Article du CRI des Travailleurs n°31

Plan « espoir banlieue » : le gouvernement perfectionne son appareil répressif et sa politique d’exploitation

Dans son discours prononcé le 8 février 2008 pour présenter le plan « espoir banlieue », Sarkozy a le mérite d’être bien plus lucide que la plupart des organisations dites « révolutionnaires » : « Avec ce qui se passe dans ces quartiers, ce n’est pas seulement l’idée que nous nous faisons de la laïcité, c’est l’avenir de notre démocratie, c’est l’avenir d’une certaine idée de la République qui sont en jeu. C’est l’idée même de la nation qui est en cause. » (1) Nous pouvons effectivement nous mettre d’accord avec le président sur ce point : les « violences » qui ont lieu en banlieue, notamment à l’encontre de la police, représentent un danger pour « une certaine idée de la République », c’est-à-dire la république bourgeoise. En effet, le Groupe CRI avait analysé dans les émeutes de 2005 une réelle potentialité révolutionnaire (2), de même que dans les actes plus sporadiques qui ont eu lieu à l’automne 2006 (3). Les événements de novembre à Villiers-le-Bel et la parution récente du  plan « espoir banlieue » montrent que l’enjeu de cette question est crucial.

La colère des quartiers populaires est loin d’être apaisée

Depuis l’automne 2005, il n’y a pas eu de nouvelles « émeutes » d’ampleur comparable dans les quartiers populaires. Néanmoins, durant l’automne 2006, de nombreux actes ont témoigné d’une volonté de relancer un même type de révolte (4). Les causes de cette révolte n’ayant pas changé, il n’y a en effet pas de raison que la colère s’apaise. Ce sont toujours des conditions de vie déplorables, un taux de chômage particulièrement élevé et toujours la même violence de l’État via les contrôles policiers humiliants et incessants.

À Villiers-le-Bel le 25 novembre, un accident entre deux jeunes en moto, Moushin et Larami, âgés de 15 et 16 ans, et une voiture de police, remet le feu aux poudres. Officiellement, la voiture de police roulait doucement et la responsabilité reviendrait à Moushin et Larami qui roulaient sans casque. Mais très vite des témoignages et un film amateur contredisent cette version et accusent les policiers de la mort des deux jeunes. La colère est immédiate, les jeunes de Villiers affrontent la police avec une détermination particulièrement grande : en quelques jours à peine, la révolte fait jusqu’à 120 blessés parmi les « forces de l’ordre ». Du côté de l’État la répression est très ferme : plus de 1000 hommes en armes sont mobilisés, équipés de matraques, flashballs et fusils à plomb, avec parmi eux des membres du RAID et de la BAC. Sarkozy prétend que « ce qui s’est passé à Villiers-le-Bel n’a rien à voir avec une crise sociale, ça a tout à voir avec la voyoucratie (5) ». Il s’agit évidemment d’opposer aux jeunes révoltés les habitants des mêmes quartiers ne participant pas à ces révoltes, mais qui subissent les mêmes difficultés, en leur faisant croire que celles-ci seraient bien plus dues à ces « voyous » qu’au gouvernement et, plus généralement, au système capitaliste lui-même.

Perfectionnement de l’appareil répressif d’État

En février, le gouvernement a donc présenté son fameux plan « espoir banlieue ». Bien qu’en novembre, dans un discours prononcé à La Défense devant 2000 policiers et gendarmes annonçant ce plan, Sarkozy ait affirmé que « nous ne le ferons pas parce qu’il y a eu des émeutes » (6), il s’agit au contraire très précisément de répondre aux « émeutes », en jouant sur la division entre les habitants respectables de ces quartiers qu’il faut aider à s’en sortir, et les émeutiers sur qui il faut taper sans retenue.

Il est vrai que ce plan a un fort contenu idéologique visant à flatter l’électorat d’extrême droite de Sarkozy. La tonalité générale du discours est très largement emprunte de néo-colonialisme et de racisme. Les banlieues sont montrées comme un lieu où il faut aller porter la civilisation puisque le taux d’immigrés y est particulièrement élevé et que, comme on peut le lire en filigrane, ce serait d ’eux que viendraient les problèmes. Ainsi Sarkozy affirme-t-il : « On ne peut vouloir s’installer en France sans respecter sa culture, ses valeurs et les lois de la République. Il n’y a pas de place en France pour la polygamie, l’excision, pour les mariages forcées, pour le voile à l’école et pour la haine de la France (7). »

Mais son discours ne se résume pas à cela : la principale mesure que l’on peut retenir de ce plan est un renforcement policier massif. Sarkozy prétend vouloir en finir avec la « loi des bandes (8) » et pour cela annonce le renforcement des Groupes d’Interventions Régionaux « recentrés sur la mise à jour de l’économie souterraine » et la mise en place d’une « police qui protège à tout moment les habitants du quartiers », soit 200 « unités territoriales ». De plus, 4000 policiers supplémentaires seront affectés aux quartiers « marqués par la violence urbaine (9) ». Par ailleurs, pour tenter de faire croire que l’hostilité d’une grande partie des habitants de ces quartiers contre la police et le gouvernement ne serait due qu’à un malentendu, il propose que des réservistes expérimentés soient recrutés comme « délégués à la cohésion police-population » et que des habitants des quartiers soient recrutés comme « volontaires citoyens de la police nationale ». Il cherche donc à associer les habitants eux-mêmes au renforcement sécuritaire pour donner l’illusion de paix sociale.

Ce renforcement policier est donc éminemment politique. Face à la menace persistante d’une révolte explosive dans les banlieues, la bourgeoisie se sent menacée, et c’est justement le rôle de l’État dont elle s’est dotée pour garantir ses intérêts, que d’adapter son système répressif à un tel danger.

Faire des banlieues un réservoir de main-d’œuvre prête à l’emploi

Mais le plan « espoir banlieue » ne se réduit pas à cette seule attaque, puisque comme le dit Sarkozy avec un cynisme à peine croyable, « on parle toujours des voyous qui empoisonnent la vie de tout le monde. On parle toujours des trafiquants, on parle toujours des bandes qui parfois font régner la terreur. On montre avec complaisance les voitures incendiées, les pillages, les émeutes. Et l’on ne voit pas derrière toute cette population, toute cette jeunesse, qui ne demande qu’une chose, c’est qu’on lui donne les moyens d’étudier, de travailler, d’entreprendre. » (10) La « délinquance » est ainsi présentée comme le produit d’une sorte de méchanceté naturelle, sans la moindre explication socio-économique, et les jeunes révoltés des quartiers populaires sont assimilés à des « voyous ». La confusion est sciemment entretenue entre les actes de révolte proprement dits, les atteintes bien compréhensibles à la propriété bourgeoise (grandes surfaces, etc.) ou aux symboles de l’État et les agressions contre les habitants des quartiers populaires. Une fois le sort des « voyous » réglé par la violence policière, il s’agirait de s’occuper de « toute cette population » dont le gouvernement reconnaît donc lui-même qu’« on » ne lui donne pas les moyens de vivre correctement. La solution du gouvernement est simple : le « contrat d’autonomie ». Il s’agirait d’un service d’aide à l’insertion professionnelle pour les jeunes des quartiers « sensibles ». Il concernerait dans un premier temps, à titre expérimental, 45000 jeunes qui signeraient un contrat avec des entreprises privées spécialisées dans l’insertion professionnelle. Cela consisterait pour ces entreprises à suivre ces jeunes en leur proposant un « soutien intensif et personnalisé », un « coaching » pour leur apprendre les « codes nécessaire à l’insertion en entreprises ». Il s’agit clairement d’un formatage dont on voit difficilement comment il pourrait réduire le chômage, mais qui offre aux entreprises une main-d’œuvre prête à l’emploi (11).

Par ailleurs, plutôt que de remettre en cause ce par quoi une grande partie de ces jeunes des banlieues échouent scolairement (conditions de vie socio-économiques, manque de structures éducatives, manque de moyens généralisé…), le plan propose parallèlement la mise en place d’écoles de la « deuxième chance » pour ceux qui échouent et de 30 pôles d’excellence dans le secondaire. Il accélère de cette façon la suppression de la carte scolaire, aggravant le système d’une école à deux vitesses au nom du mythe éculé de la réussite individuelle et de la « méritocratie ». De fait, en écartant consciemment toute une partie des élèves du système scolaire « normal », le gouvernement renforce leur exclusion de l’accès à des diplômes donnant encore certains droits et une qualification solide. D’autant plus qu’il supprime en même temps les BEP afin non seulement de réaliser des économies (bac professionnel préparé en 3 ans au lieu de 4), mais aussi d’envoyer plus tôt sur le marché du travail, c’est-à-dire dans les griffes de l’apprentissage » et de la prétendue « insertion », les jeunes qui n’auront pas le niveau requis pour préparer le bac professionnel.

Aveuglement persistant des organisations prétendument révolutionnaires

Face à ces attaques, l’attitude d’organisations qui se disent révolutionnaires est très préoccupante. Le PT a le mérite de dénoncer la « déréglementation totale » que constituent l’« école de la deuxième chance », le « contrat d’autonomie » et l’extension des zones franches urbaines prévoyant de nouvelles exonérations de cotisations patronales (Informations ouvrières n° 832 et 833). Il semble aussi être contre le volet du plan banlieue prévoyant le déploiement de 4000 policiers d’ici à trois ans dans les quartiers, mais il se contente de le commenter en disant simplement : « Plus de 8000 profs en moins, 4000 policiers en plus… C’est en soi tout un programme. » De plus, dans un tract du 8 février distribué à Achères, il proteste contre la mise en place d’une police municipale… parce que « la police relève des attributions de l’État ». Bref, le PT ne dénonce pas clairement la police comme un instrument de l’État bourgeois, destiné tout particulièrement à mater la jeunesse des quartiers maintenue dans la misère par le capitalisme, car cela l’obligerait à remettre en cause sa défense de la « République une et indivisible » de la bourgeoisie.

En ce qui concerne LO, non seulement le titre de son communiqué du 8 février, « Grands mots et petites mesures » suggère que les « mesures » du plan banlieue seraient seulement insuffisantes, mais en outre le « contrat d’autonomie » n’est pas dénoncé comme instrument de déréglementation et rien n’est dit contre le renforcement policier. Au contraire, LO écrit : « Quant à la promesse de "mettre fin à la loi des bandes", d’engager "une guerre sans merci" contre "les trafics et les trafiquants", venant de quelqu’un qui dirigea le ministère de l’intérieur à partir de 2002, ce n’est rien d’autre que l’habituel discours sécuritaire que l’on nous ressort à la veille de chaque échéance électorale. » Autrement dit, LO reproche à Sarkozy de n’avoir pas été efficace quand il était premier flic de France ! Au lieu de dénoncer la fonction de la police au service de l’État bourgeois et du capitalisme, LO laisse ainsi planer une grosse ambiguïté sur le rôle de la police, renforcée par certaines de ses positions antérieures appelant à une police de proximité pour les banlieues.

Quant à la LCR, si elle dénonce plus correctement le volet répressif, Besancenot a affirmé que le déploiement des 4 000 policiers était « la seule annonce concrète » du plan banlieue, passant ainsi sous silence les mesures de déréglementation, la livraison des jeunes au patronat.

Enfin, aucune de ces trois organisations ne semble prendre conscience de l’importance pour la bourgeoisie de s’assurer la docilité des banlieues face au risque d’une révolte qui la menacerait, aucune ne saisit la stratégie consistant à dresser les habitants des quartiers populaires contre les jeunes révoltés. La raison en est qu’elles ne voient pas le potentiel révolutionnaire de ces jeunes.

Le rôle d’une organisation communiste réellement révolutionnaire est de montrer en quoi le plan banlieues de Sarkozy représente dans son ensemble une véritable attaque à la fois pour assurer un nouveau réservoir de main-d’œuvre corvéable et pour réprimer les révoltes. Il faut donner à ceux qui se révoltent de véritables perspectives politiques. Il ne s’agit donc pas seulement de leur proposer un programme minimal réformiste comme celui que proposent le PT, LO ou la LCR, qui tous trois se contentent d’en appeler à la défense des services publics et à la construction de logements sociaux. Mais il faut proposer à ceux qui se révoltent de s’auto-organiser au côté des travailleurs sur la base d’un programme politique dénonçant l’ensemble de la politique gouvernementale au service du patronat comme les gouvernements précédents et, à partir de là, l’ensemble du système capitaliste. C’est en effet ce système qui engendre nécessairement le chômage de masse, les inégalités sociales et la misère dans les quartiers populaires. Mais il provoque par là même tout aussi nécessairement la révolte contre l’exploitation, l’oppression et l’absence d’avenir : les jeunes de ces quartiers ont raison de se révolter, il leur manque, comme à toute la classe ouvrière, un programme et un parti anti-capitalistes conséquents et cohérents, donc révolutionnaires.


1) Discours du 8 février 2008.

2) Cf. Le CRI des travailleurs n° 20, nov.-déc. 2005.

3) Cf. Le CRI des travailleurs n° 24, nov.-déc. 2006.

4) Ibidem.

5) Article de L’Express du 29 novembre 2007.

6) Ibidem.

7) Discours du 8 février 2008.

8) Idem.

9) Idem.

10) Idem.

11) C’est le principe même de la prétendue « insertion professionnelle » telle que prétendent l’assurer les entreprises privées avec le soutien du gouvernement, cf. Le CRI des travailleurs n° 24, nov.-déc. 2006.