Article du CRI des Travailleurs n°19

À bas la dette impérialiste qui écrase les pays dominés !

Lors du dernier sommet du G8 de juillet 2005, les dirigeants des principaux pays impérialistes ont annoncé officiellement une décision prise lors de la réunion des ministres des finances de ces mêmes pays le 11 juin, et qualifiée d’historique : une annulation de la dette des pays les plus pauvres. Qu’en est-il exactement ?

Les dirigeants du G8 se sont engagés à l’annulation totale de la dette multilatérale de 18 pays pauvres très endettés (PPTE) (1) envers la Banque mondiale, le Fonds Monétaire Internationale (FMI) et la Banque Africaine de Développement (BAD) (2). Neuf autres PPTE (3) devraient bénéficier de cette annulation dans les 18 prochains mois.

La première chose à noter est que cette mesure, malgré son ampleur apparente, est en fait marginale. Les seuls pays concernés sont en effet ceux dont la situation économique et l’endettement sont tellement catastrophiques qu’ils sont de toute manière quasiment en situation d’insolvabilité (les experts des organismes prêteurs parlent de « dette non économiquement viable » quand les rapports dette/exportations et dette/revenu deviennent trop énormes). Ce sont donc 40 milliards de dollars qui sont en jeu, ce qui est bien sûr énorme pour les pays en question, mais ne représente qu’une petite partie des 450 milliards de dollars « dus » par l’ensemble des pays pauvres aux organismes multilatéraux (Banque mondiale, FMI, BAD…), et encore plus infime en comparaison de la dette totale de 2550 milliards de dollars, quand on ajoute à la dette multilatérale la dette bilatérale (due aux autres États) et la dette privée (due aux banques privées (4)). Il faut aussi noter que les pays concernés sont précisément ceux qui ont déjà « bénéficié » de l’ « initiative PPTE », qui consistait en une prétendue réduction de la dette bilatérale des pays dont la dette était jugée insoutenable. En fait, il ne s’agissait pas d’une réduction, même partielle, du stock de la dette, mais d’une aide quant au service de la dette (dons pour financer le service annuel de la dette ou remise d’intérêts). De plus, cette aide avait pour condition toute une série de réformes et de restructurations de l’économie dans les pays en question, dont le contenu était invariablement catastrophique pour les populations, mais très bénéfiques pour les entreprises impérialistes (privatisations, libéralisation de l’économie, réductions des budgets de la santé et de l’éducation entraînant une augmentation des frais pour les usagers…). Au final, tout comme la période d’application des Programmes d’Ajustement Structurel du FMI a été la période où les pays pauvres se sont le plus endettés, les 27 pays « bénéficiaires » de l’initiative PPTE ont vu le service annuel de leur dette augmenter de 2003 à 2005.

L’autre infamie quant à cette décision du G8 est l’extrême lenteur de son application. Cette annulation du stock de la dette doit en effet prendre la forme d’une annulation année après année sur une durée de 40 ans ! L’ « effort » prévu de la part des prêteurs (les organismes multilatéraux, remboursés par des cotisations additionnelles de leurs États membres) ne s’élève donc qu’à 1,4 milliard de dollars annuels (que l’on peut comparer par exemple aux 700 milliards de dollars de budget militaire annuel pour les pays du G8). Cette lenteur du processus, et ce processus d’annulation lui-même, vont permettre aux impérialistes de garder sous leur coupe les économies des pays les plus pauvres, ce qui a été la fonction principale de la dette ces dernières décennies. En effet, chaque dollar d’aide annulé sera compensé par une diminution d’un dollar de l’aide versée au pays en question (mais continuera à apparaître dans les statistiques de l’aide au développement des généreux pays impérialistes, pour faire bonne figure). Cette aide ne sera ensuite reversée au pays pauvre que s’il remplit certaines conditions, censées garantir la lutte contre la pauvreté, mais dont on connaît en réalité le contenu favorable aux impérialistes. Dans le cas contraire (et même si une aide est versée, étant donné le poids du service de la dette toujours considérable pendant 40 ans), la spirale de l’endettement reprendra de plus belle.

Et les organisations ouvrières ?

Afin de propager l’idée que les dirigeants impérialistes se soucient, même de manière insuffisante, du sort des populations des pays pauvres, ceux-ci ont besoin de la participation d’organisations qui, tout en étant critique vis-à-vis des décisions du G8, lui reconnaissent une légitimité et font comme s’il avait objectif de réduire la pauvreté. C’est le cas des nombreuses Organisations Non Gouvernementales, d’obédience religieuse ou non, qui reprennent à leur compte le mythe des Objectifs de Développements du Millénaire (ODM) de l’ONU, liste de vœux pieux édictée en 2000 dans le but officiel de réduire la pauvreté d’ici 2015, et qui regrettent que la récente décision du G8 sera insuffisante pour atteindre ces objectifs, comme si l’on pouvait s’attendre au contraire. Malheureusement, des organisations syndicales, censées représenter les intérêts des travailleurs, s’intègrent elles aussi à cette mascarade, et font valoir qu’elles sont des partenaires incontournables pour réduire la pauvreté, côte à côte avec les rapaces impérialistes. C’est le sens de la déclaration faite en juillet 2005 par la Commission Syndicale Consultative (CSC) auprès de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économiques (OCDE), et préparée en collaboration avec diverses bureaucraties syndicales (la Confédération Internationale des Syndicats Libres, la Confédération Mondiale du Travail, la Confédération Européenne des Syndicats et les Fédérations Syndicales Internationales). Ainsi, ces syndicats « saluent le choix des dirigeants du G8 de concentrer le Sommet de Gleneagles sur deux priorités : accélérer le développement, particulièrement en Afrique, et faire face au changement climatique ». Le président de la centrale syndicale américaine AFL-CIO, qui se trouve aussi à la tête de la CSC, affirme même explicitement : « Nous soutenons l’action du G8 de réduction de la dette et d’augmentation de l’aide et nous sommes encouragés par le fait que le Premier Ministre Blair reconnaisse que nous devrions prendre part à la solution face aux problèmes de chômage de masse, de pauvreté et de changements climatiques. » (Communiqué de la CSC, 28 juin 2005.)

Les bureaucraties syndicales des pays impérialistes se font fort d’avoir noué des relations avec les syndicats des pays dominés (ce qui est la moindre des choses), mais au lieu de mener une lutte de classe indépendante de leur propre impérialisme, ils reconnaissent la légitimité de sa domination. Ainsi la déclaration de la CSC se montre-t-elle certes critique envers les conditions économiques avancées par le G8 pour que les pays pauvres voient leur dette allégée ; mais, alors que la seule exigence à avancer est l’annulation inconditionnelle de la dette, elle demande aux dirigeants du G8 d’annuler la dette des pays qui s’engagent à lutter contre la pauvreté. Au prétexte que les dictatures fleurissent en Afrique (au service, en fait, des grandes puissances), les dirigeants impérialistes auraient le droit de classer les bons et les mauvais élèves avant de faire preuve de leur générosité. On reconnaît ainsi au gouvernement français, par exemple, non seulement le droit de soutenir la dictature d’Eyadéma au Togo, mais encore celui de dire si ce pays a le droit de voir sa dette allégée !

Dans nos organisations ouvrières, il faut au contraire expliquer que nos bourgeoisies impérialistes n’ont pas deux faces, avec d’un côté des attaques contre les travailleurs à l’intérieur et de l’autre une prétendue générosité envers les pays pauvres. Les dirigeants impérialistes sont l’arme politique de la bourgeoisie, à l’intérieur comme à l’extérieur ; les classes ouvrières des pays impérialistes doivent être en première ligne du combat contre l’exploitation des pays dominés  par « leur » bourgeoisie, sous le mot d’ordre :

Annulation de la dette des pays pauvres, totale et inconditionnelle !

Dans les pays dominés, le remboursement de la dette marque l’acceptation de la domination impérialiste. Cela ne semble pourtant pas évident pour certains, même lorsqu’ils se réclament du communisme révolutionnaire. Ainsi, dans le numéro du 5 juillet 2005 de Pouvoir au travailleurs, l’organe de l’Union Africaine des Travailleurs Communistes Internationalistes (UATCI), l’organisation sœur de Lutte Ouvrière en Afrique, on trouve cette banalité : « Ce n’est pas la dette des pays pauvres qui est responsable de la misère mais le capitalisme. » Le but de ce slogan est, selon l’article en question, de s’opposer à la petite bourgeoisie africaine qui explique que l’Afrique ne peut pas se développer tant que les pays riches n’auront pas annulé cette dette. Mais une chose est de dire que l’annulation de la dette ne suffira pas au développement des pays pauvres, dans la mesure où celui-ci suppose en dernière analyse la révolution et le socialisme ; autre chose est de faire croire que le mot d’ordre de refus de la dette serait en lui-même petit-bourgeois, comme le suggère l’UATCI. En fait, cette dernière position est celle d’un gauchisme incapable de comprendre la nécessité des mots d’ordre transitoires pour la mobilisation des masses.

De ce point de vue, l’alliance des organisations ouvrières avec toutes les forces qui se prononcent pour le refus de payer la dette est non seulement permise, mais c’est même une nécessité tactique impérieuse : il est indispensable, dans les pays victimes de la dette, de se battre pour un front unique anti-impérialiste, sur l’axe central suivant :

Non à la domination impérialiste, refus de payer la dette !

Les communistes révolutionnaires d’Afrique, comme de tous les autres continents, n’ont pas d’illusions à nourrir en ce qui concerne les fractions nationalistes de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, dont ils combattent le programme politique et dont ils dénoncent l’incapacité à aller jusqu’au bout de la rupture avec l’impérialisme, car cela implique le socialisme. Cependant, dans tous les pays dominés, ce serait criminel de ne pas lutter pour un front commun contre les puissances impérialistes, car les masses populaires, majoritairement non prolétariennes le plus souvent, font souvent confiance aux organisations nationalistes, qu’il faut donc contraindre à lutter réellement contre l’impérialisme, sous peine d’être démasquées. En même temps, les communistes révolutionnaires doivent bien évidemment aider les ouvriers et des masses pauvres à s’organiser en toute indépendance, à la fois dans les syndicats et dans un parti communiste révolutionnaire.


1) Bénin, Bolivie, Burkina-Faso, Éthiopie, Ghana, Guyane, Honduras, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mozambique, Nicaragua, Niger, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Tanzanie et Zambie.

2) Cette décision doit être confirmée au cours du mois de septembre par les instances de ces organismes, de toute façon dominées par les pays du G8.

3) Cameroun, République Démocratique du Congo, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Malawi, Sao Tomé et Principe, Sierra Léone et Tchad.

4) Les pays concernés par la décision du G8 ont en général une dette privée négligeable : leur insolvabilité fait qu’ils n’ont pas accès à ce marché de crédits. Ce n’est pas le cas des pays dont la situation est (ou a été) à peine moins dramatique (comme le Côte d’Ivoire, où la dette privée représente 35 % de la dette totale), qui ont accès au crédit privé, mais à des taux très désavantageux.