Article du CRI des Travailleurs n°33

Orientation générale du Groupe CRI
La situation en France et les tâches des révolutionnaires

Contribution du Groupe CRI pour la conférence internationale de la Fraction Trotskyste-Quatrième Internationale, valant résolution générale pour l’année

I. Une puissance impérialiste de second rang et un des moteurs de l’Union européenne

La France, membre du groupe des 8 pays les plus industrialisés (G8), est une des plus importantes puissances impérialistes de second rang. Loin derrière l’Allemagne, dépassée par la Chine en 2006, son poids économique global (mesuré par le Produit Intérieur Brut) la place au 5e rang mondial, juste devant le Royaume-Uni, et à la 7e si l’on mesure le PIB en parité de pouvoir d’achat. Elle est notamment le 5e exportateur mondial de biens, le 4e pour les services, le 3e pour les produits agricoles et agroalimentaires. Toutefois, la baisse séculaire de son poids économique relatif et de son influence dans le monde depuis la première et surtout la seconde guerre mondiale, ne lui permettent plus de prétendre jouer un rôle hégémonique dans le monde (sauf dans son pré carré africain, où elle est cependant contestée désormais par les États-Unis, voire la Chine).

C’est pourquoi elle est avec l’Allemagne, depuis les années 1950 et tout particulièrement depuis la fin des années 1970, l’un des plus fervents artisans de la « construction européenne » capitaliste. L’Union européenne (UE) est destinée d’une part à faire contrepoids aux États-Unis, au Japon et aujourd’hui à la Chine dans le contexte de la concurrence mondiale ; et, d’autre part (depuis l’offensive néo-libérale du début des années 1980), à coordonner et conduire de façon autoritaire (hors de la pression relative du suffrage universel direct) les politiques de contre-réformes visant à démanteler les acquis sociaux, historiquement comparables dans les principaux pays de l’UE : de nombreuses décisions se prennent désormais au niveau européen, tenant compte des rapports de forces entre les États, par exemple pour les questions monétaires, la réglementation de la concurrence, etc.

Les États nationaux continuent de jouer leur rôle d’instruments décisifs pour la domination de chaque bourgeoisie nationale et pour la régulation des relations sociales dans chaque pays. Enfin, au niveau international, les intérêts stratégiques de chaque État impérialiste restent dans une large mesure particuliers. C’est le cas notamment pour la France, dont le poids politique international est surdimensionné en raison de son statut de puissance coloniale et de son poste au Conseil de sécurité de l’ONU, qui lui donnent des responsabilités stratégiques, diplomatiques et militaires importantes (avec par exemple la participation à l’occupation du Kosovo, de la Bosnie, de l’Afghanistan, du Liban, de nombreux pays d’Afrique, sans parler des restes de colonies directes, les « départements et territoires d’outre-mer » ou DOM-TOM).

II. Un prolétariat majoritaire, mais un recul de l’industrie et des concentrations ouvrières

La France compte 62 millions d’habitants en métropole, auxquels s’ajoutent les près de 2 millions des colonies. La population active approche les 28 millions, dont 2,4 millions de chômeurs officiels. Selon la nomenclature bourgeoise (qui présente une description en partie déformée de la réalité, mais permet de repérer un certain nombre de tendances générales), le secteur tertiaire est largement dominant, avec 72,5 % de la population active, contre 24 % au secteur secondaire et 3,5 % au secteur primaire. Cependant, la contribution du secteur secondaire au PIB reste assez importante (30 % pour l’industrie, 8 % pour la construction) malgré sa baisse (40 % pour l’industrie au milieu des années 1970). De plus, des processus de restructuration et notamment de filialisation des grandes entreprises ont conduit un certain nombre de services d’entreprises industrielles à être pris en compte dans le secteur tertiaire.

Les statistiques officielles indiquent que le nombre global de salariés est de 23 millions, en hausse continue. Plus de 16 millions sont employés par le capital privé, 800 000 par des entreprises nationales ou partiellement privatisées, mais dans lesquelles l’État reste majoritaire (ces salariés bénéficient encore pour la plupart d’un statut qui leur garantit l’emploi) et 5,1 millions sont fonctionnaires (employés par l’État, les collectivités territoriales ou les hôpitaux, et bénéficiant d’un statut qui leur assure notamment la garantie d’emploi). Si l’on considère les secteurs d’activité, tous ces salariés se répartissent de la façon suivante :
Secteur d’activité Nombre de salariés (arrondis)
Agriculture, sylviculture et pêche 330 000
Industrie (agricole et agro-alimentaire, biens de consommation, biens d’équipement et biens intermédiaires, automobiles…) 3 000 000
Construction 1 500 000
Transports 1 100 000
Énergie 230 000
Commerce 3 000 000
Activités financières 700 000
Immobilier 280 000
Services aux entreprises 3 300 000
Services aux particuliers 2 000 000
Éducation, santé et action sociale 4 100 000
Administration 2 900 000
Total 22 440 000

La majorité de ces salariés sont des prolétaires au sens strict du terme (1). Quel que soit leur secteur d’activité, 24 % sont ouvriers au sens professionnel du terme (sens de l’Institut national de la statistique, INSEE) et 30 % employés. De plus, en France, la majorité des très nombreux fonctionnaires a des intérêts communs avec les prolétaires et fait ainsi partie de la « classe ouvrière » au sens large du terme.

(Note : cf. à ce sujet notre Projet de programme CRI : « De nos jours, la plupart des travailleurs salariés employés pour assurer les fonctions publiques exécute des tâches plus ou moins utiles à toute société complexe ou, grâce aux conquêtes que le prolétariat et ses organisations ont imposées à l’État, assure à la population en général une certaine qualité de vie (travailleurs de l’administration publique, personnels de l’Éducation nationale, de la santé, de la culture, etc.). Ces travailleurs ne contribuent pas à la production et à la réalisation du produit et du surproduit sociaux (en l’occurrence, de la valeur et de la plus-value capitalistes), ils ne sont donc pas exploités comme les prolétaires proprement dits. Mais, privée des moyens de production, la grande majorité d’entre eux n’a d’autre choix que de vendre sa force de travail pour vivre et, notamment dans les pays où les acquis sociaux sont importants, les intérêts de ces travailleurs assurant des fonctions publiques rejoignent dans une large mesure les intérêts immédiats du prolétariat : en effet, ils sont rémunérés par une partie de la masse de valeur globale produite par les prolétaires proprement dits, mais leur travail réalise des services utiles pour ces prolétaires et pour la population en général ; cette valeur représente donc pour les uns et pour les autres une sorte de salaire différé qui fait partie intégrante de la valeur sociale acquise de la force de travail. En ce sens, les travailleurs employés par l’État pour assurer ces fonctions publiques sont les alliés immédiats du prolétariat proprement dit, ils font partie intégrante de la classe ouvrière au sens large du terme et, dans les faits, ils s’organisent et combattent tous ensemble. — En outre, même s’il y a une assez grande hétérogénéité entre leurs revenus selon leurs fonctions, ces travailleurs sont souvent mal payés (notamment par rapport à ce qu’ils pourraient toucher dans le privé à qualification égale) et ils sont soumis aux impératifs de rentabilité — ou de réduction au minimum de leur non-rentabilité — imposés par les gouvernements bourgeois : les méthodes de l’administration contemporaine, par exemple, tendent de plus en plus à copier celles de la production de plus-value, les travailleurs de la santé sont souvent harassés de travail à cause du manque de postes, les enseignants sont victimes de conditions de travail très pénibles dans de nombreux établissements (classe surchargées, baisse et l’hétérogénéité du niveau scolaire, violence de certains élèves, etc.)… Aujourd’hui, tous ces travailleurs sont de plus en plus confrontés aux mesures imposées par les gouvernements pour casser leurs avantages acquis, pour liquider les services publics jugés trop coûteux, pour privatiser les autres ou les soumettre aux impératifs de la rentabilité capitaliste. Ils doivent donc se battre plus que jamais pour se défendre et faire valoir collectivement leurs intérêts contre l’État-patron. »)

Cependant, la concentration du capital est assez faible pour un pays impérialiste aussi développé : la France compte 2,6 millions d’entreprises (hors agriculture et finance), mais l’écrasante majorité n’a pas ou a très peu de salariés, tandis que les très grosses sont relativement peu nombreuses ; même dans l’industrie, celles qui comptent plus de 500 salariés n’emploient que la moitié des salariés de ce secteur. Le tableau suivant permet de mesurer globalement cette réalité :

Nombre de salariés Nombre d’entreprises
0 1 500 000
1 à 9 916 000
10 à 49 152 000
50 à 199 22 100
200 à 499 4 200
500 à 1999 1 700
2000 et plus 368

Cette situation est le résultat d’une part de l’histoire structurelle du capitalisme français (ce n’est pas une nouveauté), mais d’autre part aussi des restructurations des trente dernières années, qui ont vu notamment se multiplier les entreprises sous-traitantes, selon une stratégie capitaliste claire visant à briser les bastions combatifs des grosses concentrations ouvrières.

Or l’une des principales conséquences de cette situation est que la classe ouvrière est physiquement très atomisée. Cela nuit objectivement non seulement au respect du droit du travail dans de nombreuses petites entreprises, mais à la reconstruction d’une véritable conscience de classe résultant des luttes, de la capacité à éprouver une force collective et plus généralement de toutes les possibilités de liens qu’offrent les grandes concentrations ouvrières. Inversement, la nécessité de défendre celles-ci et d’y intervenir en priorité est impérieuse pour les marxistes révolutionnaires.

III. Les faiblesses structurelles du capitalisme français exigent des « réformes » profondes

La croissance de l’économie française est assez faible, tout particulièrement celle du secteur industriel. Après avoir été sensiblement plus forte entre 1998 et 2000, la croissance du PIB tourne autour de 2 % depuis 2001, un peu au-dessous de la moyenne constatée depuis la fin des « Trente Glorieuses ». La France connaissant un certain dynamisme démographique, la croissance du PIB par habitant est même sensiblement inférieure à celle des autres pays de l’UE, avec un net décrochage ces vingt dernières (selon ce critère, la France est passée de la 6e à la 16e ou 17e place mondiale entre 1980 et 2004). En outre, aujourd’hui, avec les effets de l’inflation (pétrole, mais aussi produits de consommation courante), de la crise financière et de ses effets sur l’économie réelle, la croissance pourrait tomber à 1,5 % pour l’année 2008 (prévision du FMI). Si l’on combine les faiblesses structurelles du capitalisme en France, le niveau élevé du taux de change de l’euro et, plus conjoncturellement, la hausse des prix des matières premières, on comprend l’important déficit du commerce extérieur apparu en 2004 (notamment à l’égard de l’Allemagne et de la Chine) et qui n’a cessé de se creuser pour atteindre le record, préoccupant pour la bourgeoisie, de 38 milliards d’euros en 2007.

Le manque structurel de compétitivité et d’adaptabilité des entreprises françaises s’explique en partie par une certaine frilosité légendaire des patrons français, par l’insuffisance du secteur recherche-développement (concurrencé de fait par un fort secteur de recherche publique non encore démantelé par les gouvernements) et par une certaine mentalité petite bourgeoise conduisant à la multiplication excessive de très petites entreprises peu viables, au détriment d’entreprises moyennes capables d’exporter (notamment par comparaison avec l’Allemagne). Cependant, le principal problème pour les capitalistes réside dans des coûts salariaux qui, malgré leur baisse des dernières années, restent trop élevés par rapport aux autres pays européens, notamment dans l’industrie (record de la zone euro). En effet, en raison d’une certaine tradition de combativité du mouvement ouvrier et surtout de l’activité révolutionnaire des masses en 1936, 1944-47 et 1968, les acquis de la lutte de classe ont été particulièrement importants en France : congés payés, Sécurité sociale, système de santé publique performant, statuts protecteurs pour un quart des salariés, conventions collectives avancées pour beaucoup d’autres, école publique, gratuite et laïque jusqu’à 16 ans, Université publique et plus accessible aux enfants des classes populaires que dans d’autres pays…

IV. Facteurs objectifs et facteurs subjectifs de la crise de la combativité prolétarienne et de la conscience de classe

Depuis près de 30 ans, l’offensive capitaliste mondiale (« néo-libérale ») a été menée alternativement sous la direction de gouvernements de gauche (à commencer par celui du PS et du PCF dirigé par Mitterrand au début des années 1980, et jusqu’au gouvernement PS-PCF de Jospin en 1997-2002) et par des gouvernements de droite (dominés par la figure de Jacques Chirac, Premier ministre en 1986-1988 et président de 1995 à 2007). Cette offensive constante a permis aux capitalistes français, tout particulièrement aux plus gros, de rétablir leur taux de profit et de faire remonter leurs profits de 10 points dans la valeur ajoutée, au détriment des salaires.

Les dégâts sociaux sont d’ores et déjà importants. Avec les restructurations, d’importants bastions du prolétariat ont disparu (mines, sidérurgie du Nord et de l’Est) ou ont été fortement réduits (chantiers navals, automobile et même cheminots). L’atomisation des prolétaires s’est fortement accrue. En plus du fort taux de chômage, il y a une augmentation du nombre de travailleurs à temps partiel imposé et environ 13 % de précaires parmi les salariés (contrat à durée déterminée, intérim et « emplois aidés »), dont un nombre croissant de pauvres, voire très pauvres. Les estimations officielles dénombrent 6 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté. De façon générale, les acquis sociaux ont fortement reculé. La durée de cotisation pour les retraites est passé de 37,5 à 41 années pour tous. La Sécurité sociale rembourse de moins en moins de soins et de médicaments. L’état de l’école publique est de plus en plus déplorable, conduisant des centaines de milliers de jeunes à l’échec. Ce qu’il reste des autres services publics fonctionne de plus en plus mal et/ou est de plus en plus cher.

Ces facteurs objectifs expliquent en partie la faible combativité du prolétariat des usines et le fait que la majorité des luttes, notamment les grands mouvements de 1995, 2003 ou 2006, ont été conduits avant tout par les salariés protégés des entreprises publiques et de la Fonction publique, touchés par les privatisations et le recul du prétendu « État-Providence ». Cela limite fortement la capacité de résistance globale des travailleurs. De plus, le poids des reculs et des défaites accumulés depuis trop d’années aggrave à son tour le désarroi et le manque de perspectives.

Cependant, le caractère réformiste des directions traditionnelles du mouvement ouvrier (social-démocrates et staliniennes) reste un facteur décisif de ce manque de combativité générale du prolétariat et des défaites subies. Il explique en effet qu’elles n’aient ni voulu, ni pu résister à l’offensive néo-libérale du capitalisme. C’est pourquoi la crise historique de la direction du prolétariat s’est transformée en crise du mouvement ouvrier organisé lui-même. La classe ouvrière n’a plus de représentation politique propre, fût-ce sous la forme frauduleuse que lui avaient donnée le PS réformiste et le PCF stalinien : le PS a achevé sa mue en parti ouvertement bourgeois (partisan sans complexe du capitalisme et du contre-réformisme (cf. http://groupecri.free.fr/search.php?keyword=PS) et le PCF moribond ne vit plus que par la perfusion électorale du PS et les moyens matériels de son appareil sclérosé. Enfin, les organisations syndicales sont affaiblies numériquement et dirigées par des bureaucrates qui acceptent désormais ouvertement l’horizon du capitalisme et donc la « nécessité » des contre-réformes, allant toujours plus loin dans la collaboration de classe ouverte.

V. Depuis novembre-décembre 1995, de puissants mouvements sectoriels ont limité les dégâts de l’offensive « néo-libérale »

Cependant, malgré ces conditions objectives et subjectives difficiles, et malgré les défaites successives, la résistance à l’offensive capitaliste a été réelle et a donné lieu à des mobilisations massives à partir du grand mouvement de novembre-décembre 1995, emmené par la grève générale des cheminots et la vague de grèves des fonctionnaires. Ce mouvement a même constitué un tournant dans la lutte de classe, dans la mesure où il a montré que la classe ouvrière (représentée par ses fractions les plus protégées et les plus syndiquées) n’était pas morte, contrairement à ce que prétendaient depuis 15 ans et plus encore après l’effondrement de l’URSS les idéologues de la bourgeoisie. C’était le retour de la lutte de classe sur le devant de la scène, même si les directions syndicales ont réussi sans difficultés à la canaliser par la recherche d’un compromis avec le gouvernement. La victoire revendicative a été partielle (maintien du plan Juppé contre la Sécurité sociale), mais réelle (retrait du contrat de plan État/SNCF, abandon de la réforme des retraites des fonctionnaires). Cela a conduit à la paralysie relative du gouvernement Juppé pendant plus d’un an, obligeant Chirac à dissoudre l’Assemblée nationale début 1997, au prix d’une victoire de la « gauche plurielle » (PS-PCF-Verts) et de la constitution du gouvernement Jospin.

Avec le soutien des directions syndicales, celui-ci a pu conduire à pas tranquilles une politique de contre-réformes progressives (2), selon une méthode qui a globalement réussi à éviter les luttes ­— avec de notables exceptions, comme la grande grève victorieuse des agents des Impôts ou les nombreuses grèves dans le privé contre les dispositions réactionnaires des lois Aubry aggravant l’annualisation et la flexibilité à l’occasion du passage aux « 35 heures » (en moyenne annuelle). Mais elle n’en pas moins suscité un fort mécontentement ouvrier et populaire, comme l’a montré la sanction massive infligée par les travailleurs lors de l’élection présidentielle de 2002 (élimination du PS dès le premier tour et effondrement du PCF).

Le gouvernement de droite qui a suivi la réélection triomphale de Chirac contre Le Pen (le leader de l’extrême droite raciste et chauvine), dirigé par Raffarin, était chargé d’accroître le rythme et l’ampleur des réformes. Mais il s’est heurté de nouveau à une puissante contestation, avec notamment la grève générale des enseignants et la forte mobilisation d’autres secteurs de la Fonction publique en mai-juin 2003. Cette fois, le mouvement a subi une défaite revendicative totale (passage de 37,5 à 40 années de cotisation pour les retraites des fonctionnaires, désormais alignées sur celles du privé, et « décentralisation » consistant à faire prendre en charge par les collectivités territoriales des services publics jusque-là assurés par l’État, au prix de nouvelles privatisations). Cependant, les travailleurs avaient montré une nouvelle fois leur capacité de résistance et la trahison de leur lutte par les directions syndicales a été largement comprise dans le cas de la CFDT (signataire de la réforme du gouvernement après quelques concessions minimes) et partiellement perçue par l’avant-garde dans le cas de la CGT (la trahison des directions de FO et surtout de la FSU, qui jouaient un rôle clé en tant que directions de gros syndicats de fonctionnaires, a été en revanche moins bien saisie, en raison du langage assez « gauche » par lequel elles ont couvert leur politique).

Dès lors, la politique de contre-réformes du gouvernement Chirac-Raffarin a été plus profonde que celle de ses prédécesseurs, mais a dû tenir compte de la disponibilité des travailleurs au combat. — Les salariés d’EDF-GDF (entreprises nationales de l’électricité et du gaz) se sont notamment mobilisés massivement en 2004 contre la privatisation, mais de façon isolée, avant d’être trahis honteusement par leurs directions syndicales. — Au printemps 2005, un important mouvement lycéen a déferlé contre une contre-réforme de la scolarité, forgeant une nouvelle génération militante malgré sa défaite. — En mai 2005, sur le terrain électoral, les travailleurs, en majorité les électeurs de la « gauche », ont infligé une défaite politique importante au gouvernement (et au PS) en votant massivement Non au référendum de ratification du Traité constitutionnel européen, ce qui a provoqué un changement de Premier ministre. — En novembre 2005, une importante révolte des jeunes des quartiers populaires, enfants de la classe ouvrière, issus de l’immigration et principales victimes de l’échec scolaire, du chômage et du désarroi social, a montré qu’une importante fraction de la jeunesse la plus pauvre n’avait aucune confiance dans le système et n’était pas prête à se laisser écraser sans combat ; son manque d’un véritable programme politique a limité la peur de la bourgeoisie, mais la responsabilité en incombe fondamentalement à la faillite des organisations ouvrières, à commencer par celles qui se réclament de la révolution : elles ont refusé de soutenir clairement la révolte et de lui proposer une perspective politique, passant par la jonction avec le mouvement ouvrier et le combat uni contre le patronat et le gouvernement. — Enfin, au printemps 2006, la grève générale des étudiants et la grève partielle des lycéens, soutenues par des manifestations extrêmement massives de salariés (3 millions dans la rue, un record historique) ont infligé une défaite significative au gouvernement Villepin, obligé de retirer son projet de CPE (contrat précaire pour les jeunes) — même s’il a pu maintenir le reste de sa loi réactionnaire dite « sur l’égalité des chances ».

C’est à cause de cette résistance multiforme des travailleurs et de la jeunesse, conduisant à des blocages pour un certain nombre de contre-réformes, que la bourgeoisie a fait le choix de rompre avec la méthode trop lente du « chiraquisme », en promouvant la candidature à la présidentielle de Nicolas Sarkozy, représentant l’aile dure du parti de Chirac. Il s’agissait de passer à la vitesse supérieure dans l’offensive contre les acquis sociaux (et même contre certains acquis démocratiques), afin de briser la spirale infernale du déclin relatif du capitalisme français dans la concurrence internationale. Malgré la campagne ultra-droitière de la candidate du PS, Ségolène Royal, soutenue par l’ensemble de la gauche et, au second tour, de l’extrême gauche (LO et LCR), la bourgeoisie a préféré le candidat de la droite dure en raison de la plus grande détermination dont il faisait preuve et de son populisme à l’égard de la petite bourgeoisie et des couches les plus arriérées du prolétariat lui-même.

VI. Après un an de Sarkozy, de premières luttes sectorielles ont été défaites, mais la capacité de résistance reste globalement intacte : la situation est ouverte

La victoire de Sarkozy représente donc le franchissement d’un palier dans l’offensive « néo-libérale » menée depuis près de trente ans. Elle aggrave nettement le rapport de force historique qui, malgré la résistance ouvrière et populaire, était déjà largement favorable à la bourgeoisie. Le plan stratégique du patronat français (représenté par le MEDEF) et du nouveau gouvernement est un plan d’ensemble cohérent et conséquent, appliqué suivant un rythme soutenu : contre-réforme du droit du travail, allongement de la durée de cotisations pour les retraites, remise en cause de la Sécurité sociale, blocage des salaires, nouvelles attaques contre les droits des chômeurs, lois anti-immigrés et traque encore accrue des sans-papiers, « plan banlieues » et aggravation des provocations policières contre les jeunes des quartiers populaires, attaques contre le statut de fonctionnaires, suppression de dizaines de milliers de postes de fonctionnaires, diminution des heures de cours à l’école, contre-réforme des études universitaires, passage en force (par voie parlementaire, avec le soutien du PS) de la nouvelle mouture du traité européen…

Les travailleurs conscients de leurs intérêts de classe redoutent le gouvernement et beaucoup sont découragés, faute de croire en la possibilité d’affrontements victorieux. En même temps, la disposition des travailleurs et des jeunes au combat continue de se manifester : grève massive de neuf jours des cheminots et grève assez importante de trois semaines des étudiants à l’automne 2007, grèves locales assez nombreuses dans le privé durant tout le premier semestre 2008, notamment sur la question des salaires et de la défense des emplois, mobilisation d’une fraction des lycéens et des enseignants en avril-mai, grève reconductible des travailleurs des Impôts en mai-juin, auxquelles s’ajoutent les journées d’action puissantes des fonctionnaires et de quelques secteurs du privé dès l’automne 2007, puis de nouveau au printemps 2008... De plus, la popularité de Sarkozy s’est effondrée depuis l’automne, son parti a perdu les élections municipales en mars et des contradictions s’y manifestent régulièrement (notamment sous la pression de secteurs de sa base électorale, victime soit de la hausse du prix du pétrole — pêcheurs, camionneurs chauffeurs de taxi —, soit de la politique de restrictions budgétaires — magistrats, avocats et même militaires).

Après un an de gouvernement de Sarkozy, la situation de la lutte de classe reste donc ouverte. D’un côté, des défaites ont été subies cette année par les premiers secteurs qui ont combattu contre Sarkozy, notamment les cheminots, les étudiants et une fraction minoritaire de lycéens et d’enseignants. Mais, d’un autre côté, aucun de ces secteurs n’a été écrasé et les potentialités de luttes, dans ces secteurs et dans les autres, restent globalement intactes. Enfin, il est évident que la colère ouvrière et populaire est de plus en plus massive, même si elle reste largement latente à ce stade, faute de perspectives. C’est pourquoi l’enjeu majeur de la lutte de classe ouvrière en France se concentre aujourd’hui dans la contradiction entre la disposition maintenue des travailleurs et de jeunes à résister et la politique des partis de « gauche » et des directions du mouvement ouvrier. Au-delà de leurs critiques formelles, voire purement personnelles, contre Sarkozy, les dirigeants du PS (parti bourgeois de gauche) soutiennent sur le fond sa politique, tout en donnant la priorité à leurs querelles internes en vue du congrès de novembre, destinées à se disputer la direction du parti et la candidature à la présidentielle de 2012. Le PCF, qui prépare lui aussi un congrès crucial pour la fin de l’année, est en crise profonde, sa décomposition historique conduisant aujourd’hui à la mise en question de son existence même, entre un PS hégémonique à gauche et une extrême gauche d’origine trotskyste en mesure de lui disputer sa place à la « gauche de la gauche » (cf. thèse IX ci-dessous). C’est pourquoi il revient aux directions syndicales de jouer le rôle principal dans la canalisation des luttes ouvrières.

De fait, depuis l’automne, les défaites successives des mobilisations ne sont pas dues à leur écrasement par le gouvernement, mais à leur trahison éhontée par les directions syndicales (avec le soutien du PS et du PCF), décidant de trahir ces luttes et les possibilités de convergence interprofessionnelle. Mais le phénomène le plus nouveau est le franchissement d’un palier dans leur politique de collaboration de classe, notamment pour les syndicats qui étaient considérés jusqu’à présent comme les plus combatifs, la CGT, la FSU (et même Solidaires) : depuis janvier, leurs dirigeants, comme ceux de FO et de la CFDT, ont signé « à froid » toute une série d’accords régressifs avec le patronat et le gouvernement, faisant de la co-élaboration directe des contre-réformes un axe central de leur orientation, au-delà même de la trahison des luttes. Nous sommes donc dans un moment historique très important de l’évolution du syndicalisme en France, considéré jusqu’à présent comme relativement plus combatif que ses homologues des pays impérialistes, en raison de la pression des masses.

VII. Les révolutionnaires doivent défendre dans les luttes un programme de front unique articulé par l’objectif de la grève générale et la méthode de l’auto-organisation

De cette situation générale et notamment des potentialités réelles de la lutte de classe découle la nécessité, pour les révolutionnaires, d’un axe d’intervention systématique dans les luttes. C’est la priorité absolue pour affirmer l’identité concrète d’une organisation révolutionnaire aujourd’hui en France. Et c’est notamment nécessaire pour gagner cette partie de l’avant-garde volatile de la classe ouvrière et des jeunes qui se constitue dans les luttes, avec souvent une combativité enthousiaste, une conscience immédiate et une disponibilité de pensée bien supérieures à celles de l’avant-garde stable, organisée dans les syndicats et/ou les partis d’extrême gauche.

Dès que de nouvelles luttes surgissent ou que l’analyse de la situation met à l’ordre du jour leur possibilité, notre responsabilité est de combattre, même quand c’est de façon avant tout propagandiste, pour un front unique ouvrier, condition sine qua non pour faire échec aux plans du gouvernement, sur la base d’un plan de mobilisation générale des travailleurs et des jeunes. Cela passe par la mise en avant des revendications unifiantes, à la fois défensives — contre les projets du gouvernement — et un peu plus offensives — notamment pour l’augmentation des salaires rognés par l’inflation. Cela passe aussi par la proposition de méthodes de lutte efficaces et leur mise en œuvre à notre échelle dès que possible : auto-organisation systématique et coordination démocratique des travailleurs et jeunes en lutte, objectif de la convergence des luttes, arme privilégiée de la grève et piquets de grève dès que possible, perspective de la grève interprofessionnelle, vers la grève générale comme seule solution pour infliger une défaite au patronat et gouvernement. Cette orientation se heurte frontalement à celle des directions syndicales, qui font tout pour diviser les travailleurs, avec notamment la priorité à des revendications catégorielles et la stratégie de « journées d’action » secteur par secteur et sans perspective. La dénonciation publique et systématique de leur politique est donc impérative, tout en devant être combinée avec des mots d’ordre positifs pour l’unité, incluant l’interpellation des directions syndicales pour mettre en évidence aux yeux des masses leurs responsabilités. Naturellement, il est nécessaire aussi d’appuyer sans hésiter les syndicats qui tendent à rompre même partiellement, sous la pression des masses ou de l’avant-garde, avec l’orientation de leurs propres directions confédérales ou fédérales.

En défendant l’orientation ici résumée, le Groupe CRI est capable de nouer des discussions et des relations avec quelques dizaines de militants et de travailleurs. Il est en outre en mesure de la mettre en œuvre concrètement dans les luttes étudiantes, avec une petite influence réelle, et dans les luttes des enseignants. Il est indispensable de préserver et de renforcer cette capacité d’intervention concrète, mais il est crucial de chercher maintenant les moyens de la mettre en œuvre dans au moins un ou deux secteurs supplémentaires, si possible ouvriers.

VIII. Les révolutionnaires doivent combattre pour un courant lutte de classe et antibureaucratique dans les syndicats

Cet axe principal du combat pratique est indissociable d’une activité politique de long terme pour la reconstruction du mouvement ouvrier et de la conscience de classe. Dans ce but, étant donné d’une part le rôle historique du syndicalisme en France, d’autre part le poids aujourd’hui décisif des directions syndicales (relativement moins affaiblies par la crise du mouvement ouvrier que les directions proprement politiques) dans la collaboration de classe, et enfin le fait qu’une bonne partie de l’avant-garde ouvrière organisée est constituée de militants syndicaux de lutte de classe sans parti, il est crucial de combattre pour la mise en œuvre concrète d’une orientation visant à défendre et reconstruire le syndicalisme de lutte de classe.

C’est pourquoi il faut tout particulièrement défendre l’objectif d’un courant lutte de classe à l’intérieur des syndicats, passant par le rassemblement large, au-delà de leurs différentes sensibilités, des syndicats de base et militants syndicaux de lutte, afin de coordonner leurs interventions contre la politique des directions collaboratrices, pour une orientation alternative et pour aider les travailleurs à se réapproprier leurs syndicats. C’est le sens de l’initiative du CILCA, impulsée par le Groupe CRI avec quelques militants oppositionnels de la LCR et quelques syndicalistes de lutte. C’est le sens également de la participation active du CILCA aux Forums du syndicalisme de classe et de masse, organisés conjointement avec des collectifs de militants syndicaux staliniens et maoïstes qui préconisent la lutte de classe et dénoncent l’orientation actuelle des directions syndicales. Cette activité permet de gagner l’écoute non seulement de militants syndicaux de lutte, mais aussi d’un certain nombre de militants des organisations politiques d’extrême gauche, notamment du courant lambertiste et de la LCR, très présents dans les syndicats. Enfin, ce doit être maintenant un axe prioritaire pour l’intervention dans le processus pour le « nouveau parti anticapitaliste » lancé par la LCR, car les éléments politiquement les plus avancés de la LCR et des comités pour le « Nouveau Parti Anticapitaliste » (NPA) sont aussi, en bonne partie, des militants syndicaux de lutte de classe.

IX. Les révolutionnaires doivent défendre le programme de la IVe Internationale et lutter frontalement contre les révisionnismes centristes et leurs capitulations pratiques

Enfin, la construction d’un noyau trotskyste de principe passe évidemment par la promotion vivante du programme de la IVe Internationale, la défense publique des idées et perspectives de la révolution, du marxisme, du bolchevisme et du trotskysme, l’importance accordée à la formation théorique et historique des militants et des sympathisants. Cela implique une activité de clarification théorique et politique systématique, d’autant plus nécessaire qu’il s’agit de résister à la crise généralisée du mouvement ouvrier et de la conscience de classe, contre toutes les tentations de s’y adapter en abaissant le niveau du programme, des perspectives historiques, mais aussi des potentialités de lutte immédiates.

En effet, les organisations se réclamant encore officiellement de la révolution, qui se trouvent être principalement, en France, les organisations issues du trotskysme, qui comptent chacune des milliers de militants et sympathisants, qui dirigent ou influencent des centaines de syndicats… renoncent en réalité de plus en plus clairement à cet objectif et à toute l’orientation qui en découle. Or cela survient au moment même où une fraction de l’avant-garde ressent de façon sensiblement plus aiguë que dans la période précédente la nécessité historique d’un parti politique des travailleurs. La situation est en effet propice à l’ouverture d’une large discussion sur cette question, si l’on combine les quatre facteurs suivants : combativité réelle, quoique défensive, du prolétariat et des jeunes ; manque de confiance de ceux-ci à l’égard du PS bourgeois même quand ils votent encore pour lui pour éviter la droite ; crise du PCF historiquement moribond et qui survit en bonne partie par le poids de son appareil et ses accords électoraux avec le PS ; succès électoraux durables de l’extrême gauche (LO en 1995, LO et LCR ensemble en 1999, LO et LCR séparément en 2002, LCR en 2007)… C’est pourquoi la défense intransigeante d’un parti révolutionnaire et d’un programme de transition pourrait trouver un écho favorable dans une fraction significative de l’avant-garde.

Or le point commun à LO, à la LCR et au courant CCI du POI (ex-PT) est que, sous la pression de la crise historique générale du mouvement ouvrier et de la conscience de classe, ils refusent de dénoncer de façon systématique le capitalisme en tant que tel et, plus encore, de lui opposer la perspective du socialisme, de l’expropriation des capitalistes, de la destruction de l’État bourgeois et de l’édification d’un État des travailleurs eux-mêmes (dictature du prolétariat). Cette capitulation programmatique les conduit, dans la pratique, à un discours réformiste en lieu et place d’un programme de transition axé sur la nécessité d’un gouvernement des travailleurs, à l’électoralisme le plus plat, à la couverture par la gauche de la politique des directions syndicales et au refus de prendre de réelles initiatives dans la lutte de classe, qui permettraient de contrer la collaboration de classe et d’imposer un front unique sur la base d’un plan de mobilisation générale. Matériellement, des centaines de militants de ces organisations, surtout du CCI-(ex-PT)-POI et de la LCR, mais aussi dans une moindre mesure de LO, sont des permanents ou des semi-permanents syndicaux, qui se sont plus ou moins incrustés dans les appareils et refusent bien souvent de risquer leurs postes si c’est le prix à payer pour défendre une orientation digne de révolutionnaires.

À ces points communs s’ajoutent des traits particuliers à chacune des trois organisations.

Contre la passivité routinière, le suivisme des appareils et l’opportunisme électoral de LO

En ce qui concerne LO, dont le noyau compte mille militants, mais avec plus de 5 000 sympathisants-militants, ses principaux mérites restent l’implantation dans les entreprises, son usage d’un certain discours ouvrier et sa défense, en interne, des idées communistes. Cependant, son orientation pratique est marquée par une passivité politique constante, le suivisme à peine critique à l’égard des directions syndicales, un électoralisme systématique et une propagande abstraite en guise de formation marxiste. En outre, sa direction a franchi récemment un palier dans son opportunisme : elle a accompagné son auto-isolement sectaire à l’égard du projet de NPA lancé par la LCR d’une alliance électoraliste inadmissible avec le PS (et le PCF) dès le premier tour des élections municipales (aggravant son appel déjà scandaleux à voter pour Royal au second tour de la présidentielle). Ce faisant, elle a contribué à empêcher les travailleurs d’aller jusqu’au bout de leur rupture avec la « gauche plurielle ». Corrélativement, la direction de LO n’a pas hésite à exclure sa Fraction qui, tout en développant d’habitude une orientation assez proche de la majorité, venait cependant de s’engager dans un combat juste contre le virage droitier sans précédent de la majorité. Celle-ci a voulu de cette façon couper court à toute possibilité de contestation dans ses rangs mêmes, où la nouvelle orientation s’est heurtée manifestement à de nombreuses réticences

Contre le révisionnisme lambertiste, l’impulsion d’un nouveau parti réformiste et la couverture partielle (CGT, FSU) ou totale (FO) des directions syndicales

De son côté, la direction lambertiste de l’ex-OCI et de l’ex-PT a tiré toutes les conséquences de sa dérive à la fois trade-unioniste, « républicaine » des dernières années en prétendant fonder un « parti ouvrier indépendant » (POI) avec des « élus républicains » et des bureaucrates syndicaux notoires (notamment des dirigeants de FO). Ce nouveau parti, créé les 15-16 juin 2008, n’est plus un parti centriste de droite cristallisé, mais un parti ouvertement réformiste. Il se réclame officiellement de la lutte de classe et même du socialisme, mais seulement dans les textes fondateurs. La ligne réelle du POI consiste en fait à dénoncer avant tout l’Union européenne, présentée comme seule source de tous les maux, ce qui revient à un refus de dénoncer réellement le capitalisme, voire à déresponsabiliser les gouvernements successifs, présentés comme otages de l’UE, avec en outre une dérive chauvine latente — et parfois réelle dans la bouche de son ex-candidat à la présidentielle et nouveau co-secrétaire national, le petit patron Gérard Schivardi. De plus, la référence à la lutte de classe reste largement formelle : dans la réalité, les lambertistes et leurs alliés mènent indéniablement un combat partiellement progressiste contre l’orientation des directions de la CGT ou de la FSU, mais ils s’en tiennent à des questions particulières, sans affronter la politique de ces directions dans leur logique générale ; de plus, ils les couvrent pour l’essentiel quand elles trahissent les grèves (comme lors de la grève des cheminots à l’automne) ; et surtout, ils sont incrustés dans l’appareil du principal syndicat où ils interviennent, FO, cautionnant globalement la politique de la direction confédérale, y compris la signature de la contre-réforme sur le contrat de travail.

Cependant, le POI ne doit pas être négligé en tant que force politique, car il connaît une certaine dynamique : il a suscité un certain nombre de discussions, au-delà des bureaucrates syndicaux et des élus municipaux, avec des syndicalistes de lutte, des travailleurs et des jeunes, et il revendique 10 000 cartes, même s’il compte en fait beaucoup moins de véritables militants (peut-être 4 ou 5 000, pour la plupart membres du CCI). En outre, des contradictions existent dans le POI, notamment dans le CCI, qui reste quant à lui un courant centriste de droite cristallisé. En effet, une partie des militants initialement formés au trotskysme conteste manifestement le nouveau virage à droite de la direction lambertiste, en particulier la couverture de la direction de FO au moment où celle-ci collabore ouvertement avec le gouvernement, contrairement à l’époque de Blondel (1989-2004), qui masquait son orientation de collaboration de classe par un discours « contestataire ».

Contre le révisionnisme et l’opportunisme de la direction de la LCR, pour un courant révolutionnaire dans le NPA

Enfin, la direction de la LCR (intégrant depuis le dernier congrès son ancienne tendance de « gauche », le courant Démocratie révolutionnaire, ainsi que le courant ex-moréniste Avanti !) veut créer un « nouveau parti anticapitaliste » (NPA). Il s’agit pour elle de créer en France un « parti large », essayant de faire concurrence au PCF pour occuper organisationnellement l’espace ouvert à la gauche du PS, après l’avoir en partie gagné électoralement. La LCR prétend s’adresser avant tout aux travailleurs et aux jeunes, non aux organisations, mais sa cible prioritaire est en fait plutôt un conglomérat de réformistes assumés (« antilibéraux »), de secteurs de « gauche » de la bureaucratie syndicale, voire de « socialistes » et d’écologistes opposés au « social-libéralisme ». Or ceux-ci ont joué indéniablement un rôle dominant lors de la première réunion nationale des comités NPA, les 28-29 juin, comme le prouve en particulier la déclaration qui en est sortie (3).

Corrélativement, le Bureau politique de la LCR vient de lancer ès qualité une campagne nationale d’exclusion, fondée sur des méthodes bureaucratiques, le mensonge et la calomnie, contre le Groupe CRI, dont la poignée de militants n’aurait pas dû beaucoup l’inquiéter s’il ne craignait en fait, à travers eux, l’ouverture d’une vraie discussion sur l’intervention lutte de classe dans les syndicats (impliquant la mise en cause explosive de l’incrustation de nombreux cadres LCR dans les appareils), sur le programme révolutionnaire et sur la constitution d’un possible courant communiste révolutionnaire dans le futur NPA…

Cependant, en lançant son projet de NPA — quelles que soient ses méthodes et ses intentions, notamment sa volonté d’abandonner toute référence au trotskysme —, la direction de la LCR ouvre un cadre de discussion qui intéresse des milliers de travailleurs et de jeunes sensibilisés pas la campagne présidentielle de son porte-parole Besancenot, par ses prises de position médiatiques certes réformistes, mais souvent talentueuses et assez pugnaces contre le patronat, le gouvernement et le PS. De fait, depuis le mois de mars, plus de 400 comités pour le NPA ont été constitués, rassemblant des milliers de travailleurs et de jeunes (9 000, dont un tiers seulement de la LCR, selon la direction de celle-ci, même si un certain nombre de participants ne sont en fait venus qu’à quelques réunions, certains étant même repoussés par le faible intérêt de discussions assez dépolitisées). Or une partie significative de ces travailleurs et jeunes, comme un certain nombre des militants de la LCR eux-mêmes, cherchent manifestement la voie de lutte de classe efficace, de l’anti-capitalisme, voire de la révolution.

C’est pourquoi le Groupe CRI a décidé de participer à ces comités pour le NPA, tout en maintenant son existence autonome à ce stade. La décision finale de participer ou non au NPA sera prise au moment du congrès de fondation. Elle dépendra de l’ampleur de la dynamique du processus NPA dans l’avant-garde, actuellement réelle, mais limitée et peut-être en partie superficielle, en raison de l’orientation droitière impulsée par la LCR et de l’arrivée de nombreux réformistes. Mais elle dépendra aussi des possibilités concrètes de constituer ou non un courant révolutionnaire avec le maximum de militants de la LCR actuelle et de nouveaux venus radicalisés. Dans ce cadre, il faut mener jusqu’au bout le combat difficile et très inégal, mais indispensable puisque la direction de la LCR l’a décidé, pour la réintégration des militants CRI exclus, pour le maintien des autres dans leurs comités NPA et pour l’entrée de ceux qui n’y sont pas encore. Mais au-delà, les militants CRI doivent, comme dans toutes les tâches qu’ils décident, faire le maximum d’efforts pour construire au mieux les comités NPA, y faire venir de nombreux travailleurs et jeunes, tout en leur présentant leurs propres positions et la nécessité d’un courant communiste révolutionnaire et internationaliste.

Paris, le 12 juillet 2008


1) Notre Projet de programme CRI définit le prolétariat comme l’ensemble des « travailleurs salariés du capital — ouvriers ou employés, manuels ou intellectuels, non-qualifiés ou qualifiés, industriels, commerciaux ou agricoles, travaillant dans les entreprises privées (grandes et petites) ou dans les entreprises capitalistes d’État (transports, énergie, télécommunications, banques, etc.) (…). C’est la classe des travailleurs qui produisent, réalisent et servent à répartir la valeur et la plus-value capitalistes, leur force de travail étant achetée à sa valeur socio-historiquement définie et rapportant plus au capital qu’elle ne lui coûte (théorie marxiste de l’exploitation capitaliste). »

2) Cf. http://groupecri.free.fr/journal.php?numero=24

3) Cf. ci-dessous la contribution du Groupe CRI suite à cette réunion nationale.