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Les enseignants refusent la duperie du « grand débat sur l'École »


Auteur(s) :Nina Pradier
Date :15 novembre 2003
Mot(s)-clé(s) :école
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Pendant que les dirigeants de leurs syndicats participent au « grand débat sur l’École » par lequel le gouvernement essaie d’associer ces derniers à la préparation de ses prochaines contre-réformes, l’avant-garde des enseignants qui se sont massivement mobilisés par la grève en avril-juin 2003 n’est pas dupe. C’est ce que montrent, parmi tant d’autres, les deux motions suivantes, émanant d’assemblées générales d’établissements fortement mobilisés au printemps dernier, et que nous publions ici à titre d’information (leur formulation n’engage donc pas notre responsabilité).

Motion des enseignants du collège Georges-Rouault de Paris XIXe (25/11)

Grand débat sur l’École : pourquoi nous refusons le cadre proposé

Est-il besoin de préciser que notre refus de cette parodie de consultation n’est en aucune façon une marque de désintérêt face aux problèmes importants que connaît le système scolaire ?

Rappelons simplement quelques points :

• Avant le train de réformes du premier semestre 2003, aucune concertation n’avait eu lieu avec les personnels de l’Éducation nationale.

• Le mouvement de grève qui aura duré trois mois, le plus important qui ait jamais eu lieu dans ce secteur de la société, n’a rencontré que la brutalité et la surdité gouvernementales.

• En même temps que ce débat est annoncé et organisé, une politique effective se poursuit :

- 13 000 emplois supprimés dans l’enseignement secondaire ;

- suppression programmée des titulaires-remplaçants, déjà affectés sur des postes à l’année ;

- restriction des postes aux concours…

De plus, à qui fera-t-on croire qu’une réforme du système scolaire puisse se voir coupée d’une société où les difficultés sans nombre s’accumulent ?

Dans ce cadre, le débat sur l’école nous apparaît comme une supercherie.

Plusieurs éléments le confirment :

• la composition de la commission Thélot ;

• le manque d’objectivité de ses membres, qui continuent à exposer leurs idées alors que le débat est en cours ;

• le type de questions posées. Outre le fait que nous n’avons pas été consultés, les interrogations sont formulées de telle sorte qu’elles induisent des réponses conformes aux vœux gouvernementaux (un exemple : « Comment, en matière d’éducation, définir et répartir les rôles et les responsabilités respectifs de l’État et des collectivités territoriales ? » question 18, qui induit la décentralisation dont le principe a déjà été voté) ;

• les fiches-supports seront traitées grâce à un système de crible fonctionnant avec des mots-clés ;

• le temps imparti, les délais imposés, la période choisie, les thèmes arrêtés, tout montre que cette grande consultation n’est que poudre aux yeux.

La conclusion est facile à tirer : tout est fait d’avance, les dés sont pipés, il s’agit une fois encore d’une vaste opération de communication, une tentative de détournement du débat démocratique.

D’ailleurs, M. DARCOS , ministre délégué à l’enseignement scolaire, vend la mèche : « La lourdeur de la gestion du personnel peut être combattue par une meilleure organisation des options et la bivalence, ce qui implique des réformes complexes, et le ministère s’interroge sur le fait de savoir s’il ne vaut pas mieux attendre que le grand débat sur l’éducation n’amène naturellement à poser ces questions de façon concrète. » (28 octobre 2003, à l’Assemblée nationale devant la commission des finances). Autrement dit : laissons les gens parler et espérons que ce que nous avons décidé par avance sortira des réunions.

Plus grave : en même temps qu’éclatait la tartuferie, dans la même enceinte, les objectifs gouvernementaux étaient déclinés : autonomie des établissements (ce qui implique des disparités liées au contexte social, une dislocation du caractère national de l’éducation), bivalence au collège [la bivalence est le fait pour un professeur d’être chargé d’enseigner deux matières différentes, par exemple le français et l’histoire-géo, NDR], disparition des statuts des enseignants datant de 1950, gestion comptable du système scolaire — pour n’évoquer que quelques-unes des questions posées.

Voici la lettre que les personnels du lycée Claude Monet avec les sections syndicales FSU, FO, SUD adressent aux parents et aux élèves, et qu’ils liront lors de la première réunion de “débat” en début de séance avant de quitter la salle.

Motion de l’Assemblée Générale du lycée Claude-Monet du Havre (25/11)

Un “débat” truqué dont les conclusions sont déjà tirées.

Pendant des semaines, les personnels de l’Éducation Nationale ont fait grève l’an dernier, manifesté, interpellé les ministres… et n’ont pu se faire entendre. Aujourd’hui, les ministres prétendent libérer la parole en organisant un “grand débat sur l’éducation”. Il s’agit selon leurs propres termes d’aboutir à "un diagnostic partagé", autrement dit à un consensus sur une future loi d’orientation sur l’École et de nouvelles réformes.

Les personnels ouvriers et techniciens de service (TOS) sont exclus du débat…. Débat ou non, le gouvernement a décidé de les exclure de l’Education Nationale en maintenant sa politique de décentralisation et de transfert des personnels aux collectivités territoriales. Il vient d’accepter en outre un amendement au Sénat autorisant le transfert de la médecine scolaire, alors qu’il s’est engagé en juin à y renoncer.

Ce "grand débat" porte sur 22 sujets, 2 par établissement. Chacun peut noter le caractère très orienté des questions posées. Exemple: "L’efficacité de l’école exige-t-elle plus de décentralisation?" Autre exemple : "Comment organiser et améliorer l’orientation des élèves?", question à mettre en rapport avec la volonté du gouvernement de transférer les conseillers d’orientation aux collectivités territoriales et de confier une partie de leurs tâches aux professeurs.

Ce débat est truqué; ses conclusions sont déjà données d’avance. Nous exagérons?

Il suffit de lire le rapport écrit par le député J.-Y. Chamard, sur le budget de l’Éducation Nationale et les déclarations faites à la commission des finances de l’Assemblée Nationale par les ministres Ferry et Darcos et leurs amis politiques, pour connaître la stratégie du gouvernement et les grandes lignes de sa future réforme. (pour vérifier, voir site www.assemblée-nat.fr/12/budget). Le “grand débat” servira d’alibi :  “Le grand débat national doit permettre un état des lieux précis, mais ne doit pas préjuger des solutions qui seront finalement retenues dans la loi de programme.” (P. Auberger)

Le rapport Chamard commence par ce titre éloquent: "Chapitre premier: L’urgence de la réforme. I- Le système scolaire accapare une part croissante de la richesse nationale".  Commentaire de Ferry : "Le véritable levier (de cette réforme), c’est l’autonomie des établissements, qui peut leur permettre de disposer d’un budget global, d’une fongibilité des lignes de crédits et aussi d’une marge d’autonomie sur les programmes de 10 à 15%. Il n’est pas possible d’imaginer passer une telle réforme en force".

Autres citations : "D’autres champs d’économie sont possibles dans l’éducation. Certains passent par la redéfinition des services, par le développement de la bivalence, l’annualisation des services et la rationalisation des offres de formation, notamment pour les petits diplômes." (Ferry)

"Il faut résoudre la question des classes à faibles effectifs, par exemple en STI, littérature ou langue allemande. Quel montant d’économies pourrait-on faire si l’on y remédiait!" (P. Auberger)

"Concernant la relation entre les effectifs des classes et le niveau des résultats, il semble que cela ne donne des résultats probants que pour les élèves en grande difficulté ; ceux qui se situent dans la moyenne ne voient pas leurs résultats significativement améliorés par la réduction du nombre d’élèves par classe. Par ailleurs, on constate dans de nombreuses régions une surcapacité des établissements" (P. Méhaignerie).

Comme les déclarations de nos ministres le démontrent, ce “débat” est destiné à donner  un habillage et un consentement "démocratiques" à une politique de destruction de l’École publique. Ils ne s’occupent pas de l’École, mais d’ “économies”. En accusant enseignants et élèves d’“accaparer… la richesse nationale”, ils les font passer pour des voleurs d’argent public.

Ils ont déjà décidé du contenu de leur future réforme et veulent pouvoir se réclamer de l’opinion des Français. Les propos qu’ils tiennent entre eux sont clairs : il s’agit de diminuer brutalement dès l’an prochain le budget consacré à l’Éducation Nationale ; il s’agit de la démanteler morceaux par morceaux en la transférant aux régions et de mettre en pièces les statuts nationaux, les programmes nationaux et les diplômes nationaux qui seuls garantissent aux élèves le bénéfice du même droit à l’éducation sur tout le territoire de la République. Il s’agit d’une politique générale de destruction des services publics.

Cette politique, les élèves et les enseignants du lycée Claude-Monet en ont déjà un avant-goût quand on voit par exemple la considérable dégradation qu’a subie depuis 3 ans l’enseignement des langues : des groupes de langues surchargés ne bénéficiant plus que de 2 heures de cours par semaine (au lieu de 3 heures avant la réforme Allègre), des options de langues rares fragilisées voire menacées… pendant que le lycée privé St Joseph vient de bénéficier avec les fonds publics de l’ouverture d’une  section internationale d’une douzaine d’élèves.

L’Assemblée générale des personnels du lycée Claude Monet du Havre du 25 novembre 2003, avec leurs sections syndicales FSU, SN-FO-LC, SUD.


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