Article du CRI des Travailleurs n°32

Tous ensemble pour le « second round » de la résistance sociale au MEDEF et à Sarkozy !
Organisons-nous et imposons aux directions syndicales la préparation et l'appel à la grève interprofessionnelle pour gagner !

Dans notre précédent numéro, nous soutenions que, après les premières luttes de l’automne contre Sarkozy, trahies par les directions syndicales, et la période du début de l’année 2008, marquée par la digestion de la défaite et la préparation des municipales, la « situation objective (rendait) possible un nouveau cycle de luttes… à condition de surmonter les obstacles politiques », c’est-à-dire avant tout la politique de collaboration de classe des directions syndicales. En effet, la défaite électorale de Sarkozy et de l’UMP, l’impopularité croissante du président, tendant à la crise de la fonction présidentielle elle-même, la multiplication des grèves dans le privé au moment même où le MEDEF était secoué par une grave crise interne, et la montée générale du mécontentement ouvrier et populaire, étaient autant de facteurs pouvant conduire à une reprise des mobilisations contre la politique du patronat et du gouvernement à son service.

Avec la crise économique et les attaques de Sarkozy, les relations sociales se tendent …

Deux mois plus tard, les obstacles politiques n’ont pas été surmontés, mais un nouveau cycle de luttes a effectivement commencé : tout montre que l’on s’achemine vers un « second round » de la résistance sociale à Sarkozy, rendant ces obstacles encore plus aigus. Au mandat reçu du MEDEF par Sarkozy pour accomplir au pas de charge les « réformes » structurelles dont les patrons français ont besoin afin de restaurer leur compétitivité sur le marché mondial, s’ajoute désormais une situation économique internationale très difficile ; c’est la conséquence notamment de la forte hausse des prix du pétrole et des matières premières, d’une part, de la récession qui frappe désormais les États-Unis, d’autre part (cf. l’article de Gaston Lefranc). Les prévisions concernant la situation de la France, en particulier, ne cessent de s’aggraver. Le retour d’une inflation soutenue plombe des salaires déjà dégradés ces dernières années. La révision à la baisse des prévisions de croissance contraint le gouvernement à multiplier encore les mesures de restrictions budgétaires dans la Fonction publique. Les chiffres du chômage eux-mêmes, pourtant truqués depuis plusieurs années, ne peuvent masquer la multiplication des suppressions d’emploi et la baisse de la demande en main-d’œuvre de la part de patrons plutôt pessimistes pour l’avenir proche.

Or la dégradation de la situation économique et les attaques tous azimuts du gouvernement provoquent inévitablement une résistance sociale multiforme : poursuite des grèves dispersées dans le privé pour les salaires ou contre les licenciements, grèves très suivies dans les ports autonomes contre la privatisation, grève massive à Airbus contre la cession de sites, mobilisation très importante des enseignants et lycéens contre les suppressions de postes, la suppression des BEP, le rapport Pochard, les nouveaux horaires et programmes du premier degré (cf. l’article d’Antoni Mivani), grève des travailleurs sans-papiers pour leur régularisation (cf. le tract CRI et la déclaration CILCA reproduits ci-dessous)... Ces luttes sont d’autant plus justifiées aux yeux de leurs acteurs que le gouvernement est de plus en plus impopulaire, comme le montrent tous les sondages d’opinion ; cela engendre d’ailleurs une réelle inquiétude dans les sommets de la bourgeoisie française (c’est le sens des critiques plus ou moins ouvertes concernant la « personnalité » de Sarkozy, son « imprévisibilité » et même, plus récemment, sa capacité à mener à bien les « réformes » annoncées).

… mais le PS soutient Sarkozy, le PCF et les directions syndicales refusent de le combattre

Pendant que les travailleurs et les jeunes cherchent la voie de la lutte de classe efficace, le PS fait à peine semblant de jouer son rôle officiel d’« opposant », car il soutient en fait les principaux projets du gouvernement (cf. l’article d’Anne Brassac), et le PCF refuse de combattre, car il n’a aucune orientation de lutte de classe et doit gérer les développements de son irréversible crise interne jusqu’à son prochain congrès. Dans leurs grèves et mobilisations, les principaux obstacles que rencontrent les travailleurs sont les directions syndicales, elles-mêmes dominées par l’orientation politique du PS pour les unes, du PCF pour les autres. Elles refusent en effet d’agir pour la convergence des luttes, notamment par l’arme de la grève, car elles préfèrent discuter avec le MEDEF et Sarkozy de leurs projets de contre-réformes, allant jusqu’à signer ouvertement ces projets, ensemble ou à tour de rôle (c’est le cas tout particulièrement avec la « position commune » MEDEF-Sarkozy-CGT-CFDT du 9 avril, cf. ci-après la Déclaration du CILCA) !

Cependant, les directions syndicales subissent la pression des travailleurs qu’elles sont tout de même censées représenter : elles sont donc contraintes d’apporter des réponses à cette pression, sous peine de se discréditer complètement et de ne plus pouvoir jouer leur rôle de canalisatrices de la colère ouvrière et populaire. C’est pourquoi les directions syndicales de l’enseignement, confrontées au développement d’une forte mobilisation d’une partie des enseignants et des lycéens, surtout en région parisienne, mais aussi dans un certain nombre de villes de province, ont dû appeler à la journée nationale de grève et de manifestations du 15 mai — la première depuis le succès de la précédente le 18 mars. Elles ont été suivies par les fédérations de fonctionnaires (à l’exception de la fédération des territoriaux de la CFDT), qui ont décidé d’appeler elles aussi à une « journée d’actions » le 15 mai : elle n’avaient pas donné davantage de suite à la précédente grève, pourtant très suivie, du 24 janvier, mais la violence des attaques du gouvernement (cf. l’article d’Antoni Mivani) et l’attente des travailleurs concernés les obligeaient à réagir. Il y a cependant un contraste flagrant entre l’analyse officielle des réformes par les directions syndicales qui, pour certaines, comme l’UGFF-CGT ou la FSU, dénoncent les plus grandes attaques contre la Fonction Publique depuis 1945, notamment la liquidation pure et simple du statut, et les méthodes de lutte qu’elles proposent : face à une telle offensive, qui peut croire que le gouvernement puisse céder ou même reculer avec une seule journée de grève, même très suivie comme l’a été celle du 15 mai ?

De même, face à l’offensive contre l’allongement de la durée de cotisations sur les retraites, venant s’ajouter à toutes les autres et à la hausse des prix, qui peut croire que la « journée d’action » interprofessionnelle du 22 mai puisse suffire ? Les directions des confédérations et de la FSU y appellent pour canaliser la colère des travailleurs et ne pas se discréditer totalement auprès de leur base, mais elles refusent d’appeler à la grève ce jour-là et a fortiori de mettre en avant et de préparer l’objectif d’une grève interprofessionnelle reconductible, vers la grève générale. Elles semblent vouloir avant tout éviter, quarante ans après la grève générale de Mai 68, que les travailleurs salariés puissent éprouver leur force sociale dans une lutte collective, tous ensemble, qui pourrait échapper à leur contrôle et déjouer la collaboration de classe dans laquelle se complaisent les Chérèque, Thibault, Mailly et autres Aschieri. Dans ce cadre, c’est toujours le plus jaune qui donne le la : toutes les directions syndicales n’ont pas hésité à céder au chantage de la CFDT exigeant que la journée d’action sur les retraites ne rencontre pas celle des fonctionnaires, mais lui succède une semaine plus tard ! Or chacun sait que la direction de la CFDT a approuvé ouvertement le plan Juppé en 1995, la « réforme » Fillon en 2003, la casse des régimes spéciaux en 2007… et qu’elle est favorable à l’allongement à 41 ans de la durée de cotisation, moyennant quelques aménagement de détail. Pourtant, les autres organisations se sont alignées sur ses exigences et en acceptant un texte commun pour le 22 mai qui ne mentionne pas le refus de l’allongement de la durée de cotisation à 41 ans !

Pour les militants syndicaux et politiques de lutte de classe et les travailleurs qui veulent combattre, il s’agit donc de s’organiser pour faire sauter les obstacles dressés par les directions syndicales sur le chemin de leur mobilisation tous ensemble, c’est-à-dire imposer la convergence des luttes par la grève interprofessionnelle pour gagner. Pour cela, il faut tout faire pour clarifier les conditions politiques et pratiques de la lutte, en proposant une plate-forme de revendications unifiantes, en développant l’auto-organisation qui permet seule aux travailleurs et jeunes de contrôler leurs mobilisations et en aidant à l’élévation de leur conscience politique par la mise en évidence de l’écart flagrant entre ce que les directions syndicales prétendent vouloir et ce qu’elles font. Telle est la responsabilité immédiate et cruciale des militants d’avant-garde, notamment ceux qui affirment vouloir construire un courant de lutte de classe dans les syndicats et ceux des organisations politiques qui se réclament de la révolution ou de l’anti-capitalisme : ils doivent pousser tous ensemble dans le même sens, au-delà de leurs divergences, dans l’intérêt de toute la classe ouvrière.

Pour l’unité d’action immédiate de la classe ouvrière et de la jeunesse sur la base d’une plate-forme de revendications claires et communes

La plate-forme revendicative suivante, unifiant les revendications mises en avant par les travailleurs eux-mêmes, capable par conséquent de servir de point d’appui au déploiement de leur force sociale collective, peut par exemple être discutée et reprise par les AG et les organisations qui affirment vouloir défendre les intérêts des travailleurs :

• Contre l’allongement à 41 annuités de cotisation pour une retraite à taux plein, pour le retour aux 37,5 pour tous !

• Pour une augmentation générale d’urgence des salaires de 300 euros pour tous et pour l’indexation des salaires sur les prix (échelle mobile des salaires), seule façon d’empêcher l’inflation de rogner le pouvoir d’achat des travailleurs !

Pour la régularisation de tous les sans-papiers (travailleurs, familles et étudiants), contre les expulsions, les rafles et les centres de rétention, abrogation des lois anti-immigrés, contre la division et le racisme, pour l’égalité des droits.

• Contre la mise en cause des droits des chômeurs, pour l’indemnisation de tous et le respect de leurs qualifications !

• Un CDI pour tous, contre la précarité, l’allongement de la période d’essai, la prétendue « rupture à l’amiable »…

• Pour la défense des acquis du statut de fonctionnaire : contre la loi sur la mobilité qui prévoit la mise au chômage de fonctionnaires, pour l’abandon total du rapport Pochard qui veut casser le statut des enseignants et du rapport Silicani qui veut briser le statut de fonctionnaire, pour la titularisation de tous les précaires (Français et étrangers) de la Fonction publique.

• Pour le rétablissement des 22 000 postes de fonctionnaires supprimés (dont 11 200 postes d’enseignants), contre la « révision générale des politiques publiques » qui prévoit d’en supprimer plusieurs dizaines de milliers d’autres d’ici 2012.

• Pour la défense des acquis de l’École et de l’Université publiques : rétablissement des heures de cours supprimées dans le primaire et contre l’allègement des programmes qui en découle, maintien des BEP et du Bac Pro en 4 ans, abrogation de la loi Pécresse dite « LRU », défense et rétablissement des diplômes nationaux reconnus sur le marché du travail.

Contre le plan de suppression d’hôpitaux et de services hospitaliers, qui concerne 240 établissements dans tout le pays.

Contre la répression policière et judiciaire des mouvements sociaux, des jeunes, des militants.

Contre la stratégie des « journées d’action » sectorielles et sans perspective, il faut un plan de lutte interprofessionnel centré sur l’arme de la grève, vers la grève générale

La stratégie des journées d’action secteur par secteur et sans perspective mise en œuvre par les directions syndicales revient à multiplier les barouds d’honneur, sans la moindre chance de gagner. C’est ce qu’enseignent toutes les mobilisations des dernières années, vaincues pour la plupart malgré leur puissance. Pour gagner, il faut une tout autre stratégie : lutter tous ensemble par l’arme de la grève, qui n’est efficace que si elle se reconduit et se généralise, comme l’avait prouvé la grève générale des étudiants, soutenue par les salariés, contre le CPE en 2006. C’est pourquoi il faut tout faire

• Pour l’auto-organisation des travailleurs et jeunes en lutte, au moyen d’Assemblées générales (intégrant les représentants syndicaux mobilisés) et de leur coordination à tous les niveaux par des délégués élus, mandatés et révocables. Ces AG permettent à tous de débattre, de décider démocratiquement et d’unifier le mouvement. C’est ainsi que les enseignants de la région parisienne ont mis sur pied une « AG des établissements en lutte » qui a été le moteur de leur mobilisation en mars-avril. Des AG départementales ont aussi été instituées dans le Var et en Haute-Garonne. De leur côté, les lycéens se rassemblent en une Coordination nationale lycéenne qui doit leur permettre de contrôler leur propre mouvement, contre la trahison de la FIDL et de l’UNL qui veulent y mettre fin. C’est le chemin à suivre dans tout le pays et dans les autres secteurs !

• Pour imposer aux directions syndicales l’appel à la grève interprofessionnelle, en commençant par l’appel à la grève reconductible dans les secteurs déjà fortement mobilisés, comme l’enseignement, et en préparant clairement cet objectif pour les autres, sur la base du succès du 15 et du 22. Les directions syndicales ne veulent évidemment pas appeler à la grève interprofessionnelle, ni à reconduire les grèves massives d’un jour dans quelque secteur que ce soit, alors qu’elles seules en ont la capacité : elles préfèrent utiliser les travailleurs qu’elles mobilisent pour mieux « négocier » avec le gouvernement. Mais elles subissent en même temps la pression des travailleurs, dont elles se réclament, lorsque ceux-ci s’organisent et se battent : c’est sous cette pression qu’elles ont dû appeler à la grève les 10 et 15 avril (enseignants franciliens) et le 15 mai (fonctionnaires au niveau national). Il faut donc aider les travailleurs qui se mobilisent à l’appel des directions syndicales à leur imposer la grève interprofessionnelle pour gagner, multiplier les motions d’AG en ce sens, organiser des délégations massives aux sièges des syndicats et partir en grève dès que les conditions sont mûres.