Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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Sur un éditorial d'Informations Ouvrières (n°487)

Extrait d'un éditorial de Daniel Gluckstein

Trois socialistes très à gauche

A en croire la presse, " la Gauche socialiste se sent dans le vent " (Libération, 14 mai). Il serait plus exact d’écrire : " les médias lui soufflent dans les voiles ". Mais les médias agissent rarement de façon désintéressée. Essayons donc de comprendre ce qui vaut à ladite " Gauche socialiste " une telle percée médiatique.

Jean-Luc Mélenchon est l’un de ces éminents " socialistes ", et ministre de surcroît. Evoquant la formation marxiste qui fut la sienne dans sa jeunesse, il n’a pas hésité, visitant le lycée de Mouchard, dans le Jura, à se référer à Marx, pour déclarer : " Le travail est une marchandise qui a une valeur d’usage et une valeur d’échange. Notre rôle est d'élever sans cesse sa valeur d’usage et de protéger sa valeur d’échange, c’est-à-dire la valeur nationale de ses diplômes ". (Les Dépêches-Le Progrés, 5 mai).

Hélas, hélas ! Les suaves parfums des cabinets ministériels ont un peu tourné la tête au ministre ex-marxiste, au point qu’il dise … le contraire de ce qu’il croit dire. Reprenons. Quelle est la " valeur d’usage " de la marchandise force de travail ? C’est l’utilité qu’elle représente aux yeux du patron qui la consomme. Que fait le patron avec la force de travail ? Il l’exploite (en extorquant la plus-value). Augmenter la valeur d’usage signifie : augmenter l’exploitation de l’ouvrier (extorquer de la plus-value). Ce que les patrons font avec l’aide du gouvernement, dont les mesures permettent d’exploiter davantage la force de travail (avec la loi Aubry, les emplois précaires, les exonérations sociales, la restauration du travail des enfants, le travail de nuit des femmes dans l’industrie…). M. Mélenchon prend sa part dans cette œuvre de surexploitation … car les diplômes dont il prétend garantir le caractère national, il ne fait en réalité que les démanteler (lire page 14).Quant à la valeur d’échange de la force de travail (représentée par le salaire), il faut avoir le toupet d’un " ministre pluriel " pour prétendre que le gouvernement la protège !

Informations ouvrières, n°487, semaine du 16 au 22 mai 2002.


Paris, le 21 mai 2001

Wolfgang

militant trotskyste

du Parti des Travailleurs,

lecteur d'Informations ouvrières

 

au camarade Daniel Gluckstein,

directeur politique et éditorialiste d'Informations ouvrières

Cher camarade,

Il me semble que ta réponse aux propos du ministre Mélenchon dans l'éditorial du dernier IO est inexacte d'un point de vue théorique.

Tout d'abord, je ne vois pas pourquoi tu reconnais dans les paroles du ministre de l'enseignement professionnel une quelconque référence marxiste. En effet, il n'y a rien de marxiste dans les phrases que tu cites : l'idée selon laquelle le travail serait une marchandise appartient à l'économie politique classique, et non à Marx. La découverte de celui-ci consista au contraire à comprendre que ce n'est pas le travail, mais la force de travail, qui est une marchandise. Or ce n'est pas un détail : c'est une véritable révolution théorique, fondement, en particulier, de la théorie marxienne de la plus-value. Quant aux mots de "valeur d'usage" et de "valeur d'échange", ils ne sont nullement propres à Marx : on les trouve déjà chez Smith et chez bien d'autres économistes non marxistes.

En second lieu, je ne vois pas pourquoi tu écris que "la valeur d'usage de la marchandise force de travail" est "l'utilité qu'elle représente aux yeux du patron qui la consomme". Cette expression manque de rigueur et peut prêter à confusion : elle signifie que la valeur d'usage de la force de travail serait l'objet d'une représentation subjective, et même d'une représentation subjective propre au capitaliste. Or, ce n'est nullement le cas. Tout au contraire, la valeur d'usage de la force de travail est, fondamentalement, une réalité objective commune à tous les modes de production : c'est la capacité de l'homme de s'approprier et de produire des choses qui lui sont utiles. À cette détermination générale s'ajoute, dans le cas du mode de production capitaliste, la capacité tout aussi objective de la force de travail, alors déterminée comme marchandise, de créer de la plus-value, principe déterminant de ce procès de production particulier.

Troisièmement et surtout, tu reprends à ton compte l'expression employée par Jean-Luc Mélenchon, qui parle d'une "augmentation de la valeur d'usage de la force de travail" et tu prétends qu'elle signifierait une augmentation de l'exploitation. Or, en réalité, cette expression ne veut rigoureusement rien dire : par définition, la valeur d'usage d'une marchandise est sa détermination qualitative. Quand on parle de la valeur d'usage de la force de travail, on parle de sa qualification au sens le plus large du terme, c'est-à-dire de sa capacité productive, qui n'est commetelle susceptible que d'une amélioration ou d'une détérioration qualitative. La seule dimension quantitative dont on puisse parler en l'occurrence concerne l'augmentation ou la diminution non pas de la valeur d'usage, mais du nombre des valeurs d'usage de la force de travail (toute chose utile ayant ou pouvant avoir plusieurs valeurs d'usages historiquement découvertes par les hommes). En effet, la force de travail a ou peut avoir plusieurs valeurs d'usage : dans un sens général, la capacité productive de la force de travail désigne la richesse de ses potentialités productives, matérielles et spirituelles ; dans le mode de production capitaliste en particulier, les qualifications se réduisent à telles ou telles fonctions plus ou moins bornées utilisées pour la formation de plus-value, dans le cadre de la division du travail imposée par le capital. — Or c'est précisément, sans l'ombre d'un doute, de cela qu'a voulu parler le ministre : il prétend souhaiter à la fois améliorer et diversifier la qualification de la force de travail dans le cadre de la division capitaliste du travail. Il me semble qu'il était parfaitement inutile de le reprendre sur ce point — la tâche de démontrer le caractère mensonger de ses propos se suffisant largement à elle-même.

Mais ton affirmation selon laquelle "augmenter la valeur d'usage signifie : augmenter l'exploitation de l'ouvrier (extorquer plus de plus-value)" ne manque pas seulement de rigueur d'un point de vue conceptuel ; qui plus est, au moment même où tu prétends corriger le vocabulaire de Jean-Luc Mélenchon, tu me sembles susciter en réalité une confusion théorique et terminologique qui ne fait qu'aggraver la sienne, confondant en particulier les concepts de valeur d'usage et de valeur, dont la distinction systématique est pourtant le point de départ de la théorie marxiste.

En effet, l'exploitation capitaliste de la force de travail consiste à augmenter la part de surtravail gratuit par rapport à celle du travail payé : ce concept concerne donc la capacité de la force de travail à créer plus de valeur qu'elle n'en a elle-même. Elle ne concerne pas directement la valeur d'usage de la force de travail en tant que capacité de produire des choses utiles : il peut très bien arriver que l'augmentation du taux de plus-value ne soit déterminé par aucun changement dans la détermination qualitative de la force de travail, c'est-à-dire aussi bien dans ses capacités productives en général que dans sa productivité en particulier ; c'est là précisément le principe de la plus-value absolue (soumission formelle au capital) qui, selon Marx, reste la base du mode de production capitaliste même après que la plus-value relative est devenue son principe déterminant. Mais même l'usage spécifiquement capitaliste de la force de travail, c'est-à-dire son usage fondé sur la transformation incessante de sa qualification, imposée par le capital pour produire de la plus-value relative (soumission réelle), ne se confond nullement avec une prétendue "augmentation de la valeur d'usage" de la force de travail. Non seulement, en effet, l'intensification du travail en particulier (comme la prolongation excessive de la journée de travail), en accroissant l'usage de la force de travail dans un même temps, entraîne souvent par là même l'accélération de son usure, c'est-à-dire sa détérioration qualitative et la diminution de ses capacités productives. Mais encore, le concept même de plus-value relative en général implique que tout changement imposé par le capital (ou le gouvernement à son service) à la qualification de la force de travail, est déterminé par la nécessité d'augmenter le taux de plus-value en développant la productivité du travail (accroissement du nombre de marchandises produites en un temps donné), ce qui a en général pour conséquence, précisément, un appauvrissement qualitatif de la valeur d'usage de la force de travail, un amoindrissement de ses capacités productives(spécialisation hypertrophiante d'une capacité bornée, déqualification...).

Quant au reste, je suis d'accord avec l'analyse faite par IO des mesures prises par Mélenchon et Lang pour détruire les diplômes nationaux tout en prétendant le contraire : en effet, Mélenchon veut développer la productivité du travail pour extorquer plus de plus-value relative, c'est-à-dire qu'il veut appauvrir la valeur d'usage de la force de travail en liquidant l'enseignement professionnel, conquête ouvrière qui, quoique considérablement détérioriée, permet encore de délivrer aux futurs travailleurs une véritable instruction générale, technologique et pratique, donc une force de travail relativement riche et diversifée par rapport à ce que voudraient en faire les capitalistes ; en même temps, et par là même, Mélenchon veut diminuer la valeur d'échange de la force de travail en faisant sauter la reconnaissance juridico-politique des qualifications comme principes de droits collectifs.

(…)

En te remerciant de ton attention, je te prie de croire, cher camarade en mes salutations révolutionnaires.

Wolfgang