Article du CRI des Travailleurs n°30

Remarques sur le congrès de l’UD CGT 06 (Alpes-Maritimes)
(Contribution d’un délégué)

Le congrès de l’Union Départementale des syndicats CGT 06 s’est tenu les 6 et 7 décembre à Carros (Alpes-Maritimes). Ne doutons pas un instant que ce congrès a été parfaitement encadré par l’appareil et que les débats n’avaient guère de chances de déborder le cadre autorisé par la bureaucratie syndicale.

Toutefois, la première journée fut marquée par l’intervention de quelques délégués qui eurent une attitude critique à l’égard de Thibault lors de la grève des cheminots. Un vieux militant (stalinien) intervient en disant : « C’est la première fois qu’un secrétaire confédéral appelle à la reprise du travail et à la négociation alors que le rapport de force ne fait que commencer. Comment voulez vous faire aboutir des négociations si vous brisez la grève avant de commencer à discuter ? Ça s’est jamais vu ! »

Plusieurs délégués reprennent le sens de la critique et le débat commence à devenir intéressant pour les délégués, mais lourd de menaces pour les hommes d’appareil censés encadrer le débat. L’un d’eux intervient et remet les pendules à l’heure : « C’est facile de faire une critique de notre secrétaire général, mais vous oubliez vite que la négociation a été une victoire arrachée par notre organisation. Rappelez-vous l’attitude de Fillon lorsqu’il déclarait que tout était prêt et qu’il n’attendait plus que l’ordre de l’Élysée pour mettre en application la réforme des régimes spéciaux de retraite ! Ne nous laissons pas diviser par ceux qui veulent opposer la détermination des luttes des cheminots et le courage qu’a eu notre secrétaire confédéral d’imposer la négociation contre la volonté du gouvernement… »

Autrement dit, la grève n’est plus le moyen d’établir un rapport de force dans la lutte des classes (y compris pour peser sur des négociations), mais le simple préambule en vu d’obtenir des négociations. Il va sans dire que dès que les négociations sont obtenues, la grève doit cesser ?

Dans ce genre de situation, l’appareil prend toujours soin de sélectionner quelques figures emblématiques censées clouer le bec aux réfractaires. La parole est donc immédiatement donnée à un délégué cheminot : « J’entends des camarades qui opposent la grève à la négociation. Pour moi cette opposition n’a pas de sens. D’ailleurs, contrairement à ce que laisse croire ce débat, le mouvement n’est pas terminé et les négociations continuent. Quant à savoir si la grève devait continuer ou si la CGT est un syndicat révolutionnaire ou un syndicat réformiste ou si encore la grève devait devenir une grève générale, tout cela est un faux débat. Personnellement je ne crois pas à la grève générale. La grève nous a permis d’imposer des négociations, mais, comme disait je sait plus qui [mon œil ! NDR], il faut savoir cesser une grève… »

Il va sans dire que ce fier délégué cheminot (qui ne croit pas à la grève générale) n’a jamais été vu nulle part au sein des instances locales tant des UL que de l’UD  Nous touchons là à la problématique des militants syndicaux enfermés dans le cadre étroit d’un militantisme d’entreprise. Les liens avec le travail interprofessionnel n’existent plus, la réalité sociale devient une réalité d’entreprise et la solidarité se réduit à une simple subordination sans borne à l’appareil. L’appareil se renforce aujourd’hui essentiellement à partir de cette myriade de petits dirigeants et d’élus au sein des entreprises de dimension nationale et européenne. La place qu’occupe ce personnel au sein des instances dirigeantes confédérales explique le décalage énorme entre les militants de base qui n’ont rien à gagner dans le système et ceux qui, parce qu’il se sont hissés dans l’appareil et constitue une aristocratie ouvrière, « ne croient plus à la grève générale ».

Un représentant de l’Union Régionale (structure non statutaire pour adapter la CGT au nouveau découpage territorial que veut imposer la bourgeoisie dans le cadre de l’Union européenne, avec les pôles d’aménagement régional, pôles de compétitivité et autres zones d’insécurité et de non-droit pour les salariés qui y travaillent) intervient sur la syndicalisation. Il reprend à son compte les vielles lunes journalistiques sur la nécessité d’adapter le syndicalisme, d’ouvrir la perspective d’un syndicalisme rassemblé.

Un militant de la santé lui rappelle que le syndicalisme français ne s’est pas développé sur les mêmes bases que le syndicalisme scandinave. Alors que ce dernier s’est développé comme un syndicalisme de service (dans certains pays, seuls les salariés adhérents à un syndicats peuvent bénéficier des avantages d’une convention collective, ce qui explique le taux important de syndicalisation), alors qu’en France le syndicalisme s’est essentiellement développé comme un syndicalisme de lutte et de classe.

Les critiques du rapport d’introduction formulées par certains délégués au congrès sont encore naïves, mais expriment néanmoins une conscience embryonnaire des orientations liquidatrices de la direction confédérale. Néanmoins, la direction a réussi à imposer l’adoption de ses résolutions par le congrès. Parmi elles, nous trouvons une résolution sur la mise en place d’une Union Syndicale des Retraités (ce qui dans les faits consiste à faire sortir les militants retraités de leur syndicat de base et à les regrouper dans un « syndicat » directement contrôlé par la confédération). La volonté d’activer un « collectif jeune » va dans le même sens. Le congrès réaffirme sa volonté de mettre en avant la décision n° 23 du 48e congrès de la CGT. Cette décision adoptée par le congrès confédéral marque une volonté de remodeler l’ensemble des structures confédérales. Le syndicat professionnel organisé autour d’une convention collective ne serait plus le syndicat de base, mais une multitude de rassemblements hétéroclites pourrait se substituer aux syndicats de base. Les deux premières résolutions furent adoptées à l’unanimité moins deux votes contre.

Lors de la seconde journée, les débats vont se cristalliser un moment sur la question des pôles de compétitivité, de l’intercommunalité et de la réorganisation territoriale autour des régions. Un membre de l’union régionale tente d’orienter le débat autour d’une revendication de participation à la « gouvernance » de ces pôles : « Compte tenu de la désertification industrielle de notre région, du projet de développement de la vallée de la Royat (en direction de Grenoble à la sortie de Nice) nous devons être partie prenante et nous investir afin de ne pas laisser le capital et le gouvernement décider sans que les salariés aient leur mot à dire… »

Un délégué mandaté par l’UL d’Antibes prend la parole et rappelle l’histoire des communes, de la destruction des services publics ; il rappelle que les « pôles de compétitivité » sont devenus des zones de non-droits dans lesquelles le capital pille allégrement l’argent public, subordonne la recherche à ses besoins immédiats. Ce délégué oppose au discours officiel le redéploiement des services publics et la sauvegarde des communes. Le discours de ce délégué est précis, étayé, implacable et se termine par une véritable ovation de la part des délégués présents. Il ne fait pas de doute que ce délégué est directement inspiré par le PT, mais il touche juste.

Le délégué de l’UR doit d’ailleurs reconnaître que les fameux « pôles de compétitivité » sont des gouffres financiers qui ne servent qu’à engraisser le capital privé avec l’argent public. Mais c’est pour mieux remettre en avant la nécessité de participer à la gouvernance de ces zones de non-droit.

Le principal enseignement de ce congrès est qu’on découvre que la conscience de classe suit un long processus de maturation. D’un coté, les délégués dans leur majorité votent les résolutions qui tendent à détruire leur propre organisation, et de l’autre les mêmes délégués applaudissent à tout rompre le discours somme toute assez juste d’un délégué qui reprend les analyses du PT concernant la disparition des communes et le réaménagement territorial comme lien de subordination à l’Europe capitaliste.

Les frictions que l’on voit naître entre les dirigeants confédéraux et les militants syndicaux de base nous montrent que, sous la pression de la lutte des classes, la conscience de classe ne demande qu’à émerger pour peu qu’on l’aide à trouver le chemin de son émancipation.