Article du CRI des Travailleurs n°21

Le cycle de 2005 se clôt, 2006 commence ...
L'heure est au bilan, aux discussions de fond et au regroupement politique

2005 : année des occasions trahies

Dans les flux et reflux de la lutte de classe, l’année 2005 restera marquée par la profonde contradiction entre une remontée exceptionnelle des luttes et leur incapacité à vaincre. Après la défaite de mai-juin 2003, due au refus des directions du mouvement ouvrier d’appeler à la grève générale, la lutte de classe avait été globalement frappée de léthargie pendant près d’un an, jusqu’à la puissante mobilisation des électriciens et gaziers contre la privatisation au printemps 2004. Après la défaite de cette mobilisation, due elle aussi au refus des directions du mouvement ouvrier d’appeler à la grève générale à EDF-GDF et d’impulser l’extension de la grève aux autres secteurs, il avait fallu attendre encore plus de neuf mois pour que la matrice de la lutte de classe accouche d’un nouveau cycle ascendant de combats. Celui-ci était particulièrement prometteur : il a de fait concerné de nombreux secteurs et a duré presque toute l’année 2005 ; mais ses phases successives ont été délibérément sabotées l’une après l’autre, aboutissant en octobre-novembre à la liquidation de ce cycle ascendant lui-même, faute d’organisations révolutionnaires capables d’aider les masses à se défaire du carcan imposé par les directions embourgeoisées du mouvement ouvrier.

Après une première « journée d’action » appelée par les syndicats le 20 janvier, soigneusement limitée au secteur public, ce sont les jeunes qui avaient ouvert le bal des combats réels, avec une levée en masse contre la loi Fillon, un début d’auto-organisation et une radicalisation limitée, mais réelle, du mouvement lycéen (grève et « blocage » de nombreux établissements en mars-avril). Cette mobilisation courageuse s’est cependant heurtée non seulement à la répression policière et judiciaire, mais surtout au refus des principales organisations de jeunesse d’appeler à la grève générale et à l’auto-organisation des lycéens, d’une part, à la démission totale des organisations syndicales et politiques malgré l’occasion réelle d’impulser l’extension de la mobilisation aux personnels de l’Éducation, d’autre part. Malgré sa force et ses potentialités plus grandes encore, le mouvement lycéen, isolé et privé d’une véritable direction politique révolutionnaire, a donc pu être contenu et finalement vaincu.

Cependant, les travailleurs étaient tout autant disposés que les jeunes à en découdre enfin avec le gouvernement Chirac-Raffarin : c’est ce que prouve le succès des « journées d’action » (20 janvier, 5 février, 10 mars, 4 octobre…) appelées par les directions syndicales, même si le but de celles-ci n’était nullement d’engager une lutte générale décisive, mais uniquement de se faire admettre à la table des « négociations » pour assurer l’accompagnement « social » des exigences patronales et des contre-réformes gouvernementales. Mais la combativité prolétarienne s’est plus encore manifestée tout au long de l’année 2005 par la multiplication des grèves locales ou sectorielles, parfois partiellement victorieuses au premier semestre, mais toujours isolées les unes des autres (1).

Dans le contexte de ce cycle ascendant de la lutte de classe, l’année 2005 a été marquée également par la défaite électorale majeure de Chirac, du gouvernement et des principales forces politiques de la bourgeoisie (UMP-UDF, mais aussi PS-Verts), tous rejetés le 29 mai par le vote Non des prolétaires et de la majorité des classes populaires, qui ont utilisé leur bulletin de vote pour dire leur rejet à la fois de l’Union européenne capitaliste et des politiques menées alternativement par la droite et la gauche au service du grand capital. Mais, là encore, les directions du mouvement ouvrier, à commencer par celles-là même qui avaient fait campagne pour le Non, ont refusé de saisir l’occasion en or qui était offerte par la défaite politique du président et du gouvernement pour transformer l’essai sur le terrain de la lutte de classe directe. Au lieu d’appeler à la mobilisation pour stopper, pour vaincre et pour chasser Chirac et l’Assemblée nationale, les dirigeants des syndicats et des forces du « Non de gauche » leur ont demandé d’ « entendre » le peuple et les ont bien gentiment laisser reprendre la main en mettant en place un nouveau gouvernement de choc dirigé par Villepin et Sarkozy. C’est ce soutien lamentable qui a permis à ce « nouveau » gouvernement de transformer rapidement sa faiblesse en force, de poursuivre de plus belle ses attaques contre les travailleurs, les chômeurs et les immigrés, et d’infliger une série de défaites majeures aux luttes de l’automne.

Après la nouvelle « journée d’action » du 4 octobre, qui a encore rassemblé plus d’un million de manifestants, la fin du cycle ascendant des luttes prolétariennes de 2005 a été scellée à Marseille, par la défaite spectaculaire des plus puissantes d’entre elles : les deux longues grèves de la SNCM et de la RTM offraient les meilleures chances pour une généralisation de la lutte de classe dans tout le pays ; mais ce furent aussi les dernières de la période, subissant la trahison la plus éhontée des directions du mouvement ouvrier, qui ont refusé toute extension de la grève et capitulé sur la question-clé de la privatisation.

Une toute dernière occasion s’est cependant présentée à ce moment-là, sur un terrain où nul ne l’attendait : si les lycéens avaient ouvert le cycle des luttes de 2005 pour défendre leur droit aux études, les jeunes des banlieues, scolarisés ou non, l’ont clos par une révolte spectaculaire, d’ampleur inégalée, pour exprimer leur haine de la société actuelle qui les prive d’avenir et leur refus de continuer à se laisser exclure et piétiner sans réagir. Or, une fois de plus, les directions du mouvement ouvrier ont refusé d’appeler cette jeunesse révoltée, mais sans programme, à combattre pour stopper et vaincre le gouvernement, elles ont refusé d’appeler à l’unité des travailleurs et des jeunes en leur proposant un programme d’action anti-capitaliste immédiat. Elles ont préféré geindre sur le sort désastreux imposé aux habitants des banlieues comme s’il s’agissait d’une fatalité ou d’un manque de volonté politique des gouvernants, et non d’un produit inévitable du capitalisme et de la politique des gouvernements successifs de droite et de gauche à son service. Prouvant une fois de plus leur sens aigu des « responsabilités » quand il s’agit de voler au secours de « l’ordre » existant, les dirigeants de la plupart des syndicats et forces politiques qui se réclament officiellement des travailleurs, pris de panique, n’ont pas hésité à se rallier aux appels au « calme » lancés par les sommets de l’État, tout en saupoudrant de leurs larmes de crocodiles (aux dents longues) leur soutien aux armes policières, judiciaires et médiatiques utilisées par le gouvernement pour mater la révolte.

Que faire de 2006 ?

Et maintenant ? L’année 2006 semble s’annoncer bien terne. La situation sociale est plus morose que jamais : un regain des luttes est fort peu vraisemblable dans l’immédiat, étant donné la gravité des défaites subies à l’automne ; le président de la République, usé jusqu’à la corde, n’a plus le moindre crédit dans l’opinion publique, mais la quasi-totalité des forces politiques de dimension nationale, de l’extrême droite à une bonne partie de l’extrême gauche, ne raisonne plus que dans la perspective trompeuse des élections de 2007 — beaucoup semblant considérer de ce point de vue que 2006 ferait mieux de ne même pas exister !

Pendant ce temps-là, Villepin, Sarkoy et les autres membres du gouvernement, tout en axant leurs interventions et leurs mesures dans la perspective de 2007 et donc en partie les uns contre les autres, ont bien l’intention de mettre à profit cette année pour faire passer une nouvelle série de contre-réformes (voir ci-dessous l’article de Frédéric Traille). En tant que serviteurs de la bourgeoisie, ils auraient d’ailleurs tort de se priver de la force politique qu’ils ont acquise en 2005, malgré leur défaite cuisante du 29 mai, en infligeant des défaites majeures aux travailleurs et aux jeunes et en désamorçant ainsi, pour un temps, leur combativité.

Dans cette situation, les principales directions syndicales continuent comme si de rien n’était à collaborer de plus belle avec le gouvernement, que ce soit de manière franche et ouverte (CFDT, CFTC, CGC) ou plus hypocrite (CGT, FO, FSU), comme vient de le montrer encore l’attitude des uns et des autres concernant la « réforme » de l’assurance-chômage. Car la collaboration de classe est la raison d’être des réformistes de tout poil : ayant renoncé à toute perspective révolutionnaire, leur horizon s’arrête là où commence la table des prétendues « négociations ». Or, dans la période historique actuelle, marquée par l’offensive internationale du capital contre les acquis dans tous les azimuts, les « négociations » syndicales se réduisent en fait à co-élaborer des mesures de régression sociale avec le patronat et le gouvernement, à partir de « diagnostics partagés » : la co-élaboration des contre-réformes est le stade suprême de la collaboration. Dans les périodes historiques où le rapport de force entre les classes sociales est globalement défavorable au prolétariat, le contre-réformisme est la suite logique du réformisme. Cela vaut aussi bien pour les directions syndicales que pour le PCF (cf. l’article ci-dessous de Gaston Lefranc, consacré à la préparation du congrès de ce parti en mars).

Quant aux principales forces politiques de l’extrême gauche, elles ne proposent pas de véritables perspectives aux travailleurs. Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur les résultats de leur congrès respectif : celui de LO a eu lieu en novembre, ceux de la LCR et du PT sont prévus pour fin janvier ; mais les traits saillants de leur orientation resteront manifestement inchangés en 2006.

La LCR commence l’année en appelant aux « luttes », mais néglige l’analyse des flux et reflux de la lutte de classe, ce qui l’obligerait à tirer un bilan de 2005 et donc à aller beaucoup plus loin qu’elle ne le fait dans la critique des appareils syndicaux et politiques du mouvement ouvrier… et donc dans sa propre autocritique, puisqu’elle n’a cessé de les couvrir sur la gauche pendant toute l’année dernière (nous l’avons régulièrement montré dans ce journal). Finalement, la seule perspective proprement politique proposée par la LCR est là encore celle… des élections de 2007 ! Il est symptomatique que le débat qui domine la préparation de son congrès ait pour thème la question de savoir s’il faut présenter des candidatures communes avec le PCF ou présenter la Ligue seule en 2007 ; le ralliement évident du PCF au PS rend d’ailleurs invraisemblable la première option, comme l’a bien compris la majorité (plate-forme 1) qui l’a progressivement abandonnée au profit de la seconde, quoique manifestement à contrecœur.

Du côté du Parti des travailleurs, il n’y a certes pas d’électoralisme, mais il n’y a pas pour autant la moindre perspective politique utile pour la lutte de classe : en limitant son « programme » à la rupture avec l’Union européenne et en défendant ouvertement la République bourgeoise sans mettre en cause ni le capitalisme, ni l’État qui le sert, le PT gomme les frontières de classe, obscurcit la conscience de ses propres sympathisants et militants et les mène droit dans le mur du réformisme le plus plat, comme le prouve au demeurant sa pratique quotidienne à l’intérieur des syndicats, à commencer par FO.

Quant à Lutte ouvrière, sous un discours formellement plus correct en termes de classe, il n’y a rien non plus à en attendre en ce qui concerne les perspectives. Parmi les prétendants de gauche, Arlette Laguiller a été la première à annoncer sa candidature à l’élection présidentielle. LO a ainsi confirmé l’inscription constante de sa politique dans le cadre du calendrier électoral : quel sens cela a-t-il d’annoncer si tôt à l’avance une telle candidature, sinon de cautionner l’idée qu’il n’y a pas à grand-chose à attendre et à faire avant 2007 ? D’autre part, cette annonce a également confirmé le refus sectaire de LO de rouvrir des discussions avec les autres forces politiques de l’extrême gauche, à commencer par la LCR (ce qui supposerait certes qu’elle cesse de ne lorgner que vers le PC), voire le PT (ce qui impliquerait qu’il cesse d’être si sectaire et républicain-chauvin).

L’orientation des directions respectives des trois principales organisations politiques d’extrême gauche n’offre donc guère de perspective pour 2006. Il est donc plus que jamais nécessaire de continuer à discuter avec les militants de ces organisations : poussés par les besoins objectifs de la lutte de classe elle-même, à commencer par la nécessité de tirer un bilan des récentes défaites-trahisons et de préparer les prochaines luttes, beaucoup de ces militants finiront par aller au combat contre leurs propres dirigeants. Cela constituera à la fois un signe et un accélérateur d’une transformation radicale de la situation du mouvement ouvrier, aujourd’hui en crise faute d’une perspective anti-capitaliste conséquente, donc révolutionnaire. C’est d’ores et déjà dans cette optique que le Groupe CRI entend contribuer activement à la discussion et faire des propositions concrètes.

Que faire en 2006 ?

Car il y a bien des choses à faire en 2006. L’analyse indispensable de la situation objective et l’inscription nécessaire dans le rythme réel de la lutte de classe conduisent à refuser l’activisme béat de ceux qui se contentent d’appeler à « la lutte » en général, quelles que soient les circonstances. Pour autant, le choix n’est nullement binaire, entre l’agitation stérile d’un côté, et la passivité larmoyante de l’autre. Non seulement parce que, comme l’Histoire en général, cette année nous réservera évidemment son lot d’événements imprévisibles, de luttes inattendues, de rebondissements toujours possibles. Mais, plus fondamentalement, les marxistes révolutionnaires se doivent d’être à la fois à l’avant-garde des luttes quand il y en a, et à l’avant-garde de la réflexion politique plus approfondie quand l’accalmie le permet.

Cette réflexion politique doit se ressourcer théoriquement par la poursuite de la formation marxiste des militants, impliquant la lecture d’ouvrages classiques et d’études d’économie, de sociologie, d’histoire… À l’encontre de la division entre travail intellectuel et manuel que sous-tend la division de la société en classes, une telle démarche est indispensable pour tout militant communiste révolutionnaire, quel que soit son actuel niveau de culture marxiste, s’il ne veut pas abandonner la formation de ses idées à son propre passé qui s’éloigne et/ou à quelques individus dont l’instruction générale et souvent l’origine sociale leur ont permis d’acquérir une culture marxiste plus vaste.

Mais la réflexion politique nourrie des idées et analyses marxistes n’est pas une fin en soi ; elle doit s’axer sur l’élaboration programmatique pour intervenir dans la lutte de classe internationalement comprise : le programme communiste révolutionnaire ne vit que d’être constamment vérifié par l’analyse des situations concrètes, et doit être enrichi, voire transformé, pour répondre le mieux possible aux problèmes posés par le cours réel des combats prolétariens et populaires et par l’état corrélatif de la conscience de classe.

Enfin, le temps politique dégagé par le reflux des luttes doit être mis à profit pour ce travail militant décisif qui consiste à consolider les liens avec les travailleurs et les jeunes rencontrés dans les luttes de 2005, à leur proposer systématiquement, à partir d’une discussion sur les défaites-trahisons de ces luttes, une formation marxiste et l’intégration rapide dans les rangs organisés du bolchevisme. En particulier, la meilleure réponse à opposer aux discours hypocrites et aux initiatives « citoyennes » visant à « intégrer » les jeunes des banlieues dans la République bourgeoise et à leur faire ingurgiter l’idéologie patriotique et européiste, c’est de combattre pour la pleine intégration de ces jeunes dans le mouvement ouvrier et pour leur appropriation d’un marxisme révolutionnaire vivant.

Les vœux que le Groupe CRI adresse à ses sympathisants et à ses chers lecteurs pour cette année sont donc des vœux d’épanouissement militant, qui intègrent les trois propositions concrètes suivantes :

Proposition n° 1 :
Approfondir les discussions de fond pour construire l’instrument politique

Il s’agit d’abord d’ouvrir ou de poursuivre la discussion sur le programme du communisme révolutionnaire lui-même, impliquant l’objectif central d’un parti politique marxiste. Dans cette perspective, nous publions ci-dessous quatre contributions au débat sur ce point :

1) la contribution de Gaston Lefranc, sympathisant du Groupe CRI, sur les motions proposées au vote des militants du PCF par la direction et par les différentes tendances oppositionnelles ;

2) la contribution proposée par Ludovic Wolfgang dans le cadre de la préparation d’une réunion dont le thème était la perspective communiste et l’auto-organisation des travailleurs ;

3) la déclaration commune du Groupe CRI et du CC-POR (Comité constructeur pour le Parti Ouvrier Révolutionnaire) d’Argentine, qui fait le point sur nos accords programmatiques, sur les sujets qui restent à débattre et sur la méthode que nous proposons pour avancer ;

4) la lettre ouverte d’Antoni Mivani, pour le Groupe CRI, sur le projet de programme du PSoL (Parti pour le socialisme et la liberté) brésilien, qui soulève une nouvelle fois le problème de l’alternative entre réforme et révolution, dans un pays gouverné depuis trois ans par un « front populaire » autour du PT de Lula, en association étroite avec l’impérialisme et le capital financier.

À partir de ces trois textes, nous invitons les lecteurs et les autres organisations qui se réclament du communisme à participer aux discussions de fond et à nous faire parvenir leurs remarques, critiques et contributions.

Proposition n° 2 :
Œuvrer à un regroupement politique des forces anticapitalistes

Mais les besoins de la lutte politique immédiate impliquent également des propositions tactiques pour préparer les prochaines luttes et y contribuer. De ce point de vue, il est hors de question de sombrer dans l’électoralisme et d’attendre 2007 : les révolutionnaires n’ont pas à faire de leur éventuel recours à l’action électorale le nerf de leur politique, et surtout pas de manière prématurée ; car, dans tous les cas, c’est le rythme de la lutte de classe qui détermine leur orientation et leur activité concrète, les élections n’étant à cet égard qu’un moment subordonné. Les besoins de l’armement politique et de la lutte de classe du prolétariat contre le patronat et le gouvernement sont immédiats : c’est dès ce début d’année 2006 qu’est posée la question d’une tactique politique correcte pour intervenir au quotidien dans nos lieux de travail et dans les quartiers.

Pour notre part, nous proposons une alliance des organisations qui, quelles que soient leurs traditions ou options idéologiques, se réclament de l’anti-capitalisme, sur la base d’un programme de mobilisation des masses contre le patronat et le gouvernement, pour imposer leurs revendications élémentaires. Nous nous prononçons pour l’ouverture de discussions entre toutes les organisations qui se prononcent non seulement pour la rupture avec le « libéralisme », mais avec le capitalisme lui-même, et par conséquent pour la rupture avec l’ « alternance » préconisée par le PS et la direction du PCF. Selon nous, une telle alliance anti-capitaliste devrait se faire non sur la base d’un programme réformiste (comme par exemple l’accord électoral de LO et de la LCR en 2004), mais d’un programme anti-capitaliste conséquent, axé sur le gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs.

Il s’agit donc de militer au quotidien avec les travailleurs et les militants anti-capitalistes pour faire avancer cette proposition. Car les dirigeants des tendances officiellement anti-capitalistes de la gauche du PCF et des principales organisations d’extrême gauche refusent toutes de s’engager la voie d’une telle alliance anticapitaliste et même d’en discuter. Il s’agit manifestement pour eux de préserver leurs intérêts de micro-appareils encrassés par plusieurs décennies de routine et de certitudes toutes faites. Ils refusent même d’intervenir en commun à l’intérieur des syndicats, pour y combattre la collaboration de classe qu’ils condamnent pourtant tous en paroles. C’est pourtant là le minimum que les travailleurs sont en droit d’attendre de forces qui se réclament de l’anti-capitalisme ; et un tel combat à l’intérieur des syndicats serait un pas décisif pour aller vers la réalisation de l’alliance anti-capitaliste plus générale que nous proposons.

Proposition n° 3 :
Construire la tendance intersyndicale de lutte de classe antibureaucratique

C’est pourquoi, comme nous l’annoncions dans le précédent numéro, le Groupe CRI a pris l’initiative, avec des militants d’autres organisations, de lancer un Appel pour une tendance intersyndicale de lutte de classe et anti-bureaucratique. Le succès de cette initiative est sans doute la tâche pratique prioritaire de la période qui s’ouvre : l’année 2005 a prouvé une fois de plus à quel point la dispersion des militants et des groupes partisans de la lutte de classe la plus résolue les condamne à une impuissance tragique face aux bureaucrates ; il est donc indispensable que 2006 soit l’année du rassemblement de ces militants, pour qu’ils mènent enfin ensemble leurs combats contre les bureaucrates de tout poil à l’intérieur des syndicats, contre la collaboration de classe sous toutes ses formes, pour intervenir de manière à la fois correcte et efficace dans la lutte de classe, pour aider à la réappropriation des syndicats par les travailleurs.

Dans ce but, une réunion convoquée sur la base d’une première proposition d’Appel a eu lieu le 10 décembre, avec des militants syndicaux à titre individuel, des représentants de la tendance intersyndicale Émancipation (qui regroupe des syndicalistes révolutionnaires de l’Éducation), de la Fraction de Lutte ouvrière, de la Nouvelle Gauche communiste (courant du PCF), du Groupe Bolchevik et du bulletin « L’Abeille rouge », ainsi que des militants de la tendance Démocratie révolutionnaire de la LCR à titre personnel. Si la réponse définitive de plusieurs de ces groupes est encore attendue à l’heure où ces lignes sont écrites (nous y reviendrons dans le prochain numéro), la discussion a permis d’élaborer un appel largement enrichi et amendé, qui a ensuite fait l’objet de nouvelles remarques et de nouveaux amendements ou compléments de la part de militants et groupes présents le 10 décembre ou non.

Cette proposition de tendance intersyndicale de lutte de classe antibureaucratique correspond indéniablement à un besoin profondément ressenti par des milliers de militants syndicaux combatifs. Le lecteur trouvera dans les deux pages suivantes la version définitive de l’Appel en question : nous l’invitons à le signer et à le faire signer massivement et à s’engager de toutes ses forces pour assurer le succès de cette initiative !


1) En hommage aux travailleurs qui les ont courageusement menées malgré l’isolement, la répression et les difficultés de toutes sortes, rappelons ici quelques-unes de ces grèves, déjà mentionnées dans nos précédents numéros : grève victorieuse pour les salaires chez Airbus à Saint-Nazaire, début février ; grève pour les salaires à SKF à Saint-Cyr, dans le Loir-et-Cher, en février ; grève des agents de piste d’Orly suite à l’accident mortel d’une hôtesse de l’air, dont un employé avait été désigné comme bouc émissaire par la direction ; grève largement auto-organisée pendant dix jours, et finalement victorieuse malgré les capitulations de certains syndicats, de plusieurs centaines de jeunes ouvriers chez PSA-Citroën à Aulnay, contre la baisse des salaires (grève sans précédent dans cette usine depuis 1984) ; grève victorieuse des personnels ouvriers, techniques et administratifs de Radio-France ; grève générale des médecins dans les services d’urgence des hôpitaux publics pendant près de deux semaines, avec des résultats à la clé ; grève chez STMicroelectronics contre les licenciements ; grève puissante chez Conforama et surtout chez Carrefour fin mars, d’une ampleur sans précédent dans cette entreprise ; grève aux ciments Lafarge ; grève pour les salaires chez les éboueurs de la société Nicollin, dans les Yvelines ; mouvement social au siège du PS, contre les bas salaires des employés ; grèves locales, étendues ensuite à l’échelle nationale, dans les magasins Virgin… Et, à l’automne, grève des bagagistes de l’aéroport de Roissy, que leur isolement a empêché de résister à l’ordre préfectoral de réquisition sous prétexte de lutte anti-terroriste ; grève pendant trois semaines des travailleurs de Fralsen Groupe Timex à Besançon contre le plan de suppressions de postes et de licenciements secs (là aussi, des sanctions judiciaires contre plusieurs grévistes ont contribué à la décision de reprendre le travail sans avoir obtenu satisfaction sur l’essentiel) ; grève d’un mois dans la principale raffinerie du pays, à Gonfreville l’Orcher (Seine-Maritime), pour les salaires, la reconnaissance des qualifications et la sécurité au travail, avec la solidarité active de la population, de leurs collègues d’autres raffineries et des travailleurs d’autres entreprises (en paralysant l’activité de l’établissement, les grévistes ont faire perdre plus de 60 millions d’euros à Total, mais leur isolement a fini par les conduire à reprendre le travail après n’avoir obtenu que des avancées individuelles, sans aucun acquis collectif) ; grève de dix-sept jours dans les transports publics de Nancy, les salariés finissant par accepter des propositions du patronat, soit une augmentation de salaires de 1,7 %, alors qu’ils demandaient 8 % ; poursuite de la mobilisation chez Nestlé, avec une dizaine d’heures de grève par semaine en octobre, sans que la direction renonce aux points essentiels de son plan drastique de suppression de postes…