Article du CRI des Travailleurs n°32

Non à la « position commune » MEDEF-Sarkozy-CGT-CFDT du 9 avril sur la « représentativité syndicale » !
Non à la collaboration de classe !

Après notamment la trahison de la grève reconductible des cheminots en octobre-novembre, orchestrée avant tout par la direction de la CGT, et l’accord sur la réforme du contrat de travail du 11 janvier, dont la signature par FO a été la plus décisive (1), le patronat et le gouvernement viennent de remporter une nouvelle victoire cruciale dans leur stratégie d’association des directions syndicales à la mise en œuvre de leur politique. Les deux principales organisations patronales, le MEDEF et la CGPME, d’une part, les deux principales confédérations syndicales de salariés, la CGT et la CFDT, d’autre part, ont en effet décidé de signer, après de nombreuses séances de concertation, la « position commune du 9 avril sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme » — texte devant servir de base à une prochaine loi pour application progressive dans les cinq ans à venir. C’est en se référant tout particulièrement à cet accord, entériné à l’unanimité par la Commission Exécutive de la CGT dès le 16 avril, que Sarkozy a pu affirmer dans une tribune publiée le 19 dans Le Monde que « cette méthode est un succès » et rappeler triomphalement : « Rendre les organisations professionnelles, syndicales et patronales, plus fortes et plus responsables, nous appuyer sur le dialogue social pour conduire les réformes, transformer notre système de relations sociales pour favoriser la négociation collective : tels sont les engagements que j’ai pris pendant la campagne. Pourquoi ? Parce que j’ai l’intime conviction que, pour expliquer et mener à bien les réformes dont notre pays a besoin, nous devons le faire en partenariat étroit avec ceux qui représentent les intérêts des salariés et des entreprises. » De son côté, Laurence Parisot, présidente du MEDEF, avait déclaré dans sa conférence de presse du 15 avril : « Cette position commune est extraordinairement importante. Elle est probablement structurante. Elle va avoir un effet à la fois sur le paysage syndical mais aussi le mode de fonctionnement, le mode de travail avec les entreprises et les organisations patronales. (…) Il faut bien comprendre que ce dossier est un dossier sur lequel beaucoup de gens travaillent, réfléchissent depuis des années. Des années. Ce n’est pas depuis quelques mois, c’est depuis des années. (…) Nous avons, avec au moins deux organisations syndicales importantes, créé les conditions d’une vraie évolution du champ des relations sociales. C’est pour moi une révolution silencieuse. »

Comment un texte et une méthode salués avec enthousiasme par le patronat et son gouvernement de choc (2) pourraient-ils être, de près ou de loin, favorables au syndicalisme ouvrier et aux travailleurs ? La signature de ce texte par la CFDT, habituée à soutenir les mesures réactionnaires des gouvernements successifs, n’a évidemment rien pour surprendre. L’événement politique majeur est donc sa signature par la CGT. Formellement, celle-ci n’est pas habituée à signer de tels accords au niveau interprofessionnel : elle n’en avait signé aucun entre 1970 et 2003. L’accord sur la formation professionnelle de 2003 (signé également par toutes les autres confédérations) prévoyait surtout des mesures régressives et quelques points positifs (3) : c’était déjà une grave faute de le signer, ouvrant une nouvelle époque en ce domaine. Cependant, il s’agissait encore d’un accord, que les directions syndicales avaient essayé de justifier par quelques avancées minimes. Cette fois, en revanche, ce n’est pas un accord, même régressif, ce n’est pas un cadre de « compromis », même lâche. Mais c’est une « position commune », c’est-à-dire l’affirmation d’une convergence de fond entre ses signataires. En particulier, l’introduction du chapitre I affirme expressément que l’accord « vise à permettre le développement du dialogue social au regard des évolutions actuelles de la société et de ses composantes économiques et sociales » — c’est-à-dire qu’il s’agit de se trouver des solutions communes sur la façon de soumettre les travailleurs aux impératifs de la mondialisation capitaliste (incluant évidemment ceux de la crise actuelle) (4). Au-delà même d’une collaboration de classe réformiste « classique », il s’agit donc ouvertement d’un cadre d’« union sacrée » entre le patronat et les principales directions syndicales, avec l’onction de Sarkozy. C’est pourquoi ce texte est un élément essentiel pour la reconfiguration des mécanismes de gestion par la bourgeoisie des rapports sociaux entre les classes sociales en France, dans le sens d’un « syndicalisme » d’accompagnement généralisé et institutionnalisé. Comme l’écrit le journal patronal L’Usine nouvelle du 17 avril, « ce texte habile et complexe doit être transposé dans la loi. Mais il constitue déjà une victoire pour la rénovation du patronat. (…) Il élargit le champ syndical. Il intègre la CGT dans le jeu. » De même, pour le journal du capital financier Les Échos du même jour, « le choix de Bernard Thibault ne doit pas trop étonner. Il confirme l’évolution d’une CGT longtemps bloquée dans ses archaïsmes. »

L’examen précis des principales dispositions du texte confirme pleinement l’analyse du patronat et les raisons qu’il a de s’en réjouir.

Non à la casse des lois protectrices du travail ! Défense du « principe de faveur » !

Officiellement, la principale innovation du texte réside dans l’interdiction d’accords syndicaux excessivement minoritaires : désormais, un accord interprofessionnel, de branche ou d’entreprise ne pourra plus être signé que par un ou plusieurs syndicats représentant moins de 30% des voix aux élections professionnelles, et à condition que ne s’y opposent pas le ou les syndicats représentant plus de 50% des voix. Selon ses thuriféraires, et même pour une partie de ceux qui condamnent le texte pour ses autres aspects, cette disposition serait progressiste car « démocratique »… En réalité, son but principal n’a rien à voir avec la démocratie (comment serait-ce possible, de la part du MEDEF et de Sarkozy ?), mais il vise à briser le « principe de faveur » qui régit jusqu’à aujourd’hui le droit du travail français, selon lequel une convention collective de branche ne peut être moins favorable aux travailleurs que la loi, et un accord d’entreprise ne peut être moins favorable qu’une convention collective. Il s’agit donc uniquement d’enrober dans un prétexte démocratique (en fait totalement fallacieux, comme nous allons le voir) la pilule d’une régression sociale sans précédent.

Pour le comprendre, il faut repartir de la stratégie globale choisie par le MEDEF pour briser les acquis sociaux. Celle-ci est revendiquée ouvertement : dans une logique « libérale », il s’agit de substituer le contrat à la loi. C’est ainsi que, pour Laurence Parisot, « nous posons bien, dans cette position commune, l’idée que la démocratie sociale passe par le contrat » (conférence de presse du 15 avril). Concrètement, cela signifie que le grand patronat veut briser les droits arrachés par la lutte de classe pour tous les travailleurs et codifiés sous forme de lois étatiques depuis 150 ans, en les remplaçant de façon systématique par des accords collectifs au niveau de la branche et surtout de l’entreprise. Or cette stratégie s’oppose frontalement à celle de la lutte de classe ouvrière : depuis le XIXe siècle, la classe ouvrière s’est au contraire constituée comme classe en se battant pour des lois, c’est-à-dire par une lutte proprement politique : c’est ainsi que, comme l’écrivait Marx dans un exposé de formation destiné à l’Alliance Internationale des Travailleurs (regroupant organisations politiques, syndicats, coopératives et mutuelles ouvrières), « la limitation de la journée de travail (…) n’a jamais été réglée autrement que par l’intervention législative. Sans la pression constante des ouvriers, agissant du dehors, jamais cette intervention ne se serait produite. En tout cas, le résultat n’aurait pas été obtenu par des accords privés entre les ouvriers et les capitalistes. Cette nécessité même d’une action politique générale est la preuve que, dans la lutte purement économique, le capital est le plus fort. » (5) Autrement dit, la classe ouvrière ne peut emporter de victoires significatives sur le capital au niveau de l’entreprise ou même d’une branche particulière, mais doit imposer à l’État lui-même des garanties qui la protègent des pires excès de l’exploitation. Cette orientation, parce qu’elle est proprement politique, est la seule qui permette de surmonter l’atomisation des prolétaires qu’engendre le capitalisme et d’unifier la lutte de classe en arrachant des acquis certes partiels, mais valables pour tous.

Certes, la lutte de classe au XXe siècle a également imposé d’indéniables acquis sous forme d’« accords privés » collectifs : les conventions collectives. Mais, d’une part, même s’il faut toujours défendre les acquis partiels, on peut contester la logique qui a présidé à la généralisation de ce type d’accords : nés en 1936, codifiés par la loi en 1950, ils ont l’inconvénient de hiérarchiser les niveaux d’acquis selon les branches (voire selon les régions), en faveur des secteurs les plus concentrés du prolétariat, mais au détriment de l’unité des conquêtes ouvrières ; en ce sens, contrairement aux lois du travail « universelles », ils sont facteurs de corporatismes syndicaux. En outre, leur institutionnalisation (notamment les renégociations régulières à froid) a contribué à faire dériver les syndicats vers des pratiques toujours plus réformistes, au détriment de l’esprit de lutte, et à dépolitiser les combats, au profit des rapports de force partiels par branches, voire par entreprises. Cependant, le principe des accords collectifs a toujours été qu’ils devaient apporter une amélioration pour les travailleurs concernés (un surcroît de droits) par rapport au régime général garanti par la loi. Par exemple, les accords salariaux conventionnels de branche ne peuvent prévoir un salaire minimal d’embauche inférieur au SMIC ou une durée du travail supérieure à celle que prévoit la loi (6). De même, les accords d’entreprise — dont l’existence même est encore plus contestable, car ils atomisent la classe ouvrière — n’ont été considérés comme acceptables par les réformistes eux-mêmes qu’à condition d’améliorer les accords collectifs de branche. C’est précisément cela que l’on appelle le « principe de faveur », disposition spécifique exceptionnelle du droit du travail français : alors que, pour les autres domaines, les textes de niveau inférieur ne peuvent déroger aux dispositions des textes de niveau supérieur (les lois ne peuvent déroger aux principes de la Constitution, les décrets ne peuvent déroger aux dispositions des lois, les arrêtés ne peuvent déroger aux décrets, etc.), ce principe de la « hiérarchie des normes » n’est pas valable en droit du travail. Selon l’article L132-4 du Code du travail, en effet, « la convention et l’accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur ». Or c’est bien ce principe que le patronat et le gouvernement veulent briser, afin de vider progressivement de sa substance le droit du travail au moyen d’une myriade d’« accords » d’entreprise, voire d’avenants aux contrats de travail individuels. Car, comme l’explique Marx, ce serait une illusion totale de croire que des accords d’entreprise puissent être généralement plus favorables aux travailleurs que la loi si la loi n’y oblige pas.

D’ailleurs, dans le texte même de la « position commune » du 9 avril, l’article 17 prévoit expressément la possibilité, « à titre expérimental », de « dépasser le contingent conventionnel d’heures supplémentaires prévu par un accord (…) antérieur à la loi du 4 mai 2004 », au moyen d’accords d’entreprise : par son incongruité même dans un texte qui n’a nullement pour objet la question particulière du temps de travail, cet article, qui revient à rendre rétroactive la loi du 4 mai 2004 mettant en cause le principe de faveur, confirme clairement que tel est bien l’objectif réel du patronat. Laurence Parisot ne s’en cache nullement, puisqu’elle a déclaré le 15 avril : « Le fait que nous ayons pu acter la possibilité de déroger aux accords de branche en matière de contingent d’heures supplémentaires, à partir du moment où il y a un accord dans l’entreprise entre la direction de l’entreprise et les représentants du personnel, si cet accord est majoritaire, c’est bien là aussi le signe d’une installation d’une démocratie sociale avec sa spécificité qui passe par le contrat. »

Certes, le principe de faveur avait déjà été remis en cause, notamment en ce qui concerne l’aménagement du temps de travail, depuis les lois Auroux-Aubry de 1982 et surtout depuis les lois Aubry de 2000-2001, dont les dispositions sur ce point ont été encore aggravées par les gouvernements suivants. De plus, les lois Fillon du 3 janvier 2003 (à titre expérimental) et Borloo du 18 janvier 2005 (à titre général) mettent également en cause le principe de faveur en ce qui concerne l’information et la consultation du comité d’entreprise en cas de grands licenciements économiques. Enfin et surtout, la loi Fillon du 4 mai 2004 attaque frontalement le principe de faveur en prévoyant que les accords interprofessionnels ne prévalent plus automatiquement sur les accords de branche et d’entreprise, et en généralisant la possibilité que des accords d’entreprise dérogent aux accords de branche, à l’exception toutefois des salaires minimum de branches, des classifications, de la prévoyance et des fonds de la formation professionnelle.

Cependant, non seulement le principe de faveur n’est pas encore remis en cause dans plusieurs domaines décisifs du droit du travail, mais surtout, la régression de ce principe ces dernières années prouve justement qu’il s’agit d’une stratégie à long terme du MEDEF, dont le but ultime est l’individualisation totale des relations sociales ! C’est pourquoi, au lieu de se battre avant tout sur les conditions auxquelles des accords d’entreprise peuvent être signés, les syndicats et organisations ouvrières devraient mettre au centre de leur combat le refus des accords d’entreprise dérogatoires, la défense du principe de faveur, le retour à son application pour les domaines où il a été mis en cause et la lutte proprement politique pour des lois du travail favorables aux salariés !

Non à l’ingérence de l’État dans les syndicats ! Pour la classe ouvrière, les seuls critères de légitimité sont l’indépendance de classe et la combativité !

Mais la « position commune » du 9 avril ne fait pas qu’entériner l’évidage progressif du principe de faveur, au profit d’une institutionnalisation de la collaboration de classe au niveau prioritaire de l’entreprise. Il s’agit en outre d’un texte dangereusement anti-démocratique : seule une conception parfaitement formelle de la démocratie, hypocritement mise en avant par le MEDEF, reprise à son compte par la bureaucratie syndicale, peut faire croire le contraire.

Tout d’abord, le texte ne revient pas sur le fait même d’interdire à certains syndicats d’être pleinement reconnus comme tels (notamment le droit de négocier), mais il change les modalités de cette interdiction. Il abolit en effet la prétendue « présomption irréfragable de représentativité », qui date de 1945 et avait été étendue jusqu’à se cristalliser en 1966 sur cinq confédérations exclusivement (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC). Le problème réel posé par cette règle n’est pas qu’elle permette la signature d’accords minoritaires, car il peut très bien y avoir de bons accords signés par des syndicats minoritaires ; le problème fondamental est que l’État se permette d’octroyer de fait le titre de syndicats à certaines organisations plutôt qu’à d’autres. Or l’État n’est pas neutre : c’est l’instrument de la classe dominante, quelles que soient les concessions faites historiquement à la lutte de classe ouvrière ; ses choix n’ont donc aucune légitimité a priori et notamment, quoi que l’on pense par ailleurs de Solidaires ou de la CNT d’un point de vue stratégique ou tactique, il est inadmissible que ces organisations du mouvement ouvrier n’aient pas les mêmes droits que les autres. De ce point de vue, le seul principe démocratique valable est l’égalité absolue des droits entre tous les syndicats constitués dans le cadre de la loi de 1884.

Quant à l’argument selon lequel la mise en cause de la « présomption irréfragable de représentativité » à cinq confédérations permettrait le développement des syndicats patronaux, il est inadmissible tant sur le plan théorique que d’un point de vue pratique. Théoriquement, en effet, il revient à faire croire que l’État capitaliste pourrait protéger les syndicats ouvriers et combattre les « syndicats patronaux » : c’est une stupide illusion réformiste, qui ne fait que masquer la nécessité que le combat syndical ait pour cible ultime l’État, à commencer par l’exigence de lois protectrices des travailleurs. De plus, sur un plan pratique, des « syndicats-maisons » existent déjà dans bien des entreprises et ils y sont parfois majoritaires même en ne pouvant se présenter qu’au second tour. Enfin, quand ils n’existent pas, leur rôle est de toutes façons très souvent assuré par des syndicats CFDT, CFTC, FO, voire CGT. La question de la lutte contre les « syndicats » patronaux est donc une question d’orientation politique : pour les combattre, les syndicalistes de lutte ne peuvent s’en remettre à l’État capitaliste, mais doivent compter sur leurs propres forces, développer la conscience de classe, convaincre les travailleurs qu’ils ont intérêt à se syndiquer et à lutter. Du point de vue de la lutte de classe, le seul critère de « représentativité » est l’indépendance de classe et la combativité !

Or la « position commune » du 9 avril remplace la « représentativité irréfragable » des cinq confédérations… par d’autres critères de représentativité. Parmi ces critères, il y a ceux dont on parle peu, mais qui sont extrêmement graves :

• l’ancienneté de deux ans, qui revient à entraver très fortement la constitution de nouveaux syndicats, notamment dans les entreprises à fort turn-over (c’est le cas en particulier dans la sous-traitance) ;

• le « respect des valeurs républicaines », c’est-à-dire en fait la subordination commune des patrons et des syndicats à cette « démocratie » bourgeoise… qui permet aujourd’hui au MEDEF de diriger de facto le pays !

• la « transparence financière » : les signataires s’engagent à faire certifier leurs comptes par l’État, c’est-à-dire que les syndicats acceptent de dévoiler le nerf de la guerre à l’ennemi — ou plutôt ils considèrent par là même qu’il n’y a plus d’ennemis, donc plus de guerre de classes ! En échange, le texte accroît le financement des syndicats par des subventions patronales : il prévoit l’attribution de fonds par l’entreprise au titre de « missions syndicales » — ce qui revient à institutionnaliser la corruption de classe.

Pour tout syndicaliste de lutte de classe, ces critères suffisent à eux seuls pour justifier le refus de la « position commune » du 9 avril. Mais qu’en est-il de celui qui a fait couler le plus d’encre en raison de son apparence « démocratique », le critère de l’audience électorale des syndicats ?

Désormais, pour être représentatif, un syndicat devra obtenir 8% des voix aux niveaux interprofessionnel et de la branche (seuil appelé à augmenter), 10% au niveau de l’entreprise. Cela signifie d’abord qu’un syndicat représentatif à tel niveau ne le sera pas nécessairement aux autres : « la représentativité n’emporte d’effets qu’aux niveaux où elle est reconnue » (art. 3). Dans des centaines d’entreprises, les syndicats du mouvement ouvrier (y compris bien sûr de nombreux syndicats CGT !) cesseront donc du jour au lendemain d’être « représentatifs » ! Or l’intérêt du syndicalisme ouvrier, c’est qu’il y soit présent dans le plus grand nombre possible d’entreprises, qu’il y ait le maximum de délégués syndicaux !

De plus, dans la mesure même où elle devient subordonnée aux élections, la représentativité sera désormais à durée déterminée : d’une élection à l’autre, un même syndicat pourra cesser d’être représentatif, au détriment du long travail d’implantation nécessaire pour acquérir la réelle confiance des travailleurs conscients de leurs intérêts de classe.

Enfin, l’une des plus graves conséquences de la prétendue avancée démocratique est la remise en cause de la fonction même de délégué syndical, telle qu’elle avait été acquise en 1968 : les syndicats n’auront plus le droit d’être représentés par les délégués de leur choix. En effet, le texte subordonne la fonction de délégué syndical de plein droit (avec décharge, statut protégé et capacité de négocier), dans les entreprises de 50 salariés ou plus au fait qu’il ait été élu délégué du personnel ou membre du Comité d’entreprise. Autrement dit, ce délégué ne sera plus choisi exclusivement par le syndicat, mais le choix du syndicat est subordonné au vote des non syndiqués : cela ne peut que généraliser l’électoralisme le plus plat, la démagogie et les pires pressions patronales. En outre, cela empêche le syndicat de pouvoir contrôler et révoquer son représentant pendant les quatre années de son mandat. Enfin, cela implique un cumul des mandats quasi-automatique (DS et DP ou membre CE), donc à la fois inefficace, non démocratique et source de confusion.

Des représentants syndicaux pourront certes être choisis parmi des personnes non élues, mais ils n’auront alors qu’une décharge amoindrie (4 heures) et pas le droit de négocier — et leur fonction restera de toutes façons subordonnée à la « représentativité » globale de leur syndicat, c’est-à-dire qu’ils pourront en être privés (en même temps que de leur statut de salariés protégés) si leur syndicat perd les premières élections suivant leur désignation. C’est donc un grave régression, fragilisant le statut de délégué syndical, ouvrant la porte à la répression patronale des délégués qui ne seront pas élus.

De plus, dans les entreprises de moins de 200 salariés, des accords collectifs pourront être négociés et conclus avec des élus du personnel n’appartenant à aucun syndicat : c’est la porte ouverte aux pires accords de régression sociale, aux pires chantages, avec des élus corrompus ou, dans le meilleur des cas, trop atomisés pour acquérir une quelconque conscience de classe.

Enfin, le texte prévoit que les représentants syndicaux et autres élus du personnel pourront faire valoir leurs services dans l’avancement de leur carrière professionnelle : la conduite d’une grève dure pour aucun licenciement sera-t-elle aussi bien prise en compte que la participation à l’élaboration des plans de licenciements ? Plus généralement, le texte prévoit un ensemble de dispositifs favorisant… la syndicalisation des travailleurs ! Cela n’est surprenant que si l’on entend par « syndicats » les instruments de lutte de classe forgés par les travailleurs depuis plus de 150 ans ! Mais, pour le MEDEF et ses complices qui dirigent la CFDT et la CGT, il s’agit en fait de promouvoir, la main dans la main, le « syndicalisme » d’accompagnement de la mondialisation capitaliste, c’est-à-dire des impératifs patronaux ! C’est pourquoi l’article 12 du texte a pour titre : « Développement des adhésions aux organisations syndicales » et on y lit : « La réservation de certains avantages conventionnels aux adhérents des organisations syndicales de salariés constitue (…) une piste à explorer. » Autrement dit, il s’agit d’institutionnaliser une forme de corruption de classe permanente, en donnant aux travailleurs un « intérêt » matériel individuel à se syndiquer, au détriment des motivations de lutte de classe.

En subordonnant les syndicats à l’État et aux entreprises encore plus qu’aujourd’hui, en institutionnalisant cette subordination au nom du contrôle de la « représentativité », la « position commune » du 9 avril est donc un texte réactionnaire, mortellement dangereux pour le syndicalisme de lutte et fondamentalement anti-démocratique, car il entrave la liberté des syndicats.

Mais, même indépendamment de ses aspects les plus autoritaires, il faut insister sur l’inanité de l’argument « démocratique » mis en avant — y compris parmi les opposants au texte — pour justifier la subordination de la représentativité syndicale aux élections. Cette position exprime en effet une conception purement bourgeoise de la démocratie (au-delà même des discussions sur le seuil auquel cette représentativité serait reconnue). Du point de vue de la lutte de classe ouvrière, le suffrage universel à bulletin secret n’est nullement le nec plus ultra de la démocratie : s’il est certes, au niveau de l’État capitaliste, une conquête démocratique (par rapport aux régimes féodaux, fascistes, etc.), il est souvent utilisé également contre la démocratie ouvrière, comme lorsque le patron organise un « référendum » pour atomiser les salariés, mobiliser ceux dont la conscience est la plus retardataire et faire pression pour tenter de briser une grève décidée en Assemblée générale. En effet, le niveau de conscience des travailleurs varie selon les branches, les lieux, les traditions et les époques : en période non révolutionnaire, ils sont même souvent majoritaires à subir la pression du patron et, plus généralement, des médias, du gouvernement, de toute l’idéologie dominante. C’est pourquoi, s’il avait fallu soumettre à référendum les acquis imposés par la lutte de classe — qu’il s’agisse de lois, de conventions collectives ou d’accords d’entreprise —, rien ne dit qu’ils eussent été formellement majoritaires, étant donné les conditions réelles des élections en système bourgeois, l’atomisation des consultations, la pression des patrons, des politiciens et des médias et le fait que, de manière générale, les idées dominantes sont les idées de la classe dominante. De fait, chacun connaît des entreprises où les syndicats jaunes sont majoritaires aux élections, sans que les accords qu’ils signent (notamment sur le temps de travail depuis les lois Aubry) soient acceptables pour autant !

Du point de vue de la lutte de classe, c’est l’Assemblée générale massive (et la coordination des AG aux différents niveaux par des délégués élus, mandatés et révocables) qui sont les formes adéquates de la démocratie : c’est la meilleure forme qui permette aux travailleurs de lutter collectivement, sur la base de discussions organisées et de décisions majoritaires, y compris les décisions de sorties de conflit, de compromis selon le rapport de force obtenu, etc. Ce n’est pas donc pas la « majorité » abstraite des individus atomisés qui compte, mais la majorité consciente, celle des travailleurs qui luttent, se réunissent, s’informent, se convainquent, éprouvent leur force collective… Pour les militants lutte de classe, les seuls à pouvoir décider de la validité d’un accord ou d’un compromis à l’issue d’une lutte devraient donc être les travailleurs mobilisés, réunis en Assemblée générale.

Certes, il n’y a pas toujours des luttes. Cependant, les principes de la démocratie syndicale relèvent de la démocratie ouvrière en général : il revient aux seuls syndiqués de décider de l’orientation de leur syndicat (c’est d’ailleurs pour cela que les bureaucrates syndicaux refusent de réunir régulièrement les adhérents). Dès lors, quand la mobilisation des travailleurs n’est vraiment pas possible pour une raison ou pour une autre, il revient aux syndicats de décider par exemple si, compte tenu de la situation, du rapport de forces, des possibilités de lutter ou non, etc., un accord de branche ou un accord d’entreprise peut être signé, si un compromis est acceptable ou non. De ce point de vue, le droit des syndicats minoritaires de signer des accords ne doit pas être remis en cause : si le principe de faveur est respecté, et si en outre les confédérations se battent réellement pour des lois favorables aux travailleurs, tout accord peut certes être critiqué, mais il ne pourra mettre en cause l’essentiel des droits du travail. À partir de là, tout dépendra de la capacité du syndicat à imposer un rapport de force, à imposer ses revendications, ce qui suppose notamment qu’il regroupe le plus possible de travailleurs (la désyndicalisation actuelle étant à l’inverse une conséquence, entre autres, du manque de combativité des syndicats).

Il est donc vital que les syndicalistes et les syndicats de lutte de classe, à commencer par ceux de la CGT, combattent dans l’unité contre la « position commune » du 9 avril et contre sa transposition en loi. Ce pas en avant supplémentaire et extrêmement grave dans la transformation de la CGT en « syndicat d’accompagnement » du patronat justifie plus que jamais la nécessité d’un courant lutte de classe dans la CGT — comme dans les autres syndicats issus du mouvement ouvrier. C’est à cette tâche qu’entend contribuer le CILCA, en proposant notamment la constitution d’une Coordination nationale des syndicats, collectifs de militants syndicaux, courants et tendances syndicales qui combattent aujourd’hui pour un syndicalisme de classe et de masse.

Il ne s’agit pas de céder à la tentation réformiste de défendre unilatéralement le statu quo antérieur, c’est-à-dire les mécanismes de collaboration de classe mis en place en 1945, comme le fait la direction confédérale de FO, dont l’avenir même est directement menacé par les nouveaux critères de représentativité. Cependant, il y a urgence à combattre toutes les mesures qui aggravent la collaboration de classe et notamment à celles qui, au-delà même du réformisme, vont jusqu’à faire des syndicats des co-élaborateurs des politiques patronale et gouvernementale. C’est pourquoi, tout en défendant ses propres positions, le CILCA participera à toutes les initiatives pouvant contribuer à mettre en échec la « position commune » du 9 avril.

De ce point de vue, les syndicalistes de lutte de classe ne peuvent que se réjouir de la résistance rencontrée par la direction de la CGT à l’intérieur même de la centrale. En effet, la Commission Exécutive Confédérale du 16 avril, après avoir approuvé à l’unanimité la « position commune » du 9 avril, avait décidé de faire avaliser son vote à la hussarde, en quelques jours (entre le 17 et le 23 avril !), par les fédérations et les unions départementales : il s’agissait d’empêcher le débat qui aurait permis de démasquer Thibault et consorts et de leur infliger une défaite comme lors du débat sur le référendum européen en 2005. Or, à l’issue de cette consultation anti-démocratique, elle a dû constater le 24 avril que, sur « 26 fédérations se sont exprimées, (…) 7 se sont prononcées contre » et que, sur « 77 unions départementales (qui) se sont exprimées, (…) 9 se sont prononcées contre et 4 se sont abstenues ». Autrement dit, des secteurs entiers de la CGT, et plus encore des syndicats de base, ne sont pas prêts à laisser la direction confédérale liquider la CGT en tant que syndicat du mouvement ouvrier.

Il y a urgence : l’ensemble des forces du mouvement ouvrier qui s’opposent à ce texte et défendent les principes d’un syndicalisme de lutte de classe doivent se coaliser et mettre en échec le projet commun du MEDEF, de Sarkozy et des directions de la CFDT et de la CGT. Une initiative unitaire en ce sens est nécessaire et possible avant la transposition du texte de l’accord en loi :

• À bas la « position commune » MEDEF-SARKOZY-CFDT-CGT !

• Défense du statut de délégué syndical et des acquis du syndicalisme ouvrier !

• Indépendance organisationnelle et financière des syndicats !

• Non à l’ingérence de l’État dans le fonctionnement des syndicats !


1) La CGT n’a pas signé cet accord, mais participé à toutes les concertations qui ont précédé son adoption, et elle s’est vantée d’être à l’origine de plusieurs de ses points définitifs : selon l’un de ses dirigeants, pendant ces concertations, la CGT « s’est faite force de propositions et même Laurence Parisot pour le MEDEF a dû convenir que le texte final portait "la patte de la CGT". Cette démarche constructive, faite de contestations et de propositions, restera en quelque sorte notre marque de fabrique pour affronter les échéances à venir. » (Maurad Rabhi, éditorial de la revue de la CGT, Ensemble, n° 5, février 2008.)

2) Le Parti socialiste, quant à lui, juge que le texte ne va pas assez loin, mais « considère cette position commune comme une étape vers l’émergence d’une véritable démocratie sociale » (communiqué du Bureau national du PS, 29 avril).

3) Cet accord du 20 septembre 2003 et la loi du 4 mai 2004 qui en a découlé sont principalement régressifs car leur principe est l’individualisation du droit à la formation au nom de la « coresponsabilité » du travailleur et du patron quant au développement de ses « compétences » du salarié : c’est un premier pas vers la prétendue « sécurité sociale professionnelle » visant à briser les droits collectifs. De plus, ils prévoient des actions de formation hors temps de travail, donc au détriment du temps de repos du travailleur. En revanche, ils universalisent le droit à la formation, en l’étendant aux salariés des PME et TPE, et imposent une légère augmentation de la contribution financière des patrons aux actions de formation.

4) On voit concrètement ce que signifiait le projet de « relever les défis de la mondialisation » présenté dans la résolution générale du dernier congrès confédéral de la CGT (2006)…

5) Marx, Salaire, prix et profit (1865), Éditions sociales, p. 70.

6) C’est d’ailleurs pour cette raison que, selon la presse, un rapport ministériel dont la publication est imminente propose de supprimer purement et simplement le SMIC au profit de prétendues compensations individualisées sous forme de crédits d’impôts.