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Catastrophe en Asie du Sud-Est :
Le capitalisme tue encore bien plus que le tsunami


Auteur(s) :Nina Pradier
Date :15 janvier 2005
Mot(s)-clé(s) :société
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Le nombre de morts exact causé par le tsunami du 26 décembre en Asie du Sud-Est ne sera jamais connu, selon l’ONU elle-même. À l’heure où nous bouclons ce journal, il s’élève déjà à près de 160 000 officiellement, mais en fait beaucoup plus, le recensement de ces populations pauvres n’ayant rien de précis et systématique, même en temps normal. Il y a en outre plusieurs centaines de milliers de mutilés et de blessés, et des millions de personnes déplacées, qui ont tout perdu et se retrouvent généralement sans abri. Mais à ces victimes directes du raz-de-marée s’ajoutent maintenant, jour après jour, toutes celles qui meurent de la gangrène, des épidémies et du manque d’eau potable, ainsi que celles qui succomberont à l’aggravation de leur misère dans la prochaine période, quels que soient les efforts des associations humanitaires.

Une grande partie des victimes aurait pu être sauvée

Or une grande partie des victimes aurait pu être sauvée. Le séisme qui a eu lieu était évidemment inévitable et imprévisible, dans l’état actuel de la science ; mais il n’a fait par lui-même que très peu de victimes, car il a eu lieu en mer. Par contre, le tsunami qui s’en est suivi était prévisible, et il a en effet été anticipé par les sismologues et océanographes. Mais ces pays pauvres de l’océan Indien, étranglés par la « dette » que leur imposent les puissances impérialistes, et dirigés par des États bourgeois qui ne sont que les marionnettes de celles-ci, ne disposent pas de système d’alerte et de plan d’évacuation des populations. Pourtant, un tel système d’alerte existe depuis 1948 dans l’océan Pacifique, protégeant 26 pays, dont les États-Unis et le Japon, grâce à cinquante stations d’observation, dont les informations sismiques, marégraphiques et océanographiques sont centralisées et traitées à l’observatoire de Honolulu, sur l’île américaine d’Hawaï. De même, il existe des plans d’évacuation dans plusieurs pays développés du Pacifique : dans l’archipel nippon, en particulier, il y a tout un arsenal de technologies hyper-sophistiquées d’alerte automatique et un plan extrêmement précis d’évacuation des populations, qui repose sur la radio, la télévision, des sirènes et des hauts-parleurs, permettant de diffuser l’alerte en quelques minutes sur toute la côte concernée par le risque d’un tsunami, jusqu’aux plus petits villages ; des exercices annuels d’entraînement aux techniques de l’évacuation massive et rapide complètent ce dispositif extrêmement efficace.

L’absence de système d’alerte et d’évacuation explique en grande partie l’ampleur du bilan

Le 26 décembre, le tsunami avait donc été prévu une vingtaine de minutes à peine après le séisme, mais l’alerte n’a pas été donnée aux populations. Selon Jeff La Douce, qui travaille pour la NOAA, agence américaine d’océanographie, « un bulletin a été prêt en 20 minutes et des coups de téléphone ont été donnés en hâte aux pays de la zone menacée, sans doute moins rapidement que s’il y avait eu un système d’alarme établi à l’avance pour ces pays. Mais la NOAA ne savait pas qui contacter dans les pays. » Selon un autre employé de la NOAA, « nous avons immédiatement informé la base navale américaine de Diego Garcia, qui a peu souffert de dégâts résultant du tsunami » (témoignages recueillis par le Journal de Baltimore du 29 décembre, cité dans Informations ouvrières n° 673 du 6 janvier). Or, entre le séisme et le déferlement des vagues gigantesques qui ont ravagé les côtes de l’Inde, du Sri Lanka, de la Thaïlande et de la Birmanie, pour ne pas parler des côtes africaines, il s’est écoulé plusieurs heures, temps qui aurait suffi pour alerter et évacuer les populations, si un système analogue à celui de l’océan Pacifique avait existé, comme le recommandaient depuis des années les sismologues et océanographes (y compris ceux de la Commission océanographique internationale, qui dépend de l’ONU). Même les côtes de Malaisie et certaines des côtes indonésiennes qui ne sont pas à proximité immédiate de l’île de Sumatra (au large de laquelle le séisme s’est produit) auraient pu être évacuées quelques dizaines de minutes après le séisme, si un système avait existé. Bref, comme l’écrit le Journal du dimanche du 2 janvier, « si l’alerte avait pu être donnée avec seulement quinze minutes d’avance sur le tsunami, des milliers de vies auraient pu être sauvées ».

Simplement, ni les puissances impérialistes, ni les gouvernements des pays concernés, n’ont voulu dépenser les quelques millions d’euros nécessaires à l’installation d’un tel système. Le Figaro du 29 décembre nous apprend en particulier que « la mise en place de deux capteurs dans l’océan indien (il s’agit d’engins dont dispose, par exemple, l’agence météorologique japonaise, et qui sont capables de prévoir des tsunamis quelques minutes seulement après une secousse sismique et de diffuser aussitôt des bulletins d’alerte) avait été envisagée il y a quelque temps par les chercheurs du Pacific Marine Environmental Laboratory, basé à Seattle et dépendant de la NOAA. Mais, faute des financements requis, le projet n’a pu être mené à bien (chaque appareil coûte environ 250 000 dollars pièces). » 500 000 dollars, somme dérisoire qu’il faut comparer aux trois milliards d’euros que vont coûter à l’État français les avions de combat qu’il vient de commander ou encore aux quatre-vingts milliards de dollars supplémentaires que le gouvernement américain s’apprête à demander au Congrès pour poursuivre la guerre en Irak…

Si l’on ajoute à ce refus criminel de mettre en place un système d’alerte et d’évacuation des populations, le sous-développement des infrastructures, qui a retardé l’arrivée des secours, et la fragilité des baraquements dans lesquels vivent les habitants des côtes à proximité des hôtels de tourisme luxueux, et qui se sont souvent effondrés sur leurs habitants, il devient évident que ce n’est pas la fatalité, mais bien la logique du système capitaliste, qui explique l’ampleur du bilan humain de cette catastrophe naturelle.

Mais le capitalisme ne porte pas seule­ment la responsabilité d’une grande partie du désastre humain : il en profite aussi pleinement.

Les multinationales profitent de la catastrophe

Ainsi le groupe Leclerc ose-t-il profiter de l’occasion pour attirer de nouveaux clients en leur promettant qu’un euro par passage en caisse sera versé aux sinistrés. Les trois opérateurs français de téléphonie mobile (France Telecom-Orange, Bouygues et SFR) exploitent eux aussi l’émotion populaire en réalisant le tour de force de se faire passer pour des champions de la générosité… sans débourser un centime ! En effet, l’opération « SMS pour l’Asie » est une véritable arnaque médiatique, puisqu’elle consiste à faire payer les prétendus « dons » par les consommateurs, sans que les entreprises touchent le moins du monde à leur propres réserves financières. De même, les citoyens et notamment les travailleurs donnent de l’argent pour que les organisations humanitaires puissent acheter des médicaments indispensables aux populations sinistrées… mais cela profite d’abord aux trusts pharmaceu­tiques, qui n’ont pas décidé de fabriquer et d’offrir gratuitement ces médicaments, refusant de perdre de l’argent, même en ces circonstances tragiques. De leur côté, les compa­gnies d’assurance n’auront que peu d’argent à débourser, car l’immense majorité des victimes et des biens sinistrés n’étaient pas assurés, en raison de la pauvreté des régions touchées. Et bien sûr, les entreprises du bâtiment se frottent les mains : de juteux marchés s’ouvrent sur les zones côtières, d’autant plus que des investissements importants vont être engagés, pour faire revenir rapidement les touristes fortunés. C’est certaine­ment l’une des raisons pour lesquelles les Bourses des pays sinistrés, à commencer par celle de Djakarta, ont continué de voir leurs indices financiers progresser depuis le drame !

Même les tours-opérateurs et les multinationales du tourisme n’ont pas hésité à reprendre au bout de quelques jours à peine leur campagne de ventes pour faire repartir leurs profits en Asie du Sud-Est, en demandant aux touristes de ne pas déserter leurs hôtels et leurs clubs de vacances… dans l’intérêt des populations locales ! René-Marc Chili, président de l’Association des tours-opérateurs, a ainsi osé déclarer dans France-Soir (04/01) : « Il n’y a pas de meilleur moyen d’aider les habitants de cette région que d’aller passer ses vacances là-bas. C’est plus utile que les dons humanitaires. Un Thaïlandais qui travaille nourrit et fait vivre une famille entière. » En fait, les travail­leurs asiatiques sous-payés et surexploités des hôtels Accor et autres engraissent avant tout les actionnai­res ; et l’hypertrophie de l’industrie du tourisme dans ces pays est en réalité l’un des aspects et l’une des causes à la fois de leur pillage par les impéria­listes et du maintien dans le sous-développement des autres secteurs de leur économie. Contre les larmes de crocodile et le cynisme des tour-opérateurs, les organisations ouvrières doivent exiger la réquisition immé­diate, sans conditions ni indemnités, des hôtels et clubs de vacances des multinationales du tourisme, pour loger les populations qui ont perdu leur toit.

Quant aux entreprises de médias, elles ont profité du drame pour augmenter leurs bénéfices dans des proportions considérables, en rivalisant d’images spectaculaires et de reportages tragiques : pour exploiter à fond le tsunami et vendre ainsi le maximum de papier ou de minutes publicitaires, les médias bourgeois ont réussi à le garder en « une » pendant une dizaine de jours, n’hésitant pas, au bout de trois ou quatre jours, à relancer leurs ventes en titrant de manière chauvine sur les quelques milliers de victimes européennes ou les quelques centaines de victimes françaises, comme si leur vie valait davantage que celle des Asiatiques. « Un grand journal du matin s’est même offert le luxe de publier sur une demi-page une carte de la région touchée… avec les emplacements des clubs de vacances français », s’indigne à juste titre Lutte ouvrière (31/12).

La surenchère hypocrite des États impérialistes intéressés

Les États ne sont pas plus généreux ou désintéressés que les multinationa­les, dont ils servent d’ailleurs les intérêts. Les moyens militaires considérables des États touchés et des puissances impérialistes qui ont des bases dans la région, comme les États-Unis, n’ont pas été mobilisés de manière massive et systématique pour venir en aide aux populations : avec les avions et les hélicoptères, il aurait pourtant été possible d’organiser davantage de ponts aériens ; avec les bateaux, on aurait pu approvisionner plus rapidement les côtes souvent coupées de l’arrière-pays à cause de la destruction des routes et des ponts ; avec les moyens du génie militaire, il aurait été possible de mettre rapide­ment en place des ponts mobiles, d’organiser des convois de camions et de mobiliser des dizaines de milliers d’hommes surentraînés… et si efficaces quand il s’agit de tuer.

Par contre, les gouvernements impérialistes qui ont refusé de perdre de l’argent en utilisant massivement leurs moyens militaires, se sont livrés à une surenchère répugnante, multipliant les promesses, annonçant jour après jour qu’ils donneraient quelques millions de plus que ce qu’ils annonçaient la veille, craignant de se laisser distancer par le voisin ou le concurrent… et lorgnant surtout sur les contreparties économiques, politiques et stratégiques qu’ils comptent bien exiger des pays « aidés ». Libération (31/12) explique ainsi que « les pays développés se sont lancés dans une surenchère à l’aide qui entraîne des échanges aigres-doux entre Paris et Washington. C’est à celui des gouvernements occidentaux qui en fera le plus. (…) Il est difficile de ne pas ressentir (…) comme un malaise. D’abord, parce qu’il a fallu cinq jours pour que Bush, Chirac et consorts prennent la mesure de la plus grande catastrophe naturelle de l’histoire récente. Leur soudaine agitation médiatique est une réaction aux reproches de ‘pingrerie’ que leur a faits lundi Jan Egeland, le Secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des opérations humanitaires, choqué par le ridicule des aumônes offertes dans un premier temps. (…) Ensuite, cette compassion officielle cache mal les calculs politiques qui l’accompagnent. La ‘coalition humanitaire’ de Bush est le pendant, cousu de fil blanc, de sa ‘coalition guerrière’ contre l’Irak (…). Quant aux cocoricos de Chirac et Raffarin sur la France, championne du monde ès contributions, ils sont à la fois déplacés et pathétiques. Agir en ordre dispersé en agitant son petit drapeau n’est certainement pas la manière la plus efficace de porter assistance aux populations en danger. » De son côté, Le Figaro (04/01) note plus précisément que « le sinistre est le moyen pour Washington de réaffirmer son engagement dans une région stratégique ». Mais l’impérialisme français n’est pas en reste : « Le déplacement que Michel Barnier, le ministre des Affaires étrangères, vient d’effectuer au Sri Lanka, puis en Thaïlande, vient nous rappeler une réalité que l’émotion soulevée par la catastrophe de dimanche ne doit pas éclipser : l’aide internationale aux sinistrés d’Asie est aussi un geste diplomatique, une affirmation politique, tous les deux démultipliés par cette loupe qu’est le petit écran. Un pays qui apporte un soutien matériel manifeste sa générosité aux yeux de l’opinion mondiale. Surtout, il affirme son rang dans le monde. J’aide, donc je compte. Puissance moyenne aux ambitions fortes mais aux moyens limités, la France a bien compris le formidable levier de cette stratégie oblique. Son calcul est particulièrement opportun quand il s’agit de cette partie de la planète. L’Extrême-Orient est actuellement la seule région du monde promise à un avenir économique florissant » (Le Figaro, 30/12).

Des promesses incertaines, un racket quotidien bien réel

De ce point de vue, les promesses faites par les États impérialis­tes seront-elles davantage honorées que celles annoncées l’an passé suite au terrible tremblement de terre qui avait ravagé la ville de Bam en Iran, le 26 décembre 2003 (32 000 morts, 18 000 blessés, des milliers de sans-abris) ? Ces promesses, en effet, n’avaient jamais été concrétisées : dès que l’attention des médias s’était détournée, les gouvernements avaient ignominieusement fait volte-face, en gardant leur argent. Selon Le Monde (30/12), « sur le milliard de dollars (730 millions d’euros) promis à l’Iran pour reconstruire la ville de Bam après le tremblement de terre de décembre 2003, 17 millions de dollars, seulement, ont été fournis, un an après. Il faut se méfier des effets d’annonce, recherchés ou imposés, sous le choc de l’événement, et qui restent sans suite. » D’ailleurs, de façon plus générale, lit-on dans Libération (31/12), « les pays riches ne tiennent pas leurs promesses sur les aides à long terme. (…) Malgré les belles paroles, le budget des pays développés consacré à l’Aide publique au développement correspond à la moitié de ce qu’il était en 1960. En 1970, les pays riches s’étaient engagés à verser 0,70 % de leur revenu national brut. Les vingt-deux pays les plus riches en étaient, en 2003, à 0,25 % en moyenne (soit un total de 68,5 milliards de dollars). »

Non seulement il n’est pas sûr que les gouvernements impérialistes tiennent cette fois leurs promesses (tout dépendra, en fait, de l’intérêt qu’ils auront à les honorer ou non : les capitalistes n’ont pas d’honneur), mais surtout, même s’ils les respectaient, cela représenterait une somme tout à fait minime par rapport à ce qu’ils volent chaque année à ces pays qu’ils prétendent aider aujourd’hui. En effet, la « dette » cumulée des pays les plus touchés par le tsunami s’élève à plus de 400 milliards de dollars, soit deux cents fois le montant de l’aide annoncée (l’Indonésie « doit » à elle seule 134,3 milliards, l’Inde, 118, la Thaïlande 51,6, le Sri Lanka 10,2, la Malaisie 49,1, etc.). Chaque année, au titre des intérêts de cette « dette » qui est en fait un véritable racket, 32 milliards de dollars sont extorqués aux peuples de ces pays, dont 39 % par les banques et autres créanciers privés, 36 % par le FMI et la Banque mondiale, 25 % par les États impérialistes, dont la France. Or le « Club de Paris », les États impérialistes et les institutions financières internationales viennent de refuser toute annulation globale de cette « dette », se contentant seulement de proposer un moratoire « aux pays qui le souhaitent »...

Le capitalisme tue chaque année infiniment plus que les catastrophes naturelles

Or cette véritable extorsion de fonds dont sont victimes presque tous les pays dits du « tiers-monde » de la part des impérialistes ne correspond que très partiellement à des crédits profitant réellement à des investissements utiles à la population : ils sont surtout sources de corruption et de renforcement de l’administration d’État et de l’armée. Par contre, elle grève les budgets sociaux des États : elle est à la fois la cause et le prétexte, pour les gouvernements locaux, qui expliquent la grave insuffisance des investissements dans les services d’éducation, de santé, les travaux publics, etc. Il est donc clair que c’est par là même une cause indirecte de la mort de centaines de milliers de personnes chaque année.

Plus généralement, le capitalisme, en tant que système reposant sur le profit et non sur la satisfaction des besoins qu’il serait techniquement possible d’assouvir, doit être considéré comme responsable d’une tuerie permanente des plus pauvres. En maintenant la majorité des pays du monde dans le sous-développement, la stagnation et, de plus en plus, la régression, le capitalisme est la cause du fait que, par exemple, selon l’ONU (cf. son Rapport sur le développement humain 2004), 831 millions de personnes souffrent de malnutrition dans le monde, 1,2 milliard sont « privées d’un accès à une source d’eau aménagée » (c’est-à-dire à de l’eau potable), 2,7 milliards sont « privées d’un accès à des installations sanitaires convenables ». Or cette privation de moyens d’existence élémentaires (qui pourraient être aisément mis en place dans un système socialiste), entraîne par exemple, chaque année, dans le monde la mort de 11 millions d’enfants de moins de cinq ans ; 3 millions meurent du SIDA (dont 500 000 enfants), « principalement en Afrique sub-saharienne », précise l’ONUSIDA (bilan 2004), faute d’accès, dans l’écrasante majorité des cas, à la trithérapie, jugée trop coûteuse ; 1 million de personnes (avant tout des enfants de l’Afrique subsaharienne) meurent du paludisme, alors que l’on sait aujourd’hui soigner cette maladie quand elle est prise à temps ; 2 millions de salariés meurent d’un accident du travail qui, dans la plupart des cas, résulte de l’absence ou du non-respect de dispositifs de sécurité imputables aux patrons. Etc., etc.., etc. : la liste serait longue des morts imputables à ce système irrationnel et barbare qui s’appelle le capitalisme et qui fonctionne comme un immense tsunami permanent, ravageant froidement, par sa logique même, les vies humaines par millions chaque année.

De plus, les États impérialistes qui prétendent aujourd’hui sauver des vies sont aussi des assassins sanguinaires directs. Rappelons que la seule guerre en Irak a causé en deux ans près de 100 000 morts, après les 200 000 de la précédente guerre de 1991, et le million de morts victimes de l’embargo imposé par l’ONU pendant douze ans. En novembre dernier, le sang du peuple ivoirien a lui aussi coulé sous les balles de l’armée colonialiste française, sur ordre de Chirac. Et les dizaines de guerres qui ont lieu dans le monde, causant environ 500 000 morts chaque année, ont le plus souvent pour causes les rivalités inter-impérialistes pour le contrôle de régions entières : c’est le cas notamment de nombreuses guerres qui ravagent l’Afrique.

Tous ces chiffres terribles n’enlèvent évidemment rien à la gravité du bilan de la catastrophe en Asie du Sud-Est, mais ils mettent en évidence toute l’hypocrisie des États impérialistes, qui sont chaque année, directement ou indirectement, infiniment plus meurtriers que toutes les catastrophes naturelles réunies.

Les travailleurs ne doivent avoir confiance ni dans les États, ni dans les médias

Les faits qui précèdent montrent que le prolétariat et les travailleurs ne doivent avoir aucune confiance dans les États impérialistes. Il est donc hors de question de tomber dans le réformisme et l’utopie consistant, comme le fait notamment la LCR à la « une » de son journal Rouge du 6 janvier, à « exiger que les États les plus riches (…) consacrent au sort des populations ce qu’ils dépensent pour la guerre et le surarmement ». Ce mot d’ordre est ridicule : autant demander que les États impérialistes cessent d’être des États impérialistes ! On lit d’ailleurs dans article que l’on trouve dans le même numéro en page 3 : « Les États ne doivent pas fuir leurs responsabilités. Sous la pression de l’opinion, à Washington et en Europe notamment, le montant des financements annoncés augmente, mais il reste dérisoire au regard des besoins. L’aide publique doit être radicalement augmentée. Elle doit aussi être soumise aux même devoirs de transparence que ce qui est exigé des associations. » Ici comme ailleurs, la LCR développe une position purement réformiste : depuis quand les « communistes révolutionnaires » demandent-ils aux « États » de prendre leurs « responsabilités » ? Les États actuellement existants ne seraient-ils pas des États bourgeois ? Les « responsabilités » des États ne seraient-elles plus d’assurer le fonctionnement du système capitaliste et toute la société bourgeoise dans l’intérêt optimal de la bourgeoisie (compte tenu des rapports de force entre les classes) ? — Contre le révisionnisme et les mots d’ordre réformistes de la LCR, il faut dire au contraire clairement aux travailleurs qu’il n’y a aucune autre voie pour en finir avec les guerres impérialistes, avec le sous-développement et la misère des pays pauvres, avec le colonialisme et l’impérialisme en général, que celle de la révolution socialiste, qui commencera par la destruction des États bourgeois. Les communistes révolutionnaires participent évidemment au combat pour obtenir et pour défendre les réformes progressistes ; mais une chose est d’imposer aux États bourgeois, par la lutte de classe, un certain nombre de réformes permettant de limiter l’oppression, l’exploitation et certains excès de l’impérialisme ; tout autre chose est de demander bien gentiment à ces États de bien vouloir cesser eux-mêmes (fût-ce sous la pression populaire) d’être des États oppresseurs, exploiteurs et impérialistes !

Quant aux médias bourgeois, leur hypocrisie n’est pas moindre : imaginons un instant qu’ils s’intéressent autant aux victimes des guerres, des famines, des épidémies, etc., engendrées par le système actuel, qu’ils se sont intéressés au désastre du tsunami, y compris d’ailleurs en critiquant eux-mêmes l’imprévoyance et la « pingrerie » des gouvernements. Imaginons qu’ils s’emploient chaque jour à présenter le même décompte macabre, les mêmes reportages spectaculaires, les mêmes interrogations et les mêmes interpellations des États et des opinions publiques… Il apparaît clairement alors que de telles informations et interrogations contribueraient grandement à une réflexion généralisée, dans la population, sur ce qu’est réellement le système capitaliste, sur les causes réelles des guerres, du sous-développement et de la misère… et sur les moyens d’y remédier. C’est justement l’une des raisons pour lesquelles les grands médias bourgeois ne s’intéressent que très peu à ce genre de questions, sauf pour verser de temps à autre une larme de crocodile partielle, ou pour culpabiliser une ou deux fois par an le public en cas de famine particulièrement grave dans tel ou tel endroit du monde. Pour les entreprises de médias, comme pour toutes les autres, il s’agit avant tout de faire de l’argent, donc de chercher de préférence des sujets spectaculaires, exceptionnels, et non de montrer et d’expliquer la réalité telle qu’elle est, la misère quotidienne des populations, leur situation tellement terne, tellement ennuyeuse pour l’observateur nanti, tellement peu vendable en un mot ! (1)

Contre « l’humanitaire » de la bourgeoisie, pour un front unique de la solidarité ouvrière

Ces mêmes médias n’hésitent pourtant pas à se présenter comme les champions de l’humanitaire, comme les relais majeurs des grandes causes, comme les promoteurs désintéressés de l’aide au prochain… En réalité, il s’agit surtout de faire croire aux gens qu’ils sont eux-mêmes responsables des malheurs d’autrui, et que ceux-ci disparaîtraient si tous étaient plus solidaires et plus généreux. Les gens, et notamment les travailleurs (qui sont souvent les premiers à verser de l’argent aux associations humanitai­res), sont ainsi invités à panser les plaies inhérentes au système capitaliste : selon une logique qui s’entretient elle-même, il s’agit de demander aux victimes de ce système qui sont les moins gravement atteintes de secourir elles-mêmes celles qui le sont davantage… en ne touchant surtout pas aux causes qui réduisent précisément la grande majorité des personnes à être toutes, sous une forme ou sous une autre, les victimes de ce système ! (Nous reviendrons en détail dans notre prochain numéro sur la nature et la fonction des organisations humanitaires et autres O.N.G. dans la société bourgeoise actuelle.)

Dès lors, en ce qui concerne la solidarité populaire, comme pour toutes les autres questions qui intéressent le prolétariat et les travailleurs, il n’y a pas d’autre réponse communiste révolutionnaire que celle de l’organisation ouvrière indépendante, celle de l’action selon des principes de classe. Par conséquent, la solidarité financière à laquelle tant de travailleurs participent de nos jours, que ce soit pour aider les victimes du tsunami ou pour d’autres grandes causes humanitaires, ne devrait servir à faire fonctionner ni les organisations liées aux Églises, ni les associations financées par les États bourgeois et les institutions internationales avec le soutien des grands médias, dites par antiphrase « organisations non gouvernementa­les » : les unes et les autres ne sont que des rouages du système bourgeois, qu’elles contribuent à maintenir en place, en « adoucissant » superficiel­lement certains de ses aspects les plus révoltants pour mieux le faire accepter sous prétexte de fatalité.

Aujourd’hui, la solidarité des travailleurs doit aller exclusivement aux organisations syndicales et politiques de la classe ouvrière qui combattent dans les pays victimes à la fois du tsunami et de l’impérialisme. Ici comme ailleurs, il est de la responsabilité du mouvement ouvrier français (syndicats, mutuelles et organisations politiques) de ne pas laisser les États, les Églises et les ONG prendre l’argent des ouvriers, des employés, des travailleurs en général, mais de réaliser un front unique pour la solidarité ouvrière, en récoltant elles-mêmes des fonds, pour les donner aux organisations ouvrières qui combattent en Indonésie, en Inde, au Sri Lanka, en Malaisie, etc. Car la meilleure aide que la classe ouvrière de France puisse apporter aux travailleurs des pays sinistrés et à leurs familles, c’est de permettre à leurs propres organisations de classe (quels que soient les désaccords que l’on peut avoir par ailleurs avec elles) de prendre en charge elles-mêmes l’aide aux victimes sur place, en développant ainsi leurs liens avec la population, en réquisitionnant sans conditions ni indemnités les hôtels et autres clubs de vacances des multinationales du tourisme, en se renforçant face aux États bourgeois impérialistes et locaux, à l’égard desquels elles ne doivent avoir aucune confiance.


1) Sur le fonctionnement et le rôle des médias bourgeois, cf. l’article de Laura Fonteyn dans le précédent numéro du CRI des travailleurs.


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