Article du CRI des Travailleurs n°21

De la perspective communiste ...
au problème des médiations révolutionnaires organisées

(Contribution d’un militant du Groupe CRI pour une réunion de collectifs partisans du communisme)

Le Groupe CRI (Communiste Révolutionnaire Internationaliste) a décidé de participer aux « journées de travail » convoquées conjointement par les groupes À Contre-Courant (ACC), Carré Rouge et L’Émancipation Sociale (France) et des militants liés à la revue-site À l’Encontre (Suisse) les 14 et 15 janvier 2006 à Paris (1). Nous considérons en effet que cette initiative, dont la fécondité a déjà commencé à faire ses preuves à travers la multiplicité des contributions qu’elle a suscitées, a l’incontestable mérite de poser clairement le problème de l’alternative au capitalisme en termes révolutionnaires : pour lutter contre l’inévitable aggravation continue de la barbarie capitaliste au profit d’une infime minorité, il n’y a pas d’autre solution que l’auto-émancipation communiste du prolétariat et, avec lui, de toute l’humanité. Cette perspective fondamentale s’oppose ainsi frontalement au réformisme en général, en particulier à l’ « anti-libéralisme » que prône la « gauche de la gauche » institutionnelle.

I. Sur l’analyse de la situation

En ce qui concerne l’analyse de la situation, nous sommes d’accord avec le constat suivant, énoncé dans le texte de la convocation : « Aussi différenciée que soit leur situation de continent à continent et de pays à pays, c’est à des problèmes pour grande partie communs que les salarié(e)s, les exploité(e)s et opprimée(e)s doivent faire face », à savoir qu’ils « se trouvent confrontés à l’échelle mondiale à une conjoncture historique marquée à la fois par l’extrême urgence avec laquelle il faudrait répondre à la montée vertigineuse de la barbarie capitaliste et par un état, peut-être sans précédent, d’impréparation politico-théorique pour le faire ». Cette caractérisation de la situation (qui reformule en fait le rapport d’inadéquation persistant entre les « conditions objectives » et les « conditions subjectives » dont parlait Trotsky en ouverture du Programme de transition) justifie pleinement la problématique proposée : par quels moyens théoriques et politiques passer de la contestation internationale croissante du « néo-libéralisme » (politique actuelle du grand capital international et de ses États) à la lutte de classe consciemment anti-capitaliste qui, en termes positifs, ne saurait être que communiste et internationaliste ?

1) Du côté des conditions objectives, il est juste de revenir au sens marxiste « originel » du concept de communisme en tant qu’ « expression générale des conditions réelles d’une lutte de classe existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux » (Manifeste du parti communiste). Selon nous, cette optique devrait permettre en particulier de rompre avec la compréhension simpliste de la phase actuelle du capitalisme en termes de « crise », voire de « déclin », dans la tradition de certains des groupes se revendiquant de Trotsky et de Lénine (alors même que ce dernier au moins ne définissait nullement la phase impérialiste du capitalisme en termes de « crise » structurelle permanente) (2) En effet, la perspective communiste est inscrite dans le fait même que le capitalisme continue de développer, et donc de remodeler constamment, les forces productives de l’humanité. C’est ainsi que s’expliquent les changements profonds intervenus dans l’organisation de la production : tendance à la réduction des grandes concentrations de travailleurs dans une même entreprise, du moins dans les pays développés, et reconfiguration du processus de production en petites unités reliées en réseaux (évolution dont la base technique est ce qu’on appelle « les nouvelles technologies de l’information et de la communication ») ; émergence d’un important prolétariat précarisé, notamment chez les sous-traitants ou dans les sociétés de service ; prolétarisation des travailleurs des anciens secteurs « protégés » et des travailleurs intellectuels eux-mêmes (réorganisation des conditions de travail, gains de productivité, aggravation de la division du travail, dépossession du contrôle sur le processus de travail…).

Cependant, ce développement-remodelage des forces productives crée une situation où les contradictions immanentes au capitalisme et à l’impérialisme se déploient à une échelle toujours plus gigantesque et de manière toujours plus intense. Il en découle des échelles de production toujours plus étendues, des prouesses techniques de plus en plus vertigineuses, une concentration du capital de plus en plus titanesque… Mais il en découle aussi, indissociablement, des conséquences humaines et écologiques toujours plus monstrueuses, un développement sans précédent de la « barbarie », c’est-à-dire de l’inhumain au sein même de l’humain socio-historiquement défini : guerres multiples et multiformes dont les causes immédiates ne sont ni le besoin, ni l’extension historique inévitable d’une nouvelle civilisation, mais la logique pure du profit impérialiste ; chômage de masse, misère économique, sociale et culturelle, qui sont des maux inhérents au capitalisme en général, mais atteignent aujourd’hui des proportions d’autant plus intolérables qu’il est matériellement et techniquement possible d’y mettre fin ; aggravation continue du sous-développement et de l’exclusion, qui constituent l’autre face inévitable du développement et de l’intégration capitalistes ; catastrophes écologiques en cours et à venir qui, loin d’être inévitables, pourraient être entravées, voire jugulées, grâce au développement même de la technique et de la science, mais qui ne le seront pas tant que celles-ci resteront accaparées, pour l’essentiel, par le capital.

2) Du côté des conditions subjectives (autrement dit de la conscience de classe), « l’état, peut-être sans précédent, d’impréparation politico-théorique » dont parle le texte de convocation doit quant à lui être clairement désigné en termes de crise. En effet, la « crise de la direction révolutionnaire », par laquelle Trotsky désignait l’intégration au système impérialiste mondial et à ses États des dirigeants sociaux-démocrates et staliniens du mouvement ouvrier, a d’abord été temporairement résolue pendant plus de trois décennies à travers la collaboration contre-révolutionnaire de l’impérialisme et du stalinisme (ce que l’histoire officielle appelle « équilibre de la terreur », « coexistence pacifique », etc.). La puissance du stalinisme et de la social-démocratie, nourrie par la « prospérité » des « Trente glorieuses », a eu notamment comme conséquence une marginalisation et une impuissance à peu près totale des différentes tendances révolutionnaires anti-staliniennes (trotskystes, mais aussi anarchistes, bordiguistes, conseillistes…), qui ont conduit par contrecoup la plupart d’entre elles à sombrer dans le sectarisme ou l’opportunisme, et souvent dans le révisionnisme. Mais la stabilisation relative du rapport entre les classes entre la fin des années 1940 et la fin des années 1970, si elle a permis de reporter toute solution au problème de la « crise de la direction révolutionnaire », n’était pas viable indéfiniment : le taux de profit n’a cessé de décroître pendant toute cette période.

À partir de la deuxième moitié des 1970, l’offensive du capital contre l’URSS et ses satellites, qui échappaient à son emprise, et contre les acquis sociaux et démocratiques des prolétariats et des peuples, qui limitaient son joug, a redoublé de vigueur et a fini par aboutir à l’effondrement du système soviétique, d’une part, à une réorganisation du processus de production pour casser la combativité ouvrière, d’autre part. Or cela s’est naturellement accompagné d’une nouvelle phase de la collaboration de classe social-démocrate et « stalinienne » (ou stalinienne-reconvertie) à travers l’accompagnement des contre-réformes, faisant resurgir dans toute son actualité dramatique et portant à son apogée la « crise de la direction du prolétariat ». En effet, l’accompagnement, voire la mise en œuvre directe des contre-réformes par les ci-devant réformistes n’est en fait que l’aboutissement logique, quoique contradictoire et en dernière analyse suicidaire, du réformisme traditionnel, puisque celui-ci n’est pas définition que l’accompagnement social du capitalisme. De fait, l’offensive du capital mondial s’appuyant sur les réformistes de tout poil a permis l’augmentation du taux d’exploitation (augmentation de la productivité et de l’intensité du travail, voire de sa durée dans bien des pays dits en voie de développement et désormais dans certains pays développés), l’extension des marchés et l’exacerbation de la concurrence entre les trusts, engendrant un rétablissement du taux de profit, qui ne cesse de progresser depuis la fin des années 1970 (3) Dès lors, la « crise de la direction révolutionnaire » s’est mutée en crise de décomposition du mouvement ouvrier traditionnel lui-même et par conséquent en crise de la conscience de classe organisée la plus élémentaire : effondrement des effectifs syndicaux et militants, abandon des références formelles au socialisme et à la lutte de classe, soumission idéologique de plus en plus explicite à l’État bourgeois « démocratique », recul des solidarités de classe les plus vitales, etc.

II. Sur les perspectives

Face à cette situation, la tentation est grande d’en revenir à une conception de l’auto-émancipation du prolétariat en termes spontanéistes, c’est-à-dire infra-marxistes. C’est cette tentation que nous semblent exprimer le texte de convocation et, plus généralement, les contributions à la discussion déjà parues. La profession de foi en faveur de l’ « auto-activité » des prolétaires et des opprimés (qui est un fait et n’a jamais cessé de l’être, quel que soit le rôle contre-révolutionnaire efficace des appareils), l’insistance sur le fait que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et l’exigence de la « démocratie » (4) sont absolument nécessaires, après un XXe siècle dont les révolutions et les mouvements populaires ont été dominés par les bureaucraties social-démocrates, staliniennes et nationalistes petites-bourgeoises ; aucune démarche politique visant à faire revivre la perspective communiste ne doit sous-estimer ces principes. Pour autant, ils ne sauraient suffire, et les tentations d’y réduire l’apport décisif de la Première Internationale font fi de la profonde fécondation marxiste de celle-ci. De fait, l’indépendance de classe et la démocratie ouvrière sont les principes de base communs aux différentes tendances du mouvement ouvrier d’avant sa bureaucratisation/intégration ; mais, d’un point de vue marxiste, ces conditions nécessaires de l’auto-émancipation ne sont pas suffisantes. Or le combat pour un marxisme vivant et agissant est d’autant plus nécessaire aujourd’hui qu’il s’agit d’affronter une hégémonie bourgeoise triomphante, qui contamine les moindres recoins de la société et l’ensemble des relations humaines.

1) Tout le problème se concentre sur celui de la médiation révolutionnaire : nécessité de la « dictature du prolétariat » (que nous formulons pour notre part comme « gouvernement révolutionnaire des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs ») ; nécessité subséquente du parti révolutionnaire organisé pour aider les masses auto-organisées à prendre le pouvoir et à l’exercer. De ce point de vue, la nécessaire discussion entre communistes authentiques ne pourra faire l’impasse, en particulier, sur la manière dont Marx et Engels ont posé le problème, sur le bolchevisme et sur la Révolution russe de 1917 à la défaite de l’Opposition de gauche. C’est pourtant ce que semblent tentés de faire, par leur silence même sur ces points, les groupes qui ont pris l’initiative de la rencontre des 14-15 janvier. Or il ne s’agit pas de problèmes académiques ou purement historiques, mais tout au contraire des questions les plus « spontanées » que soulèvent les discussions avec les travailleurs et les jeunes dès qu’elles en arrivent à la perspective du communisme. Autant il serait déraisonnable de faire des différentes réponses possibles à ces questions des entraves à la discussion et à l’action communes, autant il n’est ni cohérent, ni réaliste, de prétendre les éviter dans le cadre d’une démarche qui vise précisément à revivifier le combat politique pour le communisme. En particulier, peut-on faire vivre concrètement la perspective communiste sans tracer l’objectif de la prise du pouvoir par le prolétariat auto-organisé, de la destruction de l’État bourgeois et de la construction d’États prolétariens réellement démocratiques, prenant la forme de Républiques des conseils fédérées au niveau international ? Corrélativement, peut-on concevoir une telle prise du pouvoir sans l’édification d’un parti communiste, révolutionnaire et internationaliste ? Sans sombrer dans le vain mimétisme formel d’un quelconque « modèle » idéalisé, et tout en partant de la réalité incontournable d’une dispersion immense des militants et groupes communistes révolutionnaires à l’heure actuelle, comment construire concrètement un tel parti en en faisant un instrument à la fois démocratique et apte à la lutte de classe ? Comment construire un parti intimement lié aux masses et capable de nourrir leur combat par une élaboration théorico-politique et des propositions pratiques se nourrissant elles-mêmes dialectiquement de leurs expériences historiques et les leçons politiques à tirer des mouvements révolutionnaires du passé et du présent ? (5)

2) En second lieu, et quelle que soit la réponse apportée à la question précédente, le problème fondamentale de la médiation communiste révolutionnaire se pose au minimum sous la forme immédiate suivante : le combat à mener peut-il être « théorico-politique » sans être en même temps, et indissociablement, organisé ? Or, tout en constatant à juste titre « une césure malheureuse (qui) tend à se perpétuer entre des débats et des élaborations "académiques" dignes d’intérêt et les préoccupations prioritaires des forces politiques se définissant et se voulant comme anti-capitalistes », les groupes initiateurs limitent expressément leur ambition à l’union de « leurs forces pour mener ensemble un travail de recherche et de débat dont le socle sera surtout théorico-politique ». Mais suffit-il d’accoler « théorique » et « politique » pour surmonter la « césure » dont il est question entre l’ « académique » et les « préoccupations prioritaires des forces politiques » ? En essayant de se placer d’un point de vue matérialiste-historique, il nous semble qu’aucune élaboration intellectuelle ne pourra contribuer à l’auto-émancipation si elle ne s’incarne pas dans une participation pratique aux luttes les plus immédiates des prolétaires et des opprimés et dans une intervention quotidienne parmi eux. Or l’une et l’autre supposent, sous une forme ou sous une autre, un regroupement organisé des militants et des groupes communistes, capable de faire vivre un programme politique qui ne se réduise pas à son préambule principiel, c’est-à-dire à la perspective du communisme et au principe de l’auto-émancipation. De ce point de vue, et si l’on ne veut pas retomber non plus, à l’inverse, dans la limitation du combat pratique à la défense des acquis, si l’on veut au contraire aider l’auto-activité du prolétariat défendant ses acquis et combattant pour faire avancer ses revendications par la lutte de classe, y a-t-il une autre solution que celle consistant à élaborer un nouveau « programme de transition » adapté à la situation présente, dont l’axe soit celui du gouvernement des travailleurs par et pour eux-mêmes ? Un tel programme se déploierait en mettant concrètement en évidence la logique même des revendications immédiates, leur caractère fondamentalement anti-capitaliste et, par conséquent, la nécessité du combat communiste pour leur satisfaction pleine et entière. Sans un tel programme et son vecteur organisé, comment aider concrètement le prolétariat à s’unifier, à l’encontre des processus d’éclatement et d’atomisation qu’il subit chaque jour davantage ? Comment aider les travailleurs en lutte à ne pas se laisser « enfermer dans les perspectives nationales (…) sinon purement électoralistes » ? Comment aider les acteurs du mouvement alter- ou anti-mondialiste à rompre avec le réformisme et à faire leur le combat pour le communisme ? Comment rendre « audible », c’est-à-dire concret et vivant, le « débat politique sur la perspective des États-Unis socialistes et démocratiques d’Europe » ?

3) Enfin, nous nous interrogeons sur la signification pratique de la dénonciation des « appareils syndicaux » qui, écrivent à juste titre les collectifs initiateurs de la réunion, « refusent d’appuyer la construction d’un mouvement d’ensemble d’opposition au gouvernement et au patronat ainsi qu’à ces diverses institutions très présentes sur la scène sociale et politique » et « cherchent à isoler les luttes au départ les plus combatives et aident ainsi à leur défaite ». Là encore, peut-on se contenter de ces diagnostics — et aller jusqu’à prôner, à juste titre, un « syndicalisme renouvelé » — sans même poser la question des moyens à mettre en œuvre pour combattre les bureaucrates syndicaux ? Peut-on, en particulier, se contenter de dénoncer le « refus d’appuyer la construction d’un mouvement d’ensemble », sans proposer l’objectif unificateur de la grève générale (conçue non comme une fin en soi, mais comme le seul moyen d’inverser le rapport de force entre les classes, ouvrant par là même une situation politique radicalement différente) ? En un mot, comment faire vivre la perspective communiste, comment aider les travailleurs en lutte à s’en saisir concrètement, si elle ne s’incarne pas dans des propositions politiques concrètes contre ceux qui prétendent utopique cette perspective et qui, pour cette raison, prônent l’adaptation au capitalisme ? Pour leur part, les militants du Groupe CRI estiment que l’un des devoirs les plus actuels des communistes, quelles que soient par ailleurs leur appartenance organisationnelle et leur sensibilité théorico-politique, est de militer ensemble dans les syndicats en y constituant une tendance lutte de classe et anti-bureaucratique qui soit à la fois intransigeante contre la collaboration de classe sous toutes ses formes et large quant à sa volonté de rassemblement et à son intervention pratique auprès des travailleurs syndiqués et non syndiqués. C’est pourquoi le lecteur trouvera en fichier joint un projet d’Appel pour une telle tendance, qui sera rendu public quelques jours après la réunion des 14-15 janvier et est proposé à la réflexion et à la signature de tous les militants syndicaux lutte de classe.

En un mot, nous pensons que les collectifs qui ont l’inestimable mérite de convoquer la réunion des 14-15 janvier auraient tort de limiter leur ambition à un programme de travail qui serait essentiellement théorique ou qui s’en tiendrait politiquement à des analyses et propositions trop générales. Car, pour aider à la nécessaire réappropriation du communisme par les prolétaires et les opprimés, il faut aussi, et peut-être même avant tout, aider les militants communistes dispersés en de multiples groupes eux-mêmes multiformes à se réapproprier le sens de la fameuse, mais non moins indispensable, « unité de la théorie et de la pratique ».

(Ce texte a bénéficié des remarques de militants et sympathisants du Groupe CRI.)


1) Pour lire le texte d’appel à cette réunion et les différentes contributions préparatoires de militants, cf. le site http://carre-rouge.org

2) De ce point de vue, si le texte de convocation et certaines contributions parlent encore de « crise du capitalisme », sans préciser ce vocable autrement qu’en termes purement quantitatifs (« exacerbation de ses contradictions et aggravation consécutive de l’oppression des salariés »), nous nous réjouissons du fait que François Chesnais note au contraire pour sa part, dans son texte soumis à la discussion : « Je n’ai pas employé le mot de crise, parce que pour moi il est, par excellence, le genre de mot dont on a abusé. Ayant attendu depuis des années (depuis 1974 ? depuis 1987 ? en 1997-98 ?) la "très grande crise" qui ébranlerait les bases de la domination du capital au point de modifier pratiquement par elle-même les rapports politiques entre la bourgeoisie et les travailleurs en tous les cas de les appeler à l’action, nous serons obligés de réexaminer l’hypothèse, de voir si attendre la crise ce n’est vraiment pas "attendre Godot". »

3) Sur la baisse constante du taux de profit dans les pays de l’OCDE pendant les « Trente glorieuses », puis sa remontée tout aussi constante depuis le milieu des années 1970, cf. les travaux de Gérard Duménil et Dominique Lévy.

4) L’emploi absolu du terme de « démocratie » dans le texte de convocation sous-entend manifestement qu’il n’y a pas de véritable « démocratie bourgeoise » (cette expression est un oxymore). De fait, hormis les indispensables droits démocratiques, d’ailleurs le plus souvent conquis par les soulèvement populaires et la lutte de classe prolétarienne du passé, les États capitalistes « démocratiques » sont avant tout des institutions particulièrement efficaces de la domination bourgeoise, qui permettent mieux que toutes autres l’intégration des exploités et des opprimés et ainsi leur consentement optimal à leurs propres conditions d’existence. Toutefois, contre l’usage du langage courant, le nécessaire effort pour faire revivre une conscience communiste implique sans doute de préciser que la démocratie authentique, celle qui « est la condition même de l’exercice de l’auto-activité par les exploités avant la chute du capitalisme et la seule garantie de succès des formes d’organisations politiques et sociales qui concrétiseraient le communisme », est la démocratie prolétarienne, fondée sur le principe de l’Assemblée générale, de la délégation, du mandat, de la révocabilité, de la limitation des mandats, de la rémunération des élus selon le salaire moyen des prolétaires, etc.

5) Le corrélat du spontanéisme est le relativisme : dans la discussion semble se faire jour également la tentation de renvoyer dos-à-dos l’ensemble des courants politiques du mouvement ouvrier. C’est ainsi qu’Alain Bihr présente leurs clivages comme « caducs » et « relativisés », sous prétexte que « nous sommes entrés dans une nouvelle phase historique de la lutte des classes » suite à la « transnationalisation du capital ». Ce point de vue témoigne d’un objectivisme (ils ont tous tort, puisqu’ils ont tous été vaincus) qui n’a d’égal que sa facilité, dans la mesure où il semble nous dispenser de l’étude historique concrète des situations concrètes et du jugement politique sur les différentes options qui se sont, à chaque fois, présentées. En réalité, les conflits théoriques et politiques entre Marx et Proudhon, entre Marx et Bakounine, entre les marxistes et les lassaliens, entre Luxembourg et Bernstein, entre les bolcheviks et les mencheviks, entre l’Opposition de gauche et la direction du Parti bolchevik dans les années 1920, entre les trotskystes refusant la participation au front populaire en Espagne, d’une part, le POUM et la CNT choisissant d’y entrer, d’autre part, etc., etc., n’appartiennent pas uniquement au passé : sous une forme ou sous une autre, le noyau théorico-politique de ces différents conflits reste et restera d’actualité tant que le capitalisme existera et que, par conséquent, subsistera le clivage fondamental entre les révolutionnaires et les réformistes, ainsi que les clivages dérivés, mais souvent décisifs dans la pratique, entre les différentes orientations stratégiques et tactiques rendues possibles par le cours des événements. Ce dont il faut se débarrasser, c’est du poison bureaucratique qui a si longtemps empêché le libre débat entre les différentes tendances du mouvement ouvrier, et de son corrélat, le sectarisme, qui a longtemps étouffé toute véritable autocritique. D’autre part, il est urgent de travailler au regroupement des communistes révolutionnaires, sous des formes qui dépendront du niveau de leurs accords et désaccords. Pour autant, il est extrêmement naïf de croire qu’on puisse faire revivre la perspective communiste en « faisant du passé table rase » dans l’ordre de la théorie et de l’histoire, et notamment en ne prenant pas position sur les différents événements historiques, analyses et orientations qui ont conduit aux grandes scissions (et parfois aux fusions) au sein du mouvement ouvrier. Il faut au contraire que tous les militants révolutionnaires, et notamment les jeunes, s’approprient ces débats du passé, non pour les ressasser, évidemment, ni pour les utiliser de façon sectaire comme prétextes contre les possibilités de regroupements actuelles, mais pour nourrir les analyses et les orientations du présent… et de l’avenir.