Article du CRI des Travailleurs n°31

Il n’y a globalement rien à attendre des élections !
L’urgence de la lutte de classe est de combattre pour un front unique ouvrier contre Sarkozy, un courant lutte de classe dans les syndicats, un parti révolutionnaire

À la veille des élections municipales, la situation politique en France n’est pas déterminée par les frasques, gesticulations plus ou moins fébriles et autres provocations de Sarkozy, par les critiques purement formelles de ses rivaux bourgeois de gauche ou par l’inquiétude des notables UMP menacés de perdre de nombreuses voix à cause de l’impopularité croissante du président. Ce qui compte avant tout, c’est le plan d’attaque de la bourgeoisie contre les travailleurs et leurs acquis, donc la nécessité de lui résister par la lutte de classe. Il s’agit d’un plan d’ensemble cohérent et conséquent, appliqué suivant un rythme soutenu : contre-réforme du droit du travail, franchises médicales, blocage des salaires, nouvelles attaques contre les droits des chômeurs, lois anti-immigrés et traque encore accrue des sans-papiers, « plan banlieues » et aggravation des provocations policières dans les quartiers, suppression de dizaines de milliers de postes de fonctionnaires, diminution des heures de cours à l’école, contre-réforme des études universitaires, passage en force du traité européen, projet d’allongement de la durée de cotisation pour la retraite, rapport Attali préconisant une thérapie de choc contre les acquis sociaux et démocratiques, rapport Pochard contre le statut, les salaires et le métier des enseignants, etc.

Ce plan correspond aux besoins généraux de la bourgeoisie française

C’est pourquoi il est soutenu sur le fond, au-delà de leurs critiques formelles, voire purement personnelles, par les dirigeants des principaux partis de la bourgeoisie (UMP, MODEM, PS, Verts, MRC, PRG…). C’est en effet pour des raisons structurelles, notamment le poids encore relativement important des acquis sociaux et démocratiques, que la compétitivité de la bourgeoisie française ne cesse de baisser sur le marché mondial, comme le montre le déficit sans précédent du commerce extérieur (39 milliards d’euros). De plus, les « réformes » exigées par le MEDEF sont d’autant plus urgentes que, avec les répercussions de la crise financière sur l’économie réelle, celle-ci connaît un net ralentissement, avec le risque d’une récession aux États-Unis. De fait, les prévisions de croissance pour la France sont d’ores et déjà revues à la baisse (+ 1,5% seulement pour 2008 selon le FMI, contre encore 2% à l’automne). Or il y a d’autant moins d’issue possible par des mécanismes purement économiques dans le cadre du système que les déficits de l’État et des dépenses de santé se creusent et que l’inflation est forte, tant pour les matières premières (pétrole, fer…) et les produits agricoles (lait, soja…) que pour les prix à la consommation (autour de 3% en France).

Dans cette situation, le principal problème à surmonter pour la classe ouvrière est que, pour le moment, le rapport de force est globalement à l’avantage de la bourgeoisie. Celle-ci, en effet, a non seulement fait élire en mai dernier l’un de ses représentants les plus durs, mais a surtout obtenu cet automne une victoire contre les travailleurs des régimes spéciaux (avant-garde des dernières années) et contre les étudiants (victorieux en 2006 contre le CPE), dont les grèves ont été trahies par les directions syndicales collaboratrices acceptant de « négocier » les reculs sociaux.

Certes, la baisse de popularité de Sarkozy et le mécontentement populaire sont importants, mais ce ne sont ni les sondages, ni même les élections dans le cadre du système bourgeois, qui déterminent les rapports de force réels entre les classes : bien des présidents et des gouvernements, à commencer par Chirac, ont rencontré par le passé des moments d’impopularité, voire des revers électoraux majeurs, qui ne les ont pas empêchés de poursuivre leur politique réactionnaire. La véritable base sociale de Sarkozy est la grande bourgeoisie représentée par le MEDEF, et celle-ci continue d’autant plus de lui faire confiance pour la mise en œuvre de son programme que la situation économique ne lui donne absolument aucune marge pour tergiverser si elle ne veut pas continuer à reculer sur le marché mondial. C’est ce qui explique le soutien à Sarkozy que vient de réitérer Parisot, la présidente du MEDEF, en l’encourageant à poursuivre ses réformes et en arguant en réponse aux mécontents « qu’il faut au moins deux ans pour que tous les efforts, les orientations nouvelles qui sont prises actuellement puissent donner vraiment des effets » (interview à RMC et BFM TV). Quant à la base politique de Sarkozy, elle reste solide dans la mesure où elle inclut sur le fond les dirigeants du PS et les chefs des centrales syndicales qui continuent de collaborer directement avec lui en allant le rencontrer dans des restaurants luxueux pour discuter de ses réformes, comme l’ont fait Chérèque le 8 février, Mailly le 19 et Thibault le 22.

D’autre part, il y a un certain nombre de luttes, mais elles restent purement défensives, très circonscrites et assez peu nombreuses à l’échelle du pays. La capacité de résistance de la classe ouvrière reste limitée par le poids des reculs et des défaites accumulés depuis trop d’années. Ses organisations syndicales sont affaiblies numériquement et dirigées par des bureaucrates qui acceptent l’horizon du capitalisme et donc la « nécessité » des contre-réformes. Politiquement, enfin, la classe ouvrière n’a plus de représentation politique propre, depuis que le PS a achevé sa mue en parti ouvertement bourgeois (partisan sans complexe du capitalisme et du contre-réformisme) et que le PCF moribond ne vit plus que par la perfusion électorale du PS et les moyens matériels de son appareil sclérosé. Il en résulte un recul de la conscience de classe, des méthodes de la lutte de classe comme des idées socialistes et communistes (fût-ce sous la forme frauduleuse que leur avaient donnée le PS réformiste et le PCF stalinien).

Le prolétariat et la jeunesse ont été trahis cet automne par les directions syndicales et les réformistes, mais ils n’ont pas été écrasés

Si la classe ouvrière a subi une défaite-trahison à travers celle des travailleurs des régimes spéciaux et des étudiants, cela n’a pas été une défaite sans combat. Le fait même qu’il y ait des luttes malgré la difficulté de la situation prouve que la capacité de résistance sociale des travailleurs reste intacte, et de nouveaux secteurs entreront certainement en lutte dans les prochaines semaines et les prochains mois. C’est ce que montre notamment la forte pression des travailleurs pour l’augmentation des salaires, stimulée par les profits considérables (100 milliards pour les entreprises du CAC 40) et l’inflation. Dans certains cas, cette pression a pu être désamorcée avant de déboucher sur un conflit par des revalorisations significatives (Axa, Total, PSA, Renault…). Dans bien d’autres, elle a abouti à des grèves, comme à Air France dès octobre (grève de 5 jours ayant permis des augmentations de 3%), dans la Fonction publique le 24 janvier, dans la grande distribution le 1er février (avec en outre la grève héroïque des salariés de Carrefour Grand Littoral à Marseille, laissés dans l’isolement par les directions fédérales et finalement trahis par les jaunes locaux), aux Courriers d’Île-de-France (transport privé, avec une grève de 80 à 90%, le blocage des dépôts et finalement une victoire), à la Snecma (grève à Gennevilliers depuis le 18 janvier et le 25 février à Corbeil-Essonne), chez Aker Yards, sous-traitant des chantiers navals à Saint-Nazaire (grève avec piquets, avec à la clé 45 euros d’augmentation pour tous en plus des 2,2% initialement accordés par la direction), à S3V, société de remontées mécaniques (grève ayant permis une augmentation de 100 euros nets pour les damneurs et d’1% pour les saisonniers), chez L’Oréal, etc. La combativité potentielle de la classe ouvrière est également prouvée par les mobilisations contre les suppressions d’emplois : mobilisation chez Arcelor-Mittal à Gandrange (Moselle) ; grève de 4 jours avec occupation et séquestration de cadres contre le projet de fermeture de l’usine Kleber à Toul (Meurthe-et-Moselle) ; grève avec blocage du site chez Ford à Blanquefort (près de Bordeaux) ; grève depuis un mois contre les suppressions de postes chez Miko à Saint-Dizier (Marne) ; grève depuis cinq semaines avec blocage de l’Imprimerie nationale (Choisy-le-Roi, Val-de-Marne) contre les licenciements ; nombreuses grèves locales dans les établissements secondaires à l’annonce du rapport Pochard qui détruirait leur statut et des nouvelles suppressions de postes et d’heures de cours pour l’année prochaine, etc.

Enfin, si le fort mécontentement qui se développe dans la population et sa polarisation contre Sarkozy (effet boomerang de tout pouvoir personnel) ne suffit pas par lui-même à changer le rapport de force entre les classes, il est évidemment un terreau favorable au progrès d’un état d’esprit combatif. Il fissure en effet le consensus « démocratique » qui avait entouré l’élection démagogique du président au suffrage universel et affaiblit ainsi la « légitimité » du pouvoir. De plus, il provoque des tensions dans la bourgeoisie, comme en témoignent le front commun Villepin-Bayrou-Royal contre les méthodes présidentielles, les protestations plus ou moins timides des élus locaux de l’UMP à la veille des élections ou encore la fronde d’une partie des magistrats eux-mêmes (en raison de la suppression de nombreux tribunaux et de l’autoritarisme dont fait preuve le très réactionnaire Sarkozy, même à l’encontre du sacro-saint Conseil constitutionnel).

L’ensemble de ces ingrédients prépare sans aucun doute une situation de conflictualité sociale et démocratique assez vive. Cependant, cette situation objective ne suffit pas à fonder un espoir de victoires prochaines de la lutte de classe si l’avant-garde de la classe ouvrière, les travailleurs et les jeunes combatifs, ne parviennent pas à surmonter l’obstacle majeur que constitue la politique des directions syndicales et des réformistes. C’est pourquoi la tâche prioritaire est de combattre immédiatement contre cette politique pour imposer un…

Front unique ouvrier sur la base d’un plan de mobilisation générale des travailleurs et des jeunes !

Un tel plan doit se concentrer sur les revendications unifiantes de la classe ouvrière et proposer à la réflexion des syndiqués et des travailleurs les méthodes efficaces de la lutte de classe :

Pour imposer ce plan de mobilisation générale, tous les militants de lutte de classe, les travailleurs et jeunes combatifs ne peuvent compter que sur eux-mêmes et leur coordination, en en discutant au quotidien dans leurs entreprises et leurs établissements, en prenant l’initiative de réunions, etc. Mais pour cela, il est tout particulièrement urgent d’avancer dans la nécessaire reconstruction du syndicalisme de classe et de masse.

Pour un rassemblement large des syndicats, collectifs syndicaux et militants de lutte de classe dans un courant intersyndical national

Seul un tel courant, réunissant ces syndicats, collectifs et militants au-delà de leurs différences de sensibilités, serait capable de dénoncer efficacement, de façon systématique, les directions syndicales collaboratrices et de faire vivre, à l’intérieur des syndicats (propriétés collectives des syndiqués) une orientation alternative. Des initiatives comme le Forum du syndicalisme de classe et de masse (qui a rassemblé une centaine de militants à Paris le 12 janvier à l’initiative commune de plusieurs syndicats et collectifs de militants de sensibilités diverses), vont dans ce sens, mais ne sauraient suffire : il est nécessaire de mettre au point une intervention commune systématique dans les luttes et de surmonter l’éparpillement par une coordination nationale des syndicats et collectifs de lutte de classe, comme le propose le CILCA (Comité pour un Courant Intersyndical de Lutte de Classe et Antibureaucratique, cf. son site http://courantintersyndical.free.fr). Et il est urgent que les syndicats de base qui maintiennent une orientation de lutte de classe résistent à la pression du quotidien et se hissent à la hauteur de leurs responsabilités en considérant comme une priorité, pour eux-mêmes comme pour tous, la construction d’une telle coordination intersyndicale nationale. De ce point de vue, les principales organisations d’« extrême gauche » (LCR, LO et PT) ont une responsabilité considérable : étant donné les milliers de militants syndicaux qu’elles organisent ou influencent, les centaines de syndicats qu’elles dirigent, elles auraient de toute évidence les forces suffisantes pour mettre rapidement sur pied un courant intersyndical de classe d’une taille significative. Les militants de ces organisations doivent donc tout faire pour faire avancer cette cause cruciale pour le syndicalisme de lutte de classe, donc pour toute la classe ouvrière.

Mais l’indispensable activité syndicale ne suffira pas à reconstruire la conscience de classe révolutionnaire. Il est nécessaire de s’atteler en même temps à la tâche décisive suivante :

Pour la reconstruction d’une représentation politique autonome, donc révolutionnaire, de la classe ouvrière

Les grands mouvements sociaux depuis 1995, la radicalisation d’une fraction des militants syndicaux et les votes pour l’« extrême gauche » avaient déjà rendue concrète la possibilité d’avancer dans cette direction ; mais bien des occasions ont été manquées en raison de la passivité, du sectarisme et/ou de l’opportunisme des principales directions d’« extrême gauche ». Or la situation actuelle rend de nouveau possible et nécessaire l’ouverture d’une large discussion dans l’avant-garde des travailleurs et des jeunes.

Là encore, face au PS bourgeois et à son satellite moribond qu’est l’appareil du PCF, ce sont les principales organisations dites d’« extrême gauche », à commencer par la LCR, LO et le PT, qui ont objectivement les principales responsabilités. En effet, ces trois organisations de taille nationale, qui comptent chacune plusieurs milliers de militants et sympathisants, se réclament officiellement du prolétariat et du socialisme et se prétendent indépendantes du PS, du PCF et des directions syndicales. Or la politique qu’elles mènent est en réalité aux antipodes de leur programme officiel.

Alors que Sarkozy oppose démagogiquement au « capitalisme sans foi ni loi » un prétendu « capitalisme intelligent », prétend défendre un « capitalisme d’entrepreneurs et pas de spéculateurs », les trois principales organisations d’extrême gauche renoncent à dénoncer de façon systématique le capitalisme en tant que tel et de lui opposer la perspective du socialisme, donc d’un gouvernement des travailleurs eux-mêmes, sous prétexte que les gens n’en seraient pas convaincus (comme s’il fallait attendre que les gens soient convaincus de quelque chose pour commencer à les en convaincre !).

Au lieu de centrer leur intervention concrète dans la lutte de classe sur un programme d’action centralisant les revendications de la classe, préconisant l’auto-organisation des travailleurs et défendant ouvertement la nécessité de la convergence des luttes et la perspective de la grève générale, ce qui impliquerait évidemment la dénonciation systématique de la politique des directions syndicales et des réformistes, les trois principales organisations d’extrême gauche couvrent chacune à sa façon cette politique de collaboration de classe, se contentant de la critiquer discrètement et, trop souvent, rétrospectivement. Cette fois, le prétexte est en général qu’il ne faut pas décourager les travailleurs, ne pas diviser, ne pas affaiblir les syndicats — autant d’arguties qui reviennent en fait à laisser les mains libres aux directions collaboratrices, quand il ne s’agit pas purement et simplement de conserver des postes syndicaux sur la base d’accords plus ou moins anciens avec la bureaucratie.

De plus, en ce qui concerne LO, elle ajoute désormais à sa passivité politique traditionnelle et à son auto-isolement sectaire une alliance électoraliste inadmissible avec le PS dès le premier tour des municipales, contribuant à empêcher les travailleurs d’aller jusqu’au bout de leur rupture avec la « gauche plurielle » (cf. ci-dessous). Corrélativement, elle n’a pas hésite à exclure de fait sa Fraction qui, tout en développant d’habitude une orientation assez proche de la majorité, venait cependant de s’engager dans un combat très juste contre le virage droitier sans précédent de la direction ; celle-ci a voulu de cette façon couper court à toute possibilité de contestation dans les rangs mêmes de la majorité, où la nouvelle orientation ne passe certainement pas comme une lettre à la poste.

De son côté, la direction du PT tire toutes les conséquences de sa dérive à la fois trade-unioniste, « républicaine » des dernières années en prétendant fonder un « parti ouvrier indépendant » (POI) avec… des « élus républicains ». Ce nouveau parti se réclame officiellement de la lutte de classe et même du socialisme, mais la ligne réelle du PT et du Comité pour un POI consiste en fait à dénoncer avant tout l’Union européenne, présentée comme seule source de tous les maux, ce qui revient à un refus de dénoncer réellement le capitalisme, voire à déresponsabiliser le gouvernement Sarkozy, présenté comme otage de l’UE. De plus, la référence à la lutte de classe reste bien formelle quand, dans la réalité, le PT et le Comité pour un POI refusent de combattre les directions confédérales (cf. notamment la couverture de la trahison de la grève des régimes spéciaux à l’automne et celle de la signature par la direction confédérale de FO de l’accord sur le contrat de travail du 11 janvier).

Enfin, la direction de la LCR (intégrant désormais son ancienne tendance de « gauche », le courant Démocratie révolutionnaire) veut créer un « nouveau parti anticapitaliste » (NPA) au contenu indéterminé, renonçant même en paroles au « trotskysme », et ne tranchant pas, sur le fond, entre réforme et révolution. Cependant, la ligne de la LCR se distingue sur un point qui peut prendre aujourd’hui une importance décisive : en lançant son projet de NPA, et quelles que soient ses propres intentions centristes, voire révisionnistes, la direction de la LCR ouvre objectivement un cadre de discussion qui intéresse des milliers de travailleurs et de jeunes sensibilités pas la campagne présidentielle de Besancenot, ses prises de position médiatiques et l’actuelle campagne réformiste, mais largement autonome, de la LCR pour les municipales. De fait, notamment depuis le congrès de la LCR fin janvier, les réunions publiques ouvertes se multiplient un peu partout en France, avec d’assez nombreux travailleurs et jeunes qui cherchent la voie de la résistance sociale efficace, de l’anti-bureaucratisme, de l’anti-capitalisme, voire de la révolution.

C’est pourquoi il faut se saisir de cette initiative, participer à ces réunions et construire les comités pour le NPA. Sans la moindre illusion à l’égard des dirigeants de la LCR, il est juste de participer à cette initiative pour faire avancer les idées révolutionnaires auprès des militants, des travailleurs et jeunes qui, sans être évidemment d’emblée marxistes, viennent dans les comités NPA parce qu’ils cherchent une alternative au capitalisme. Il faut donc tout faire pour les convaincre que le parti nécessaire est un parti ouvertement révolutionnaire, intervenant dans la lutte de classe pour l’indépendance du prolétariat, contre la collaboration de classe, contre les impasses réformistes et centristes de toutes sortes, donc pour la conquête du pouvoir par les travailleurs, pour le socialisme. Dans cette perspective, le Groupe CRI avait répondu publiquement à la proposition de NPA dès le mois de juillet, puis rédigé en octobre une lettre ouverte précise, dans une perspective de critique ferme, mais constructive, sur les « thèses » politiques proposées par la direction de la LCR pour justifier ce nouveau parti et commencer à en définir le contenu. La direction de la LCR n’a répondu à aucune de nos lettres et à aucun de nos courriels, mais les militants CRI n’en commencent pas moins désormais à participer aux réunions, discussions et initiatives des comités pour le NPA. Naturellement, cela ne signifie ni que le Groupe CRI renonce à se construire lui-même (tout au contraire !), ni qu’il intégrera nécessairement le NPA lorsque celui-ci sera fondé (normalement à la fin de l’année 2008). La décision de constituer une fraction trotskyste dans ce parti ou de poursuivre l’existence en tant que groupe autonome est une décision tactique importante qui sera tranchée le moment venu, c’est-à-dire quand il sera possible de tirer un bilan des comités pour le NPA, tenant compte à la fois du nombre de travailleurs et jeunes intéressés, de la capacité à agréger d’autres groupes et équipes militantes, des positions politiques défendues et des interventions concrètes dans la lutte de classe.

Que proposent LO, le PT et la LCR pour ces élections locales ?

À l’occasion des élections municipales et cantonales, alors que les campagnes électorales offrent normalement aux marxistes l’occasion de défendre leur programme à une échelle de masse, les principales organisations d’extrême gauche se montrent une fois de plus incapables d’être utiles à la lutte de classe.

Tout d’abord, ces organisations n’expliquent pas qu’il est impossible, au-delà d’améliorations de détail, de transformer réellement la situation des travailleurs au niveau municipal (seule LO le dit un peu, mais c’est pour remettre au PS le soin d’apporter ces améliorations de détail, alors que toute la politique nationale et locale de ce parti bourgeois va depuis longtemps dans le sens contraire !). Or, pour les révolutionnaires, la conquête d’élus ou de municipalités ne peut avoir d’autre sens que de servir d’instrument pour aider les travailleurs à combattre, pour la lutte de classe, seule source de toutes les conquêtes sociales importantes du XIXe et du XXe siècles. En effet, la résolution sur le parlementarisme adoptée par le IIe Congrès de l’Internationale communiste en 1920 reste d’une actualité totale : « Les Parlements bourgeois, constituant un des principaux appareils de la machine gouvernementale de la bourgeoisie, ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l’État bourgeois en général. La tâche du prolétariat consister à faire sauter la machine gouvernementale de la bourgeoisie, à la détruire, y compris les institutions parlementaires, que ce soit celles des Républiques ou celles des monarchies constitutionnelles. Il en est de même des institutions municipales ou communales de la bourgeoisie, qu’il est théoriquement faux d’opposer aux organes gouvernementaux. À la vérité, elles font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie : elles doivent être détruites par le prolétariat révolutionnaire et remplacées par les Soviets de députés ouvriers. (…) (Pour les communistes,) il ne peut dès lors être question de l’utilisation des institutions gouvernementales bourgeoises qu’en vue de leur destruction. » Or il ne s’agit pas là d’une position qui se justifierait uniquement par la situation révolutionnaire ouverte en 1917, mais d’une position de principe pour les marxistes : on la trouve dès les résolutions du Parti ouvrier français, parti marxiste dirigé par Jules Guesde et Paul Lafargue à la fin du XIXe siècle et combattant à cette époque le réformisme. C’est le cas pour la résolution adoptée au congrès d’Ivry en septembre 1900, c’est-à-dire à un moment qui n’était absolument pas révolutionnaire en France : « Considérant qu’il ne saurait y avoir de socialisme en dehors de la disparition du régime capitaliste, le socialisme n’étant et ne pouvant être que la reprise par la société de tous les moyens de production et leur mise en valeur directement par elle ; considérant que les communes, même conquises par le prolétariat organisé, sont prisonnières du milieu et de la légalité capitaliste, qui leur interdisent de toucher à la source exclusive de la misère et de la servitude ouvrière, l’appropriation privée de la matière et des instruments de travail ; considérant que la transformation en services municipaux de certaines industries a si peu de portée socialiste qu’elle est pratiquée couramment par les municipalités les plus bourgeoises comme celle de Glasgow ; considérant, enfin, qu’il serait dangereux, par l’emploi d’un terme impropre, d’éveiller dans le prolétariat des espérances impossibles à réaliser sur le terrain communal ; le Congrès déclare : 1°) Il n’y a pas et ne saurait y avoir de socialisme communal ; 2°) Tout ce que peuvent et doivent par conséquent les municipalités arrachées à la bourgeoisie par le Parti socialiste, c’est armer la classe ouvrière pour la lutte défensive et offensive à laquelle elle est condamnée, en mettant à la charge de la commune les enfants, les vieillards et les invalides du travail ; en réalisant, en un mot, les améliorations de détail qui peuvent augmenter la liberté d’action des travailleurs, toutes mesures qui laissent subsister les classes et leur antagonisme, l’exploitation de la classe qui produit sans posséder par la classe qui possède sans produire. »

De plus, au lieu de se servir de la campagne électorale comme d’une tribune pour aider politiquement les travailleurs à préparer le combat contre la politique de Sarkozy, LO, le PT et dans une large mesure la LCR parlent principalement de politique locale, tout en mettant en avant un programme qui ne va jamais au-delà d’un plat réformisme municipal (construction de logements sociaux à hauteur des normes légales bafouées par les élus des autres partis, remunicipalisation de l’eau, transports publics gratuits, fonds publics à l’école publique, soutien aux associations de quartiers, etc). Les communistes révolutionnaires, au contraire, ne se présentent aux élections que pour des raisons tactiques, pour faire connaître leur programme aux masses, non pour faire croire qu’elles offriraient de quelconques solutions aux travailleurs, fût-ce pour leurs problèmes « locaux », qui dépendent en fait pour l’essentiel des problèmes généraux. Dans les circonstances actuelles, il s’agit avant tout de préparer politiquement les travailleurs à combattre le plan du gouvernement Sarkozy-Fillon par la mobilisation, et ce n’est que dans ce cadre qu’il est légitime d’avancer aussi des revendications locales, en expliquant aux travailleurs qu’ils devront se battre pour les arracher, non compter sur les élus.

En outre, alors qu’il faudrait dénoncer sans pitié le PS qui soutient la politique du gouvernement, les pleurnicheries platoniques du PCF et la collaboration des directions syndicales, les trois principales organisations d’« extrême gauche » se donnent toutes pour principal objectif de… « battre la droite » ! LO a tout fait pour obtenir le maximum d’accords avec ces partis dès le premier tour : c’est assurément elle qui a été le plus loin dans la capitulation politique face à la « gauche plurielle ». Le PT a passé aussi d’assez nombreux accords avec celle-ci dès le premier tour, en les subordonnant uniquement à des revendications locales et à quelques phrases critiquant la politique européenne. La LCR, enfin, a certes choisi une politique le plus souvent autonome pour le premier tour, mais s’engage à servir de rabatteuse de voix pour le PS au second dans bien des villes, allant jusqu’à lui proposer des accords, présentés comme « techniques », là où elle aura dépassé les 5% requis — sous réserve, dit-elle, que le PS ne s’allie pas avec le MODEM. Mais si la LCR refuse des accords avec le MODEM et les accepte avec le PS, c’est qu’elle estime qu’il y a une différence de nature entre ces partis, c’est-à-dire que selon elle le PS n’est pas un parti bourgeois. Ces accords sont donc bel et bien politiques.

Enfin, alors que LO, la LCR et le PT sont incapables d’agir ensemble sur le terrain de la lutte de classe et se considèrent réciproquement comme de dangereux adversaires, voire comme les pires ennemis (c’est l’opinion du PT sur la LCR, notamment), ils n’éprouvent en revanche plus la moindre réticence quand il s’agit de s’unir… sous la houlette du PS ou du PCF ! C’est le cas à Saint-Quentin dans l’Aisne, où on a une alliance PS-PCF-Verts-MRC-LO-LCR-PT (sic !), à La Seyne-Sur-Mer (alliance PCF-LCR-PT), à Béziers (PCF-LCR-PT), à La Courneuve ou à Aubervilliers (PCF-LO-PT), etc. Par contre, lorsque ni le PS, ni le PCF ne patronnent la liste, LO, LCR et PT vont par principe séparément au combat !

De l’opportunisme au réformisme… et au révisionnisme

De la part de ces trois organisations, il ne s’agit pas d’une orientation seulement opportuniste et lamentablement électoraliste. Il s’agit plus gravement encore d’une ligne purement et simplement réformiste, qui les conduit logiquement, dans bien des cas, à des extrémités révisionnistes sans précédent. Cela les amène en effet non seulement à s’allier avec le PS, qu’elles considèrent à tort comme un parti réformiste, mais même avec des partis que nul n’a jamais considéré autrement que comme des partis bourgeois, tels que les Verts, le MRC (souverainistes de Chevènement), le MRG (radicaux de gauche), etc. Autrement dit, foulant aux pieds l’un des principaux acquis du trotskysme, LO, le PT et dans quelques cas la LCR constituent des sortes de « fronts populaires » municipaux qui, pour être locaux, ne sont pas plus acceptables que ceux mis en place par le PS, le PCF et le parti radical en 1936 ou dans les années 1970 au niveau national.

La LCR a ressorti son slogan « 100% à gauche » (au détriment du « communisme révolutionnaire », voire de l’anti-capitalisme) et elle défend avant tout des programmes municipaux centrés sur des revendications locales réformistes. Elle va jusqu’à faire croire, comme dans son programme marseillais, qu’« il faut des élu(e)s différent(e)s pour imposer cette autre politique ». Elle ajoute qu’il faut « instaurer des conseils de quartiers (ouverts à tous les résidents, français ou étrangers), dotés d’un budget participatif ». On sait que c’est cette politique municipale réformiste et ce « budget participatif », consistant à proposer aux travailleurs de participer eux-mêmes à la gestion de la pénurie, qui a conduit la section brésilienne de la « Quatrième Internationale-Secrétariat Unifié » (dont la LCR est la section française) de la gestion de la ville de Porto Alegre au gouvernement bourgeois de Lula, avec un poste de ministre contre la réforme agraire pour Miguel Rossetto. Cette question est donc un problème politique fondamental que tous les militants révolutionnaires devraient discuter pour comprendre où mène nécessairement le réformisme, même quand sa pratique commence au niveau local. Enfin, la LCR prévoit clairement (notamment à Paris, Marseille, Rennes…) d’appeler à voter pour la gauche et notamment pour le PS au second tour, voire de passer des accords pour figurer sur ses listes au second tour, sous prétexte de « battre la droite ».

C’est sans doute LO qui va le plus loin dans le révisionnisme, dans la mesure où sa politique a au moins le mérite d’être systématique :

Mais LO n’est nullement la seule à défendre une orientation ouvertement réformiste la conduisant à des extrémités honteuses. Dans plusieurs villes, c’est le cas aussi du PT, voire de la LCR :

La question purement tactique du vote

Globalement, pour ces élections municipales et cantonales, aucune organisation ne présente de listes révolutionnaires. C’est pourquoi les travailleurs et les jeunes n’ont globalement rien à en attendre et que, de fait, beaucoup s’apprêtent légitimement à ne pas aller voter. Cependant, cela ne signifie pas que, d’un point de vue tactique, il faille être totalement indifférent aux résultats que feront les organisations ouvrières à ces élections malgré leur programme réformiste. C’est pourquoi le Groupe CRI donne les consignes de vote suivantes :


1) Erratum : C’est à tort que nous avions écrit dans la version tirée à part de notre Déclaration politique que le PT se présentait à l’élection municipale dans cette ville. Le tract cité ici, diffusé à Achères, n’en est pas moins véridique !