Article du CRI des Travailleurs n°19

À bas les ordonnances Chirac-Villepin !
Unité des organisations pour en découdre réellement !
Non aux « journées d'action »  dispersées et sans lendemain !
Organisons-nous, préparons, imposons la grève générale !

Les directions syndicales et les forces politiques du Non de gauche ne se contentent pas de refuser l’objectif de chasser Chirac : même contre les ordonnances et toutes les mesures que le gouvernement a fait passer en force cet été, elles ne veulent pas engager clairement et résolument le combat.

Que proposent les dirigeants syndicaux pour septembre ?

En cette rentrée, les directions syndicales osent recommencer leur petit jeu lamentable, en se contentant d’appeler à une nouvelle « journée d’action », d’ailleurs lointaine (le 4 octobre), sans perspective et évidemment sans appeler à la tenue d’assemblées générales dans toutes les entreprises et les établissements.

FO ne veut qu’un nouveau « 10 mars »

C’est ainsi que, « pour FO, il s’agit de préparer une mobilisation au moins équivalente à celle du 10 mars, avec manifestations et arrêts de travail » (éditorial de FO-Hebdo du 24 août). La référence au 10 mars est une véritable provocation : Mailly annonce d’emblée qu’il n’a pas l’intention de donner le moindre lendemain à la mobilisation annoncée. D’ailleurs, l’objectif n’est même pas l’abrogation des ordonnances Villepin, mais… de demander à Chirac de bien vouloir faire une politique favorable aux travailleurs : « Pour le Secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, il appartient aux organisations syndicales et aux salariés d’obliger le gouvernement à faire d’autres choix, basés sur une augmentation de pouvoir d’achat, une diminution de l’impact du prix du pétrole, un haut niveau de protection sociale collective, une préservation du service public, de réelles garanties sociales collectives et individuelles. » (Communiqué de la Confédération FO du 16 août.)

La CGT veut surtout négocier

Du côté de la CGT, ce n’est pas mieux : le communiqué laconique issu de la réunion des unions départementales et des fédérations du 25 août se contente d’indiquer qu’elles « se sont unanimement prononcées pour la construction, à brève échéance, d’une mobilisation unitaire interprofessionnelle des salariés des secteurs privés et publics, de grande ampleur, sous forme de grèves et de manifestations, portant notamment sur les revendications de salaires, d’emploi, de défense des services publics ». Pas de revendications précises, refus d’exiger l’abrogation des ordonnances, grèves et manifestations au pluriel… : autant d’éléments qui prouvent là encore que la direction de la CGT n’a nullement l’intention d’en découdre non seulement Chirac, mais même avec Villepin. Or cette attitude est d’autant plus cynique qu’elle sait parfaitement que les travailleurs sont prêts au combat. Le journaliste du Figaro qui a interrogé Thibault, dans l’interview du 29 août déjà citée plus haut, lui a ainsi demandé, avec une inquiétude qui exprime en fait l’angoisse de toute la bourgeoisie : « Mais en quoi sentez-vous que les salariés sont plus prêts à se mobiliser qu’en juin ? » Or Thibault mesure pleinement le caractère explosif de la situation, puisqu’il répond : « Cette rentrée est bien différente des autres. La contestation n’a pas cessé de s’amplifier et a atteint son point d’orgue le 10 mars, avec plus d’un million de salariés dans la rue. Nous avons eu ensuite l’opposition à l’instauration d’une journée de travail gratuit, le lundi de Pentecôte, et dans la foulée un référendum qui, portant sur un enjeu européen, a mis en lumière combien les questions sociales avaient guidé le choix d’un grand nombre d’électeurs. Tout cela a débouché sur la débandade du gouvernement Raffarin et la mise en place d’un nouveau gouvernement dont la composition s’est limitée à un redistribution des postes pour une même politique économique et sociale. Le premier ministre continue de jouer la montre sur le pouvoir d’achat, continue à multiplier les recettes à contresens sur l’emploi et laisse apparaître, comme son prédécesseur, qu’il est beaucoup plus à l’écoute des suggestions patronales que de ce que disent et clament les organisations syndicales. Une majorité de salariés s’en rend compte. Les ingrédients sont réunis pour une mobilisation d’envergure. Nous y travaillons dès maintenant. » Il est donc clair que le problème posé par la situation n’est pas celui d’un risque que les travailleurs manquent à l’appel, mais bien celui des objectifs que les dirigeants fixent à cet appel.

Or, à la question du journaliste qui, décidément inquiet, lui demande : « La CGT a appelé à la mobilisation, mais les ordonnances Villepin suffiront-elles à mobiliser les troupes ? », Thibault répond : « Face au discours rassurant et enrobant du gouvernement, nous ferons la démonstration de la nocivité de ses choix. Si les salariés répondent présent, il n’y a aucune raison pour que ce soit seulement une étincelle. Nous voulons instaurer un rapport de forces constant sur l’emploi, le pouvoir d’achat, les services publics et l’avenir industriel. Nous nous sommes prononcés pour une journée d’action faite de grèves et de manifestations. (…) C’est le degré de mobilisation qui modifiera l’action du gouvernement dans tous ces domaines. » Puis il précise : « Mobiliser, être sur le terrain, manifester, revendiquer et obtenir des avancées pour les salariés par la négociation, ça n’est pas nouveau pour la CGT, congrès en perspective ou pas. (…) Je ne vois pas aujourd’hui, sans un rapport de forces conséquent, le gouvernement ou les organisations patronales satisfaire spontanément à un certain nombre de demandes syndicales. » Le message que Thibault adresse à la bourgeoisie à travers l’un de ses principaux quotidiens est donc parfaitement clair : 1) oui, les travailleurs sont prêts, comme l’ont montré toutes les luttes depuis le début de l’année et le vote du 29 mai ; 2) par conséquent, vous (le gouvernement et la bourgeoisie) auriez tort de continuer à passer en force, c’est-à-dire à ne pas « satisfaire spontanément » ma « clameur » qui vous demande des « négociations », d’ailleurs sur des thèmes aussi généraux que vides ; 3) dans cette situation, je suis contraint (et croyez bien que je le regrette) d’appeler à une mobilisation ; 4) mais bien sûr je ne centrerai pas cet appel sur les ordonnances Villepin et j’appellerai encore moins à autre chose qu’une nouvelle « journée d’action » ; 5) par contre, si vous ne voulez pas prendre le risque que je sois contraint d’aller plus loin par les travailleurs eux-mêmes, alors ouvrez vite les « négociations » en question, écoutez-moi vous « démontrer la nocivité de vos choix » (et donc vous aider à en faire d’autres), acceptez de « modifier » un peu votre politique, avant que tout n’explose…

La FSU n’est pas si mécontente que ça

La FSU, enfin, se contente de « confirme(r) la nécessité d’actions unitaires d’ampleur nationale aussi bien au plan de l’éducation, qu’à celui de la Fonction publique ou au plan interprofessionnel » (communiqué du CDFN du 29 août). Mais en fait, le SNES (enseignement secondaire) et le SNUIPP (enseignement primaire), déplorant à juste titre le manque de postes dans les établissements (mais sans exiger eux non plus l’abrogation des ordonnances), ont appelé, tous seuls dans leur coin, les seules catégories de personnels qu’ils représentent à une « semaine de mobilisation » sans perspective « du 5 au 9 septembre » ; de son côté, le syndicat de l’enseignement agricole de la FSU a appelé à sa propre « semaine d’action du 1er au 5 septembre », tandis que le SNPES-PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) a convoqué une grève pour le 12… Sur le fond, ces syndicats refusent le combat et affirment leur volonté de collaborer, avec tout l’art du double langage dont ils sont spécialistes. C’est ainsi que le SNES-FSU condamne d’une part le remplacement obligatoire et au pied levé des professeurs absents par leurs collègues du même établissement (une des dispositions majeures de la loi Fillon), mais appelle d’autre part les enseignants à co-élaborer dans chaque établissement des « protocoles d’accord » qui doivent régir l’application de cette mesure (L’Université syndicaliste, 25 août). De même, après l’annonce du ministre de Robien concernant la création des « emplois vie scolaire », Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, a certes critiqué leur caractère précaire et leur nombre insuffisant, mais il a surtout osé écrire que cette mesure « marque, d’une certaine façon, une rupture avec la politique menée ces dernières années » et qu’elle est « une forme de réponse aux batailles que nous avons menées ». Quel scandale !

Et l’extrême gauche PT, LO, LCR ?

Quant aux organisations d’extrême gauche, elles attendent une fois de plus bien tranquillement de voir ce que vont faire les directions syndicales, sans engager le moindre combat contre elles. Ces organisations, qui ont pourtant des milliers de militants et sympathisants et des positions syndicales, refusent de faire la moindre proposition concrète, de prendre la moindre initiative pour en découdre avec Villepin. À cet égard, la lecture du premier numéro de septembre de leur journal respectif est édifiante : Informations ouvrières journal du PT, en date du 1er septembre, ne pose même pas la question de ce qu’il faut faire contre les ordonnances (qu’il a par ailleurs correctement dénoncées tout l’été), et il ne dénonce pas l’attitude scandaleusement dilatoire des directions syndicales confédérales. D’ailleurs, en p. 2, est rapporté le propos d’un adhérent qui « regrette » lui-même, à juste titre, que le PT « ne soit pas assez offensif sur la question de la résistance » et n’ « ouvre pas de perspective en posant la question de l’unité ». Quelle est la réponse d’une autre adhérente, exprimant clairement le point de vue de la direction ? C’est qu’il faut « rompre avec Maastricht » (sans blague ?) et aller voir tous les contacts du PT pour « aider à la réalisation de l’unité » ! Bref, tout en refusant de concentrer le combat contre Villepin et ses ordonnances, il rejette toute véritable démarche de front unique, il refuse d’exiger des directions syndicales qu’elles combattent réellement le gouvernement et il fait croire à ses adhérents qu’ils vont pouvoir réaliser « l’unité »… en s’appuyant sur les seuls contacts du PT !

De son côté, Lutte ouvrière du 2 septembre (p. 11) annonce que les directions confédérales vont convoquer une « journée de grèves et de manifestations fin septembre ou début octobre », mais ne dénonce pas cette tactique (se contentant d’évoquer en passant, sans s’y attarder, d’ « éventuelles manœuvres » (sic) et le « manque de détermination » des directions) ; puis elle appelle les travailleurs à participer à cette journée d’action « pour exprimer massivement leur volonté de mettre un coup d’arrêt à la politique patronale » et pour « peser sur la situation », évacuant ainsi la question fondamentale, qui est de combattre (et non seulement de « s’exprimer ») pour imposer le retrait des ordonnances et vaincre le gouvernement Chirac-Villepin.

Enfin, Rouge du 1er septembre titre « Contre Villepin/Sarkozy, front commun pour gagner » et constate p. 3 que « la situation est explosive : l’envie de résistance et la conscience de classe du plus grand nombre sortent dopées par la victoire du non » ; mais, là encore, on cherche en vain un combat politique contre les directions syndicales et leur tactique des journées d’action ; au contraire, la LCR propose elle-même une ribambelle de revendications et de rendez-vous en septembre et octobre, au lieu de mettre en avant la nécessité d’un combat unifié, immédiat, pour le retrait des ordonnances — ce qui implique une lutte politique pour la grève générale. Quant au discours d’Olivier Besancenot à l’Université de la LCR (ibid., p. 12-13), il évoque certes la « grève générale du public et du privé », mais comme un horizon lointain, non comme une nécessité immédiate ; emporté dans son élan, et tout en précisant qu’il ne faut « pas s’obnubiler sur 2007 », il n’en affirme pas moins que « la seule orientation crédible, à gauche pour 2007, c’est celle qui, en 2006, aura réussi à remporter des victoires contre la droite ». Faudrait-il attendre l’année prochaine avant de se battre contre Chirac-Villepin ? Faudrait-il accepter, sous la pression du PCF et de la gauche plurielle, de raisonner aujourd’hui en prenant en compte les échéances électorales de 2007 ? Nous estimons au contraire que toute discussion sur ces échéances, que tout refus d’exiger maintenant, sans conditions, le front unique pour le retrait des ordonnances, contre Chirac-Villepin, ne sauraient être qu’une ligne de capitulation.

Propositions du Groupe CRI

La question centrale qui est à l’ordre du jour immédiat est en effet la réalisation de l’unité de tous les syndicats et de toutes les forces qui ont combattu pour la victoire du Non ouvrier et populaire. Selon nous, l’objectif de cette unité de combat, et qui ne peut être imposée que par le combat, est indissociablement double :

• Le premier objectif est de faire échec aux ordonnances de Villepin contre le Code du travail et la Fonction publique. Cela suppose de rassembler, sans préalables, toutes les forces syndicales et politiques qui les ont condamnées, et qui doivent par conséquent en exiger clairement l’abrogation. Mais ce que montre l’expérience du passé, tout particulièrement le mouvement de mai-juin 2003, c’est que, pour gagner, il n’y a pas d’autre moyen que de préparer et de réaliser la grève générale ; or les dirigeants des organisations qui condamnent en parole les ordonnances, refusent en fait d’engager un combat à la hauteur de l’objectif, par crainte que la mobilisation des masses ne leur échappe. On nous rétorquera encore une fois qu’il ne suffit pas d’un simple « appel » à la grève générale pour que le prolétariat et les classes populaires se mobilisent comme un seul homme, « il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton », etc. Il est vrai qu’une grève générale ne peut pas tomber du ciel, et qu’elle se prépare… C’est justement pour cette raison que, contre les bureaucrates qui de toute façon n’en veulent pas, les travailleurs doivent, sans attendre la prochaine « journée d’action » officielle, commencer à s’auto-organiser en constituant leurs propres comités pour la grève générale dans chaque entreprise et chaque établissement, et en les fédérant à tous les niveaux par le biais de délégués élus, mandatés et révocables. Indissociablement, il est indispensable que les militants, les AG et les comités de lutte dans les entreprises et les établissements et les collectifs pour le Non demandent et imposent aux directions syndicales nationales et aux forces qui se prononcent pour le retrait des ordonnances qu’elles appellent toutes ensemble à la grève générale, qu’elles la préparent et la construisent réellement, en mettant en œuvre tous leurs moyens militants et matériels.

• La situation ouverte par la défaite électorale sans appel de Chirac le 29 mai étant loin d’être close malgré la stabilisation provisoire du pouvoir, il est clair qu’une victoire de la lutte de classe sur la question des ordonnances Villepin remettrait à l’ordre du jour immédiat l’objectif de chasser Chirac, ses ministres et son Assemblée. L’occasion en or qui était offerte en juin ayant été gâchée (pour les raisons que nous avons vues), cet objectif ne peut plus être agité comme mot d’ordre d’action immédiat tant que la lutte de classe sera au point mort. Mais il resurgira tout naturellement, avec bien plus de force encore qu’en juin, dès que celle-ci reprendra et que la grève se généralisera. En ce sens, c’est dès maintenant que se pose la question d’un programme politique alternatif, qui ne saurait passer par une nouvelle mouture de la « gauche plurielle » et ne saurait se subordonner aux échéances électorales de 2007, mais qui ne pourra être qu’un programme d’action anti-capitaliste unitaire (en ce qui concerne son contenu, notamment pour le droit effectif au travail pour tous, le Groupe CRI a fait des propositions dans son « 4-pages » de juin, supplément au CRI des travailleurs n° 18.)

Là encore, les directions syndicales, sous prétexte d’apolitisme, et les dirigeants des forces du Non, qui rêvent pour la plupart d’une nouvelle « union de la gauche » avec le PS, refusent ces objectifs politiques. Il faut donc que les salariés et les militants de ces organisations, considérant qu’elles se réclament officiellement des intérêts spécifiques des travailleurs, leur imposent la mise à l’ordre du jour et la discussion démocratique de ces objectifs à l’intérieur de leurs structures syndicales et politiques, dans les collectifs pour le Non et dans les comités de lutte pour la grève générale qu’il faut mettre en place dans les entreprises et les établissements.

Soulignons enfin que l’élaboration d’un véritable programme d’action anti-capitaliste unitaire ne doit pas être conçue comme une seconde étape, qui devrait venir après le combat contre les ordonnances, mais elle est tout au contraire l’une des conditions de ce combat, car les travailleurs, les chômeurs et les jeunes ont besoin de perspectives politiques claires pour se lancer dans un mouvement général d’une telle ampleur.