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Le CRI des Travailleurs n°15     << Article précédent | Article suivant >>

Les médias au service de la classe dominante


Auteur(s) :Laura Fonteyn
Date :15 novembre 2004
Mot(s)-clé(s) :société
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La liberté d’expression et la liberté de la presse en particulier sont des conquêtes démocratiques fondamentales, qu’il faut défendre, et arracher dans les pays où elles n’existent toujours pas. Mais quelle est la nature, quelles sont les fonctions des médias actuels ? Ils se présentent généralement comme des instruments d’information et de culture, comme respectueux de principes déontologiques tels que l’indépendance des journalistes, l’objectivité de l’information et le sérieux de l’analyse, voire comme des « contre-pouvoirs ».

Pourtant, force est de constater qu’ils se détournent bien souvent de ces beaux idéaux et que, avec la concentration capitaliste, ils se soumettent de plus en plus à des puissances économiques, politiques et idéologiques. C’est ainsi qu’a pu se développer dans les dernières années tout un travail de critique et de dénonciation des médias, dû notamment à quelques sociologues (Alain Accardo(1), Pierre Bourdieu(2), Patrick Champagne(3), Érik Neveu…(4)), voire à des journalistes (parmi lesquels Gilles Balbastre(5), Serge Halimi(6), François Ruffin(7)), sans oublier le linguiste et philosophe Noam Chomsky(8). Sont même apparus des journaux indépendants spécialisés dans la critique des médias, tels que PLPL (9) ou CQFD, ainsi que l’association Acrimed, fondée en 1995 au moment du mouvement de novembre-décembre (10).

Du point de vue des militants révolutionnaires, cette critique des médias est une entreprise utile, nécessaire même. Elle n’est cependant qu’un élément parmi d’autres pour la compréhension générale du système capitaliste et de son fonctionnement, et par là même, elle ne saurait être une fin en soi. Elle doit en outre être menée dans une perspective de classe, et non en termes d’individus : ces individus eux-mêmes sont des représentants de leur classe, et c’est comme tels que leurs comportements et leurs discours doivent être impitoyablement dénoncés. Il s’agit en effet de comprendre l’enjeu économique, mais aussi politique et idéologique, de la production médiatique dans le cadre du capitalisme, notamment comme instrument de la bourgeoisie pour maintenir et exercer sa domination sur les travailleurs et l’ensemble de la société. En effet, comme l’expliquaient Marx et Engels dans L’Idéologie allemande en 1845, « les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. » (11)

Propriété des multinationales

Avant toute chose, il faut comprendre en quoi les médias ne sont pas simplement soumis à la bourgeoisie, mais lui appartiennent. C’est en particulier la fraction la plus concentrée du capitalisme qui les contrôle. C’est vrai à l’échelle internationale et en particulier aux États-Unis, où la législation anti-concentration a été abolie pour les médias en février 2002. Ainsi America Online possède-t-il Netscape, Time, Warnerbros et CNN ; la NBC appartient à General Electric ; la News Corporation de Rupert Murdoch détient de nombreux journaux britanniques et américains (parmi lesquels The Times, The Sun, The New-York Post), tout un réseau de télévision par satellite, la chaîne américaine Fox et la firme de production et de distribution Twentieth Century Fox. En Europe, le groupe Bertelsmann a la main, entre autres, sur RTL et M6. Berlusconi a en son pouvoir les trois principales chaînes privées italiennes…

En France, ce phénomène de concentration prend de plus en plus d’ampleur. Quelques firmes possèdent la quasi totalité des supports audiovisuels et de la presse écrite : Bouygues, Dassault, Lagardère, la Générale des eaux, la Lyonnaise des eaux… C’est ce qu’au temps de sa splendeur, le patron Messier appelait « maîtriser toute la chaîne : contenu, production, diffusion et lien avec l’abonné » (12). Les deux principaux marchands d’armes français, Dassault et Lagardère, contrôlent à eux seuls 70 % des médias français. Dassault possède entre autres le Figaro, divers journaux régionaux, L’Express, L’Expansion et de nombreux autres titres. Lagardère a racheté de son côté Hachette, Fayard, Grasset, Stock, Larousse, Robert Laffont, Bordas, des journaux régionaux, l’essentiel de la presse magazine (Elle, Paris Match, Télé 7 jours…) et les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP).

D’où les dithyrambes servis par ces médias aux lecteurs ou téléspectateurs lors des événements qui touchent ces gros patrons. Le 24 juillet 1993, au moment du décès de Francis Bouygues, le journal de TF1 glorifia ce « magnifique patron », ce « bâtisseur infatigable » et sa « carrière sans précédent ». Le Monde a pour sa part consacré onze articles à la mort de Jean-Luc Lagardère : « Lagardère et l’édition, Lagardère et les médias, Lagardère et la course automobile, Lagardère et les courses hippiques, etc. Et, pour couronner le tout, un hommage de Jean-Marie Colombani à “Jean-Luc le fidèle” » (13). Le directeur du Monde est en effet un partenaire du groupe Hachette détenu par ledit Lagardère…

Jean-Luc Lagardère avait d’ailleurs répandu la bonne parole en évoquant tout l’intérêt qu’il y a pour une entreprise à s’emparer des médias. S’adressant aux cadres supérieurs de Thomson-CSF en août 1996, il expliquait : « Un groupe de presse, vous verrez, c’est capital pour décrocher des commandes. » (14) Et de fait, quand une chaîne de télévision comme TF1 par exemple fait partie d’un vaste conglomérat, elle peut utiliser son audience en faveur de son patron et maître, en l’occurrence Bouygues. « Bouygues construit la mosquée de Casablanca et l’aéroport d’Agadir : le roi du Maroc s’installe au journal télévisé de TF1. Puis le monarque enchaîne avec l’émission de Jean-Pierre Foucault, la trop bien nommée Sacrée soirée. Bouygues aimerait s’occuper de plates-formes off-shore en Angola : Jonas Savimbi fait irruption au journal de la “Une”. Bouygues veut obtenir un contrat de forage de gaz en Côte d’Ivoire (où son groupe contrôle déjà la distribution de l’eau et de l’électricité) : le président vient au journal de TF1. » (15)

Dès lors, la fameuse « indépendance » journalistique devient difficile… Catherine Pégard, journaliste au Point, jette-t-elle un regard critique dans un article consacré à un voyage d’Édouard Balladur, alors Premier ministre, en Chine ? Ledit Balladur adresse sur le champ à la journaliste cette remarque assassine : « Vous comprendrez que j’aie fait valoir à votre principal actionnaire [Pierre Suard, patron d’Alcatel détenteur du Point] que ce n’était vraiment pas la peine d’aller lui décrocher de gros contrats à Pékin si c’était pour lire de tels papiers sur mon voyage dans vos colonnes. » (16)

Les pressions capitalistes s’exerçant sur les journalistes sont en effet fort diverses. Aux États-Unis, un journaliste d’ABC avait accusé Philip Morris de manipuler les taux de nicotine. La chaîne fut menacée par le fabricant de tabacs d’un procès et d’une demande de dommages et intérêts de 156 milliards de dollars. Or, ABC était alors sur le point d’être rachetée par Disney : le procès aurait risqué de faire chuter sa valeur en bourse. La chaîne a donc préféré faire un rectificatif public en désavouant ainsi son journaliste, au mépris de la vérité (17). De même, un reporter du quotidien américain Cincinatti Enquirer avait mené, en mai 1998, une enquête sur la plus grande société bananière du monde, Chiquita Brands International (ex-United Fruit). Cette enquête avait révélé, entre autres choses, l’utilisation systématique de pesticides dans les plantations détenues par la Chiquita et la destruction au Honduras de villages suspects d’abriter des syndicalistes. Suite à des pressions et autres menaces de la part de la firme, le journaliste Michael Gallagher a été licencié, l’Enquirer a retiré l’article de son site Internet et s’est excusé d’avoir publié ce reportage ! Finalement, le journal a versé à Chiquita 10 millions de dollars pour éviter un procès… (18)

Au service du profit : médias racoleurs et « chiens de garde » sécuritaires

En tant que propriété du capital, la production médiatique a le plus souvent la rentabilité comme principe. Dans le système capitaliste, l’ « information » est une marchandise comme une autre, une marchandise qui doit être rentable économiquement — c’est ce qu’aux États-Unis on appelle le « News business ». Cela conduit à une uniformisation de l’information — par la volonté de parler de ce dont les autres médias parlent pour ne pas se laisser distancer par ses concurrents — et à un développement considérable des services de marketing, au détriment des services d’enquête et d’investigation.

De nombreux journaux, magazines et émissions se transforment ainsi en véritables poubelles de l’information, toujours en quête du sensationnel pour tenter de doper les ventes. Ce racolage n’est pas seulement le fait de quelques journaux dits « people », mais celui d’un grand nombre de titres de presse, des radios et des télévisions, précisément parce qu’ils recherchent le profit. Ainsi l’affaire Monica Lewinski a-t-elle été de loin la plus couverte par les médias américains en 1998. ABC, CBS et NBC lui ont consacré plus de temps qu’à la totalité des grandes crises nationales et internationales : grève des ouvriers américains de l’automobile, crises financières asiatique et russe, guerre contre l’Irak, essais nucléaires en Inde et au Pakistan (19)… Cela devenait à ce point envahissant qu’un journal de Springfield, The State Journal Register, a cru bon de préciser sur l’un de ses exemplaires : « Sex scandal-free edition », édition dépourvue d’article sur le scandale sexuel… Que dire encore, en France cette fois, de ce journaliste de France Info qui, le mardi 17 août 2004, en ouvrant son édition de 7 heures 30, décrit immédiatement un fait divers bien sordide, sans ensuite évoquer à aucun moment, tout au long de son journal, le référendum vénézuélien qui vient d’avoir lieu, préférant consacrer « l’essentiel de l’actualité » aux Jeux olympiques ? Certains journaux prennent encore le parti de livrer uniquement ou presque de la prétendue  « actualité » bien française. Jean-Pierre Pernaut, présentateur de journal télévisé sur TF1, explique par exemple : « Le 13 heures est le journal des Français, qui s’adresse en priorité aux Français et qui donne de l’information en priorité française » (20). Même dans le fait divers, il y a une prime à la nation en quelque sorte ; c’est ce que, dans les salles de rédaction, on appelle la loi du « mort/kilomètre » : 300 morts à Manille pèsent moins que 10 à Montélimar (21).

Les médias se sont faits en particulier les grands dénonciateurs devant l’Éternel de l’in-sé-cu-ri-té. C’est ainsi que, du 14 juillet 2001 au 21 avril 2002, sur les principales chaînes françaises, 643 sujets ont été consacrés à la délinquance contre 143 au chômage par exemple (22). Sur environ 10 000 reportages diffusés dans les journaux de TF1 en 2001, 1 190 ont traité de délinquance et d’insécurité. Les accidents du travail, quant à eux — 16 000 salariés sont morts suite à un accident du travail entre 1991 et 2001 — ont été 595 fois moins médiatisés, avec seulement deux sujets diffusés (23)… C’est du 14 juillet 2001 que l’on pourrait dater le retoilettage — car le sujet est une véritable antienne médiatique — de la thématique sécuritaire. Ce jour-là, Chirac prononce son traditionnel discours de « garden-party » à l’Élysée. Il lance le thème de l’insécurité alors qu’il est inquiété dans l’affaire des 2,4 millions de francs de déjeuners et de voyages qu’il a utilisés sur fonds publics quand il était maire de Paris. « La délinquance s’installe, l’insécurité s’installe, se banalise », s’exclame-t-il aux trois journalistes soigneusement choisis pour l’interroger. Une bonne manière de ne pas s’attarder sur les sujets qui fâchent. Et dès lors, c’est l’emballement médiatique : le 2 août 2001, Le Monde titre : « Insécurité : alerte » et ses confrères brodent ad libitum sur le même sujet. Patrick Poivre d’Arvor déclare solennellement sur TF1 le 17 janvier 2002  qu’il y a une « réelle hausse de la délinquance en France ». Mais les pseudo reportages sur les « banlieues » n’expliquent certes pas les raisons fondamentales de cette hausse si péremptoirement affirmée : il s’agit là d’une information formatée et frelatée, diffusée par des journalistes sommés de trouver, pour un « reportage » à Vaulx-en-Velin par exemple, « un Black, un Beur, un dealer » (24). Les sempiternelles statistiques brandies avec autorité, qui proviennent toujours du ministère de l’Intérieur, et qui en outre ne sont jamais analysées, n’expliquent rien non plus. Car il faudrait dire que c’est aussi la croissance des moyens de détection et de dénonciation qui fait augmenter, mécaniquement, les chiffres de la délinquance. Ainsi 200 nouveaux commissariats de quartier ont-ils été créés entre 1998 et 2001. De plus, à nouveaux produits de consommation, nouveaux délits : les chiffres augmentent notamment en raison de l’importance des vols des téléphones portables, ce que l’on « oublie » de nous dire pour mieux faire croire à une violence croissante et envahissante. Quant aux causes sociales, elles sont le plus souvent passées sous silence.

Mensonges et manipulations

La logique du profit conduit souvent aux trucages purs et simples : ce que l’on appelle dans le langage journalistique des « bidonnages » consiste à fabriquer de toutes pièces un reportage, en recourant à diverses techniques : photomontage et retouches de photographies, emplois d’ « acteurs », recours à un certain type de vocabulaire… Les plus bénins sont ceux qui permettent à un journaliste, simplement, de flatter son ego. On connaît la supercherie de Patrick Poivre d’Arvor et de son compère Régis Faucon, faisant mine d’interviewer Fidel Castro et de recevoir de sa part des réponses, alors qu’il s’agissait d’un montage d’extraits de conférences de presse… C’était en janvier 1992. Un an auparavant, Poivre d’Arvor avait aussi invité, lors d’un « magazine d’investigation » de TF1 (le mal nommé « Droit de savoir »), un certain « capitaine Karim », présenté par le journaliste comme ancien garde du corps de Saddam Hussein. Il avait affirmé au cours de l’émission que S. Hussein était un agent des Américains. L’imposture fut révélée quelques temps plus tard : le prétendu « capitaine Karim » était en fait un étudiant, expulsé de son école d’architecture pour usage de faux (25). Mais n’est-ce pas Poivre d’Arvor qui a déclaré : « Nous sommes là pour donner une image lisse du monde » (26)  ?

En octobre 1994, pour mieux stigmatiser les « jeunes de banlieue », des journalistes n’ont pas hésité, pour faire plus « vrai » et plus « convaincant », à travestir la réalité : barbes et moustaches ont été ajoutées à l’image de trois jeunes « beurs » du Nord de la France dans l’émission « La Marche du siècle » de Jean-Marie Cavada pour les faire ressembler à des islamistes intégristes, par une technique de surimpression (27). Quelques mois plus tard, en mai 1995 sur France 2, le magazine « La preuve par l’image » (une fois de plus bien mal nommé : les médias sont coutumiers de ces prétendues exhibitions de « vérités » en fait dûment sélectionnées, si ce n’est purement et simplement fabriquées), propose un reportage sur le trafic d’armes « en banlieue ». Trois jeunes de Créteil sont payés pour jouer des trafiquants, et leurs armes sont en fait des jouets en plastique… — De même, lors de la première guerre du Golfe, une « infirmière » koweïtienne avait raconté à la télévision comment des soldats irakiens avaient pénétré dans la maternité de Koweït-Ville pour s’emparer des couveuses et tuer les bébés. En fait, « l’infirmière » était la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington, étudiante aux États-Unis ! L’affaire avait été entièrement bâtie par Mike Deaver, un ancien conseiller en communication du président Reagan. Mais cela peut être aussi beaucoup plus simple : il suffit de répercuter les mensonges d’État (lors des guerres du Golfe par exemple, on nous a seriné : « l’Irak, quatrième armée du monde », l’Irak « possesseur d’armes de destruction massive » (28)) et de manipuler les mots : parler de « frappes chirurgicales » au lieu de bombardements, de « réformes » au lieu de destruction de la Sécurité sociale et du système de retraite par répartition ou de démantèlement des services publics… PLPL a calculé par exemple qu’au cours des chroniques de Nicolas Beytout, le matin sur Europe 1 (105 chroniques analysées en 2003 et début 2004), le mot « réforme » est revenu 276 fois, soit 2,7 fois par chronique… « En revanche, relève le journal avec humour, l’expression “médias qui mentent au service du capital qui tue” n’est pas employée une seule fois ! » (29)

Soulignons enfin que, même quand ils ne sont pas truqués, des instruments comme les « sondages d’opinion » sont des instruments de manipulation quand on prétend exprimer à partir d’eux ce qu’ « estiment » les gens. Ainsi, les 26 et 27 mars 1999, une enquête réalisée par l’Institut CSA pour Le Parisien apprenait qu’une majorité relative de Français (46 % contre 40 %) désapprouvait les « bombardements de l’OTAN contre la Serbie ». Mais le lendemain, nouveau sondage : mené par Ipsos pour Le Journal du dimanche, il révélait cette fois qu’une majorité absolue « de Français » (57 % contre 30 %) approuvait « l’intervention militaire de l’OTAN en Yougoslavie » (30). Il suffisait de modifier les termes de la question pour faire passer la ligne que les gouvernements souhaitaient… Cela en dit long sur la manière dont sont élaborés les questionnaires de ces fameux sondages dont les médias sont friands et qu’ils commandent à bon prix aux instituts spécialisés. Ils sont le plus souvent fabriqués avec des questions « fermées », auxquelles il faut répondre par « oui » ou par « non ». Un sociologue a montré par exemple qu’à une question posée sur les « dépenses sociales » que les Français aimeraient voir réduites — question chère aux gouvernants et à leurs sbires —, les sondés répondraient majoritairement, si la question était ouverte, c’est-à-dire ne comprenait pas une liste bien sélectionnée de réponses du type « salaire des fonctionnaires », « budget de la Poste », etc. : les dépenses de l’armée et les rémunérations des dirigeants de l’État (31) ! Mais évidemment, de telles réponses ne figurent pas dans le listing des sondeurs, et pour cause…

Devenir journaliste… ou valet ?

Tous les journalistes ne sont certes pas des menteurs et des manipulateurs, mais l’apprentissage de leur métier dans les écoles spécialisées consiste à en faire des produits stéréotypés capables de la production médiatique la plus rentable possible. C’est ce que montre notamment le fonctionnement quotidien d’une école de journalisme considérée comme la plus « prestigieuse », dont sortent les journalistes les mieux payés et les plus en vue : le Centre de Formation des Journalistes (CFJ).

La scolarité y dure deux ans. Qu’apprend-on au cours de ces deux années (32) ? À recopier sans vérifier ni critiquer des dépêches AFP en les synthétisant ou au contraire en les développant ; à coller à « l’actu » (l’actualité la plus immédiate, la plus événementielle et souvent la plus vide), ce qui, par un effet boule de neige, implique que les médias ne parlent que de ce dont les médias parlent… D’où la place prédominante des informations concernant le beau et le mauvais temps, les bouchons sur les routes, les résultats sportifs, les petites querelles au sein du personnel politique starisé (mais bien sûr, pendant qu’on nous explique que Raffarin est revenu bronzé de vacances et qu’on nous détaille le menu du déjeuner qu’il a partagé avec « Nicolas », on n’évoque évidemment pas le fond de leur politique)… Et quand l’apprenti journaliste « loupe » ce que les « grands » ont considéré comme intéressant, c’est la sanction : « On a fait une brève sur Messier, L’Obs a fait six pages dessus. Là, c’est pas normal qu’on soit passé au travers. » (33) Les informations sont donc complètement formatées et orientées. On apprend également à sélectionner soigneusement tout ce qui sera considéré comme « rentable », « porteur », tout ce qui plaira aux annonceurs publicitaires, et à éradiquer le reste. Tel jeune journaliste propose-t-il de faire un papier sur le « commerce équitable » ? Son professeur lui répond : « Je verrais plutôt par exemple un truc du genre : que prennent les Français comme apéritif ? » (34) Et, jour après jour, les remarques se succèdent de la part des enseignants du CFJ — eux-mêmes en général journalistes installés voire réputés —, qui répètent ce qu’il faut purement et simplement éliminer des colonnes : « Sur les travailleurs pauvres, tu vas très vite ennuyer » ; « Les logements des immigrés, tu vois, c’est un peu éloigné des préoccupations des lecteurs » ; « Ton papier sur les centres d’appel, je ne crois pas que ça passionnerait les lecteurs » (35)…

Le jeune journaliste François Ruffin raconte ainsi l’une des ces expériences au CFJ, à propos du journal conçu par les élèves eux-mêmes : « Initiés en 1997, les emplois-jeunes appartenaient au paysage. J’aurais souhaité dresser un vague bilan de cette mesure (utilité variable des postes, perspectives d’avenir, coût du dispositif, etc.), mais notre enseignant m’asséna un : “Pourquoi aujourd’hui ? C’est une date anniversaire ? Sinon, je ne vois pas l’actu…” Trois mois passèrent et arriva une conférence interministérielle sur les emplois-jeunes rassemblant Jack Lang, Ségolène Royal, Daniel Vaillant… Voilà qui, en soi, constituait un événement : nous rédigeâmes donc, en urgence, un avant-papier (que vont annoncer les ministres ?), un papier-journée (qu’ont annoncé les ministres ?) et un papier-réactions (comment réagissent les partis, les syndicats, le Medef après l’annonce des ministres ?). Pas une fois nous ne rencontrerons, ensuite, les jeunes employés par la police, la SNCF, des associations… jamais nous ne mesurerons l’impact des décisions gouvernementales sur le quotidien. » (36) Par contre, lors des séminaires proposés par le CFJ, avec les plus grands « pontes » du journalisme, on encense la logique du capitalisme, du marché et du profit : « Modeste étude lexicographique : en cinq jours, note François Ruffin, j’ai relevé trente et une scansions de “rentabilité”. Contre trois citations du mot “enquête” » (37)…

Enfin, il faut souligner que la détérioration de la situation professionnelle des journalistes contribue à faire régresser la qualité de leur travail. En effet, pour les salariés de la presse écrite et audiovisuelle — qu’on aurait tendance à oublier derrière les papes et papesses médiatiques qui envahissent les écrans, les ondes et les éditoriaux des journaux —, les conditions de travail sont souvent désastreuses. On constate ainsi un recours de plus en plus fréquent à la sous-traitance dans tous les domaines, notamment pour la distribution, ce qui permet aux patrons des firmes d’embaucher des travailleurs sans protection, et d’échapper aux syndicats. On assiste en même temps à une précarisation croissante non seulement des ouvriers et techniciens, mais aussi des journalistes eux-mêmes car, ici comme ailleurs, il s’agit pour les entreprises des médias de baisser à toute force les coûts salariaux. Aujourd’hui, plus de 40 % des titulaires de la carte de journaliste sont en situation précaire, allant de petits boulots en contrats express. La flexibilité y est intense. Or cela a aussi pour conséquence que le traitement de l’information s’opère selon les normes du rendement à tout prix : pas le temps d’enquêter sérieusement, pas le temps de se documenter, pas le temps de croiser les sources…

Porte-parole du patronat…

Mais les médias ne sont pas seulement des moyens pour valoriser le capital : ce sont en outre des instruments privilégiés pour relayer les exigences patronales et fustiger les travailleurs qui luttent.

Il faut souligner tout d’abord que les travailleurs sont très peu présents dans les émissions et dans les colonnes des journaux. Le sociologue Sébastien Rouquette a analysé quatre cents débats télévisés en 1989 et 1990 : sur les plateaux, on comptait 10 % d’ouvriers et d’employés (alors qu’ils représentent plus de 60 % de la population active) (38), contre une écrasante majorité de cadres supérieurs, de professions libérales, d’artistes et de… journalistes.

Mais surtout, les journalistes se font très souvent les chantres de politiques gouvernementales détruisant les acquis, quand ils ne les réclament pas. Par exemple, au moment du référendum de ratification du traité de Maastricht, en 1992, radios, télés, presse écrite, tous les médias officiels étaient pro-Maastricht. Jacques Lesour, directeur du Monde, a même déclaré à cette occasion : « Un non au référendum serait pour la France et l’Europe la plus grande catastrophe depuis les désastres engendrés par l’arrivée de Hitler au pouvoir » (39). Il y avait là vraiment de quoi trembler. Les propos des journalistes étaient on ne peut plus « neutres » et « équilibrés » ; ainsi de cette présentation de Valéry Giscard d’Estaing par Jean-Pierre Elkabach sur Europe 1 : « Vous avez fait en faveur du oui une magnifique campagne à la fois pédagogique et raisonnable. » (40) Sur la même station, Europe 1, chaque dimanche, un « face-à-face » était organisé entre deux… pro-maastrichtiens, Serge July et Alain Duhamel. Dès lors, Bérégovoy pouvait conclure : « Si l’on est bien informé, on doit choisir de voter oui »…

De même, à propos de la baisse du temps de travail, un Jean-Claude Narcy, par exemple, présentateur de journal télévisé, s’est adressé à Dominique Strauss-Kahn en ces termes le 26 février 1994 : « Réduire le temps de travail est une chose. Encore faut-il que les travailleurs acceptent de baisser leurs salaires. Comment espérez-vous les en persuader ? » (41) Claire Chazal, dont le salaire se monte à environ 20 000 euros par mois, n’hésite pas pour sa part à interroger gravement Bernard Kouchner : « Puisque vous avez parlé de protection sociale, est-ce que vous n’êtes pas d’accord pour dire qu’il y a des privilèges que la France ne peut plus se permettre ? » (42) Dans Le Monde, Arnaud Leparmentier explique : « Depuis vingt ans, les États européens ont fait le mauvais choix. Ils n’ont guère augmenté leurs dépenses régaliennes — police, justice, armée. En revanche, l’État social (santé, retraites, allocations familiales, chômage, aide au logement, RMI) ne cesse de progresser. » (43) En 1995, Le Monde fut d’ailleurs le quotidien qui accorda le moins la parole aux grévistes. De son côté, Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, et qui se déclare « socialiste », n’a aucun scrupule à déclarer : « Au Nouvel Observateur, je suis le seul à avoir licencié des salariés. À Libération, j’ai résisté à trois grèves générales. » (44) Sachant que bien sûr, pour ce même Laurent Joffrin, « les retraites ont été réformées et sans doute fallait-il en passer par là, c’est-à-dire accepter, comme L’Obs l’a fait, le compromis négocié avec la CFDT. » (45) Sur la mobilisation des chercheurs, au printemps 2004, il mettait en garde ses lecteurs dans les termes suivants : « Encore faut-il que cet effort budgétaire s’accompagne de réformes… qui ne seront pas toutes indolores (…) Le système français est trop rigide, immobile, et les méthodes d’évaluation (ou d’auto-évaluation) sont insuffisantes. (…) La contribution du privé pourrait être sensiblement augmentée et coordonnée avec les efforts de l’État sans qu’on crie nécessairement à l’ “ultralibéralisme” et à la “soumission” du travail intellectuel aux “exigences du profit” ». (46) En bref, ce Laurent Joffrin n’avait pas tort lorsqu’il expliquait, en juin 1993 sur France 2 : « On a été les instruments de la victoire du capitalisme dans la gauche. »

… et ennemis des travailleurs

Bien sûr, les journalistes, gens bien-pensants s’il en est, n’ont de cesse de clouer au pilori les abstentionnistes, qui appartiennent généralement aux classes populaires et sont le plus souvent écœurés par la politique des gouvernements successifs, de gauche ou de droite. C’est ainsi que Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo (un journal très « à gauche », puisqu’on vous le dit…) a pu tempêter dans les termes suivants : « L’abstention qui se justifie par le “tous pourris” est une forme de petite paranoïa qui, comme toujours, s’accompagne d’un orgueil terrible, d’une mégalomanie secrète et misérable (…) L’abstentionniste d’aujourd’hui témoigne d’un mépris pour lui-même, le monde et les autres. » (47) Et quand un candidat « de gauche », par exemple Lionel Jospin, essuie la défaite infligée par les travailleurs à plusieurs années de politique de régression sociale, cet échec est attribué à des « erreurs de communication »…

Mais ce sont les travailleurs grévistes qui sont les principales bêtes noires des médias. Chaque mouvement social ramène son lot d’attaques de la part de la presse qui reflète les craintes de sa classe. C’est ainsi que, au moment de la mobilisation de novembre-décembre 1995 contre le plan Juppé de destruction de la Sécurité sociale, les ténors médiatiques y sont allés une fois de plus de leurs calomnies, les cheminots en grève, notamment, étant traités de « privilégiés » par des individus qui gagnent au bas mot cinq, voire dix fois plus qu’eux chaque mois… C’est ainsi que Franz-Olivier Giesbert dans Le Figaro avait parlé de « racket social », Claude Imbert avait évoqué dans Le Point « la France aux semelles de plomb, campée sur ses avantages acquis », André Glucksmann avait vilipendé « une société fermée défendant son bout de gras », Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde, avait parlé d’un « goût du spasme » chez les Français, Bernard-Henri Lévy avait fustigé leur « part de folie » et François de Closets leur « dérive schizophrénique »…

De même, pendant la montée vers la grève générale de mai-juin 2003, considérant l’ampleur du mouvement, les médias ont utilisé un discours de division des travailleurs : enseignants contre parents d’élèves, grévistes des transports publics contre usagers… Lors du printemps 2004, au moment des manifestations pour la défense du statut d’EDF-GDF, les médias ont été tout aussi féroces. Que penser en effet de ce dessin de Jean Plantu en « une » du Monde le 9 juin 2004 : « Torture en Irak : branchez » (cri hurlé par un soldat US) ; « Torture en France : débranchez » (cri hurlé par un militant CGT en casquette) ? Voici comment le dessinateur du quotidien s’est expliqué sur cette production véritablement outrageante pour le mouvement ouvrier : « Généralement, les usagers des transports n’ont presque personne pour les défendre (…) On a trop peu l’occasion en France de faire des dessins qui critiquent les actions de la CGT. » Le même Plantu s’était déjà illustré dans ce genre de propos réactionnaire avec un dessin datant de l’année précédente (Le Monde, 15 mai 2003) : « Attentat Al Qaïda à Riyad : 29 morts », « Prise d’otages SNCF en France : 1 000 000 victimes ». On peut aussi songer au dessin de Plantu représentant Marc Blondel et Arlette Laguiller avec un brassard nazi, après le 21 avril 2002, parce qu’ils refusaient d’appeler à voter Chirac au deuxième tour !

« Prise d’otages » : c’est très souvent en ces termes que les journalistes « informent » sur les grèves : « 500 000 voyageurs piégés par la CGT d’EDF » (Le Parisien du 8 juin 2004) ; « Sévice public » (France Soir du même jour)… Il s’agit alors d’éviter de rendre le mouvement populaire, d’empêcher qu’il ne s’étende, pour diviser ceux qui ont les mêmes intérêts contre le gouvernement et le patronat. Toujours élève du centre de formation des journalistes, François Ruffin est un jour envoyé faire un reportage sur une grève à la RATP — ou plutôt, sur les conséquences de cette grève pour les usagers… Il raconte : « Ce n’est qu’aux Halles que je rencontrerai des travailleurs vraiment embêtés par la grève. Un cameraman et un journaliste de France 3 Ile-de-France qui ne trouvent personne à sonder. “Merde, merde, il faut qu’on se presse… ” Ils se précipitent sur les quais : les voyageurs n’attendent que depuis cinq minutes… “On n’a rien, rien… On ne peut pas ramener ça.” » François Ruffin, lui, ne ramène rien, et son responsable s’insurge : « Quand même, quand même, tu aurais pu faire un effort… je viens d’écouter LCI, eh bien, il y avait des gens qui se plaignaient. Qui se sentaient pris en otage. » (48)

Enfin, les médias contribuent également à entretenir des divisions entre les travailleurs en montant sans cesse en épingle, et par là même en contribuant à fabriquer, des écarts, voire des fossés, entre différentes catégories de travailleurs : toujours en quête de « sensationnel », ils en viennent souvent à stigmatiser « les banlieues », « les jeunes », « les clandestins », etc., relayant souvent les discours communautaristes, voire xénophobes. C’est ainsi qu’un journaliste de LCI n’a pas hésité, en octobre 1995, lors de l’attentat du RER B, à poser cette question à un « expert » : « Est-ce que vous n’avez pas l’impression d’une fracture de plus en plus grave entre les Français et les musulmans qui vivent dans notre pays ? » (Cité par Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, op. cit., p. 44.)

Développer les médias prolétariens et marxistes !

Il est donc clair que les principaux médias, loin d’être des « contre-pouvoirs » indépendants et objectifs, sont souvent des instruments qui ne font qu’abrutir le peuple et, en tout cas, des instruments économiques, politiques et idéologiques du capital et de la bourgeoisie en général. C’est pourquoi le prolétariat et les travailleurs conscients doivent nourrir à leur égard la plus grande méfiance et se servir de leurs informations avec prudence et esprit critique. Dans ce domaine comme dans les autres, ils doivent compter avant tout sur eux-mêmes et sur leur auto-organisation, c’est-à-dire forger leurs propres instruments d’information et de lutte politique et idéologique : c’est par le renforcement des organisations de classe, par l’élaboration et la diffusion de journaux prolétariens, par des enquêtes indépendantes, par la diffusion et e développement du marxisme, par la mise en place de conférences de formation scientifique, culturelle et socialiste…, que les travailleurs se déferont autant que possible de la dictature idéologique et médiatique imposée par la classe dominante.


1) Cf. Alain Accardo et alii, Journalistes au quotidien. Outils pour une socioanalyse des pratiques journalistiques, Bordeaux, Le Mascaret, 1995 et Alain Accardo (dir.), Journalistes précaires, Bordeaux, Le Mascaret, 1998.

2) Cf. notamment Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Paris, Liber-Raisons d’agir, 1996.

3) Cf. Patrick Champagne, Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, Paris, Éd. de Minuit, 1991.

4) Cf. Érik Neveu, Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte, 2001. 

5) Cf. notamment in Alain Accardo et alii, Journalistes au quotidien, op. cit.

6) Cf. Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, Paris, Raisons d’agir, 1997.

7) Cf. François Ruffin, Les Petits soldats du journalisme, Paris, Les Arènes, 2003.

8) Cf. notamment Noam Chomsky, Les Médias et les illusions nécessaires, Paris, K films Éditions, 1993.

9) PLPL, créé en juin 2000, est un journal dénonçant régulièrement la pensée et le système du « PPA » (« parti de la presse et de l’argent »). Il se veut aussi un instrument « du combat social » et s’attache en particulier à mettre en évidence les liens entre ceux qui occupent des positions de pouvoir économique, politique et médiatique. (contact@co-errances.org).

10) www.acrimed.org

11) Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 44.

12) Le Monde, 8 février 1997.

13) Daniel Schneidermann, Le Cauchemar médiatique, Paris, Denoël, 2003, p. 269.

14) Cité par Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, op. cit., p. 35.

15) Idem, p. 33.

16) Idem, p. 39.

17) Ignacio Ramonet, La Tyrannie de la communication, Paris, Galilée, 1999, p. 186.

18) Idem, p. 186-187. — À un autre niveau, on peut évoquer également l’affaire du livre écrit par deux journalistes, Pierre Péan et Philippe Cohen, sur le journal Le Monde. Ce livre, La Face cachée du monde, soulevait divers scandales : sur la comptabilité du journal, sur un journaliste haut placé dans la rédaction servant de nègre à un syndicaliste policier puis faisant l’éloge de son livre dans le journal, sur le soutien à la candidature Balladur en 1995, sur le lobbying exercé contre rémunération en faveur des Nouvelles Messageries de la presse parisienne, sur les négociations entre le journal et certaines firmes industrielles avec la menace d’articles hostiles pour les interlocuteurs récalcitrants… Au cours de cette affaire, le « médiateur » du Monde Robert Solé demanda à la direction du journal (la troïka Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel, Alain Minc) de ne pas s’en tenir à une réponse vague, mais de répondre point par point avec un argumentaire précis ; la troïka refusa. L’article de ce « médiateur » fut même coupé juste avant le bouclage du journal par Edwy Plenel, « en contravention avec le livre de style du Monde, ce code de nos pratiques professionnelles, qui stipule que “la chronique du médiateur est le seul article qui échappe au circuit habituel de relecture, nul n’étant habilité à y apporter des modifications” » (dixit Daniel Schneidermann, alors membre de la rédaction du journal — in Le Cauchemar médiatique, op. cit., p. 256 ; D. Schneidermann a d’ailleurs été licencié à l’automne 2003). — Mais, le 6 juin, un compromis « à l’amiable » a finalement été trouvé entre la troïka et les auteurs du livre controversé, pour éviter que le déballage ne se poursuive en justice. Aux termes de cet accord, la réédition de La Face cachée du Monde est désormais interdite.

19) Ignacio Ramonet, La Tyrannie de la communication, op. cit., p. 23-24.

20) Télérama, 9 décembre 1998.

21) Érik Neveu, Sociologie du journalisme, op. cit., p. 52.

22) D’après Daniel Schneidermann, Le Cauchemar médiatique, op. cit., p. 22.

23) PLPL et Acrimed, Informer sur l’information. Petit manuel de l’observateur critique des médias, février 2004.

24) Patrick Champagne, « La construction médiatique des malaises sociaux », Actes de la recherche en sciences sociales, n°90, 1991.

25) D’après Alain Woodrow, Les Médias. Quatrième pouvoir ou cinquième colonne ?, Paris, Éditions du Félin, 1996, p. 159.

26) Cité par Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, op. cit., p. 10.

27) D’après Alain Woodrow, Les Médias. Quatrième pouvoir ou cinquième colonne ?, op. cit., p. 160.

28) Sur ce point, voir dans le précédent numéro du CRI des travailleurs notre article critique consacré aux trois films contre Bush sortis cet été (Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, Le Monde selon Bush de William Karel et Liberty Bound de Christine Rose).

29) PLPL n°20, juin-août 2004, p. 11.

30) Cité par Serge Halimi et Dominique Vidal, « L’opinion, ça se travaille… » Les médias, l’OTAN et la guerre du Kosovo, Marseille, Agone, 2000, p. 85.

31) Daniel Gaxie, « Au-delà des apparences », Actes de la recherche en sciences sociales, n°81-82, 1990.

32) Cf. François Ruffin, Les Petits soldats du journalisme, op. cit.

33) Cité par François Ruffin, op. cit., p. 77.

34) Idem, p. 80.

35) Toutes citations extraites de l’ouvrage de François Ruffin.

36) Idem, p. 65.

37) Idem, p. 136.

38) Sébastien Rouquette, L’Impopulaire télévision populaire. Logiques sociales, professionnelles et normatives des palabres télévisées (1958-2000), Paris, L’Harmattan, 2001.

39) Cité par Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, op. cit., p. 27.

40) Idem, p. 30.

41) Cité par Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, op. cit., p. 47.

42) Idem, p. 63.

43) Arnaud Leparmentier, Le Monde, 14 juin 2002.

44) Le Nouvel Économiste, 21 novembre 2003.

45) Le Nouvel Observateur, 19 février 2004.

46) Le Nouvel Observateur, 11 mars 2004.

47) Charlie Hebdo, 24 mars 2004.

48) Cité par François Ruffin, Les Petits soldats du journalisme, op. cit., p. 90. — Bien sûr, dans certains cas largement exceptionnels, les journalistes organisent des « débats » qui se veulent plus « équilibrés », « justes » et « ouverts ». Par exemple, le 19 août 2004, Joseph Confavreux consacre sur France Culture une émission de sa série « Contre-expertise » au service minimum dans certains services publics en cas de grève. Il choisit pour cela d’inviter un député du groupe UMP qui va présenter un projet de loi sur le service minimum à l’Assemblée nationale, une responsable de l’association « Liberté chérie », violemment antigréviste (de ceux qui portaient des badges « Stop la grève » en mai-juin 2003), un sociologue et une dirigeante de la CGT. Bien sûr, on sent que le présentateur (on est sur France Culture ; à France Culture, on aime bien ATTAC, le mouvement altermondialiste et les intermittents du spectacle) n’est pas très favorable au service minimum. Mais la manière dont se déroule le débat et surtout la façon dont il présente lui-même les enjeux s’inscrivent clairement à l’encontre des intérêts des salariés : ainsi Joseph Confavreux estime-t-il que ce qui est important et ce sur quoi « tout le monde est d’accord », c’est qu’il y ait « du dialogue », « la refondation des rapports sociaux », « la contractualisation » et donc la nécessité de « chercher des accords de branche, des accords d’entreprise même ». Contre le caractère nécessairement collectif du Code du Travail, et sous ses dehors progressistes, le journaliste se montre donc nettement favorable au processus imposé par le gouvernement et le patronat : briser les conventions collectives, individualiser et « contractualiser » au maximum les rapports entre patrons et salariés… — Quant à la responsable CGT, Marie-Claire Cailleteau, représentante de la fédération des mines et de l’énergie, elle a soutenu que les grèves étaient très souvent demandées « pour des concertations » et que dans d’autres pays, on n’avait généralement pas besoin d’en arriver à la grève. Sur la question du non-paiement des jours de grève, elle a expliqué, en réponse au député UMP, qu’elle n’était pas payée quand elle faisait grève et qu’elle trouvait ça « normal ». Elle s’est ensuite appuyée sur des patrons qui, comme Louis Gallois, sont défavorables à une loi sur le service minimum, préférant des « solutions internes ». Elle a souligné qu’elle avait voté Chirac en 2002. Enfin, elle a rappelé que la CGT demandait un référendum national sur le statut d’EDF-GDF… Bref, avec de telles déclarations, cette bureaucrate « syndicale » avait parfaitement sa place dans le cadre d’une émission petite-bourgeoise bien-pensante « de gauche » !


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