nationales : 27-28 octobre (Toulouse), 10-11 novembre (Rennes), 17-18 novembre (Tours), 24-25 novembre (Lille), 1-2 décembre (Nantes), 8-9 décembre (Nice), 15-16 décembre (Toulouse), 12-13 janvier (Paris-VIII) et, à venir, 26-27 janvier (Amiens)

5) On trouvera un bilan assez complet de la répression au 29 novembre (où on comptait déjà 38 interventions policières) sur http://www.agitkom.net/index.php?2007/12/04/416-bilan-de-la-repression-au-29-11-38-interventions-policieres

6) Cet accord est sur http://www.luttes-etudiantes.com/forum/viewtopic.php?p=11322&sid=affd3b627bb6ce7582eb94a022c8fb54

7) Ainsi, dans sa lettre d’info nationale de rentrée (10 septembre 2007), pas un mot sur la LRU ! Le collectif national de l’UNEF d’octobre 2007 entérinait purement et simplement la loi, puisqu’il concentrait ses revendications sur les « chantiers » suivants : « vie étudiante » et « plan licence ». L’affiche démagogique (le doigt d’honneur à Sarkozy) ne mentionnait même pas la LRU...

8) Sur le terrain, les militants de la majorité de l’UNEF se sont rarement investis pour construire la grève. Dans des universités où ils étaient la seule force organisée, ils ont bien souvent tout fait pour empêcher le vote de la grève avec piquets, y parvenant parfois (comme à Avignon), mais échouant à d’autres endroits (comme à Reims).

9) « Nous avons 30 000 membres, 1000 personnes qui s’engagent sur le terrain, 500 militants qui consacrent plus de 10 heures par semaine à l’UNEF » (interview de Caroline de Haas, secrétaire générale de l’UNEF, novembre 2006, voir http://www.generationmilitante.fr/archive/2007/03/05/entretien-n%C2%B02-caroline-de-hass-unef.html). Les 29 000 autres sont essentiellement des étudiants de première année abusés par les méthodes d’encartage de l’UNEF (qui s’apparente aux méthodes de vente forcée de l’OFUP) et qui, bien sûr, ne reprennent pas leur carte l’année suivante.

10) De telles jonctions qui ont pu s’opérer à un niveau local avec des interventions d’étudiants dans les AG cheminotes et réciproquement. Les militants du Groupe CRI, notamment, ont défendu cette orientation, parfois avec succès comme à Rouen (réunions des étudiants et personnels mobilisés avec des cheminots de Sotteville, délégations réciproques et AG interpro), à Paris-VII (avec des cheminots de Paris-Austerlitz), à la Sorbonne (rencontres et tract commun avec des cheminots de Montparnasse) et Paris-IV-Malesherbes (intervention dans des AG de Paris-Saint-Lazare).

11) Cf. notre analyse de cet accord ci-dessus p. 6.

12) « Le conseil d’administration définit, dans le respect des dispositions statutaires applicables (...) les principes généraux de répartition des obligations de service des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels » (article 19 de la LRU).

13) http://www.nouvelleuniversite.gouv.fr/lancement-du-chantier-dedie-aux-personnels-de-l-universite.html?artpage=1

14) Les étudiants en art d’Amiens ont voté la poursuite de la grève avec blocage (« fac populaire ») lundi 7 janvier, avant de voter la levée de l’occupation jeudi 10.

15) Malheureusement, les syndicalistes de lutte ont fait l’impasse sur cette Coordination, hormis la FSE-Paris (Tolbiac et Sorbonne), la FSE-Aix, et SUD Paris-VIII ; les JCR ont totalement boycotté cette coordination.

16) Un compte-rendu est lisible sur le site http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article209

17) Des étudiants de Paris-VII ont créé un site Internet pour œuvrer à la création de la nouvelle organisation étudiante de lutte : http://orga.etudiante.lutte.googlepages.com